BHASE n°30 (juillet 2016)
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Nouvelles et contes

de l’arrière, 1914-1916



Préface

3-7

I .

Le Noël de Marthe

13-30

II.

Poupée de Noël

32-43

III.

L’espion

44-57

IV

Le Châtiment

58-90

V

Le pardon de Francine

92-115

VI

Grand’Mère

116-145


Terrier-Frères

Une histoire étampoise, 1884-1934 (49 documents)

147-217

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Nouvelles et contes

de l'Arrière 1914·1916

par Léon Terrier + Terriers Frères, une histoire étampoise


BHASE n°30 juillet 2016



ISSN 2272-0685

Publication du Corpus Étampois

Directeur de publication : Bernard Gineste 12 rue des Glycines, 91150 Étampes redaction@corpusetampois.com

BHASE n°30

Bulletin historique et archéologique du Sud-Essonne


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publié par le Corpus Étampois

juillet 2016


COMITÉ DE LECTURE


Bernard Gineste Bernard Métivier Bernard Minet

† Bernard Paillasson


Préface

Ce numéro du BHASE est constitué de deux parties bien différentes. Leur point commun ? C’est la famille nombreuse des Terrier, qui a joué un rôle de premier plan dans l’histoire culturelle du pays étampois, pendant tout le premier tiers du XXe siècle.


En 1914, quelques mois avant la Guerre, trois des six frères Terrier, venus d’Annecy, prennent le contrôle autant de l’imprimerie que de la rédaction de L’Abeille d’Étampes. Déjà bien connus des Étampois à cette date pour leurs contributions à cet hebdomadaire local, ils y jouent dès lors les premiers rôles à un moment crucial de l’histoire de France.


Jean Terrier dirige l’imprimerie. Entre autres publications patriotiques, il édite alors en 1916 un recueil de Nouvelles et Contes de l’Arrière, composé par son propre fils Léon Louis, qui dans la suite collaborera aussi à L’Abeille.


*


La première partie de ce BHASE est la réédition de ce beau recueil aujourd’hui totalement introuvable, et dont j’ai dû aller photographier, page par page, un exemplaire rarissime à la Bibliothèque nationale de France. Bernard Métivier en a ensuite patiemment ressaisi le texte, manuellement.

On y trouvera cinq courts récits de guerre, suivi d’une comédie en un acte, dont le sujet est aussi la vie pendant la guerre, de 1914 à 1916, du point de vue de ceux qui sont restés à l’Arrière tandis que le père, ou le mari, ou l’amant, ou le fils encourent tous les dangers des champs de bataille.


Ce sont, successivement : « Le Noël de Marthe », « Poupée de Noël », « L’Espion », « Le Châtiment », « Le pardon de Francine » et enfin « Grand’Mère, comédie un un acte ».


Toutes les situations pathétiques que crée la guerre sont considérées, s’il est possible ; tous nos héros sont patriotes et loyaux, du moins pour ceux qui sont français ; car on ne voit guère ici dans le camp ennemi que violence cruelle et trahison infâme.


Mon mari est-il mort ? Ou bien captif ? Mon père est-il mort ? Et comme je voudrais que ma mère cesse de souffrir de cette cruelle incertitude ?


Et si mon mari est mort, que me restera-t-il de lui ? Et que dire à notre fils qui voudrait que le père Noël lui donne une sœur ?


Et moi qui suis sur le Front, que dois-je penser, et que puis-je espérer d’une fiancée dont je découvre que le frère n’est qu’un ignoble espion à la solde de l’ennemi ? Ne faut-il pourtant pas le faire fusiller sans fléchir ?


Quant à moi qui suis une fille-mère abandonnée par un autre espion, que dois-je faire, et que va devenir mon enfant ? Et que se passera-t-il si les hasards de la guerre et de l’invasion nous mettent à nouveau face à face ?

Pourtant la guerre peut réunir peut-être aussi ce qu’avait dissous un mode de vie autrefois insouciant et frivole. L’amour peut-il renaître entre une infirmière et le mutilé de guerre qui l’avait autrefois trahie ?


Enfin, imaginons une mère dont le fils unique est noblement mort au combat. Imaginons ensuite que se présente à elle une jeune femme exilée par l’invasion, et qu’il s’agit d’héberger. N’est-ce pas un devoir patriotique ? Oui, mais s’il s’agit d’une fille-mère ? Ne serait-ce pas encourager l’immoralité ?


*


Dans la deuxième partie de BHASE n°30 on trouvera un deuxième recueil, cette fois-ci documentaire. Nous y réunissons cinquante pièces relatives à la pittoresque famille de notre auteur et de son éditeur, Léon-Louis et Jean Terrier. Étampois de fraîche date, ils ont joué un rôle important dans l’histoire de la Grande Guerre au pays d’Étampes et pendant les vingt années qui suivirent. Voici en quelques mots l’histoire de cette copieuse fratrie d’immigrés savoyards


Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, les six fils d’un maître charpentier d’Annecy, Denis Terrier, laissèrent la montagneuse Savoie, qui pour Paris, qui pour Quimperlé, qui pour Étampes. Tous furent publicistes, journalistes, ou imprimeurs. Et voici ce que nous avons exhumé de la poussière des archives.


  1. Louis, l’aîné (1858-1897), avait ouvert la voie. De Paris, il faisait rayonner avec d’autres la bonne parole républicaine avec le Journal des Débats, autant sur Étampes, où il collabora au journal local L’Abeille dès 1884, que sur Quimperlé, où il

    dirigeait son propre journal, L’Union agricole et maritime. Mais il mourut jeune.


  2. Jean (1860-1926) resta d’abord à Annecy où il fut imprimeur ; mais sur le tard, en 1914, il vint prendre en main l’imprimerie d’Étampes, qu’il dirigea pendant toute la guerre et, au-delà, jusqu’à sa mort. Avec lui vint d’Annecy à Étampes son fils Louis Léon, à qui nous devons le recueil de Nouvelles et contes de l’Arrière ici réédité pour la première fois depuis 1916, et qui sera ensuite rédacteur de L’Abeille, ne mourant pour sa part qu’en 1968, à Paris.


  3. François (1864-1897) est le seul des six fils de Denis Terrier qui ne paraisse pas avoir séjourné à Étampes : il mourut à Quimperlé où il était parti, comme journaliste, aider son frère aîné, bien jeune encore pour mourir, et à peine marié.


  4. Léon (1869-1937) vint prendre dès 1897 la relève de Louis à Étampes, où il fut d’abord comptable de l’imprimerie de L’Abeille, alors tenue par Ollivier Lecesne. Il se maria à une Étampoise en 1899 et succéda en 1914 à son patron à la direction de l’hebdomadaire local, jusqu’à la fin de 1934. Il mourut trois ans plus tard d’un accident de voiture.


  5. Henri (1871-1921) fit sa carrière de journaliste à Paris, sur les traces de ses aînés, notamment au Journal des débats. Mais c’est chez ses frères d’Étampes qu’il s’en vint mourir, au terme d’une longue maladie, en 1921.


  6. Enfin Auguste (1873-1932) fut la gloire de la famille. Il voua en effet, et non sans succès, toute sa vie et ses talents de publiciste à la cause patriotique de l’Empire colonial d’Afrique. Il avait épousé en 1901 une des filles de l’imprimeur étampois Ollivier Lecesne, et séjourna d’ailleurs un temps chez lui rue

Saint-Jacques, vers 1912, avant de s’installer à Paris, d’où il était plus aisé de se consacrer à la grande tâche qu’il s’était fixé.


Bonne lecture.


Bernard Gineste



LEON TERRIER


NOUVELLES ET CONTES DE L’ARRIÈRE

1914-1916


ÉTAMPES IMPRIMERIE TERRIER FRERES & Cie

1916


Il a été tiré de ce volume cinquante exemplaires numérotés N°


Je dédie ces Nouvelles et Contes de l’Arrière, qui me furent inspirés par des scènes touchantes vécues autour de moi, à mon père dont les conseils avertis me facilitèrent la mise à jour de ce premier et timide essai.


L. T.

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Le Noël de Marthe


À Mme Marthe B…, en souvenir du cher disparu à D...


Par trois fois déjà, Marthe a essuyé la buée qui, inlassablement, recouvre les vitres de la fenêtre close. Son regard triste, anxieux, va de la vieille horloge de bronze qui orne la cheminée où pétille joyeusement un grand feu de bois, au coin de la rue qui passe sous la fenêtre du rez-de-chaussée de la petite villa qu’elle habite, dans la banlieue d’Annecy.


Parfois sa pensée s’arrête au joli spectacle qu’offre la neige qui tombe abondamment par cette froide matinée de veille de Noël : les flocons capricieux s’abattent, tout à coup, drus et serrés, comme s’ils avaient hâte de se reposer de leur céleste voyage, sur le tapis moelleux qui s’étale sur les pavés, sur les trottoirs ; puis, dans une bourrasque du vent qui s’élève, les flocons blancs tourbillonnent, dansent, voltigent, s’abaissent et remontent vers le ciel, comme s’ils voulaient éviter, à leur virginité, le contact de la terre.


D’un regard rêveur, elle suit les quelques rares habitants de la cité savoisienne, engourdie sous son manteau glacé, qui se risquent au dehors, malgré la rigueur du froid et l’avalanche de

neige : quelques femmes seulement, d’ailleurs |6 chaudement emmitouflées dans leurs manteaux et leurs fourrures, ne montrant, de leurs visages, que le bout d’un nez rougi et des yeux pensifs et tristes. Quelques-unes, en passant près de la fenêtre où Marthe reste rêveuse, s’arrêtent, sourient mélancoliquement et lui demandent :

— Toujours pas de nouvelles ?


Un simple geste de négation leur sert de réponse tandis que le regard déchirant des beaux yeux, pleins de larmes semble les questionner à son tour. Et, pour fuir cette vision de tristesse, elles se hâtent vers leur demeure, en baissant la tête sous la rafale glacée.


Tout à coup, Marthe voit déboucher au coin de l’avenue, celui qu’elle attend : le père Dalignon, cachant dans les plis de son manteau sa grosse boîte noire vernie de facteur, apparaît. Et le cœur de Marthe bat follement dans sa poitrine !


Oh ! qu’il est donc long à venir ce vieillard, portant avec lui les lettres si impatiemment attendues par les vieilles mamans, par les jeunes épouses qui y trouveront les mots d’espoir, les mots d’amour dont le pauvre logis, triste et désert maintenant, sera, pour une minute, tout illuminé.


Il s’arrête à quelques portes ; il sonne et attend qu’on vienne lui ouvrir, ne refusant pas, à l’occasion, le bon verre de vin chaud qui lui donne des forces nouvelles.


Marthe, anxieuse, espère l’instant où il passera devant la fenêtre, s’arrêtera, glissera par la petite fente aménagée au- dessous, la lettre si impatiemment attendue.

Il vient ! Le cœur de Marthe s’affole dans sa poitrine ! Elle suit ses mouvements des yeux pendant qu’il cherche dans sa boîte... Il va s’arrêter ; il va sortir la lettre !... Mais non ! il n’y a encore rien pour elle aujourd’hui !... il lui jette un long regard, hoche la tête tristement et continue silencieusement sa tournée.

|7


Marthe se rassied, le cœur brisé et sanglote ! Petit Jean, qui joue à ses pieds, avec un chemin de fer à mécanique, lève sa petite frimousse, toute barbouillée de chocolat, abandonne son jouet et cherche à grimper sur les genoux de sa mère.



Jean, que cette réponse si souvent répétée depuis un mois, ne satisfait plus, s’entête à questionner, tout en caressant la jolie tête brûlante qu’il enlace de ses bras potelés.


Marthe le regarde ! Oh ! comme il ressemble à Georges ! comme elle retrouve bien le regard franc des grands yeux limpides, un peu cernés ; le front haut, se plissant légèrement, entre les sourcils épais et noirs, lorsqu’il réfléchissait ; |8 le nez, droit et fort, au-dessus des lèvres rieuses, qui donnait à ce visage sévère une expression de bonté et d’amour, lorsqu’elles

souriaient.


Pauvre petit Jean ! N’aura-t-il, de ce père bien- aimé, qu’une lointaine vision de tendresse, qu’un vague souvenir de caresses et de baisers ! Le reverra-t-il ce père qui l’aimait tant ! ce père qui, depuis la naissance de ce cher petit être, semblait avoir deux cœurs pour pouvoir tant aimer et ce fruit charmant de leur amour, et sa petite Marthe jolie qu’il adorait plus ardemment encore qu’autrefois ? Hélas ! N’était-ce pas folie que d’espérer encore ?


Depuis quarante jours exactement, elle n’a plus reçu des nouvelles de son mari, parti au feu vers le milieu d’août. Elle a écrit partout : au dépôt du corps, au ministère de la Guerre, à la Croix-Rouge de Genève. Les réponses imprimées lui sont

parvenues, sans atténuer son chagrin. Toutes les mêmes, dans leur cruelle brièveté :


« Pas de nouvelles, donc tout va bien. »


Non ! c’est impossible ! Si Georges vivait, il ne laisserait pas sa Marthe adorée dans une telle anxiété. Au début de la guerre, il lui écrivait à peu près chaque jour des lettres pleines d’amour et d’espérance. Et ces mots si tendres, si confiants, lui avaient donné le courage de supporter la cruelle épreuve. Puis, sans que rien ne fasse prévoir ce long silence, elle n’a plus eu de nouvelles. Pas la moindre petite carte, pas le plus petit baiser envoyé, comme il faisait parfois, du fond de la tranchée, par un camarade qu’on relevait de garde. Mais elle a lu sur les journaux, qu’à la date où la correspondance avait brusquement été interrompue, de violents combats s’étaient livrés en Belgique, à l’endroit où Georges se battait.


Et elle ne veut plus croire aux consolations de ses amies qui lui citent telles |9 jeunes femmes de la ville dont les maris, signalés comme morts, sont prisonniers dans quelque camp lointain de l’Allemagne.


Désespérée par ce trop long silence, déprimée par les nuits de veille, par les visions atroces qui la font parfois s’éveiller, brisée de fièvre, inondée de sueur, croyant entendre, dans le murmure du-vent, la voix de Georges qui, mourant, l’appelle à son secours, elle n’a plus aucune volonté pour réagir et s’abandonne ainsi, de longues heures, près de la fenêtre, à son affreux chagrin.


Un instant, distraite par le bavardage de l’enfant qu’elle contemple, elle paraît oublier ; mais à un souvenir trop précis

qui s’éveille en son cœur, elle se reprend à désespérer et à sangloter.


Jean comprend qu’il fatigue petite mère ; il l’embrasse affectueusement sur ses yeux inondés de larmes, se laisse glisser à terre et se rassied à ses pieds, mais ne reprend pas son jouet.


A son tour, il réfléchit et cherche à rassembler, dans sa petite tête, toutes les pensées confuses qui s’y croisent, par suite de ce qu’il constate lui-même ou de ce qu’il entend dire autour de lui par les grandes personnes qui viennent rendre visite à sa maman…


Voilà trop longtemps, aussi, que les jours se suivent, uniformément tristes ! Cependant, il se souvient qu’il a été très heureux autrefois, au temps où il faisait tous les jours du soleil, où l’on s’en allait promener avec petite mère tous les après- midis sur le bord du lac bleu, où on jouait aux petits tas de sable avec Louis et Jacqueline, sous l’œil attentif des mamans assises, sur leurs pliants, le long de la promenade ombragée ; il se souvient qu’après avoir goûté, il guettait l’arrivée de son père qui venait à la sortie de son bureau, les chercher à la promenade : il courait à sa rencontre, se jetait dans |10 .ses

jambes, se laissait saisir par les bras vigoureux qui l’élevaient très haut, vers les branches des platanes dont il arrachait quelques feuilles vertes, et le redescendaient vers le grave visage qui l’embrassait tendrement.


Oh ! oui qu’il était heureux à cette époque : petite mère ne pleurait jamais, jamais ; au contraire, bien des fois, elle riait de si bon cœur que Jean s’arrêtait de jouer, la regardait, curieux et moqueur, et riait, à son tour, d’une telle gaîté. Il n’y avait pas très longtemps même, un beau soir, qu’il faisait clair de lune,

dans le petit jardinet, qu’embaumaient des corbeilles de roses, petite mère avait chanté une romance, très belle, et qui avait ravi les tantes et les oncles, invités à fêter l’anniversaire de la naissance de l’enfant Qu’elle était heureuse, maman Marthe, lorsqu’elle avait présenté son petit Jean, ce délicieux bambin de quatre ans, mignon à croquer dans ses petites culottes courtes, son maillot collant, son béret marin ! Que de cadeaux il avait reçus ! Le joli chemin de fer qui traînait à ses pieds lui avait été donné par son père qui en l’embrassant tendrement l’avait appelé : « Mon petit homme. »


C’était peu de temps après que les beaux jours s’étaient enfuis. Il y eut beaucoup de bruit dans la petite ville, toutes les cloches sonnèrent à la fois, faisant un gros bourdonnement sinistre ; des soldats couraient dans les rues et jouaient très fort de leurs clairons. Le soir, petit père riait en disant qu’il allait tuer beaucoup de Prussiens avec son fusil ; mais il entendit, lorsqu’il fut couché dans son lit blanc, plus tôt que d’habitude, maman Marthe qui sanglotait sur l’épaule de son père dont la voix était grave.


Et depuis qu’il était parti, après les avoir embrassés bien fort, il n’y avait plus de gaîté autour de lui comme autrefois. Cependant, les premiers temps, petite mère avait continué à |11 l’embrasser, à jouer avec lui. Le matin, elle se levait de très bonne heure, et, jolie comme les anges des images, toute blanche dans sa longue chemise, ses pieds nus, elle courait dans la salle à manger, ouvrait la petite boîte, prenait la lettre

quotidienne et, souriante, heureuse, la lisait à haute voix, couchée dans son grand lit où il venait à son tour, se blottir calmement pour écouter ce qu’écrivait son père.


Mais depuis de longs jours, ces bonnes matinées paresseuses sont finies ! Petite mère, levée de bonne heure, ne revient plus

près de lui que pour faire sa toilette ; et, toute la journée, elle reste pensive à la fenêtre, où il vient jouer à ses pieds, pendant qu’elle pleure ou prie silencieusement.


Il croit bien comprendre le pourquoi de ce brusque changement ! Il n’y a plus jamais de lettres dans la petite boîte.


Mais pourquoi donc petit père n’écrit-il plus ?


Jamais, à son jeune cerveau, l’idée de la mort ne s’est présentée, car on évite de parler de la sinistre chose devant lui. Et il entrevoit la guerre comme un jeu, où l’on fait semblant de tomber sur l’herbe, pour se lever quand on est las de jouer, comme il le fait sur la vaste pelouse du Pâquier avec ses petits amis.


Vaguement, il pressent un mystère. Mais lequel ? Parfois il a pensé que c’était le monsieur à casquette galonnée qui gardait toutes les lettres pour lui dans sa boîte noire. Mais petite mère n’eut certainement-pas continué à lui causer. Lui faudrait-il alors croire que son père, comme celui de son petit ami Pierre, a eu les bras coupés par les méchants prussiens ? Il ne sait trop que penser. Mais ce qui lui paraît absolument certain c’est que sa mère aura du chagrin tant qu’elle ne recevra pas une lettre.


Comment faire ! Il a cherché longtemps sans |12 rien trouver, le pauvre chérubin, lorsqu’à l’approche de la fête de Noël une idée a germé dans sa petite tête.


Chaque soir, sa prière finie, Marthe lui fait nouer ses petits doigts et face à l’image de Jésus, suspendue au-dessus de son lit, elle lui dit :

— Demande à petit Noël ce qui te fera grand plaisir. Aux enfants très sages, il apporte, dans leurs souliers, ce qu’ils désirent.


Et lui, il demande une boîte de soldats semblables à son père, pour faire la guerre !


Marthe lui affirme qu’ainsi il en trouvera certainement une dans ses souliers.


Pourquoi donc ne s’adresserait-elle pas aussi à lui pour avoir des nouvelles de petit père puisqu’il ne refuse rien aux personnes sages !


Il a hésité à le lui dire jusqu’à ce jour ; mais ce matin, veille d’une si belle fête, la vue du grand chagrin de sa mère lui est particulièrement pénible et le décide à exposer son enfantine idée...


Jean tire doucement Marthe de ses tristes pensées, sa jolie figure rose prend une expression grave ; son petit doigt vient se placer au coin de sa bouche, comme un point d’interrogation.


Alors Jean reste rêveur et ne dit plus rien. Mais Marthe vient tout à coup de se rappeler que c’est ce soir la fête divine des enfants ; Jean, |13 comme tous les autres petits de la ville, aura sa joyeuse surprise, si ardemment désirée...


La nuit venue, lorsqu’il va se coucher, Jean range près de la haute cheminée ses bottines et Marthe doit céder au caprice de l’enfant qui la supplie de mettre ses petits souliers, à boucles dorées, près des siens.


Puis lorsqu’il se trouve seul dans la chambrette, Marthe ayant prétexté un peu de travail pour attendre qu’il soit endormi et s’étant retirée dans la salle à manger, Jean se dresse sur son lit, écarte les rideaux blancs et, à genoux devant l’Enfant Jésus, il refait sa prière.


— Petit Jésus, lui dit-il, en tendant ses bras vers lui, ne m’envoie ni soldats, ni friandises ; mais si j’ai été bien sage, si tu veux me faire grand plaisir, apporte dans les souliers de maman, des nouvelles de petit père et je t’aimerais de tout mon cœur pour le bonheur que tu nous auras donné.


Et il lui semble voir sous l’éclat radieux d’un rayon de lune qui s’est glissé à travers les volets clos jusqu’à la divine Image, Jésus qui lui sourit tendrement.


Puis, vite, il se glisse dans son lit, et, pour obéir à petite mère, il s’endort profondément.


Quelques instants après, Marthe, écartant les rideaux, voit le visage calme de l’enfant endormi, souriant dans une divine extase et elle pense qu’en son rêve, Jean voit père Noël qui se glisse vers les petits souliers et y dépose cadeaux et friandises.

Bientôt, en effet, chaque petit soulier est empli d’oranges, de papillotes dorées, de boules de chocolat et sur les tiges qui se tiennent très fermes, des mains blanches déposent une grande boîte de carton rouge, ornée d’un drapeau tricolore.


Marthe regarde l’échafaudage gracieux devant |14 lequel demain matin, l’enfant exprimera sa joie et sa confiance en la bonté de lEnfant-Dieu.


Tristement ses yeux fixent ses petits souliers à elle, qui reposent vides à côté de ceux de l’enfant, sa pensée fait un retour en arrière et elle songe au gentil Noël qui y déposa, l’an dernier, le joli cœur, en or, orné de perles, qui se cache sur sa poitrine ! Elle pense à la joie qu’elle éprouva en trouvant ce charmant souvenir, lorsqu’elle vint chercher pour Bébé les surprises de Noël et quels remerciements émus, quels tendres baisers elle donna à Georges, qui enlaçait sa petite Marthe coquette.


Hélas ! pourquoi donc le bonheur était-il à jamais banni de ce petit nid d’amour où ces êtres avaient vécu si tendrement unis...


Marthe, dans le grand lit où elle ne peut se réchauffer, pleure silencieusement tandis que dans la nuit, maintenant claire, sous un ciel limpide où luit une lune argentée et de radieuses étoiles, la terre, couverte de son blanc manteau, offre au Seigneur, dont c’est la Fête solennelle, les carillons de ses cloches sonores, les prières ardentes des femmes et des enfants, prosternés sous la voûte des chapelles, et, tout là- bas, dans les plaines sanglantes du Nord, les râles des mourants, les clameurs des héros, le tonnerre des canons, toutes ces voix terrestres demandant à Noël, la Paix éternelle et radieuse qu’il avait promis aux hommes de bonne volonté...

Le jour se glisse à travers les volets et la blancheur de son éclat annonce la chute joyeuse des légers flocons blancs. Marthe, éveillée, entend le son de la cloche qui appelle les fidèles à la première messe de Notre-Dame.


Jean dort profondément ; il ne s’éveillera pas avant qu’elle ne soit de retour. Vite, |15 elle saute hors du lit, s’habille chaudement, regarde l’enfant endormi, ses petits poings crispés enfoncés dans ses yeux. Rassurée par ce sommeil qui lui paraît si profond, elle sort de sa demeure et, fermant doucement la porte de la villa, elle se dirige vers l’église.


Mais le bruit de la porte se fermant, si léger qu’il soit, réveille Jean qui se dresse sur son lit, effarouché.


Ecartant les rideaux, il regarde le lit de sa mère, n’aperçoit pas la figure chérie et s’effraye du silence. Un instant, il pleure pensant ainsi attirer son attention.


Mais non ! personne ne vient ! Il est donc seul !


Ou bien petite mère, près de la fenêtre, guette-t-elle déjà, plongée dans ses tristes réflexions, la venue du facteur ?


Il regarde autour de lui, en se frottant les yeux ; il aperçoit l’Enfant Jésus dont le doux regard semble lui sourire et il se rappelle brusquement sa prière de la veille.


Alors avec des précautions infinies, il se glisse hors du lit, roule sur le parquet, embarrassant ses petits pieds blancs dans sa trop longue chemise, mais la peau moelleuse qui lui sert de descente de lit amortit la chute et il se relève tout souriant.

Doucement, il se dirige vers la porte de la salle à manger, l’entr’ouvre et regarde vers la fenêtre. Personne ! Alors il s’enhardit, ouvre toute grande la porte et se précipite vers la cheminée.


Oh ! bonheur ! que petit Jésus est gentil ! À ses yeux émerveillés apparaissent, lorsqu’il soulève le carton de la grande boite rouge, des rangées de petits soldats, cavaliers, fantassins, artilleurs même avec leurs canons, tout reluisants d’éclat, prêts à défiler orgueilleusement sur la table de la salle à manger où il les fera manœuvrer. Des souliers retournés s’échappent |16 des friandises dorées, argentées, dégageant un délicieux parfum de vanille et de chocolat.


— Petit Noël, merci, du fond du cœur !


Mais brusquement son radieux sourire contemplatif s’efface. Une pensée grave traverse sa petite tête.


N’a-t-il pas hier soir demandé autre chose à père Noël ?


Maintenant il n’ose se retourner de peur d’apercevoir les souliers de petite mère ! S’il n’y avait rien ! Si père Noël avait oublié la lettre de petit père ! Mon Dieu ! lui qui était si content, lui faudra-t-il voir sa maman sangloter tristement au lieu de jouer avec lui ?


Très ému, il se retourne enfin, s’approche des chaussures, les regarde et tristement baisse la tête.


Oh ! petit Noël ! pourquoi n’avoir pas exaucé sa prière ?


Que lui importe jouets et friandises puisque maman pleurera ! Toute sa joie s’est éteinte ; ses jolis yeux, si rieurs,

lorsqu’il contemplait les petits soldats de plomb, s’emplissent de larmes et, sans bouger, cachant sa tête dans sesbras nus, il se met à sangloter longuement…


Tout à coup, contre les vitres couvertes de buée, deux petits coups secs sont frappés.


Jean se retourne, regarde et pousse un grand cri.


Là, dans la rue, quelqu’un lui fait signe. Mais, ce quelqu’un, qui est-ce ?


Serait-il possible, mon Dieu ! Mais oui, c’est bien lui ! Oh ! il le reconnaît bien, avec sa grande barbe blanche, son tendre sourire, son grand manteau couvert de neige, le capuchon blanc qui lui couvre le visage, la grosse canne sur laquelle il s’appuie pour venir du ciel et ne pas glisser dans la neige. Oui, c’est lui, c’est le Père Noël ! C’est ce tendre vieillard qui aime |17 tant les enfants sages et qui apporte à Jean la lettre qui rendra le bonheur à sa mère !


Oh ! qu’il est beau ! Sous son manteau, qu’il secoue pour faire tomber les flocons blancs, il a une belle tunique bleue, avec des boutons brillants, des galons argentés, une étoile sur la poitrine, suspendue à un ruban rouge !


Jean émerveillé le contemple ; puis il court à la fenêtre, grimpe sur la chaise et, réunissant toutes ses petites forces, soulève l’espagnolette de la fenêtre qu’il ouvre doucement.


Et voilà que le père Noël lui parle ; s’il osait bouger, il se mettrait à genoux, mais l’émotion le paralyse ; il prend la lettre que le vieillard lui tend, il promet de la remettre à sa mère et d’excuser le commissionnaire qui ne peut attendre son retour,

car il part sur « le front », il tend sa joue au baiser du vieillard... Et le brave commandant du dépôt de chasseurs qui, arrivé au bout de la rue, s’est retourné, aperçoit l’enfant immobile, qui lui sourit, extasié...


Jean descend de la chaise et n’ayant pas la force de refermer la fenêtre, la pousse simplement et glisse la chaise contre les battants.


Il court vers les souliers qui attendent toujours devant la cheminée ; son cœur bat à se rompre dans sa poitrine. Quelle surprise pour petite mère ! Pourvu qu’elle ne le surprenne pas ! Vite, il remet tout en ordre, glisse la lettre dans la boucle dorée du joli soulier Louis XV et s’enfuit vers son lit dans lequel il se cache, après avoir fait des efforts inouïs pour l’escalader. Il a froid, il tremble sous les chaudes couvertures, mais il est si heureux qu’il n’en souffre pas. Son petit cœur, ivre de joie, laisse déborder sa reconnaissance et, joignant ses petites mains sous l’édredon de plumes, il remercie le Père Noël qui a si bien récompensé petite mère et Jean de leur

sagesse. |18


Lorsqu’il entend la porte s’ouvrir, il ferme ses yeux, cache sa petite frimousse sous les draps blancs et Marthe qui s’avance doucement, sur la pointe des pieds, croit qu’il dort encore profondément.


Elle dépose sur ce visage aimé un long, long baiser sous la douceur duquel Jean s’éveille, sourit à sa mère dont il voit les jolis yeux rougis.


Elle a pleuré, pense-t-il, mais grâce à ma prière, elle ne pleurera plus.

Il se laisse saisir par les bras qui l’emportent vers la haute cheminée, glisse son bras nu autour de la jolie tête pâlie et s’extasie devant les magnifiques cadeaux que père Noël a mis dans ses souliers.


Elle, heureuse de la joie de l’enfant, chasse un instant, les tristes pensées qui l’assaillent et, à genoux, devant lui, étale les friandises.


Puis, doucement, elle lui chante la vieille chanson qu’elle avait apprise, jadis, quand elle était petite fille, dans les bras de Sa mère.


Et cette voix mélancolique qui cherche à tinter gaiement, dans le silence de la chambrette, ravit l’enfant qui contemple sa mère dévotement.


Petit Noël, avec mystère,

Ce soir, des cieux, descend vers nous, Gentils enfants, que pour vous plaire, Ses mains soient pleines de joujoux. Hier, les paupières mi-closes,

Vous lui faisiez un doux appel, Rêvant déjà de douces choses, Soyez heureux ! Voici Noël !


Et lorsque la voix mélodieuse se tait, expirant dans un sanglot, un silence mélancolique règne un instant dans la chambre. Mais voilà que Jean s’écrie :


Petite mère, petite mère ! Noël ne vient |19 pas que pour les enfants. Regarde dans tes souliers, il y a quelque chose de blanc.

Marthe se détourne machinalement, pensant qu’une friandise s’est glissée dans son soulier.


Mais elle pâlit brusquement, saisit la chaussure, en retire la lettre.


Mon Dieu ! mais... mais non, elle ne rêve pas, cette écriture fine et déliée, elle la reconnaît, c’est celle de Georges, de son mari bien-aimé.


Elle chancelle sous l’émotion, cherche un appui et se laisse glisser sur un fauteuil, cherchant à comprimer les battements de son cœur.


Jean, les yeux brillants de plaisir, la regarde ; elle déchire l’enveloppe, saisit le billet qu’elle renferme, le lit rapidement, une première fois, et, mêlant ses rires et ses sanglots, folle de bonheur, elle saisit Jean, l’assied sur ses genoux et lui conte, par phrases hachées, interrompues par les baisers qu’elle lui donne, ce que petit père a écrit, l’espérance qu’il leur envoie pour la fête de Noël.


Dans un sanglant combat sur les rives de l’Yser, il fut blessé grièvement, après avoir, par son courage, mérité sur le champ de bataille, les galons de sergent ; ses camarades ayant dû se retirer momentanément et l’ayant cru mort, il resta évanoui sur le terrain et ne reprit connaissance que dans une ambulance où, prisonnier, il reçut les premiers soins. Puis les ennemis battus avaient dû reculer et il avait été envoyé dans un hôpital lointain de Belgique et à l’heure actuelle, à peu près guéri de ses blessures, il était interné comme prisonnier dans un camp de Bavière. Un jeune docteur français qui allait, par suite d’un échange, rentrer en France, lui avait promis de remettre ce mot au commandant de son dépôt et il espérait fermement que les

ardents baisers qu’il leur envoyait à tous les deux, les consoleraient de leurs cruelles angoisses. Il n’y aurait plus qu’à

|20 attendre avec confiance en la victoire finale, la cessation des hostilités.


Marthe pleure, mais ce sont des larmes de joie qui inondent son visage et Jean qui comprend qu’il a retrouvé sa petite mère d’autrefois, la petite maman qui joue, chante et l’embrasse souvent, lui murmure doucement à l’oreille : — Puisque Père Noël n’écoute pas les prières des grandes personnes, hier soir, je l’ai gentiment prié de t’apporter une lettre de papa, tu vois que j’ai dû être bien sage pour quil m’ait ainsi récompensé.


... Le vent a chassé les nuages qui fuient en déroute dans le ciel bleu pâle ; un gai soleil d’hiver inonde de ses rayons frileux les plaines et les monts, couverts de leurs manteaux d’argent ; les cloches de bronze emportent dans les ondes sonores de leur chant, le cri d’espérance des femmes et des enfants de France...


Annecy, le 25 décembre 1914. |21


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Poupée de Noël


À Madame René V… en souvenir du héros tombé à Altkirch en août 1914.


Devant la haute cheminée où pétille un feu clair, Marie, la vieille bonne, aligne les petits souliers de Pierrot.


Pour la voir, l’enfant s’est soulevé légèrement sur sa couchette blanche et Lucette Morange qui suit, anxieuse, les moindres mouvements de son fils, croit voir dans ses yeux profondément cernés, passer un éclair de joie. Un peu d’espoir se glisse en son cœur ; elle approche ses lèvres du visage du petit malade et, en l’embrassant doucement, lui dit :


Lucette comprend trop bien, par ces mots, que son espoir était vain : l’obsédante pensée, au contraire, semble s’être plus profondément que jamais enracinée dans la petite tête fiévreuse, puisque l’idée de mort vient d’y surgir, en cas d’impossibilité. Et sa déception est si grande qu’elle ne peut contenir ses sanglots.


Alors Pierrot comprend que son désir n’est encore pas réalisable et se laisse retomber sur sa couchette, en geignant faiblement.


*

* *


Sur ce foyer jadis si heureux, la Guerre a passé, semant la mort, détruisant à jamais le bonheur qui y régnait. Le père, Louis Morange, le délicat et célèbre poète, était mort en Alsace, tué par les balles prussiennes, en entraînant sa compagnie à l’assaut, et, du choc douloureux que Lucette ressentait lorsqu’on lui annonça l’irrémédiable perte, une couche prématurée résultait qui coûtait la vie à la fillette si impatiemment attendue.

Lucette n’avait supporté la double épreuve qu’à la pensée du cher petit être qu’elle devrait doublement aimer désormais.


Et brusquement, Pierrot était tombé malade à son tour. Il refusait toute nourriture, ne voulait pas dormir et restait des heures entières, abîmé dans une étrange prostration. Ses joues fraîches et fermes s’étaient creusées ; son teint était devenu blême ; ses yeux avaient perdu leur expression de gaîté et d’intelligence malicieuse et du délicieux bambin au corps rondelet et musclé dont Lucette était si fière, il n’était bientôt plus resté qu’un chétif petit être pâle, pleurant du matin au soir.


Le docteur avait hésité tout d’abord à se prononcer, |23 ne parvenant pas à discerner très nettement les causes de cet étrange affaiblissement. Puis lorsqu’il eut entendu à plusieurs reprises Pierrot réclamer avec un entêtement enfantin son

« papa dont il aimait tant les caresses» et « la sœurette qu’on lui avait promise pour partager ses jeux », il comprit que l’enfant dont la sensibilité précoce avait été mise en éveil par les voiles de crêpe et les larmes de sa mère se consumait d’un très violent chagrin. Il n’avait pu conseiller comme remède que la distraction continue afin de faire diversion à l’obsédante pensée.


Lucette avait tout essayé : jouets somptueux, délicates friandises, promenades à la campagne. Rien n’avait servi ! Et le docteur inquiet n’avait pu cacher qu’une issue fatale était à redouter si une rapide diversion ne se produisait pas...


Lucette vient de voir s’écrouler son dernier espoir et, envahie d’une extrême lassitude, elle s’abandonne à son chagrin. À quoi bon lutter contre l’inexorable Destinée ! Elle sera vaincue ! Que n’est-elle donc morte avec le cher petit ange qui n’avait pas pu vivre !

Et elle reste là, près du petit lit blanc, incapable de réagir contre la douleur qui l’étreint.


Le léger contact d’une main sur son épaule la fait tressauter et se retourner. C’est Marie, la vieille bonne, qui s’est permis d’interrompre le cours de ses sombres pensées. Elle fut sa maman nourricière et, en cette qualité, s’est vue, à plusieurs reprises, honorée de la confiance de sa chère petite maîtresse. Elle a assisté à la scène douloureuse et une idée lui est venue, qu’elle veut soumettre à la jeune femme :

— Lucette, lui dit-elle gravement, il y a dans les bazars de grosses poupées qui ouvrent les yeux, parlent, s’agitent comme de vraies |24 fillettes. Essayez ce subterfuge. Je connais l’âme des petits enfants ; il suffit parfois de choses bien simples pour satisfaire des désirs qui paraissaient des plus irréalisables. Essayez celui- ci... »


Lucette ne réfléchit que l’espace d’une minute. Elle veut s’accrocher au moindre espoir. Elle tentera tout pour procurer à son Pierrot un instant de bonheur. Rapidement elle s’habille, et, après avoir embrassé l’enfant sur son front brûlant de fièvre, elle descend en toute hâte...


Au-dehors, la nuit est sombre, glaciale. Quoique ce soit nuit de Réveillon, nulle animation ne se manifeste dans les rues ou sur les boulevards : peu de lumières, peu d’autos, pas de couples joyeux. Paris lui aussi est en deuil.


Lucette marche très vite, sans but bien déterminé ; elle se rend compte rapidement qu’à cette heure tardive, le hasard seul peut la servir dans sa recherche d’un bazar encore ouvert. Infatigable, s’abandonnant à ses sombres pensées, elle n’en continue pas moins sa course à travers les rues qui s’assombrissent de plus en plus à mesure que la nuit s’avance.

Tout à coup, tranchant sur l’obscurité presque générale du boulevard, la façade d’un théâtre, légèrement illuminée, attire son attention. Elle s’arrête, regarde à droite, à gauche, paraissant stupéfaite de se trouver à cet endroit du boulevard où elle n’eut jamais songé à venir de sang-froid acheter une poupée... Qu’est-elle venue faire jusque-là ? A-t-elle subi à ce point l’influence de ses pensées pour revenir inconsciemment vers ce théâtre où, quelques années auparavant, par un soir de Noël, un beau soir de plaisirs et de fête, sa vie s’était décidée.


Des souvenirs jaillissent en foule à son cerveau enfiévré !


Nettement elle revoit cette loge discrètement éclairée, emplie de l’étrange parfum qui monte |25 des coulisses, où son fiancé, enivré par le succès triomphal de son premier chef-d’œuvre était venu lui dire les suprêmes paroles d’amour qui devaient les unir éternellement.


A ces heures d’un inoubliable bonheur, d’autres avaient suivi, toujours aussi belles ! Et près de ce théâtre où elle avait orgueilleusement partagé le triomphe du génie de son poète, c’est toute sa jeunesse heureuse qui s’évoque à ses yeux.


Est-il vraiment possible que ce bonheur soit mort à jamais ! Qu’elle ne verra plus l’être tant aimé ! Que de tous les beaux projets qu’ils firent en cette nuit de Noël qui vit leurs fiançailles, plus rien ne subsistera que deux petites tombes froides d’enfants et une croix de bois dans quelque lointaine plaine d’Alsace....


Et Lucette tristement sanglote, sans se soucier des quelques passants qui se retournent pour voir cette grande jeune femme vêtue de crêpe, pleurant devant ce théâtre où l’on rit…

Lucette est brusquement rappelée à la réalité par la vue d’un singulier tableau : près de la porte d’entrée du théâtre, une vieille marchande d’oranges est assise et, près d’elle, sautille une fillette qui semble avoir bien froid, sous les oripeaux qui la couvrent.


Prise de pitié, elle s’approche de l’enfant qui machinalement est venue se placer dans les rayons lumineux d’un des globes électriques.


Et Lucette se sent saisie d’un brusque frisson : elle passe sa main gantée sur ses yeux comme pour en chasser une vision inopportune...


Rêve-t-elle ? Mais non. Ces yeux clairs, ces cheveux bruns légèrement bouclés sur les tempes, cette bouche mignonne, elle les reconnaît ! Traits pour traits, cette petite ressemble à s’y méprendre à son mari lorsqu’il était enfant. |26 Ne lui disait-elle pas souvent, lorsqu’ils s’amusaient à feuilleter le vieil album de photographies de la famille, qu’il ressemblait à une fillette !


Un brusque soupçon lui traverse l’esprit.


Cette extraordinaire ressemblance de la fillette avec son mari devant ce théâtre où il était un des auteurs le plus en vogue, lui semble vraiment étrange ! Et voilà que la petite voyant cette belle dame qui l’examine, s’approche d’elle et se met à chanter doucement, en se balançant, les deux mains à la hauteur des hanches :


Je revois la petite allée

Où j’eus mon premier rendez-vous. Je retrouve sous la feuillée...

Le couplet de la romance reste inachevé.


Pâle comme une morte, Lucette vient de saisir l’enfant par le bras, et d’une voix rauque, lui demande :


II semble à Lucette qu’elle va s’évanouir.


Serait-il possible que cette enfant fut le fruit d’une liaison coupable !


D’un brusque effort de volonté, elle rassemble ses idées. Elle veut savoir à tout prix, dût-elle en mourir. Cette vieille marchande d’oranges lui dira peut-être la vérité.


D’un mouvement nerveux, elle pousse la fillette devant la vieille femme et lui demande :

bon pour elle, il l’aimait bien et ne la laissait manquer de rien. Lui en apportait-il de bonnes choses quand il venait la voir. Hélas ! il a été tué en Alsace, comme tant d’autres ! Quant à la maman, c’était une actrice, une bonne fille, mais trop belle ; ça l’a perdue ! Le bon monsieur a dû la laisser tant elle était frivole. Elle en a eu bien du chagrin et s’est lancée dans la grande vie. La guerre est venue ; en peu de temps, elle a eu

dispersé l’argent que le père de la petite lui avait remis ; c’t hiver passé, elle a pris froid en revenant de je ne sais où. Et elle est morte en me confiant la p’tiote. J’suis pas riche, alors si elle veut manger... »


Lucette n’écoute plus la vieille femme qui lui énumère toutes les difficultés de la vie et profère de sanglantes menaces contre Guillaume et sa tribu de bandits. Elle est prise d’un brusque vertige, ses yeux se voilent, il lui semble qu’elle va mourir...


Elle n’avait donc pas encore épuisé toute la coupe de la souffrance humaine ? Faut-il donc qu’aux malheurs irréparables qui l’ont frappée en ce qu’elle avait de plus cher, vienne s’ajouter l’écroulement de ses illusions ?


Elle ne pourra même plus, lorsqu’elle sera seule à souffrir, songer au Passé, sans que l’image d’une rivale détestée ne vînt ternir l’apaisant souvenir des beaux jours de bonheur ! Elle n’a qu’une issue pour en finir avec la souffrance : mourir.


Elle va fuir. D’un brusque mouvement, elle repousse la fillette qui câlinement s’était glissée contre elle. Sous le choc, la pauvrette glisse et tombe sur l’asphalte luisant, en poussant un cri de douleur.


Mais, dans un élan spontané, Lucette, épouvantée par ce qu’elle vient de faire, se précipite |28 vers l’enfant et la relève. Un sentiment d’infinie, pitié s’éveille en son cœur. Est-elle coupable, la petite orpheline ? N’est-elle pas plutôt une autre malheureuse victime du cruel Destin ! Que va- t-elle devenir ? N’est-ce pas, après l’Assistance publique, la rue qui l’attend, avec toutes ses tentations, ses embûches ? Et qui sait, le ruisseau peut-être ! Oh ! Singulière ironie ! La fille du poète

Louis Morange devenant une de ces tristes dévoyées dont il avait dit, en vers sublimes, l’effroyable existence !


Un sursaut d’orgueil s’ajoute à sa pitié. Non, elle ne l’abandonnera pas. L’innocente créature trouvera en elle la protectrice dévouée qui continuera l’œuvre du père, mort au champ d’honneur. Il est mort pour sauver la France, c’est-à- dire sa femme, son enfant, sa demeure ; sa fin héroïque a racheté ce qu’il y eut de mauvais dans sa conduite et Lucette songe qu’elle ne doit pas mourir, que son rôle à elle, femme de France, est d’aider à réparer les malheurs que les fautes du passé ont accumulés sur la patrie meurtrie.


Que fera-t-elle pour cette enfant ? La mettra-t-elle en pension ou fera-t-elle un don généreux à la vieille femme ? Pendant qu’elle réfléchit, la fillette dont elle avait gardé la petite main glacée dans la sienne, s’est à nouveau blottie contre ses chaudes fourrures et, enhardie tout à coup, lui saisit la main, la porte sans rancune à sa bouche et dans un bon sourire qui illumine son clair regard d’enfant, elle murmure :

— Madame, emmène-moi chez toi et je te distrairai. Si tu as un bébé, je le bercerai en chantant.


Ces mots viennent de rappeler Lucette à la réalité. Et son Pierrot qu’elle oubliait ! Et la grosse poupée dont elle voulait charmer son réveil ! Il est près de minuit et il serait fou de continuer ses recherches. |29


Une idée jaillit tout à coup dans son cerveau. Pierrot veut une sœurette ! Ne tient-elle pas par la main celle qui lui rapporterait la santé et la joie ?... Non... c’est impossible !... La fille de sa rivale chez elle... N’est-ce pas un sacrifice par trop surhumain ?


Et cependant, si son Pierrot allait mourir...

Elle se décide d’un seul coup. Elle ne réfléchira plus à rien !


À la vieille marchande d’oranges, elle jette quelques billets bleus en lui criant son nom, puis hélant un taxi qui passe, y pousse la fillette et s’affale à ses côtés sur la banquette de velours, le corps brisé, la tête en feu...


Un jour gris filtre à travers les persiennes closes de la chambre de Pierrot. C’est Noël ! Devant la haute cheminée où flambe une grosse bûche, les souliers s’alignent pleins de friandises dorées, de jouets magnifiques.


Et cependant dans cette chambre bien tiède, où devrait régner le bonheur, on n’entend que le bruit étouffé des sanglots d’une femme.


Près du petit lit blanc où Pierrot repose, le docteur, appelé en hâte par Lucette qui a trouvé en rentrant son petit en proie à une violente crise de fièvre, est assis, anxieux, attendant le réveil de l’enfant. Près de lui une fillette se tient pensive, un peu émotionnée par la tristesse qui règne autour d’elle. Parfois, elle regarde timidement Lucette et ses jolis yeux semplissent d’une expression de reconnaissance infinie.


Le timbre de la vieille horloge tinte lentement huit coups. Le son argentin éveille l’enfant qui frotte ses yeux de ses petits poings amaigris. Il cherche à se dresser sur son lit, appelle faiblement sa mère qui accourt. Un instant ils restent unis par le baiser matinal. Puis |30 Pierrot, se souvenant de son désir de la veille, demande :


25 décembre 1915. |31


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L’Espion


À la mémoire de mon ami René E…, des tirailleurs algériens, mort au champ d’honneur.


Sorti de Saint-Cyr, l’un des premiers de sa promotion, le jeune lieutenant René d’Egronne venait d’être nommé capitaine, à la suite d’un raid audacieux qu’il avait accompli au sud de Merrakech1.


Pour fêter cette nomination bien méritée, il avait réuni au mess ses camarades de régiment et quelques amis qu’il avait connus au Cercle où se réunissait la colonie européenne de Casablanca, la plupart de jeunes commerçants nouvellement installés dans cette ville et parmi ceux-ci un Alsacien, M. Fritz Muller, venu quelque six mois auparavant installer, au quartier des Roches-Noires, une grande usine de machines agricoles. Ce garçon affable s’était lié rapidement avec les jeunes officiers et les divers membres du cercle ; il sablait largement le champagne autour de lui et organisait, dans sa coquette villa des Charmilles, située à l’une des portes de la ville, des


1 Marrakech.

réceptions très suivies, qu’agrémentait, tout particulièrement, la présence de sa sœur, la belle Marguerite Muller, dont les dix-huit printemps, les yeux bleus candides, les lèvres roses et fraîches, la chevelure blonde, opulente, délicatement ondulée, les formes idéales finement moulées dans un |32 tailleur noir qui lui seyait à merveille, faisaient rêver tous les officiers de la garnison.


Mais, elle, ne se départissant jamais de son attitude de reine indifférente, semblait ignorer les simples mortels qui soupiraient à ses pieds, et ne sortait jamais qu’en compagnie de son frère pour qui elle paraissait éprouver une vive affection.


On en était au dessert, le champagne pétillait dans les coupes ; une franche gaîté rayonnait autour de la table. Chaque officier avait conté sa petite aventure amoureuse et tous approuvèrent lorsque le lieutenant Manier parla d’aller terminer la fête chez la belle Edja, où les plus jolies aimées aux petits pieds nus, aux bras souples ornés de bracelets d’or, à la peau dorée par le soleil africain, avaient promis de danser en l’honneur du brillant capitaine, sur la haute terrasse de l’antique palais, dormant au clair de lune, dans la nuit bleue.


Mais René d’Egronne, le favori de la belle Edja elle-même, refusa et pour satisfaire la curiosité excitée par ce refus, il dit à ses convives :

— Je vous ai réunis non seulement pour fêter mon avancement, mais aussi, mes amis, pour terminer dignement ma vie de garçon ; je vous annonce donc officiellement que je commence ma cour, dès ce soir, auprès de Mlle Marguerite Muller, ma fiancée.

Tous les yeux se fixèrent sur Fritz Muller qui acquiesça d’un léger signe de tête.


Et en effet, à dater de ce soir-là, le nouveau capitaine fréquenta assidûment la villa des Charmilles, ou le plus gracieux accueil lui était réservé par la jeune Alsacienne qui semblait ardemment éprise de son galant fiancé.


René d’Egronne eût été parfaitement heureux s’il n’eut éprouvé un léger froissement d’amour-propre en constatant combien était grande l’influence qu’exerçait Fritz Muller sur |33 le caractère affectueux de sa jeune sœur. Une légère déception

vint même passagèrement troubler le charme grisant dans lequel se déroulait leur printanière idylle : il fut un instant question qu’il devait changer de garnison et, enchanté d’un avancement qu’il espérait plus rapide, il voulut presser les formalités à remplir pour son mariage ; Marguerite s’y opposa, douce mais énergique, refusant de quitter son frère dont le commerce était de plus en plus prospère et fit céder le capitaine dont elle chassa la fâcheuse impression par une affection chaque jour plus tendre.


Le mariage avait été fixé aux premiers jours de juillet ; mais il fut brusquement reculé de quelques jours par suite du départ inopiné de Fritz Muller qu’une importante affaire appelait à Paris.


Les deux jeunes gens se consolèrent de ce fâcheux contretemps car ils avaient la faculté de se voir chaque soir et René éprouvait un réel plaisir à passer ses soirées auprès de sa gracieuse fiancée qui s’amusait à broder les mille futilités charmantes de son trousseau de future épouse.

Mais le bonheur fut de courte durée. L’orage éclata tout à coup et René, certain soir radieux qu’ils allaient enlacés à travers les allées parfumées du jardin exotique, annonça tristement à sa fiancée que la guerre était déclarée entre la France et l’Allemagne et qu’il allait partir à la gloire... ou la mort.


Un ardent baiser dans lequel ils mirent toute leur âme fut le serment qui lia leur vie éternellement et c’est les yeux pleins de larmes qu’ils se séparèrent.


Le capitaine d’Egronne était chargé de la défense de Saint- Prixe, petit village accroché au |34 flanc des coteaux verdoyants de la Marne ; il avait reçu l’ordre d’y tenir ou d’y mourir. Il avait installé sa compagnie dans un creux du terrain boisé, un peu au-devant du village qui dormait à sa gauche et dont il n’apercevait que le vieux clocher, couvert d’ardoises brillantes sur quoi se jouaient les rayons ardents d’un gai

soleil de septembre. Très bien dissimulés, les tirailleurs attendaient patiemment la ruée des troupes allemandes qui étaient signalées ; René, assis sur une motte de terre, relisait pour la troisième fois, l’épître amoureuse que lui avait adressée sa fiancée.


— Que peut-elle faire à cette heure matinale ? murmura-t-il, cherchant à revivre par la pensée, les moindres gestes de celle qu’il aimait ardemment.


Son regard se fixa machinalement sur l’horloge du vieux clocher et constata qu’elle était arrêtée, les deux aiguilles l’une sur l’autre, marquant trois heures et quart.


Il tirait sa montre lorsque son ordonnance, Paul Risquet, un engagé volontaire, gavroche parisien qu’une peccadille

jeunesse avait envoyé aux Batt’ d’Aff’ d’où il était sorti pour s’engager aux tirailleurs, lui dit, respectueusement familier envers ce jeune chef qu’il aimait :


Curieux, son regard interrogea le ciel ; pas le moindre

« taube » à l’horizon.


Et cependant, les obus continuaient à pleuvoir, rendant la position intenable. René chercha à quel endroit il pourrait dissimuler à nouveau sa compagnie que le feu de l’ennemi décimait ; il aperçut sur la droite du village, un petit bois assez épais, qui commandait également la route qu’il lui fallait défendre.


Il donna l’ordre de s’y porter discrètement ; les hommes s’y glissèrent, en passant derrière les maisons silencieuses du village qui semblait mort ; partout les volets étaient clos, les portes fermées Les habitants effrayés avaient fui devant l’invasion des barbares ; pour plus de sûreté, René d’Egronne

envoya un sergent et quelques hommes reconnaître le village ; ils revinrent, n’ayant trouvé qu’une vieille femme, agonisant sur son lit de douleur et, dans l’église, le prêtre de la paroisse, prosterné devant l’autel.


Le petit bois fut occupé et comme par enchantement, le feu de l’artillerie ennemie cessa soudain.


René devint soucieux en constatant cet étrange phénomène.



Et son regard perçant fouilla l’horizon à son tour. Brusquement, il tressaillit en fixant l’horloge de l’église ; elle marquait maintenant neuf heures moins un quart et les deux aiguilles |36 dirigeaient nettement leurs pointes dans la direction du petit bois qu’ils occupaient.


Il ne dit rien à son capitaine, un peu vexé de l’ironique répartie que celui-ci avait faite à sa précédente remarque ; mais il posa son fusil, fouilla dans son sac et en sortit un poignard marocain qu’il avait ramassé sur un champ de bataille, dans l’Oued, le glissa dans sa large ceinture, fourra

une grosse corde et un mouchoir dans ses vastes poches et, en rampant, se dirigea vers l’église.


René d’Egronne, jugeant la nouvelle position intenable, résolut de se retrancher dans le village même, prêt à soutenir un siège en règle dans chaque maison, transformée en forteresse.


Lorsqu’il eut réparti ses hommes à leurs divers postes de combat, il vint avec une de ses sections, prendre position près de l’église. Ils approchaient de la petite porte du presbytère lorsque, tout à coup, aux yeux stupéfaits des soldats, Paul Risquet apparut, portant sur ses épaules, le corps ligoté et bâillonné du prêtre que le sergent avait aperçu, quelques instants auparavant, prosterné devant l’autel.


Goguenard, l’ancien Batt’ d’Alf déposa le corps aux pieds du capitaine, joignit les talons, salua et dit en riant :


— V’là l’oiseau que nous cherchions, mon capitaine. Du haut du clocher où il était perché, il suivait des yeux nos mouvements. Et lorsque nous étions bien installés, à l’abri des marmites boches, il descendait à l’horloge donner un coup de pouce aux aiguilles qui indiquaient notre nouvelle position. Regardez l’horloge : il est six heures et demie, j’en parie. J’ai vu, blotti dans l’ombre, le vilain moineau accomplir son louche travail. Un prêtre, ça doit prier ou se battre (j’en connais plusieurs qui ont bravement cassé leur pipe), mais ça ne

s’amuse pas à remonter les horloges. J’aurais bien voulu |37

l’empêcher d’accomplir une troisième fois sa triste besogne ; mais il me paraissait rudement costaud ! Heureusement, Bibi s’est rappelé certains tours qu’il avait appris aux Batt’ d’Aff’ et profitant de l’attention que ce sale Boche mettait à tourner les aiguilles, je l’ai eu vivement ficelé et bâillonné. Le voici !

Et, comme déjà un obus éclatait sur le village, l’ordonnance recommanda aux camarades de ne pas bouger et disparut à nouveau dans le petit escalier tortueux qui menait au clocher. Arrivé près de l’horloge, il fit, à son tour, manœuvrer les aiguilles et le bombardement délaissant docilement le village, s’acharna à nouveau sur le petit bois abandonné.


L’homme jetait des regards de haine à ceux qui ironiquement le contemplaient. René qui éprouvait un écœurement très vif pour ceux qui faisaient de l’espionnage une arme de guerre, arme traîtresse et lâche, ne jeta qu’un rapide coup d’œil au personnage étendu à ses pieds, cachant un visage tout embroussaillé de barbe rouge dans ses mains larges et énormes.


— Portez-le près d’un mur. Inutile de juger le coupable pris sur le fait. Préparez le peloton d’exécution.


Au son de cette voix brève qui dictait l’ordre de mort, l’homme tressaillit et ses yeux jetèrent une étrange lueur lorsqu’ils fixèrent le jeune chef.


À ce moment précis, un cycliste arrivait, apportant un ordre du colonel ; René dut s’absenter immédiatement, vu la gravité de la situation, jugeant utile d’aller à son tour prévenir le capitaine de la batterie d’artillerie qui le soutenait.


Le lieutenant, commandant en son absence, s’apprêtait à faire procéder lui-même à l’exécution, lorsque l’espion que l’on avait adossé contre le mur de l’église, s’adressa à lui dans un français très correct :

— Monsieur, lui dit-il, je fais appel à la générosité proverbiale de votre cœur de Français ; je laisse dans un lointain pays une femme que j’aimais tendrement. Accordez-moi la faveur de lui adresser quelques mots d’adieu avant de mourir et, en échange,

je donnerai à votre chef, dès qu’il sera de retour, des indications précises dont il appréciera la haute importance.


Indécis au premier abord, le jeune lieutenant, généreux autant que chevaleresque envers un ennemi sans défense, jugea qu’il n’y avait aucun danger à accorder cette suprême faveur.


Gardé à vue par quatre robustes tirailleurs, l’homme, à qui on avait rendu l’usage de ses bras, griffonna rapidement quelques mots et les tendit au lieutenant. Par mesure de prudence, celui-ci y jeta un simple coup d’œil ; il n’y lut d’ailleurs qu’une défense absolue, impérieuse, de se marier désormais, succédant à quelques simples mots affectueux.


— Quelque amant bien jaloux, murmura-t-il, en haussant les épaules, et il rendit le petit carré de papier à l’homme qui le relut, y griffonna machinalement deux mots dans un coin, et, l’ayant glissé dans une enveloppe, y inscrivit une adresse dont le lieutenant galamment négligea de prendre connaissance.


Il poussa même la complaisance jusqu’à la faire porter immédiatement à l’arrière par un des tirailleurs blessés qu’on évacuait.


Lorsque René revint, l’esprit absorbé par de graves préoccupations, il s’étonna que l’exécution n’eût pas été accomplie ; mais le lieutenant s’excusa, en expliquant les divers motifs qui l’avait poussé à attendre son retour.


René s’approcha du mur auquel s’appuyait l’homme ; les tirailleurs l’entouraient, jouant avec les postiches et les lunettes dont il s’était |39 volontairement dépouillé. Il se retourna brusquement en entendant la voix du capitaine.

René poussa un cri d’angoisse :


En disant ces mots, il regardait cyniquement l’officier qui paraissait atterré.


Impassibles, les tirailleurs suivaient la scène qui se déroulait sous leurs yeux.


Ironique, l’espion continuait :

— Je n’avais pas le choix des moyens. Mais puisque la destinée m’avait mis entre les mains d’un ami, presque d’un frère, c’est de son cœur, de son amour que je décidais de me servir pour sauver ma vie. J’ai sollicité et obtenu du lieutenant, dont la galanterie et la délicatesse sont au-dessus des plus

grandes louanges, l’autorisation d’écrire une lettre qui, le hasard aidant, est déjà très loin à l’arrière maintenant et ne tardera pas à parvenir à une personne que nous connaissons bien tous les deux...


René releva brusquement la tête et fixa l’espion ; il vit la lueur mauvaise qui luisait dans les yeux fourbes de l’homme ; il eut l’intuition qu’il venait, par une nouvelle fourberie, de briser sa vie à jamais ; et cependant il arrêta le brusque mouvement du lieutenant qui venait de comprendre comment l’odieux espion s’était joué de lui.


Fritz termina froidement :

— Marguerite ignore ce que je suis devenu. Me croyant mort à l’ennemi, elle n’aurait pas hésité, la guerre terminée, à s’unir à celui qu’elle aime ardemment. Mais qu’elle sache ma mort infâme ! Qu’entre elle et toi se dresse mon cadavre ! Et jamais elle ne sera tienne ! Je lui ai donc écrit que j’allais mourir et je lui fais promettre, si je ne reviens pas, de ne jamais épouser le capitaine René d’Egronne. À toi de choisir entre ma mort et ton bonheur.


René sentit, à la haine qui emplissait son cœur, s’ajouter un profond dégoût. Une minute seulement, il réfléchit. La vie de cet homme était entre ses mains, car il savait qu’aucun de ses soldats, de ses « chers enfants noirs », ne contesteraient la légitimité de la sentence qu’il allait prononcer : la mort, comme espion ou la prison, comme suspect ; dans leurs yeux, il lut l’acquiescement absolu à la mesure de clémence qui, si elle les privait d’une juste vengeance, sauverait peut-être le bonheur de leur chef aimé. S’il le tuait, la mort de cet homme brisait à jamais sa vie ; il ne se faisait aucune illusion, connaissant trop l’influence qu’exerçait Fritz sur le caractère de sa sœur. Il lui

fallait donc renoncer à jamais au rêve qu’il avait fait et pour la réalisation duquel il vivait uniquement.


Puis son regard se porta au loin sur les vastes plaines fertiles de cette belle France que l’ouragan de fer dévastait, il aperçut les villages paisibles qui flambaient, il songea aux femmes, aux enfants que les barbares égorgeaient sans |41 pitié ; il jeta un regard attristé sur les corps mutilés de ses braves tirailleurs qui ne reverraient plus jamais leurs oasis ensoleillées. Il songea à la

France qui jouait sa dernière chance de salut pour ne pas périr sous les trahisons accumulées grâce auxquelles elle avait pu être souillée.

— Qu’on fusille ce lâche ! commanda-t-il d’un ton sec.


Et il disparut à l’intérieur de l’église, pour cacher le désespoir qui lui brisait le cœur.


La détonation sèche des lebels déchira l’air. Les camarades, morts au champ d’honneur, étaient vengés.


Dans la tranchée, le capitaine René d’Egronne rêvait mélancoliquement. Son fidèle ordonnance s’approcha discrètement et lui tendit une lettre :

— Elle vient de là-bas, murmura-t-il.


Les yeux de l’officier brillèrent tout à coup d’une lueur d’espoir. D’un coup sec, il fit sauter l’enveloppe et lut les simples mots qu’elle renfermait :


« Avant de partir pour une lointaine mission, dans le fond de l’Afrique, Marguerite Muller, désormais sœur Renée en religion, envoie au capitaine René d’Egronne sa dernière pensée d’amour et le prie de l’oublier à jamais... »

Jointe à cette courte missive, une boucle de cheveux blonds, délicatement nouée par une faveur bleue, laissait échapper un discret parfum de fleur, dernier souvenir d’amour des heures enivrantes vécues dans le charme troublant des belles nuits du ciel africain.


Le capitaine pâlit et, au lieu de l’expression de gaîté que l’ordonnance espérait voir à nouveau luire dans les yeux de son chef, ce furent |42 des larmes qui s’échappèrent, larmes amères qui tombèrent sur les débris du bonheur mort, tout là-bas, dans les lointains brumeux du pays ensoleillé…..


Le soir même, à la tête de sa compagnie, le capitaine René d’Egronne enlevait une batterie allemande et tombait, frappé d’une balle au cœur, face à l’ennemi.


5 mai 1915.

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58


Le Châtiment


Souvenir de l’invasion de 1914.


Germaine Vallorgues venait de quitter le couvent où s’était écoulée sa jeunesse, lorsqu’un terrible accident d’automobile lui ravit son père. Quoique sachant fort bien le peu de place qu’elle avait tenu dans la vie de cet infatigable brasseur d’affaires, cette perte cruelle lui causa un violent chagrin auquel se joignit l’appréhension d’un avenir fort précaire ; elle ne tardait pas, en effet, à savoir qu’elle était ruinée.


Fort heureusement, elle était douée d’un caractère énergique et courageux ; l’adversité ne l’abattit point et elle se mit en devoir de subvenir à ses besoins par son travail. Les bonnes sœurs du couvent qui avaient cultivé chez elle de réelles aptitudes pour la peinture lui conseillèrent de donner des leçons et lui procurèrent aimablement quelques riches élèves. Elle put ainsi envisager l’avenir avec plus de confiance et, poussée par une légitime ambition, résolut de profiter de ses loisirs pour se perfectionner dans cet art qui, peut-être, la ferait parvenir à la célébrité.


Mais la destinée la mit en présence, chez une de ses élèves, d’un étudiant étranger qui, par la réserve de son maintien et la

douceur de |44 son caractère, sut rapidement gagner sa sympathie et en obtint la faveur d’aller en sa compagnie faire l’étude des chefs-d’œuvre des Maîtres exposés dans les musées.


La jeune fille qui, depuis son départ du couvent et la mort de son père, s’était trouvée plongée dans une solitude profonde, déprimante, s’abandonna sans méfiance au charme juvénile qui se dégageait de leurs entretiens presque quotidiens. À ses yeux, si attentifs naguère à détailler les célèbres peintures,

l’enthousiasme du jeune homme évoquait les paysages enchanteurs de son pays natal : prairies dAlsace, toutes fraîches encore de la rosée matinale, villages perchés sur les crêtes bleues des Vosges, forêts profondes dormant au clair de lune, ruisseaux tumultueux bondissant de roche en roche en cascatelles irisées...


Et souvent elle se sentait étrangement frissonner en songeant combien la vie devait y être belle et douce pour deux âmes sentimentales et aimantes…


Quant au jeune Frantz — ainsi l’appelait-on chez ses amis — il ne sut résister longtemps à la folle passion qu’avait fait naître en son cœur la joliesse de cette jeune fille dont les dix-huit printemps rayonnaient d’un éclat sans pareil dans le regard de beaux yeux noirs, la fraîcheur de lèvres exquisément roses, les moindres mouvements d’un corps aux formes idéales.


Aussi, de la franche camaraderie qui les unissait au début, il ne tarda pas à glisser au flirt galant, mettant en œuvre toutes les forces de séductions dont il était capable pour arriver à conquérir ce cœur ingénu. Par de tendres paroles, par de mirifiques promesses, il plongea bientôt Germaine dans une griserie dont elle ne parvint plus à se dégager : ignorant tout des dangers de la vie et n’ayant jamais connu l’affection d’une mère

et la douceur d’un foyer |45 elle s’abandonna à cet amour qui s’exprimait si tendrement et lui faisait entrevoir une existence des plus charmantes dans un pays enchanteur.


Et certain beau soir d’été, un brûlant baiser qu’elle ne sut pas refuser eut raison de sa volonté chancelante et lui fit accepter de partager la vie de celui à qui elle vouait un éternel amour.


Tout en haut du boulevard Saint-Michel, ils vinrent cacher leur bonheur ; ils éprouvaient l’un pour l’autre une si ardente affection, une telle absolue confiance qu’il semblait que leur beau rêve ne dût jamais finir. Germaine continua à donner des leçons de peinture, tandis que son ami, négligeant les musées et les études, s’adonna à la photographie. Elle n’attacha aucune importance à ce changement et ne le questionna même pas ; les heures leur paraissaient trop brèves, lorsque la nuit venue ils se retrouvaient dans leur petit nid, pour les dissiper sottement en causant de leurs occupations journalières ; l’amour emplissait toutes leurs pensées.


Puis Germaine crut pouvoir affirmer qu’elle allait être mère et leur bonheur s’accrut à l’espoir que la venue du cher petit être influencerait favorablement la décision des parents de Frantz qui hésitaient à légitimer leur union.


Hélas ! ce bonheur ne devait pas être de bien longue durée. Sous les yeux épouvantés de Germaine, deux inspecteurs de la Sûreté vinrent, certain soir, perquisitionner à leur domicile. Ils lui apprirent que le jeune homme avec lequel elle vivait s’était enfui dans le courant de la journée après avoir failli se faire pincer pour espionnage près d’un des forts de la ceinture nord de Paris.

Elle put facilement se disculper de l’accusation de complicité qui pesa sur elle, mais faillit en mourir de chagrin et de honte. Plusieurs semaines, elle resta sur son lit de douleur, |46 appelant la mort comme une délivrance ; mais l’implacable destinée lui réservait d’autres souffrances ; seul, son amour succomba à l’épreuve et, en ce cœur cruellement

meurtri, l’oubli du séducteur se fit absolu.


Elle sortait de convalescence lorsqu’elle reçut d’Allemagne une lettre par laquelle le jeune Frantz lui apprenait sa véritable identité : fils d’un riche métallurgiste d’Outre-Rhin, il était venu à Paris pour y faire ses études et n’avait fait de l’espionnage que... par instinct... comme tous ses compatriotes. Il demandait humblement pardon à la jeune fille du chagrin qu’il lui avait causé et désireux de ne pas avoir brisé à jamais la vie de celle qu’il avait très sincèrement aimée, il lui proposait de venir le rejoindre dans son pays pour y reprendre leur existence d’avant ou, tout au moins, d’accepter une somme d’argent suffisamment élevée pour que ni elle, ni le petit être qui allait naître, ne se trouvassent dans le besoin. Elle ne lui répondit pas et toutes ses illusions de jeunesse ayant sombré dans cette détresse morale, elle résolut de consacrer sa vie à son enfant.


Grâce à quelques petites économies, Germaine put vivre modestement jusqu’à l’époque de l’accouchement. Elle mit au monde un garçon dont la chétive constitution nécessita immédiatement de grands soins ; elle l’en aima plus encore et toute l’affection dont débordait son cœur se concentra sur cette innocente petite tête blonde. Il lui fallait travailler désormais pour elle et pour son enfant. Rude tâche ; certes, mais qui ne l’effraya pas. Et courageusement elle se mit à lutter dans la fournaise parisienne.

De compatissantes voisines, prises de pitié |47 pour cette jeune femme dont elles admiraient l’esprit de sacrifice et la scrupuleuse honnêteté s’offrirent à garder le petit Louis, durant les heures d’absence de sa mère ; elle put ainsi s’occuper activement dans quelques lithographies et imprimeries du quartier où son talent de fine et spirituelle dessinatrice fut hautement apprécié.


Quelques années s’écoulèrent ainsi. Le petit Louis grandissait péniblement et Germaine s’acharnait au travail dans l’espoir d’emmener son enfant à la campagne pour qu’il se fortifiât dans l’air vivifiant des champs. Non contente de travailler tout le jour à ses croquis, elle passait ses nuits à écrire de courtes nouvelles pour une revue artistique ; mais à ce labeur surhumain sa santé eût fatalement succombé si un professeur de lettres, M. Nermon, un des rédacteurs principaux de la revue dans laquelle écrivait Germaine, ne se fût épris d’elle et ne lui eût offert de l’épouser.


De quelques années plus âgé qu’elle, il sut trouver de si affectueuses paroles et se montra d’une telle délicatesse en ce qui touchait la navrante histoire de la jeune femme qu’elle accepta cette union, beaucoup moins pour sa satisfaction personnelle que pour le bonheur de son enfant. En effet, les deux époux convinrent d’aller habiter à la campagne dans l’espoir que la santé du petit Louis s’améliorerait.


M. Nermon sollicita donc un emploi dans un collège de Seine- et-Marne ; il l’obtint facilement et c’est dans une coquette petite villa, accrochée au flanc du coteau qui surplombe la Marne, tout près de la ville de C..., qu’ils vinrent habiter. Dans ce charmant séjour, Germaine connut, durant plusieurs années, un bonheur sans mélange ; son mari l’adorait et son enfant, dont la santé paraissait s’améliorer, promettait d’être un jeune homme de

grand avenir. Il |48 reçut de M. Nermond qui fut pour lui un second père, une éducation des plus soignées et à l’âge de seize ans, il allait être admis à une école d’arts-et-métiers lorsqu’un fâcheux accident, survenu au cours d’une partie de canot en Marne, lui occasionna une broncho-pneumonie dont il ne parvint pas à se guérir. Fatalement, la maladie engendra la tuberculose ; trois longues années, les parents désolés luttèrent contre le funeste fléau ; mais le moment arriva où ils comprirent que tous leurs efforts seraient vains et que l’issue fatale ne pouvait tarder. Les tendres paroles de son mari parvenaient seules à calmer quelque peu le chagrin de Germaine ; mais elle se demandait avec angoisse si elles suffiraient à lui faire supporter cette surhumaine épreuve.


Et c’est à ce moment critique que la guerre éclata tout à coup, privant la pauvre mère de son unique soutien.


M. Nermon, en sa qualité de lieutenant de réserve, fut appelé dès le début de la mobilisation et laissa ceux qu’il aimait ardemment en lutte avec la mort qui rôdait autour de la paisible villa.


Le coup fut terrible pour Germaine ; mais il amena en ce pauvre cœur que l’inexorable destinée s’acharnait à meurtrir, une violente réaction ; et n’ayant plus à compter sur le secours de personne, elle voulut être forte pour que son enfant ne souffrît pas des tragiques événements et s’éteignît doucement dans ses bras.


Un de leurs vieux voisins qui, chaque année, au printemps, prenait soin du jardin, accepta de loger dans la villa et d’aider Germaine dans les soins que nécessitait l’état du malade. |49

Chaque matin, dès que le soleil inondait de ses chauds rayons la verte pelouse, on descendait Louis et on l’installait commodément sur les moelleux coussins d’une chaise longue pour qu’il pût, jusqu’au crépuscule, se baigner dans la vivifiante chaleur. Germaine ou le vieux jardinier s’asseyaient à ses côtés et lui racontaient les événements quotidiens jusqu’à ce qu’il s’assoupît ; le soir, on l’aidait à monter dans sa chambrette et Germaine prenait place à son chevet.


Il ne fut pas possible de lui cacher que la guerre était déclarée ; cependant, il fut convenu qu’en cas de revers, on ne lui avouerait pas la véritable situation.


Au début, cela fut facile. Mais rapidement la situation devint critique et, malgré l’optimisme des communiqués officiels, Germaine ne put plus douter de la gravité du danger : c’était l’invasion.


Elle vécut dès lors dans une effroyable angoisse ; les événements se précipitaient rapides et tragiques. Et chaque jour, le lamentable spectacle auquel elle assistait, augmentait son effroi. En effet, tout le long de la route blanche et poussiéreuse qui longeait la villa un flot humain se déversait sur Paris ; c’était un pêle-mêle navrant de vieillards qui s’appuyaient sur les faibles épaules des adolescents que leur jeune âge empêchait d’aller, avec leurs aînés, défendre la Patrie en danger ; des femmes échevelées serrant farouchement sur leur poitrine les nouveaux-nés qui pleuraient tandis que les plus grands, les pieds nus et sanglants, s’accrochaient à leurs jupes en lambeaux ; des infirmes qui se traînaient lamentablement, hurlant de souffrances, mais préférant mourir en terre française plutôt que d’être martyrisés dans quelque lointain bagne allemand. Et sur cette foule épuisée, mourant de faim et de soif,

|50 marchant dans un nuage de poussière qui desséchait les

poitrines, un rude soleil d’août déversait la brûlure de ses ardents rayons.


Parfois un remous se produisait dans la cohue apeurée ; le flot des fuyards se répandait à travers les champs, se glissait dans les fossés de la route ; dans un tourbillon de poussière, batteries d’artillerie, escadrons de cavalerie passaient dans un éclair d’acier, volant à la gloire en chantant la Marseillaise.


Alors un peu d’espoir ranimait les volontés défaillantes. Le miracle allait peut-être se produire et les Barbares, cruellement châtiés, regagneraient rapidement leurs sombres repaires ?


Hélas ! bientôt un nouveau flot de fuyards arrivait, et la fuite tragique reprenait désordonnée, lamentable, la cohue devenant de plus en plus compacte au fur et à mesure que les villages se vidaient au son du tocsin que les vieilles cloches de bronze tintaient désespérément comme, un glas de mort.


Germaine venait souvent jusqu’à la grille de fer qui clôturait le jardin et s’efforçait de secourir le mieux qu’elle le pouvait les malheureux fugitifs. Parfois, elle les interrogeait sur leur pays d’origine, et c’est ainsi qu’elle sut la défaite de Charleroi, les glorieuses batailles de Guise, de Saint-Quentin...


À son tour, elle commença à envisager sérieusement l’idée de fuir. Mais l’appréhension d’un si grand bouleversement dans la vie du pauvre valétudinaire dont les forces allaient sans cesse en déclinant et son inaltérable confiance en un brusque retour de la fortune de nos armes la retint hésitante, en sa villa.


Un après-midi de septembre, se trouvant dans le jardin, près de Louis qui sommeillait sur la |51 longue chaise, Germaine vit venir à elle le vieux jardinier ; son visage était si bouleversé

qu’elle en ressentit une vive inquiétude ; aussi, lui faisant signe de ne pas parler haut de peur qu’il éveillât le malade, elle se leva pour aller à sa rencontre.


Alors le vieillard expliqua qu’un cuirassier, dont le cheval exténué s’était abattu à quelques pas de la porte, lui avait appris que l’armée prussienne victorieuse ayant occupée Creil avait brusquement obliqué vers le sud et descendait sur la Marne.


Cette nouvelle la glaça d’effroi. L’invasion foudroyante ne pouvant plus être contenue désormais, elle allait être entraînée dans la débâcle et l’affreuse vision qui lui traversa l’esprit, la fit sangloter.


Au bruit qu’elle fit, le malade s’éveilla et lorsque Germaine se tourna vers lui, elle s’aperçut qu’il la contemplait tristement, comme s’il eût voulu lire dans son tendre regard de mère, la vérité qu’on lui cachait. Depuis plusieurs jours, il se méfiait des réponses évasives, hésitantes qu’on faisait à ses questions. On ne lui disait plus mot de cette marche triomphale à travers l’Alsace, ni de cette grande bataille, engagée dans les plaines de Belgique où, un siècle auparavant, les Anglais avaient abattu le formidable Colosse dont Guillaume n’était qu’un bien pâle imitateur. Aussi, à ce silence gêné, à l’expression d’angoisse que reflétait le visage de sa mère, si charmant à son ordinaire, Louis avait compris qu’on le trompait.


Germaine s’aperçut-elle que le doute était entré dans le cœur de son enfant et voulut-elle l’en chasser à tout prix ?


Refoulant ses sanglots, elle eut le courage de lui sourire gaiement :


Epuisé, il s’abandonna à l’étreinte de sa mère qui, lentement, avec mille précautions, le coucha sur les moelleux coussins où il resta étendu, la figure livide, les yeux grands ouverts obstinément fixés vers le ciel qui s’empourprait à l’horizon des reflets sanglants du soleil couchant. |53

Germaine le contempla longuement ; puis ses beaux yeux s’emplirent de larmes amères et la tête cachée dans ses mains pour qu’il ne la vît pas pleurer, elle s’abandonna à son désespoir...


Elle sanglotait ainsi silencieusement depuis un long moment, sans s’apercevoir que la nuit venait, lorsqu’un son lointain de cloche la fit tressaillir et se dresser brusquement ; elle tendit l’oreille, anxieuse, le visage effroyablement pâle. Avait-elle rêvé ? Elle eût voulu le croire et chercha à se persuader que les sons graves et tristes que lui avait apportés un lointain écho n’étaient que le chant mélancolique d’une vieille cloche sonnant l’Angélus ! Son cerveau bouleversé par les tragiques événements avait dramatisé la douce prière du soir qui s’envolait vers le ciel enflammé.


Mais non ! elle ne rêvait pas...


Tout à coup, de tous les villages qui doucement s’endormaient au flanc du coteau brumeux montèrent les mêmes notes lugubres ; puis un sourd grondement, comparable au roulement du tonnerre, se mêla à la triste mélopée des cloches. Et elle comprit que c’était la sinistre voix du canon qui commençait la danse.


À son tour, le vieux clocher du village lança son cri d’alarme :


Puis elle se retira, fermant légèrement la porte pour ne pas l’éveiller.


Mais à peine eut-elle disparu que Louis souleva doucement les paupières ; il écouta s’éloigner sa mère ; puis quand il fut certain qu’elle ne pourrait pas l’entendre, il se glissa hors de son lit, et, avec une peine infinie, s’aidant aux meubles, s’arrêtant

pour réprimer les accès de toux qui lui déchiraient la poitrine, il gagna la fenêtre. Sa mère y avait installé un petit secrétaire et un fauteuil ; les jours de pluie, ils venaient s’y asseoir pour lire ou se distraire en jouant. Dès qu’il y fut parvenu, il se laissa choir sur le fauteuil, les yeux clos, épuisé par un tel effort. Son cœur battait à se briser et il râlait...


Ce ne fut qu’au bout de quelques minutes que |55 sa respiration redevint un peu normale ; alors il se pencha sur le petit secrétaire de bois rouge, ouvrit le tiroir et en tira un revolver d’ordonnance dont il fit jouer la gâchette ; elle fonctionnait à merveille. Satisfait par cette constatation, il arma le barillet de six cartouches, puis, le regard brillant d’une étrange exaltation, il fixa la porte du jardin qu’une lune radieuse inondait de sa douce clarté.


Germaine, à l’ordinaire, ne quittait plus son cher malade de la nuit ; au matin, seulement, elle le laissait seul quelques instants, le temps de faire sa toilette et de régler les petits détails de leur vie quotidienne. Mais ce soir-là, elle pensa que son dévouement maternel pourrait s’exercer plus efficacement en se tenant prête à tout événement.


D’un moment à l’autre, des hulans en reconnaissance pouvaient surgir et elle savait parfaitement bien de quelles cruautés ces bandits étaient capables. Le bruit de leurs méfaits les précédait et la terreur qu’ils inspiraient était une des meilleures armes dont la Kultur allemande avait cru devoir se servir pour arriver à ses fins.


L’écho apportait de plus en plus nettement le bruit sourd d’une violente canonnade et il n’était pas douteux que les hordes ennemies approchaient rapidement.

Le vieux jardinier qui avait refusé de fuir, conseilla à Germaine de clore simplement la porte de fer du jardin ; résister lui semblait une folie car ce serait vouer à une mort certaine le malheureux jeune homme dont les bandits n’auraient aucune pitié, vu son jeune âge. Mieux valait attendre les événements et si les ennemis voulaient pénétrer dans la villa, Germaine, qui |56

avait quelques connaissances de la langue allemande, viendrait au-devant de leur chef et s’efforcerait d’éviter le pillage et le meurtre en faisant appel à la générosité du vainqueur.


Elle laissa donc le vieillard près de la grille où il s’était installé un abri provisoire et elle revint vers la villa silencieuse. La nuit était très claire ; la lune poursuivait sa course vagabonde dans un ciel étoilé, sans paraître se soucier de l’effroyable drame qui se déroulait sous les éclats argentés de ses rayons ; une brise légère caressait les vergers et effeuillait les roses, emportant leur suave parfum vers les charniers humains où il se mêlait à l’âcre odeur du sang et de la poudre.


Elle pensa tristement, en embrassant d’un coup d’œil, le paisible jardin :

— Ici, c’est encore la France et la nature y rayonne dans sa tendre poésie nocturne ; mais là-bas, sur cette terre désormais souillée par les bandits, à quel spectacle d’horreur et d’épouvante est-on convié ?


Comme pour confirmer ses craintes, une rouge lueur s’éleva à l’horizon ; des coups de feu retentirent très proches ; le torrent dévastateur approchait.


Elle rentra précipitamment dans sa demeure et se mit en devoir de cacher les valeurs et les bijoux qui eussent pu attirer la cupidité des soudards au cas où ils fouilleraient la villa.

Mais à peine avait-elle eu le temps de pénétrer dans le cabinet de travail où se trouvait le petit coffre-fort qui recélait leur fortune que le cri d’alarme du vieux jardinier retentit ; elle comprit que l’heure était venue d’être forte. Seule, désormais, par son courage et son énergie, elle pouvait influencer le cours des événements ; elle n’hésita pas, et les yeux brillants d’une sombre résolution, elle courut à la grille où elle arriva juste à temps pour voir, sur la |57 route blanche, baignée de lune, une patrouille de uhlans mettre pied à terre et s’apprêter à faire

sauter la porte.


Elle ne leur en laissa pas le temps et l’ouvrit toute grande. En voyant cette femme seule qui semblait vouloir leur barrer l’entrée avec son corps, les bandits s’arrêtèrent hésitants. Ils n’étaient plus guère accoutumés à trouver sur leur passage que des demeures inhabitées qu’ils pillaient consciencieusement ou gardées par des infirmes qu’ils fusillaient.


Aussi, leur surprise fut extrême et ils laissèrent leur chef s’avancer seul au-devant de Germaine immobile.


C’était un jeune lieutenant, grand, aux larges épaules, à la moustache blonde ; il s’arrêta à quelques pas d’elle et, sans daigner saluer, d’une voix brutale, il demanda :


L’officier la contempla ironiquement :


Je savais bien que les Françaises n’étaient pas farouches ! Allons ! Vous serez enchantée d’avoir obtenu les faveurs d’un officier allemand. Mais le temps presse. J’ai une mission à remplir avant l’aube. Quelle drôle d’idée ont ces Français de vouloir résister ! Est-ce un piège ? En tout cas, le colonel Weisster, mon père, eût mieux fait de confier cette dangereuse patrouille |59 à mon camarade Otto ; je n’ai guère de goût pour les aventures de ce genre ; je préfère de beaucoup les aventures amoureuses...


Germaine ne l’écoutait plus. À 1a seule pensée qu’elle allait avoir à supporter la présence de cette brute, son cœur défaillait.


Et cependant…


Si elle refusait, les bandits mettraient à exécution leurs sinistres projets et c’était vouer à une mort atroce, épouvantable, le malheureux enfant qui périrait dans les flammes !


Cette vision d’épouvante lui ôta toute idée de révolte et, par amour maternel, elle se résigna aux caprices du bandit...

Bientôt, sous la conduite du vieillard auquel Germaine, avait donné des ordres, les soldats eurent pillé les caves et les buffets, et sans songer à visiter les étages supérieurs, ils se répandirent à travers le jardin, s’étendant sur les fraîches pelouses vertes pour partager leurs victuailles. L’orgie ne tarda pas à battre son plein et, vaincus par l’ivresse et la fatigue, ils finirent par s’endormir lourdement, laissant un camarade à la garde des chevaux.


Près d’une magnifique corbeille de roses, le lieutenant avait fait installer un guéridon et, assis à côté de Germaine, il se grisait inlassablement de champagne et de vins capiteux, sans plus paraître se soucier de la mission que son père lui avait confiée. Parfois il s’arrêtait de boire, cherchait à se dresser et lorsqu’il y était parvenu, levant sa coupe vers le ciel qu’une rouge lueur embrasait à l’horizon, il lançait des hymnes de gloire en l’honneur de son Empereur-Dieu qu’il verrait bientôt nouveau Néron devant une autre Rome, chanter les bienfaits de la Kultur devant Paris en feu. Puis quand il se rasseyait, il demandait à boire et Germaine espérant le voir succomber à

son tour à l’ivresse, lui versait à flot le champagne doré. |60 Mais, tout à coup, jetant loin de lui la coupe qui se brisa, il

leva sur son hôtesse frémissante de terreur, son visage congestionné ; il apparut hideux, les yeux brillants de luxure, les lèvres blanches d’écume. De sa main puissante, il avait saisi Germaine qui voulut fuir l’effroyable étreinte. Une courte lutte s’engagea ; le guéridon s’abattit et le fracas des verres brisés éveilla quelques-uns des soldats qui se dressèrent en ricanant. Germaine, les vêtements en lambeaux, la gorge mise à nue, résista quelques secondes, puis s’affaissa brusquement en poussant un cri d’horreur. Sans hésiter, le vieux jardinier s’était précipité à son secours ; dans un violent effort, il était parvenu à dégager Germaine, jetant à terre l’officier prussien affreusement ivre, lorsqu’un des soldats le renversa à son tour et l’assomma à coups de talon et de sabre.

Déjà le lieutenant s’était redressé et, poussant un cri de triomphe, se précipitait vers sa malheureuse victime, lorsqu’un coup de feu déchira l’air et la brute, le crâne fracassé, tomba à la renverse, tué net.


À la fenêtre d’une des chambres du premier étage, une ombre, penchée sur la barre d’appui, se dessina, tragique, le bras tendu armé d’un revolver, visant le groupe compact des bandits qui se détachait nettement dans la nuit claire.


Cinq coups de feu retentirent encore et quelques hommes tombèrent.

— Mère, mère, cria une voix déchirante, viens près de moi, je te défendrai et nous mourrons enlacés.


Au son de cette voix, Germaine s’était ressaisie. Instinctivement, ses yeux se portèrent sur la fenêtre de la chambre où devait dormir son enfant et, en l’ombre vengeresse qu’un rayon de lune éclairait, elle reconnut Louis qui tendait les bras. Hélas ! à l’appel qu’il lui fit, elle |61 répondit par un cri de désespoir ; le malheureux qu’elle avait voulu sauver par son sacrifice, s’était perdu lui-même en voulant la défendre !


Mais au moins elle mourrait avec lui puisque le voulait la destinée !


Elle n’hésita pas et courut vers la villa.


Subitement dégrisés, les soldats s’étaient dressés et saisissant leurs armes, se mirent à sa poursuite. Ils la rattrapèrent lorsqu’elle arrivait à la chambre de Louis ; un coup de sabre l’atteignit à la tête et elle tomba évanouie près du corps inanimé de son enfant qui, épuisé par l’effort qu’il avait fait, s’était abattu sur le parquet, vomissant le sang à pleine bouche.

La vue de ce moribond les arrêta, indécis. Comment allaient- ils se venger sur ces mourants ? Les achever d’un coup de fusil eût été trop humain pour ces bêtes fauves déchaînées. L’un d’eux dont le visage empreint d’une indicible cruauté semblait porter les stigmates d’un long séjour parmi les forçats, émit l’idée de mettre le feu à la villa et d’y laisser brûler les deux malheureux.


La proposition plut aux bandits dont les larges visages s’épanouirent de satisfaction. En peu de temps, ils eurent fait les préparatifs, imbibé de pétrole les rideaux, les étoffes et ils allaient accomplir leur ignoble forfait lorsque le cri de ralliement poussé par la sentinelle, restée sur la route près des chevaux, vint les troubler et leur rappeler la mission interrompue. Sortant rapidement de la villa, ils se précipitèrent sur la route et se trouvèrent juste au port d’armes lorsqu’une troupe de cavaliers déboucha au tournant du chemin.


Le colonel Frantz von Weistter [sic], accompagné de son officier d’ordonnance et de son escorte de hulans [sic], arrivait au galop au rendez-vous qu’il avait assigné à son fils. |62

Dès quil eut sauté de cheval, il le chercha des yeux et s’étonna de ne pas le voir se précipiter au-devant de lui ; d’un ton brusque, il s’adressa à un des soldats :


L’homme, sachant qu’il lui en coûterait de dire la vérité, raconta que le lieutenant, avec quelques hulans, ayant voulu fouiller cette demeure qui leur avait paru suspecte avaient été lâchement assassinés par des civils, cachés à l’étage supérieur. Poursuivis, ils étaient parvenus à fuir, ne laissant dans la villa qu’une femme et un jeune homme malade. Il termina |63 en

demandant hypocritement s’il fallait les fusiller tous les deux.


Le regard du colonel s’abaissa jusqu’au cadavre de son enfant. Et lorsqu’il le releva, une lueur de colère et de haine l’animait.


D’une voix forte, il appela son officier d’ordonnance qui accourut.


— Otto, lui dit-il, vous allez mettre sous les ordres d’un sergent quelques hommes qui me fusilleront l’assassin de mon fils, mais ne toucheront pas à la femme qui, sœur ou mère de

cet individu, souffrira plus de la mort d’un être cher que de sa propre mort. Ainsi sa douleur égalera la mienne et je serai vengé. Cela fait, les hommes disponibles enterreront mon fils. Quant à vous, lieutenant, rassemblez vos cavaliers et partez aux renseignements. La situation me paraît s’aggraver. Je ne serais pas surpris qu’une forte armée se soit concentrée à Paris et nous prenne de flanc. Ce canon qui tonne à notre droite m’inquiète et le raid audacieux qui surprendrait Paris et nous livrerait le Gouvernement m’apparaît de plus en plus impossible. Enfin, hâtez-vous, je vous attends ici.


Le lieutenant salua et sortit rapidement du jardin, donna quelques ordres brefs au sous-officier chargé de l’exécution du prisonnier, et prenant le commandement de la troupe de hulans, il partit au galop sur la route de Paris.


Le colonel les suivit des yeux et lorsqu’ils eurent disparu, à pas lents, il se dirigea vers la maison silencieuse.


Il gravit, pensif, les quelques marches de l’escalier de pierre qui amenait au large perron du rez-de-chaussée et poussa la porte d’entrée qui était restée entr’ouverte après la rapide sortie des bandits. Il se trouva dans un long couloir sur lequel deux portes donnaient. Un rais de lumière se glissait sous celle de gauche ; |64 il l’ouvrit et pénétra dans la pièce qu’à l’ameublement il jugea être le salon.


D’un coup d’œil, il en admira la gracieuse ornementation. Tout y révélait le goût exquis de la Parisienne coquette : meubles originaux et claires tentures, d’une élégance et d’une finesse toute française ; au mur, de fins pastels voisinaient avec des étagères finement découpées, supportant mille bibelots charmants ; à droite, une haute cheminée de marbre rose, avec sa garniture Louis XVI faisait face au piano autour duquel de

hautes sellettes supportaient de superbes vases en cuivre doré, dans lesquels s’épanouissaient de splendides gerbes de fleurs.



Le jeune homme semblait avoir recouvré un |65 peu de force et marchait au milieu des soldats, la tête haute, le regard assuré. Seule, la pâleur cadavérique de son visage annonçait ses souffrances.


Il passait sous la fenêtre à l’instant précis où le colonel se pencha. Instinctivement le regard des deux hommes se croisa. Et ce fut le bourreau qui se sentit frissonner...


Il porta la main à son front, fit un violent effort comme pour se souvenir... Etait-il le jouet d’une hallucination ? Paris ! Sa première maîtresse ! C’est toute sa jeunesse que le

profil si pur, le regard si fier du jeune homme venaient d’évoquer en son cerveau bouleversé. Et subissant l’étrange et subite impulsion de son cœur, ses lèvres machinalement voulurent prononcer un ordre de grâce... Mais des yeux du jeune homme, brusquement retourné, jaillit un suprême regard de dédain et de haine ; il vint frapper au cœur le colonel qui, blessé dans son orgueil, rejeta toute idée de pitié et laissa les soldats exécuter l’ordre de représailles.


Mais, à peine se fut-il retiré de la fenêtre qu’il se sentit envahir d’un malaise indéfinissable ; son cœur battait à se rompre et il avait la tête en feu. Il voulut lutter contre cette étrange faiblesse qu’il attribua à la douloureuse émotion ressentie devant le cadavre de son fils et pour donner une diversion à ses pensées, il se mit à consulter une carte des forts environnants Paris. Mais cela ne dura qu’un court instant. D’un geste rageur, il remit les papiers dans son portefeuille et martelant le parquet de ses lourdes bottes, il reprit sa promenade autour de la chambre, cherchant à s’intéresser aux délicieux pastels qui ornaient les murs.


Mais l’obsédante pensée du malheureux qui allait mourir lui rappela tout à coup qu’une femme était enfermée à l’étage supérieur. Appelant le soldat qui lui servait d’ordonnance |66 il l’envoya chercher et vint s’adosser négligemment à la cheminée.


Dans l’escalier, le bruit d’une course rapide retentit ; les pas se rapprochèrent et, sous une brusque poussée, la porte s’ouvrit toute grande, livrant passage à une forme blanche qui se détacha nettement sur l’obscurité du couloir.


Germaine, les cheveux dénoués, les vêtements en lambeaux, le visage baigné de sang, se tint l’espace d’une seconde

immobile dans l’encadrement de la porte, l’éclat de la lumière faisant clignoter ses paupières.


Mais à la vue de l’officier, elle se précipita, les mains jointes, à ses genoux.


brumeuses allées du Luxembourg. Oh ! les tendres souvenirs de jeunesse… |67


La raison de la malheureuse avait sombré dans l’épouvante.

Enlaçant étroitement le colonel qui n’osait pas la repousser brutalement, elle mêlait des baisers à ses paroles insensées, rappelant dans ses moindres détails l’idylle qui les avait unis.


Mais comme il ne répondait pas, le regard de Germaine se fit dur tout à coup.


Elle s’arrêta de parler et parut faire un violent effort pour se souvenir.



Alors, par de violents efforts, il voulut se dégager de l’étreinte de Germaine ; mais la folle, hurlant de détresse, cramponnée à son cou, ne lâcha pas.

Il n’hésita pas et, violemment, l’entraîna vers la fenêtre pour crier l’ordre de grâce qui empêcherait l’atroce infanticide… |68


Mais lorsqu’il y parvint, l’épouvantable drame qui se déroulait à l’extrémité du jardin touchait à sa fin. Dans une vision tragique, il vit les soldats mettre en joue, le sergent lever le bras pour commander…


De sa gorge contractée, un ordre bref put jaillir, mais les hurlements que poussait Germaine couvrirent le son rauque de sa voix. Il entendit le dernier cri poussé par son enfant :

« Adieu, mère chérie ! Vive la France ! » ; puis le claquement sec des mausers retentit et, les yeux dilatés par l’épouvante, il vit le corps de son fils osciller, puis s’abattre dans une mare de sang, au pied du sergent qui déchargea sur lui son revolver...


Ce ne fut que lorsque les soldats passèrent au-dessous de la fenêtre et présentèrent les armes encore fumantes que le colonel put s’arracher à l’horrifiant spectacle. Par un effort de volonté surhumain, il rassembla ses idées et, ramenant avec lui la malheureuse insensée à l’intérieur de la pièce, il la força à s’asseoir sur un canapé. Elle y resta sans mouvement, le buste droit, le regard obstinément fixé sur la fenêtre.


Alors, se laissant tomber à genoux, la tête dans ses mains, il se mit à sangloter éperdument. Sous la morsure du remords, le cœur de cet homme qui était prêt à toutes les bassesses pour servir son Maître, l’Empereur d’Allemagne, se déchirait. Il avait ordonné de fusiller son fils ! Et ce fils avait légitimement tué son frère ! La Guerre, avec ses massacres, avec ses pillages, cette Epouvante qu’il avait ardemment désirée comme tous ses semblables, venait de lui apporter le Châtiment.

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Celui des autres viendrait. Il ne pouvait en douter. Et la vision de la Défaite lui traversa l’esprit.

Alors un besoin instinctif de crier sa douleur lui vint aux lèvres et, relevant son visage |69 bouleversé par les larmes, il s’adressa, d’un ton suppliant, à la folle impassible :

— Germaine, la destinée nous remet en présence dans une situation tragique. Puisse-t-elle au moins me permettre de racheter mes fautes ! Ecoutez-moi et vous pardonnerez celui qui souffre comme un damné. Ma vie fut très triste. De retour chez mes parents, après ma fuite de France, je contractai, avec la riche héritière d’un grand nom prussien, une alliance qui ne fut pas heureuse. Un enfant naquit de notre union, mais sans se soucier de l’honneur de son foyer et du bonheur des siens, ma femme déshonora mon nom. Je la chassai ; mais elle se vengea en me ruinant. Grâce à certaines influences, je pus rentrer dans l’armée et parvenir, vous le voyez, à un grade élevé. Mon fils fut le seul être que j’affectionnai. Je ne vécus que pour lui et lui fit embrasser la carrière des armes ; depuis le début de la guerre je veillais sur lui avec un soin jaloux et la destinée semblait lui sourire. Hélas ! il vient tomber sans gloire sous les balles de son frère ! Comprenez-vous, Germaine, l’horreur de la situation ! Et tant de souffrances ne méritent-elles pas le pardon ?


Oubliait-il qu’il parlait à une folle ! Ou bien les yeux de Germaine avaient-ils repris une expression plus vive d’intelligence qui lui permit de croire que la crise était passée ?


Peut-être, car il continua d’une voix singulièrement exaltée :


Pardonnez-moi et laissez-moi réparer le mal que je vous ai fait. Vous serez belle, vous serez riche ! Je vous emmènerai à la cour et vous oublierez dans les honneurs les souffrances passées. Demain, nous serons à Paris ; maîtres de la Capitale, la France est à nous. Sur cette terre féconde, nous ferons régner nos principes. Notre Empereur lui donnera un de ses fils pour roi et, sous son règne, la Kultur germanique |70 apportera ses

bienfaits à cette terre, déshonorée par la frivolité de ses enfants. Nous unirons nos robustes soldats aux femmes françaises et…


Un rire strident l’interrompit :

— Oui, mes petits, cria la folle en se dressant soudainement et en serrant à le briser le poignet de Frantz à genoux devant elle. Votre peuple de brigands conquerra le Monde, puis le Ciel. Et votre Empereur s’asseyera2 à la place de Dieu ! Insensés ! Votre Empereur n’est pas plus prêt d’être sur le Trône divin que son fils sur le trône de France. Ah mais ! croyez-vous donc que c’en est fait des Français ! Halte-là, bandits ! J’entends dans le lointain les clairons qui sonnent la charge triomphale ; le canon

vengeur écrase sous ses bordées de mitraille l’hydre de la tyrannie. Ecoutez, l’heure du Châtiment va sonner. Ah ! comme on va rire !


Livide, le colonel, brusquement rappelé à la réalité, s’était dressé à son tour et s’efforçait d’échapper à l’étreinte de la malheureuse ; mais elle l’avait enlacé à nouveau et cherchait à l’entraîner dans une ronde fantastique.


À cet instant, la porte s’ouvrit violemment et le lieutenant Otto apparut sanglant, déchiré, couvert de poussière. Cette arrivée inopinée surprit la folle et, profitant de cette minute de distraction, Frantz la repoussa rudement. Germaine chancela sous la poussée et vint s’abattre en travers de la porte en poussant un cri de douleur.


Mais Frantz n’y prêta pas attention ; l’état pitoyable dans lequel il voyait son subalterne l’épouvantait. D’une voix rauque, il demanda :


2 S’assiéra.


Il frémit sous l’insulte, tira son revolver ; mais deux gaillards le saisirent et, tandis qu’ils l’emportaient au-dehors, il entendit, dominant le bruit du clairon vainqueur qui sonnait la charge dans le lointain, une voix stridente qui criait : « Châtiment ! Châtiment ! »


Août 1915.


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Le Pardon de Francine

(Mœurs parisiennes)


À Madame Francine F…


Quatre heures sonnaient lorsqu’ils sortirent du Palais de Justice.


Ils ne se séparèrent pas immédiatement et descendirent, côte à côte, le boulevard. Une petite pluie tombait, glaciale et pénétrante ; le vent soufflait en rafales violentes et Gaston, s’étant aperçu que Francine n’avait pas de parapluie, s’offrit à l’accompagner jusqu’à la plus prochaine station d’omnibus.


Elle ne refusa pas et ils continuèrent à marcher rapidement, sans plus se causer, un peu intimidés de se trouver si près l’un de l’autre, eux qui, depuis un an, ne s’étaient entrevus que deux ou trois fois chez le juge de paix pour les tentatives de conciliation.


D’un rapide coup d’œil, ils s’examinaient furtivement : elle le trouva vieilli, voûté, d’un maintien un peu négligé ; lui, la trouva toujours jolie, coquette poupée parisienne échappée de la devanture d’un grand magasin.

Maintenant, ils étaient divorcés et ils allaient se séparer amicalement, comme de bons camarades qui, las de vivre sous le même toit, reprenaient leur entière liberté. Pas ennemis pour cela, n’est-ce pas ? |74


Cependant, Francine, impressionnée par les sévères paroles du juge, sentait une infime tristesse l’envahir. Quoi, c’était ça la vie ? Le bonheur était donc une chimère qui se dérobait impitoyablement lorsqu’on croyait la bien tenir ! Toute sa jeunesse s’évoquait brusquement à son esprit ; enfant, elle avait été heureuse, choyée par des parents aisés qui tenaient un commerce lucratif dans la ville de province où elle était née. À quinze ans, au moment où elle allait vraiment entrer dans une vie que sa coquetterie flattée lui faisait entrevoir sous les aspects les plus séduisants, la catastrophe s’abattit sur la famille ; le père, mourant subitement, ne put mettre tout l’ordre nécessaire au bon règlement de ses affaires et les deux malheureuses femmes furent habilement dépouillées par des associés peu scrupuleux qui prétendirent, cependant, leur avoir sauvé l’honneur. Ecœurées par ces bassesses, trop fières pour demander l’aide de parents indifférents, elles quittèrent le pays natal et vinrent habiter Paris.


Leurs débuts y furent pénibles ; elles eurent bien du mal à oublier le pays où s’étaient écoulés de si heureux jours et elles étouffaient dans le petit logement assombri où se cachait leur détresse. Où était-il le beau ciel bleu qui se reflétait dans les eaux limpides du grand lac ? Et l’air pur embaumé des senteurs des sapins ? Et les hautes montagnes aux cimes neigeuses que le soleil couchant teintait délicatement de rose ! Ah ! misère ! Que ce Paris leur paraissait affreux avec son ciel immuablement gris de plomb, l’air infect qui se dégageait des rues noires et boueuses, les hautes maisons grises qui leur cachaient le soleil ! Mais quoi ! Il fallait vivre et se résigner.

Peu à peu, elles s’étaient habituées à. l’existence mélancolique et rude. Francine s’était placée vendeuse dans un grand magasin. L’animation qui y régnait l’amusa ; la vie lui apparut sous un tout autre aspect ; au contact quotidien des belles filles qui venaient acheter de la parfumerie et des bijoux, elle devina tout un monde jusqu’alors ignoré, monde de plaisir et de luxe, dont l’influence ne tarda pas à transformer la candide petite provinciale qu’elle avait été jusqu’à ce jour en une délurée parisienne, avide de goûter aux multiples jouissances que la grande ville renferme dans son sein.


Mais la vieille maman veillait jalousement sur le cher trésor dont elle faisait l’unique but de sa vie et Francine devait — oh ! combien tristement ! — rentrer chaque soir dans le sombre logement qu’elles occupaient rue des Martyrs, tandis qu’à quelques pas des vieilles maisons tranquilles, les boulevards et la Butte rayonnaient de lumière et de gaîté.


Cette existence paisible, mais par trop monotone, ne devait cependant pas être d’une trop longue durée. Elle était dans toute la fraîcheur de ses vingt ans lorsqu’elle s’aperçut de l’attention toute particulière que lui témoignait un jeune ouvrier électricien, habitant son quartier, qui, venu à son rayon pour y faire une emplette, lui avait adressé un galant compliment qui l’avait délicieusement troublée. Elle eut vite fait de bâtir son petit roman, rendit salut pour salut, sourire pour sourire et finalement accepta, certain beau dimanche de juin qu’ils se perdirent dans les bois de Saint-Cloud, de devenir sa femme.


Il l’aimait réellement et lui donna deux années d’un bonheur sans mélange. Très éprise elle-même de ce joli garçon brun, au teint mat, à la fine moustache, aux yeux vifs et profonds, elle lui prodigua les trésors de sa jeunesse et de son cœur et elle put

croire un instant au bonheur éternel. Tout leur souriait dans la vie ; ils avaient fait leur nid dans un petit |76 logement, tout ensoleillé, perché au sixième étage d’un vaste immeuble de la place Pigalle ; là, ils étaient à proximité des théâtres, des bals, des concerts, lieux de plaisirs que Gaston n’avait pu se résigner à complètement délaisser et que Francine, heureuse de pouvoir

enfin satisfaire sa curiosité, si longtemps excitée, adorait fréquenter. Ah ! certes, en les voyant tourner dans une valse endiablée sur le parquet luisant de Tabarin-Bal, on les eût pris plutôt pour de fols amants que pour deux époux !


Parfois, la vieille maman grondait bien un peu.


Et cependant, la vieille maman eut raison : Gaston rencontrait trop de jolies femmes, sur son chemin, dans ce quartier excentrique ; il frôlait trop de fines tailles dans les bals et voyait trop d’épaules, délicatement dévoilées, sous les lumières étincelantes des salles de spectacles, pour qu’il ne lui arrivât pas de désirer changer un peu d’avec les tendresses conjugales.


Le fruit défendu se présenta sous les apparences d’une jolie blondinette, danseuse au Casino, la délicieuse Yvette Freddy, qui, chaque soir, se faisait acclamer dans l’apothéose de la

Grande Revue où elle remplissait le rôle de Vénus. Le hasard amena Gaston dans la loge |77 de l’actrice pour y réparer un branchement de fils électriques ; c’était au moment de la représentation et, sans plus se soucier de sa présence, Yvette se dévêtit, jetant sans façon sa jupe et son corsage sur le canapé et les chaises qui meublaient la loge; de toutes ces

dentelles, de cette chair ferme, aux tons chauds, se dégagea bientôt un parfum enivrant qui s’accrut de l’odeur des eaux de violette, de rose, de cyclamen dont elle s’imprégnait toute avant de se grimer et glisser son maillot. Nue sous sa chemise ajourée, elle frôla tout à coup Gaston qui, audacieusement, mit, sur son épaule ronde, un fou baiser. Sous le chatouillis des moustaches, Yvette poussa un petit cri nerveux, mais loin de se fâcher, se mit à traiter en camarade le galant indiscret. Le soir même elle était sa maîtresse ! Une telle liaison lui avait bien paru dangereuse, mais ce fut trop tentant pour qu’il put résister. Cependant, par scrupule de conscience, il s’efforça de cacher ses fredaines à Francine ; toujours prévenant, empressé à satisfaire ses moindres désirs, il la berçait dans la douce illusion d’un bonheur constant et durable, profitant de sa trop grande crédulité pour multiplier ses sorties nocturnes sous le fallacieux prétexte d’assister aux réunions des sociétés mutuelles ou politiques du quartier dont il était un des membres influents.


L’inévitable dénouement se produisit, cependant, lorsqu’ayant trop abusé des concessions qu’elle lui faisait, il se montra tout à coup violent à son égard et abandonna, plusieurs jours durant, leur petit nid. Francine n’eut pas de peine à comprendre qu’elle était délaissée, méprisée pour une autre. Regrettant alors de ne pas avoir écouté les avertissements que lui avaient prodigués sa mère, elle s’attribua une part de responsabilité dans le malheur qui lui arrivait et chercha à lutter contre la rivale qui |78 venait lui ravir l’époux qu’elle aimait ; elle se montra donc

conciliante, pardonnant généreusement lorsqu’il revenait repentant et désillusionné. Mais il vint un jour où Gaston se montra particulièrement cruel ; après une scène violente durant laquelle il menaça à plusieurs reprises de la frapper, il emporta leurs plus chers souvenirs communs et ne revint plus au domicile conjugal. Elle comprit bien dès lors qu’elle ne parviendrait pas à ramener l’infidèle et, lasse de lutter, elle résolut de divorcer.


Gaston qui, après trois ou quatre passagères liaisons, était à cette époque solidement lié à une plantureuse brune dont l’automne agonisant désirait jeter ses derniers feux en compagnie de ce beau garçon, accepta avec empressement ce moyen de reprendre sa liberté et ils entreprirent d’un commun accord, les formalités légales.


C’était fait maintenant !


Et cependant, ils s’en allaient tristes, tous deux, étonnés de ne pas mieux apprécier cette liberté qu’ils avaient volontairement revendiquée...


Ils arrivèrent au bout du pont. Instinctivement, ils se tendirent la main, prolongèrent cette étreinte un peu longuement et disparurent, l’un à droite, l’autre à gauche, sans plus se retourner pour ne pas augmenter le trouble angoissant qui étreignait leurs cœurs.


Eh oui ! c’était triste cette séparation tant désirée, triste comme la nuit qui tombait froide et silencieuse, sur les quais déserts ; comme la Seine qui roulait furieusement ses eaux grises sous les ponts faiblement éclairés par quelques lumières rouges ; comme le ciel, sombre et nuageux qui déversait toutes ses larmes glacées sur les rues boueuses et noires...

Gaston partit avec sa nouvelle conquête pour l’Amérique dans l’espoir d’y faire fortune. |79


Francine retourna à son magasin et, ne voulant pas sombrer dans la tristesse des premières années, chercha l’oubli dans la fréquentation des skatings, des bals où jeune, jolie, elle s’attira les bienveillantes faveurs de nombre de jeunes gens qu’elle y croisait ; et si elle ne succomba pas aux sollicitations flatteuses des amoureux qui tourbillonnaient autour d’elle, c’est que sous son apparence de Parisienne frivole, se cachait toujours la petite montagnarde candide et foncièrement vertueuse.


Puis elle se lassa de ces vains plaisirs, refusa plusieurs offres de mariage et reprit la vie mélancolique auprès de sa vieille maman.


La guerre éclata tout à coup.


Et le grand magasin, autrefois si bruyant, si plein d’animation tapageuse, devint triste, avec ses rayons inoccupés, ses couloirs mornes et silencieux, ses galeries désertes.


Les hommes allaient se faire tuer pour défendre la liberté. Est- ce que les femmes allaient rester frivoles, gaspiller l’argent en coquetteries inutiles, en toilettes excentriques, en chapeaux panachés ? Non ! La robe noire de deuil ou la robe blanche d’infirmière serait de rigueur et le simple bonnet de police, posé à la hussarde sur les têtes mutines des midinettes, coifferait toutes celles qui n’auraient pas à porter la cape noire ou le béguin blanc.


Francine s’ennuyait devant son comptoir vide, n’ayant pas même l’angoisse héroïque des mères et des épouses pour occuper sa pensée durant les longues heures d’inutile attente. Et

dans les rues, désormais silencieuses où ne passaient plus ni gens, ni autos, où ne brillait plus aucune lumière, elle se sentait envahir d’une profonde tristesse, voisine d’un immense dégoût de toutes choses.


Or, un soir de septembre, la concierge l’appela lorsqu’elle rentrait de son travail et lui |80 montra une carte postale qu’elle venait de recevoir ; ces simples mots y avaient été hâtivement écrits :

Rentré en France pour faire mon devoir.

Gaston.


Francine, ce soir-là, ne put dormir. De tristes pensées lui traversèrent l’esprit. Elle se tourna nerveusement dans son grand lit, appelant en vain le sommeil, pour chasser les sombres visions qui la faisaient trembler d’effroi. Oh ! ces champs de bataille couverts de morts, de blessés râlant dans le silence lugubre de la nuit ; ce silence rompu tout à coup par le hurlement des canons, le crépitement de la fusillade ; cette nuit couvrant de son ombre sinistre et traîtresse les monts et les plaines, puis s’illuminant brusquement de la rouge clarté des incendies. Et ces hommes étendus sur la terre froide, glacée, sentant par la blessure ouverte dans leur flanc, la vie qui s’échappe lentement avec le sang vermeil, le sang qui coule à flot, partout, se mêlant aux ruisseaux de boue, se congelant avec la neige blanche...


Très tard, elle s’endormit ; mais le cauchemar sanglant, n’étant plus limité par la volonté de la pensée effrayée, l’emporta vers des batailles gigantesques, des assauts héroïques et, tout à coup, l’arrêta près d’un monceau de cadavres d’où un être cherchait en vain à se dégager.

Oh ! ces bras tendus, ce râle d’impuissance et là, entre les yeux, ce trou d’où s’échappait le sang et faisait, de la figure livide, un spectre d’épouvante...


— Gaston !


Quoi ! Était-ce elle qui avait crié ?


Elle se dressa sur son lit, les cheveux en désordre, couverte de sueur, brûlante de fièvre. Quel rêve atroce ! Elle eut peur, n’osa pas se |81 rendormir et, ayant fait de la lumière, pria, comme lorsqu’elle était enfant, pour tous les malheureux qui se mouraient, là-bas, sur les champs de bataille...


Le matin, Francine sortit de meilleure heure que de coutume, mais au lieu de se rendre au magasin, elle se dirigea vers la mairie où se faisaient inscrire les femmes de bonne volonté désirant servir comme infirmières. Après quelques rapides leçons, elle fut acceptée, envoya la vieille maman à la campagne, chez de bons amis et partit pour Belfort où on demandait des infirmières courageuses et prêtes à tous les sacrifices.


Gaston, volontaire dans une batterie d’un régiment actif d’artillerie, se trouvait, un triste soir d’octobre, dans les environs de Saint-Dié où se livrait un combat acharné.


Avertis par leurs espions que de forts prélèvements de troupes avaient été faits sur l’armée de l’Est pour parer au danger d’un débordement de notre aile gauche, les Allemands lançaient, depuis le matin, colonnes sur colonnes à l’assaut des positions françaises.

Sur l’horrible hécatombe, la nuit descendait lentement ; le ciel s’enflammait, dans le lointain : sanglants rayons du soleil couchant, rouges lueurs des incendies, tout se confondait dans le même sinistre embrasement.


Tout à coup, un léger flottement se produisit dans les rangs d’une compagnie d’infanterie, qui protégeait les abords de la colline d’où la batterie de 75, dont Gaston faisait partie, dirigeait un feu meurtrier sur les colonnes ennemies.


Les Allemands en profitèrent aussitôt et se précipitèrent à l’assaut de la position. |82


Le commandant de la batterie, un jeune lieutenant, frais émoulu de Polytechnique, fit accomplir des prodiges à ses hommes : lorsque les assaillants arrivaient trop près pour que les terribles faucheuses puissent accomplir leur rude besogne, les artilleurs, à genoux devant leurs pièces, faisaient héroïquement le coup de feu avec les survivants de la compagnie décimée. Mais la lutte devenait par trop inégale et le lieutenant, jugeant inutile de faire massacrer jusqu’au dernier ses vaillants soldats, donna l’ordre de démolir les pièces pour que les ennemis ne trouvassent que des débris de ferrailles inutilisables. Puis il commanda la retraite.


Mais, tout à coup, il s’aperçut que deux pièces, près desquelles gisaient inertes les corps des malheureux servants, n’avaient pu être détruites.


— Un homme avec moi, cria-t-il, un homme qui veut mourir !


Une minute, la poignée des survivants se concerta. Il y avait là Jean Ténard, père de deux enfants, Louis Monier, Pierre Grandet, soutiens de vieux parents infirmes, tous, enfin, qui

n’avaient pas peur de mourir, mais qui pensaient à ceux qui resteraient là-bas...


Lequel allait mourir ?


Gaston, lui aussi, réfléchissait profondément. Qui donc le regretterait ? Il n’avait pas de petit gars qui pleurerait un père aimé ! Son frère ! Il l’avait si totalement négligé depuis des années !... Sa dernière maîtresse ! Si elle n’avait pas échoué dans quelque lupanar, il y avait beau temps qu’elle avait dû trouver un autre amant !... Francine ! Ce nom lui vint aux lèvres brusquement. Le souvenir de la jeune femme lui traversa l’esprit ; le regrettait-elle ?... Allons-donc ! Lui qui l’avait si cruellement meurtrie dans sa chair, dans son âme ! Oh ! non, ce n’était pas possible... C’était donc à lui que revenait l’honneur

du sacrifice. |83


Alors, d’une voix forte, il cria :

— Présent !


Et d’un bond, il disparut derrière le lieutenant. La tâche était périlleuse. Les balles et les obus pleuvaient autour d’eux et c’était miracle qu’ils ne fussent pas atteints.


Enfin, ils parvinrent aux deux canons qui, toujours menaçants, allongeaient leurs gueules bronzées dans la direction des bêtes fauves accourant. Le lieutenant desserra les freins ; Gaston mit la charge de poudre. Et les coups partirent tandis que, dans un brusque recul, les pièces allaient se briser contre les parois d’un rocher.


La manœuvre avait réussi, mais les Bavarois n’étaient plus qu’à quelques mètres des deux héros. À coups de revolver, ils se dégagèrent des premiers qui arrivaient sur eux, baïonnette au

canon, puis ils cherchèrent à fuir. Mais une mitrailleuse arrosa de balles les buissons à travers lesquels ils cherchaient à se défiler. Le lieutenant tomba le premier frappé de part en part ; Gaston reçut le choc en plein front, battit l’air des deux bras et s’abattit sur le sol.


Comme dans un rêve, il entendit les hurlements sauvages que poussaient les Allemands, parvenus au sommet de la crête ; sa plus grande souffrance fut de songer qu’il allait tomber entre leurs mains ; et il désira ardemment mourir.


Mais, tout à coup, il perçut faiblement le son du clairon des chasseurs de la division. Il comprit que les renforts arrivaient, qu’il n’irait pas mourir dans un bagne allemand... Alors, unissant ses dernières forces, il cria : « Vive la France ! » et s’évanouit.


Le crépuscule gris n’éclaire plus que faiblement les longues salles de l’hôpital. C’est l’heure |84 désespérément triste où les blessés que la vivifiante clarté du jour avait ranimés, sentent à nouveau l’atroce douleur des plaies béantes, la fièvre tenace qui va les emporter dans des visions délirantes, la mort enfin qui va rôder dans l’ombre propice de la nuit.


Le major fait une rapide inspection, passe à côté de chaque petit lit blanc, dicte des ordres aux infirmiers qui l’accompagnent. Puis des ombres blanches apparaissent, glissent sur les parquets luisants et vont s’installer au chevet de ceux qui commencent peut-être l’éternel sommeil.


Francine, infirmière depuis quelques semaines, est chargée de la surveillance des deux derniers lits de la grande salle. Elle se prodigue envers les blessés, toute dévouée, toute prête au sacrifice d’une vie qu’elle ne regrettera pas, si ses soins attentifs

peuvent éviter des larmes de désespoir aux inconnues dont les êtres chers se meurent loin de leur amour.


Actuellement, elle soigne un jeune sergent de chasseurs, encore imberbe, qu’on a amputé de la jambe gauche ; malgré qu’il souffre atrocement, il ne se plaint jamais, et si parfois une larme brille au coin de ses yeux, c’est qu’il songe à celle qu’il a laissée au village à la veille d’être mère et dont jamais il n’a eu de nouvelles.


L’autre, arrivé de la veille seulement, est un artilleur dont le visage affreusement mutilé est entièrement couvert de pansements ; le malheureux blessé, soigné durant plusieurs semaines dans une ambulance mobile, son transfert ayant été jusqu’alors impossible, est complètement déprimé.


Ce soir, la fièvre le tient fortement et il râle d’une façon inquiétante. Francine, craignant quelque complication, fait prévenir le major qui accourt aussitôt et s’apprête à renouveler les pansements. |85



Francine se penche sur le blessé. Mais un cri d’horreur, qui résonne lugubrement dans la salle, s’échappe de sa poitrine haletante ; sa tête vacille, elle croit s’évanouir. Mais non ! Elle

réunit toute son énergie, toute sa volonté pour suivre et apprendre la délicate opération. Jusqu’au bout, elle reste la tête penchée sur le malheureux, suivant attentivement les moindres gestes du major, anxieuse et frémissante lorsque la douleur arrache un cri au patient.


Mais lorsque c’est fini, qu’elle relève la tête, elle est si pâle que le major inquiet veut la faire immédiatement remplacer.



Et ses yeux, subitement pleins de larmes, semblent implorer avec tant de ferveur que le major a la brusque intuition qu’il se trouve en présence d’un de ces drames intimes que crée la guerre, et accorde la faveur demandée si ardemment.


Et lorsqu’il a refermé la porte de la salle derrière lui, Francine, épuisée, tombe à genoux |86 près du lit où râle le malheureux, et sanglote éperdument...


Francine se dévoua admirablement à la tâche douloureuse qu’elle avait sollicitée. Le major loua l’extraordinaire courage de cette jeune femme qui n’hésitait pas à donner avec une patience infatigable, les soins les plus intimes au malheureux que les souffrances rendaient très exigeant. Elle s’appliqua à renouveler seule les pansements et cela plusieurs fois par jour. Le blessé en ressentait un grand bien-être et son état

s’améliorait rapidement ; il ne voulait des soins que des mains de celle dont il appréciait la douceur ; il savait qu’il resterait aveugle, mais il ne se plaignait pas de son sort, n’exprimant que le vif regret de ne pouvoir jamais contempler, ne fut-ce qu’une minute seulement, le visage de l’ange de bonté qu’il devinait constamment penché sur son chevet.


Au bout de quelques semaines de soins attentifs et dévoués, il put se lever et demanda à se promener quelques instants dans le jardin de l’hôpital.



Elle répondit « oui », très bas, comme si elle se fut parlée à elle-même.


Et les promenades commencèrent, courtes d’abord, car le malade, déprimé par la fièvre, n’avait que peu de force ; mais elle lui donnait le bras et il s’y appuyait avec une telle confiance qu’il ne sentait pas la fatigue et ne demandait à rentrer que lorsqu’il pensait être une cause d’ennui pour celle qui conduisait avec tant de dévouement ses pas hésitants.

Lorsqu’il fit beau, ils vinrent s’asseoir sur un banc, tout au fond du grand jardin que le soleil inondait de ses rayons caressants ; l’hiver s’achevait et un vent plus doux emportait vers les lointains brumeux, les gros nuages blancs chargés de pluie et de neige ; les arbres commençaient à se couvrir de bourgeons printaniers et les moineaux voletaient de ci, de là, semblant appeler par leurs pépiements d’allégresse, le retour des hirondelles. Un grand souffle parfumé d’amour et de vie passait sur la terre endeuillée et meurtrie, un souffle fécond qui ressusciterait les jours de bonheur et de paix ensevelis dans les sillons sanglants.


Le blessé sentait une sève nouvelle monter en lui ; il ne se reconnaissait plus et, très causeur, il exprimait constamment son étonnement à la jeune infirmière qui l’écoutait toujours attentivement, mais ne répondait jamais que par quelques phrases brèves prononcées à mi- voix.


Très intrigué, au début, par le mutisme presque absolu de sa bienfaitrice, il en avait demandé la raison à un infirmier qui lui expliqua, qu’à l’hôpital, l’infirmière était considérée comme une douloureuse éprouvée de la vie et que chacun respectait son chagrin muet. Il se contenta de l’explication, mais n’en continua pas moins à prendre la jeune femme pour confidente de ses secrètes pensées. |88


— « Comme je me trouve changé depuis le début de la guerre, disait-il, d’un accent empreint d’une profonde mélancolie. Savez-vous, Madame, que vous avez devant vous un grand coupable. Oh ! je n’ai jamais tué personne, mais j’ai meurtri, brisé un jeune cœur qui ne méritait qu’amour et bonheur. J’étais fou, désireux d’une liberté sans entrave, bien peu compatible avec la vie intime du foyer conjugal ; je ne sus pas, hélas ! comprendre qu’une femme qui aime ne peut admettre le

partage ! Elle était cependant bien jolie, ma petite femme ! Pourquoi diable m’en fallait-il d’autres qui certainement ne l’égalaient pas en beauté ! Etait-ce l’attrait du fruit défendu qu’on va cueillir, en cachette, dans quelque discret boudoir, avec les frissons de coupables qui risquent constamment d’être surpris ? Etait-ce l’ennui d’une vie trop paisible ? Etait-ce le contact trop souvent répété des femmes que je croisais dans les milieux de plaisir que nous fréquentions ? Je ne sais ! Mais je fus assez sot pour ne pas savoir profiter de la douce intimité de notre nid. Chaque soir, je sortais, et lorsque ma femme, fatiguée par son pénible labeur, restait à la maison, j’allais aux réunions politiques de mon quartier, crier mes idées de rénovation sociale ; j’en sortais enfiévré, courant au rendez-vous donné par quelque femme névrosée, grisée par mes paroles, tandis qu’elle, la chère petite femme, sous ses allures de parisienne coquette, gardait son âme candide et sentimentale qui ne savait pas aimer le mari folâtre que j’étais, l’amant désireux de sensations sans cesse renouvelées.

« Mais n’étais-je pas plus coupable encore de lui en faire un grief ? N’aurais-je pas dû, au contraire, l’aimer davantage pour répondre à cet amour si pur, si précieux par sa rareté ! Quand je songe à ce que je l’ai fait souffrir, pleurer, j’éprouve le regret de ne pas avoir trouvé la |89 mort sur le champ de bataille. Quelle belle expiation, c’eut été, n’est-ce pas ! Mais la destinée me réserve, sans doute, un plus dur châtiment. Je m’en irai donc par

le monde, les yeux clos, sans soutien, sans appui, sans affection, éternellement hanté par la vision du nid d’amour, bouleversé par mes fureurs, par mes trahisons, où ma pauvre compagne se traînait à genoux, me suppliant de ne pas l’abandonner, de lui dire pourquoi elle ne me plaisait plus, pourquoi je ne voulais plus de son corps, de son amour, de son dévouement ! Oh ! quel remords, Madame, pour celui qui aurait pu avoir — car elle m’aurait aimé encore, la chère petite — un gai logis tranquille où il aurait vécu heureux, entouré de l’affection et de l’amour

d’une brave et dévouée compagne et de beaux petits gars, peut- être, qu’il aurait amusés avec des histoires de guerre, de beaux petits gars, fruits de leur amour…

« Mais vous tremblez, Madame ! Rentrons, je vous en prie ! Que je suis donc ridicule de vous ennuyer constamment de mes confidences ! Pardonnez-moi ! C’est si bon de pouvoir s’épancher !... »


Ainsi finissait toujours la causerie quotidienne du blessé à l’infirmière ; ils revenaient lentement vers la grande salle, elle, refoulant les larmes dont son cœur était plein, lui, pensif et rêveur, songeant tristement à ce qu’il deviendrait, épave roulant sans cesse entre des mains inconnues.


Et lorsqu’il était couché à nouveau, il saisissait la petite main de la jeune femme, petite main tremblante qui ne se retirait pas...


Sa guérison s’accéléra du jour où il fut décoré de la Médaille militaire ; le légitime orgueil que lui procura cette récompense influa favorablement sur son état moral et physique et il lui fallut songer à quitter l’hôpital. Il fit écrire à |90 son frère qui accepta de le venir chercher et de l’aider moralement par la suite, car sa pension de réforme et son petit avoir personnel lui permettraient de vivre modestement.


La veille du départ arriva. Ce soir-là, ils s’attardèrent plus longuement sous le grand arbre du jardin. Le malheureux infirme se sentait infiniment triste à l’idée qu’il allait quitter cette petite confidente, si douce, si patiente à laquelle il causait librement et qui semblait comprendre sa douleur morale. Elle ne le lui avait pas dit, mais il le devinait aux tremblements de sa main qui jamais ne se retirait de la sienne, aux soupirs profonds qui s’échappaient souvent de ses lèvres silencieuses. Un secret

instinct l’avertissait que cette femme avait, elle aussi, le cœur brisé par quelque atroce chagrin et que de leurs communes souffrances avait jailli une sympathie puissante qui les faisait se comprendre mutuellement dans un simple frisson.


Oh ! que de fois, il fut sur le point de lui demander qu’elle le prît pour confident, qu’elle lui dît toute la douleur qui oppressait sa poitrine ! C’était si doux de crier ses regrets, sa douleur à une âme compatissante qui les partageât !


Puis il s’avouait secrètement qu’un sentiment puissant l’unissait chaque jour davantage à sa dévouée bienfaitrice, sentiment d’infinie reconnaissance, certes, mais aussi d’un charme troublant, d’une douceur exquise : il aimait !


Le contact de ces petites mains blanches le faisait frissonner et lorsqu’il s’appuyait sur le bras de la jeune femme, il tremblait d’émoi à deviner la joliesse de ce jeune corps brûlant sous les étoffes blanches et dont le parfum le grisait. Oh ! si elle l’eût aimé, peut-être aurait-il pu chasser les remords qui le poursuivraient éternellement !


Mais n’était-ce pas ridicule que de s’abandonner |91 à une telle pensée ? Quoi ? Aimer cet homme affreusement mutilé, ces yeux sans lueur, ce visage sans expression ! Qu’allait-il être ? Un corps incapable de se diriger, qu’il faudrait guider pas à pas, comme un enfant, à travers la maison, à travers les rues, un objet encombrant, bon à remiser, en somme, dans un coin où il ne gênerait pas trop.


Et si, négligeant les misères physiques dont la laideur était grandement atténuée par la gloire qui s’en dégageait, il eût pu inspirer encore un peu d’amour à une femme, comment espérer que ce serait à celle qui connaissait son âme, cette âme dont il

avait montré tout l’égoïsme et le manque de loyauté à la parole donnée ! Oui, il exprimait bien des remords. Hélas ! des remords obligés, sans doute, par l’état physique qui ne permettrait plus jamais les folies d’antan !


Vraiment, il était fou d’avoir espéré — ne fût-ce qu’une minute seulement — trouver en cette femme dévouée, en ce cœur meurtri, l’amie dévouée, la compagne fidèle qui accepterait de partager sa vie.


II réfléchissait à tout cela, tristement, sentant que l’heure de la séparation brutale était arrivée et que plus jamais il ne connaîtrait les sensations infiniment douces et apaisantes que la présence de la jeune femme lui procurait.


La nuit venait rapidement ; il ne voyait pas, mais il devinait la beauté de ce soir printanier, illuminé par les derniers rayons du soleil couchant, l’ombre bleue qui envahissait les allées du jardin embaumé où les arbres parés de leurs nouveaux feuillages, balançaient doucement, sous les frissons de la brise, les petits oiseaux blottis dans les nids reconstruits sous le beau ciel de France.


Ses mains cherchèrent tout à coup celles de la jeune femme ; elle les donna toutes deux. |92


Oh ! mourir à cette heure troublante, n’emportant dans l’au- delà mystérieux que le souvenir d’une femme au visage inconnu, qui frissonnait sous son étreinte nerveuse.


Il crut entendre tout à coup le bruit d’un sanglot mal contenu.


— Vous souffrez, Madame ? dit-il doucement. Pardonnez- moi, mais au risque de vous paraître indiscret, je vous supplie

de me confier votre chagrin. Pourquoi ne voulez-vous pas répondre à l’élan qui m’a porté vers vous ? Me laisserez- vous partir sans m’avoir fait connaître le son de votre voix qui doit être douce comme celle des anges ? Me laisserez-vous croire que je ne suis pas digne de votre confiance ? Refuserez-vous de me donner cette illusion, qu’étant devenu meilleur, une femme m’a pardonné le mal que je fis à une autre...


Les mots maintenant s’étranglaient dans sa gorge.


Francine sanglotait sans contrainte. Il semblait que de son cœur gonflé par la souffrance, toutes les larmes contenues jusqu’à ce jour s’échappaient librement.


Le blessé s’était approché plus près de sa compagne et doucement il glissa son bras autour de la taille fine de la jeune femme qui frissonnait.


En termes émus, il chercha à calmer cette explosion de désespoir ; mais lui-même se sentait étrangement angoissé ; sa gorge se serrait d’émotion et son cœur battait à se briser dans sa poitrine haletante.


Et cependant, il ressentait une joie immense et pure. Cette femme qui tremblait dans ses bras, qui n’avait pas repoussé l’étreinte dont il enlaçait sa taille, l’aimait donc un peu ! Cette pensée, infiniment douce, le grisait quoiqu’il n’espérât pas de lendemain à cet aveu muet.


Oh ! comme il eût aimé la connaître, emporter |93 avec lui l’image de cette amie chère auprès de laquelle il croyait revivre, étrangement précises à maints détails, les heures charmantes de ses fiançailles, de ses rendez-vous nocturnes durant les belles soirées d’été ! Etait-elle belle celle qu’il enlaçait maintenant ? Il

ne le saurait jamais ; mais un sentiment irrésistible l’emportait fougueusement vers elle.


Tout à coup, un désir fou lui traversa l’esprit. Audacieusement, il chercha les lèvres de la jeune femme...


Ses forces l’abandonnèrent et, fondant, en larmes, il s’affaissa aux genoux de la jeune femme.


Francine prit la pauvre tête fiévreuse dans ses mains et sur le front brûlant déposa un long, très long baiser d’amour qui accordait le pardon…


Le clairon lança, tristes et graves, les notes mélancoliques de l’extinction des feux. |94

Et ce soir-là, malgré la sévérité de la consigne, un couple étrange erra longtemps à travers le grand jardin endormi : un artilleur aveugle s’appuyant sur le bras d’une infirmière, toute mignonne sous sa mante noire, ornée de la Croix-Rouge ; ils allaient lentement par les allées pierreuses et la lune éclairait leur bonheur de ses éclats argentés. Parfois, lorsqu’un buisson haut et touffu jetait une tache noire sur leur chemin, ils unissaient leurs lèvres, longuement.


Juin 1915.

image


Grand’Mère

Comédie en un acte


A ma Mère.


LAVAL, gros industriel, 58 ans.


HORTENSE, sa femme, présidente de la Société « Le Relèvement de la Jeunesse », 53 ans.


SOLANGE, 24 ans.


MARNIER, 56 ans, ami de Laval. PETIT PIERRE, 5 ans.

LA BONNE.


La scène se passe sous la Grande Guerre, dans un salon bourgeois. Une fenêtre donne à gauche sur la rue ; deux portes, une à droite donnant sur un cabinet de travail, l’autre à doubles battants s’ouvrant dans le fond sur un vestibule. Des tables, des canapés composent l’ameublement sévère. Au mur quelques tableaux. |96

SCÈNE I.

LAVAL, MARNIER.


Les deux hommes examinent une carte étalée sur la table.


LAVAL. — Voyons... Saint-Dié ?... Là. Taintru ?,.. Là. C’est à trois ou quatre cents mètres de ce petit village que mon fils fut mortellement blessé. Son capitaine, qui échappa par miracle à la sanglante hécatombe, vint, de passage à Paris pendant une convalescence, me dire comment il tomba héroïquement par ce beau soir de septembre. La compagnie dont il était le lieutenant avait été cernée sur un petit mamelon par les Bavarois. Pendant deux jours, les vaillants chasseurs résistèrent à tous les assauts, mais, menacés de mourir de faim, ayant tiré leurs dernières cartouches, ils durent songer à se rendre ou à se frayer un chemin à travers les rangs épais des assiégeants. C’est à ce dernier parti qu’ils se résolurent. Rassemblant tous les survivants, ils formèrent un seul bloc, au milieu duquel ils mirent leurs blessés. Puis, baïonnette au canon, le capitaine d’Arval et mon Paul à leur tête, ils dégringolèrent la pente du mamelon, en chantant, pénétrèrent comme un coin d’acier dans les rangs ennemis, les traversèrent et, profitant de la surprise causée par cet extraordinaire coup d’audace, parvinrent à rejoindre, après de rudes épreuves, les lignes françaises qui, reformées derrière Saint-Dié, avaient interrompu leur retraite. Mais combien manquaient à l’appel ! Partie à l’effectif de 400 hommes, la compagnie se trouvait réduite à une centaine de survivants. Paul était de ceux qui ne revinrent pas. Le capitaine d’Arval le vit s’affaisser, frappé d’une balle au ventre. Il voulut

le soutenir, le faire porter par |97 les vaillants soldats qui s’étaient précipités à son secours. Mais lui refusa, ordonnant, au

contraire, qu’on le laissât seul pour que la retraite n’en fût pas

un instant ralentie. Il se sentit perdu, demanda simplement qu’on l’adossât à un arbre pour qu’il mourût face à l’ennemi. Puis il pria son capitaine de nous apporter ses dernières paroles, fit un suprême geste d’adieu à ses soldats et expira. (Il s’arrête un court instant de causer, passe la main sur son front.) Mon pauvre gars ! Parfois j’ai d’horribles cauchemars ! Je le vois, livide, étendu sur le sol, perdant à flot le sang généreux qui coulait dans ses veines. Il appelle son vieux père ! Il demande un dernier baiser à sa mère ! Ah ! c’est atroce. (Il se met à sangloter.)


MARNIER, lui frappant sur l’épaule. Courage, mon vieux camarade ! Certes, la perte de ton enfant est un trop grand malheur pour que je songe à m’étonner de l’étendue de ta douleur ; moi-même, vieux garçon, sans famille, sans affection, il m’arrive de sécher une coquine de larme qui perle au coin de mes yeux lorsque je songe aux effroyables massacres, aux tueries sans fin qui ensanglantent quotidiennement notre pauvre humanité. Et je me souviens avoir pleuré comme un enfant lorsque, le jour de la mobilisation, je vis toute cette ardente jeunesse partir à la mort en chantant. Mais doit-on, nous autres de l’arrière, s’abandonner au désespoir ? Doit-on sous la morsure de la souffrance, laisser s’amollir nos cœurs ? Non, non. Car il faut tenir, il faut vaincre, et pour cela il faut rester fort, il faut être prêt à tous les sacrifices. N’y a- t-il pas, d’ailleurs, de puissants dérivatifs à nos sombres pensées ! L’admiration que nous inspire l’héroïsme de nos enfants ne peut-elle pas atténuer nos souffrances ? Et l’avenir ? Ne mérite-t-il pas qu’on y songe beaucoup aussi ! De ce bain

de sang, une humanité nouvelle |98 va sortir ; la concorde, la liberté, l’amour régneront sur le monde régénéré, sur le

monde délivré de l’effroyable cauchemar que, depuis des siècles, la race maudite faisait lourdement peser sur lui.

C’est à nous qu’incombe le devoir de réorganiser l’humanité et c’est pour accomplir cette œuvre que nous devons conserver intacte notre force morale.


LAVAL. — Tu as raison. Et puis il y a la haine aussi, la haine qui parfois est plus forte que ma douleur. Ah ! que la guerre terminée, tous, industriels, commerçants, ouvriers, nous leur refusions l’entrée de nos usines, nous fermions nos portes à leurs marchands, nous repoussions leurs mains sanglantes afin qu’ils soient acculés à la ruine, à la mort. (Il reste un instant pensif.) Et puis, il me faut aussi réagir pour Hortense. Les femmes ne trouvent pas en leur cœur de mère, d’amante les mêmes ressources de courage que nous autres pour supporter le poids de la fatalité.


MARNIER. — Le temps apaisera sa douleur !


LAVAL. — Je l’espère. Depuis quelque temps, elle se reprend à vivre. Ses œuvres de charité l’intéressent et l’occupent de plus en plus. Mais j’ai cru longtemps qu’elle succomberait sous le choc brutal de la douloureuse épreuve. Nous vécûmes des heures pénibles ; durant plusieurs jours, elle ne prit pour toute nourriture qu’un peu de thé et quelques biscuits aux heures des repas, pour ne pas me laisser seul à table. Nous étions là tous deux, sans causer, refusant les mets, paraissant nous plonger attentivement dans la lecture des journaux, alors que nous eussions bien été incapables d’en répéter une seule ligne. Couchée, elle sanglotait doucement, croyant que je dormais ! Notre chagrin était d’autant plus grand que nous

n’eûmes pas la |99 suprême consolation d’embrasser notre

Paul avant son départ. La mobilisation le surprit à Bruxelles où, depuis six mois, il dirigeait, avant de revenir à Paris, la succursale des Leblanc, nos amis. Il ne put

passer à Paris, rejoignit à Lyon et partit immédiatement pour le front. Aussi, dès l’annonce officielle du décès, Hortense, impuissante à se résigner, ferma sa porte, paraissant décidée à s’isoler dans une solitude absolue qui l’eût fatalement déprimée et conduite au tombeau. Ah ! comme je les ai alors enviés ceux à qui les fils, mariés avant l’horrible drame, laissaient une jeune femme à aimer, de petits-enfants à choyer ! Avec quelle joie, nous les aurions installés dans notre demeure, désormais trop grande, pour les combler de gentillesses, les couver tendrement !


MARNIER. — Est-ce que Paul n’avait pas une fiancée ?


LAVAL. — Non. Hortense voulut bien, à un certain moment, lui faire épouser la fille d’un riche banquier boche de la rue d’Aboukir. Une belle fille, certes, mais sotte, d’un esprit lourd, incapable de sentimentalité, et avec ça, confite de dévotion, abhorrant les mœurs françaises, trop indécentes, disait-elle, ce qui ne l’empêchait pas d’étaler sa gorge à tous les regards et de faire suffisamment échancrer et entraver ses robes, rue de la Paix, pour que nul ne pût douter de la splendeur de ses formes et de la finesse de sa jambe. Elle déplut à Paul qui refusa de souscrire à cette union. Heureusement, d’ailleurs, car elle doit être, à l’heure présente, dans un camp de concentration où elle peut gémir sur la sévérité de nos mœurs.


MARNIER. — Tu ne lui connaissais pas de maîtresse ? Voyons, un si joli garçon ! N’avait-il pas quelque part, dans Paris, sa petite garçonnière |100 et sa Mimi Pinson ? Ne crois-tu pas qu’il y a, en ce genre d’idée, une bonne action à faire, un pauvre cœur meurtri à consoler, une misère, peut-être, à soulager ? Un

de nos amis, établi au Maroc, a recherché la maîtresse de son fils, tué à l’ennemi, et l’a installée sous son toit.


LAVAL. — En effet, c’est un acte généreux et que j’apprécie, mais que, malheureusement, je ne puis pas imiter car jamais Hortense n’accepterait la présence ici d’une de ces femmes qu’elle considère comme irrémédiablement déchues. Et cependant, j’y ai eu songé. Je savais par mon ami Leblanc que Paul affectionnait, de longue date, une de ses jeunes employées dactylographes. J’eus même l’occasion de les apercevoir se donnant le bras, un jour que le hasard d’une course m’avait amené à la sortie de son bureau. Je me gardai bien, d’ailleurs, de troubler leur promenade, me contentant de les suivre un court instant pour admirer le couple gracieux qu’ils formaient. Et, étrange coïncidence, cette personne quitta la maison lorsque Paul partit pour Bruxelles. Était-ce sa maîtresse ? L’emmena-t- il avec lui. Je l’ignore absolument. Il connaissait trop les sentiments de sa mère au sujet de ce genre de liaison pour nous en causer. Hortense est d’un cœur d’or ! Mais elle réprouve énergiquement nos mœurs modernes. Toute sa jeunesse s’écoula dans un austère couvent de province et l’éducation qu’elle y reçut influe encore, à l’heure présente, sur son caractère et ses idées. Ses amies ayant fondé une œuvre pour la préservation de la jeunesse, elle en accepta la présidence et elle n’eût pas manqué d’admonester sévèrement Paul, voire même de lui fermer notre porte, malgré le chagrin qu’elle en eût

éprouvé, si elle avait eu connaissance de ses coupables relations. |101


MARNIER. — C’est peut-être excessif.


LAVAL. — Je suis de ton avis. Il faut bien que jeunesse se passe ! Et puis, j’estime qu’une femme honnête et courageuse est digne d’être épousée par son amant, qu’elle soit riche ou

pauvre. Mais Hortense ne comprendrait pas cela et il est inutile que j’aborde un tel sujet avec elle. Mais, chut ! je l’entends rentrer.

SCÈNE II.

HORTENSE, LES MEMES puis LA BONNE.


Hortense ouvre la porte. Elle paraît en grand deuil. D’un mouvement rapide, elle rejette son voile de crêpe sur l’épaule et s’avance à la rencontre de Marnier en lui tendant la main.


HORTENSE. — Quelle surprise ! Je vous croyais encore au Maroc.


MARNIER. — Madame, je ne suis de retour à Paris que depuis hier seulement. J’avais appris en son temps votre deuil cruel, mais j’ai tenu à vous présenter de vive voix mes condoléances émues.


HORTENSE. — Brave ami, merci. Hélas ! notre chagrin est toujours aussi grand et paraît devoir bien difficilement s’atténuer… Cependant, il est très doux, très réconfortant de recevoir les marques de sympathie des bons amis qui, malgré les soucis de l’heure présente, acceptent encore de partager notre chagrin.


MARNIER. — J’affectionnais Paul que j’avais connu tout enfant. D’ailleurs, il ne m’oubliait pas non plus ; il m’adressa, au début des hostilités, une carte d’Alsace, où il m’exprimait avec son enthousiasme juvénile sa foi en la victoire. |102


HORTENSE — Cher enfant ! il était beau, il était brave ! Il eût fait la joie de notre vieillesse ! Hélas ! la destinée ne l’a pas voulu. Les desseins de Dieu sont impénétrables. Puissions-nous bientôt nous retrouver unis dans l’au-delà !

LAVAL, nerveusement. — C’est entendu, ma chérie, mais en attendant, il faut vivre. La France a besoin de toutes les bonnes volontés, de tous les courages et c’est un devoir sacré que de lutter toujours et malgré tout… Voyons ! faut-il sonner la bonne, pour le thé ? Ne te déshabilles-tu pas ?


HORTENSE. — C’est vrai, j’oubliais… Excusez- moi, je n’ai plus la tête à moi...


MARNIER. — Vous êtes tout excusée, Madame.


La bonne entre et prend le chapeau et les fourrures que lui tend Hortense.


HORTENSE, à la bonne. — Vous servirez le thé ici. Apportez quatre services. (À son mari.) J’attends une jeune personne que m’envoient les Leblanc. Ma secrétaire me laisse pour s’unir à un glorieux mutilé. Je cherche à la remplacer et si la jeune fille qui va venir me convient, j’ai l’intention de l’installer dans une de nos chambres. La pauvre enfant revient d’Allemagne où elle resta prisonnière depuis le début des hostilités ; sa présence ici fera peut-être une heureuse diversion à notre chagrin. Mais en l’attendant, veux-tu me rendre un petit service ? (Se retournant

vers Marnier.) Vous nous excuserez, n’est-ce pas ? Voici une longue liste de malheureux que Mme de Boildieu et moi devons visiter demain. Les noms soulignés de rouge me sont réservés ; en me les dictant, tu me feras gagner un temps précieux.


Elle tend une feuille à son mari, s’assied près d’une table et se met en devoir d’écrire tandis que Marnier allume une cigarette et que 1a bonne dispose le service à thé sur une autre table. |103


LAVAL, lisant. — Georges Vantold, sujet belge.

HORTENSE. — C’est le chef d’une famille très intéressante. Sept enfants et la grand’mère infirme ! Au début de l’invasion, il amena tout ce monde jusqu’à la frontière et le sachant en sûreté, revint faire le coup de feu sur l’Yser et y fut grièvement blessé. Je m’efforce de lui trouver un travail peu pénible, garçon de bureau, par exemple.


MARNIER. — J’aurai peut-être un emploi pour votre protégé, Madame ! Demain, je le ferai mander.


HORTENSE. — Je vous en serai très reconnaissante. LAVAL. — Veuve Hamelet, trois enfants.

HORTENSE. — La pauvre petite femme est mignonne comme un ange ; de grands yeux noirs, de beaux cheveux, des lèvres roses. Et cependant, elle reste honnête ! Son mari est tombé dans un combat près d’Arras. Elle ne peut se consoler et, pourtant, elle n’a pas même le loisir de pleurer en paix son cher disparu. Que de couvre-bidons, de protège-nuques passent dans ses mains agiles depuis l’aube jusqu’à une heure avancée de la nuit. Une vraie et courageuse Française. Ce matin, j’ai débarbouillé moi-même un des enfants et je veux être marraine du dernier.


LAVAL. — Brave cœur, va !


HORTENSE. — Il y a une telle jouissance à venir en aide aux malheureux que je n’ai pas grand mérite à le faire. Dans ce peuple que nous ne connaissions pas assez avant la guerre, il y a des vertus magnifiques qui ne demandent qu’à être aidées pour s’épanouir. |104

LAVAL. — Andrée Desornes, vingt-deux ans, fille-mère, tuberculeuse.

HORTENSE, levant la tête. — Plaît-il ? Je n’ai pas compris. LAVAL, répétant. — Andrée Desornes, vingt-deux ans, fille-

mère...


HORTENSE, d’un ton sec. — Je dirai à ma nouvelle secrétaire qu’elle ne consigne jamais sur ses listes les infortunes de ce genre-là. Une fille-mère ! Je ne pourrai jamais m’intéresser aux épaves du vice, ni me résoudre à adoucir les souffrances de ces femmes, considérant qu’elles sont les légitimes expiations de leur inconduite.


LAVAL. — Ma bonne, tu exagères.


HORTENSE. — Non, je suis juste, malgré mon apparente sévérité. Filles galantes, filles-mères, pour moi, c’est tout comme. Les unes et les autres facilitaient l’incroyable relâchement de nos mœurs ; l’union libre, le divorce, la protection des filles-mères, toutes ces sottises, toute cette fausse sentimentalité ne servaient qu’à encourager la mauvaise conduite. Et la France se mourait de la corruption des masses ! Nos enfants ne pouvaient sortir sans risquer de tomber dans les filets tentateurs de toutes ces femmes perfides. Dans l’orgie sombraient toutes les intelligences, toutes les énergies. Le sexe féminin, s’offrant à l’enchère, viciait le sang de notre pays, nous faisait méconnaître à l’étranger, autorisait toutes les espérances sur notre chute rapide. Et si la guerre n’était pas faite de telles horreurs, elle serait une juste expiation.


La bonne entre pour servir le thé.

LAVAL. — Tu as peut-être raison. Mais l’heure n’est plus de maudire, il faut pardonner, il faut |105 régénérer. Songe à cette jeune femme qui se meurt dans un taudis, à cet enfant qui pleure parce qu’il a faim et froid tandis que son père, quelque pâle faubourien, peut-être, nous fait de sa poitrine un rempart contre les bandits. Que penserait-il de nous s’il savait que nous

laissons mourir le fruit de son amour et celle qu’il aimait plus que lui-même, peut-être !


HORTENSE. — Je te répète que je considère la guerre comme une juste expiation qui frappe malheureusement sans distinction bons ou mauvais. Quant à la femme, elle a failli une fois, elle faillira une seconde, le vice est incurable.


LAVAL. — J’en connais, cependant, qui, une fois mariées, font d’honorables mères de famille.


HORTENSE. — Quelques rares exceptions ! LA BONNE. — Madame est servie.

Hortense et son mari viennent s’asseoir près de la table à thé où attend Marnier. Une sonnerie retentit, annonçant un visiteur. La bonne sort.


HORTENSE. — Ce doit être ma nouvelle secrétaire. (Consultant sa montre.) Elle est exacte au rendez-vous.


La bonne rentre et tend une carte à Hortense. HORTENSE. — Oui, c’est elle. Faites entrer.

SCÈNE III.

SOLANGE, LES MEMES.


La jeune fille fait quelques pas et s’arrête hésitante.


HORTENSE, se lève ainsi que les deux hommes, s’avance vers elle et lui tend les deux mains. — Solange Morteuil, n’est-ce pas ? Vous êtes ici la |106 bienvenue. Mme Leblanc, qui vous envoie, m’a exposé brièvement qui vous étiez et ce que vous aviez souffert ; aussi ma bienveillante amitié vous est acquise. Veuillez donc nous considérer comme de bons amis qui s’efforceront, si vous acceptez de partager leur vie, de vous faire oublier les souffrances de votre captivité.


SOLANGE. — Oh ! merci, Madame. Il est doux de sentir autour de soi une affection sincère lorsqu’on a vécu les cruelles tortures pratiquées dans les camps allemands. Mais... (hésitante) Mme Leblanc m’avait promis d’être présente à ce rendez-vous. Je..., je suis peut-être en avance... Excusez mon indiscrétion... Je puis revenir un peu plus tard... lorsqu’elle sera là...


HORTENSE. — Mais non, ma mignonne, sa présence n’est pas obligatoire, puisqu’il s’agit de régler une simple question d’organisation de vie entre vous et moi. Je vous répète que vous êtes chez des amis, de bons amis qui vous veulent beaucoup de bien. Tenez, je vous présente. Solange Morteuil, une victime des Allemands. M. Laval, mon mari ; M. Marnier, un de nos bons amis.


Les deux hommes saluent.


LAVAL. — Mademoiselle, être présentée par mon ami Leblanc est déjà suffisant pour que vous nous soyez sympathique. Mais

le fait d’avoir été torturée par les bandits qui ont tué notre fils (mouvement nerveux de Solange) crée, entre vous et nous, un lien bien plus puissant encore qui me fait espérer que notre entente sera parfaite.


SOLANGE. — Monsieur, je suis confuse de tant d’amabilité pour moi qui vous suis une inconnue. Mais si la haine peut, comme l’amour, être un lien, sachez que ma haine à l’égard de nos |107 ennemis est sans borne pour tout le mal qu’ils m’ont fait, pour tous les crimes qu’ils ont commis, pour tous les innocents qu’ils ont martyrisés.


HORTENSE, lui offrant une chaise. — Eh bien ! Puisque l’entente est parfaite, asseyez-vous et acceptez un peu de thé.


SOLANGE. — Oh ! Madame, c’est de l’indiscrétion.


Elle va s’asseoir à la place que lui indique Hortense tandis que les deux hommes se placent de l’autre côté de la table, en s’en écartant un peu.


LAVAL, à Marnier, très bas — Je connais cette frimousse-là ! mais je ne suis pas fichu de lui donner un nom.


Pendant ce temps. Hortense aide Solange à quitter sa fourrure et la dépose sur un canapé.


LAVAL, à Solange qui enlève lentement ses gants. — Où étiez- vous, Mademoiselle, lors de la déclaration de guerre ?


SOLANGE. — À Bruxelles, Monsieur.


LAVAL, sursautant. — Vous êtes donc de nationalité belge ?

SOLANGE. — Non, Monsieur, je suis Française ; mais la destinée m’avait amenée depuis six mois dans cette ville où je donnais des leçons de sténographie pour gagner ma vie.

HORTENSE. — Vous fûtes orpheline très jeune, je crois ? SOLANGE, répondant d’une voix hésitante. — Vraiment,

Madame, je suis de plus en plus confuse du fâcheux contre- temps qui fait que Mme Leblanc n’ait pu me présenter elle- même... |108


HORTENSE, un peu étonnée. — Mais je n’en comprends pas la raison ?


LAVAL, d’un ton amical. Mademoiselle me paraît timide ! Là est certainement la cause de ses hésitations. Cependant, ne voyez pas en nos questions un désir d’information qui serait peu discret, mais seulement une réelle preuve de sympathie et de confiance.


SOLANGE. — C’est précisément votre grande bienveillance qui m’intimide un peu ! Mais je suis sotte. (Riant timidement.) Je vais me présenter moi-même.


Elle trempa ses lèvres dans la tasse.


LAVAL, toujours bas à Marnier. — Cette confusion, cette coïncidence !


Il semble profondément réfléchir, puis fixe attentivement la jeune fille.


SOLANGE. — Ma mère mourut en me mettant au monde et mon père me fit élever au couvent où j’acquis une solide

instruction. Fort heureusement, car il se remaria et ne s’occupa plus de moi. À dix-sept ans, je me trouvai donc seule à Paris, sans fortune, obligée de subvenir à mes besoins. Grâce à ma connaissance approfondie de la sténographie, je pus toujours gagner honorablement ma vie soit à Paris, soit à Bruxelles où je suivis (hésitante) mon...


LAVAL, l’interrompant brusquement. — Vous n’avez pas songé à regagner la France dès la mobilisation ?


SOLANGE, paraît surprise de l’interruption, hésite, puis répond. — Je croyais comme tout le monde une rapide victoire et me trouvais très fatiguée à ce moment-là !


HORTENSE. — Les Prussiens vous surprirent donc à Bruxelles ? |109


SOLANGE. — Non, Madame. Mon odyssée fut beaucoup plus lamentable. Et vous comprendrez mieux en la connaissant à quel point je hais les bandits qui, après avoir tué mon... fiancé, ont failli me ravir l’honneur !


HORTENSE. — Ah ! vous aviez un fiancé ?


SOLANGE. — Un être noble, un être fier ! J’ai appris sa mort, il y a quelques jours à peine, au retour de ma captivité, par un officier qui me cherchait depuis de longs mois. Le souvenir de celui que j’aimais restera éternellement gravé dans ma mémoire et je mourrai, heureuse d’aller le rejoindre, lorsque j’aurai accompli tout mon devoir de...


LAVAL, l’interrompant à nouveau brusquement. — Française ! C’est très bien, Mademoiselle, de ne pas vous laisser abattre par la fatalité. L’heure est venue d’être forte et d’oublier

momentanément ses souffrances personnelles pour songer à la grande blessée, la France !


SOLANGE, paraît à nouveau étonnée de cette interruption, puis pensive elle continue. — Oui, il faut que je réagisse, que je sois plus forte que la fatalité, que je pleure en cachette pour éviter... Mais que dis-je ! que vous raconté-je là ! Pardonnez-moi, j’ai tant souffert !... Enfin, voici le récit de l’atroce aventure. Lorsque je sus les Allemands maîtres de Liège et de Namur, je me décidais à fuir, malgré ma faiblesse, non pas que j’eusse peur pour ma vie, mais parce que, sachant qu’ils violentaient les femmes et tuaient les enfants, je craignais pour… (hésitante) pour mon…


LAVAL, même jeu. Votre honneur ! Cela se comprend. Ces bandits ne respectent rien ! |110


SOLANGE, regarde Laval avec étonnement, puis continue, d’une voix lente. — Donc, je voulus fuir. Mais l’encombrement des trains était tel qu’il ne fallait pas compter sur ce moyen de salut. La Providence me mit heureusement en présence d’un brave négociant, ami de mon fiancé, qui fuyait en auto avec sa famille et m’offrit de m’emmener avec mon... unique trésor.


Elle trempe ses lèvres dans la tasse.


LAVAL, tout bas à Marnier qui opine de la tête. Il y a un enfant dans ce drame.


SOLANGE. — Le début du voyage fut relativement bon, mais à quelques kilomètres de Charleroi, je ressentis un violent malaise et m’évanouis. Lorsque je revins à moi quelques heures après, j’étais couchée dans le lit d’une brave et généreuse fermière. Je demandais de suite à reprendre le chemin de la

France. Hélas ! je n’en avais plus la force. Alors je suppliais mes charitables compagnons de poursuivre leur route, et, le cœur brisé, mais consciente que le sacrifice était nécessaire, je les vis partir, leur confiant tout ce qu’il me restait de cher au monde. Huit jours après, la bataille faisait rage autour de la ferme. Les filles de la fermière m’en apportaient les échos sur mon lit de douleur. C’est ainsi que je sus les charges héroïques de nos soldats d’Afrique dont la vaillance ne pouvait avoir raison au nombre de leurs ennemis. J’appris aussi la retraite et je vécus, dès lors, dans des transes épouvantables et en proie aux plus sinistres pressentiments qui ne devaient pas tarder, d’ailleurs, à se réaliser. Un soir, trois officiers se présentèrent à la ferme et ordonnèrent à la fermière et à ses filles de préparer un festin. Vous décrire ce que fut cette orgie n’est pas possible. Honteusement, ils traitèrent des femmes qui, quelques instants

auparavant, donnaient des soins à leurs |111 soldats blessés. Et

eux, monocles à l’œil, des fleurs à la boutonnière de leur dolmen, chantaient et buvaient, menaçaient de mort les malheureuses jeunes filles terrorisées qui devaient servir, nues, leur monstrueuse orgie et subir leurs odieux caprices !


HORTENSE. — C’est affreux, j’eusse préféré la mort.


SOLANGE. — Hélas ! ce n’était pas possible. Les malheureuses ne pouvaient pas échapper à ces brutes avinées. Quant à moi, l’espoir qui me berçait de ne pas être aperçue des bandits fut de courte durée ; en effet, la porte de la chambre où je reposais s’ouvrit tout à coup sous la poussée d’un corps qui vint s’étaler sur le parquet : c’était un des officiers qui, ivre- mort, avait, sans doute, cherché un appui contre la porte qui céda sous son poids. Un instant, il resta ainsi vautré, grognant et jurant ; puis il parvint à se redresser et fit, du regard, le tour de la chambre ; lorsque nos yeux se rencontrèrent, je sentis courir par mon être un frisson d’épouvante... Je me demande parfois

comment ma raison ne sombra pas devant l’horreur de la situation.


LAVAL. — De tels souvenirs vous sont cruels. C’est abusif de notre part que de vous les faire rappeler !


SOLANGE. — Non, Monsieur. C’est un peu dégonfler mon pauvre cœur meurtri que dire ce que j’ai souffert.


HORTENSE. — Encore un peu de thé, de liqueur ?


SOLANGE. — Merci, Madame. D’ailleurs, j’ai fini. La scène qui suivit se déroula en quelques |114 minutes : l’homme me fixa de son regard troublé par l’ivresse, puis un rugissement semblable à celui que doit pousser un fauve qui découvre une proie, sortit de sa poitrine et d’un bond fut près du lit, rejeta les draps qui me couvraient et se laissa pesamment choir sur moi. Paralysée par la terreur, j’étais restée jusqu’alors sans faire un

mouvement ; mais lorsque je sentis sur mon visage le souffle fétide de la brute, lorsque sur mon corps, ses mains voulurent se poser, je retrouvais soudain l’usage de mes membres ; de la main droite, je cherchai à le repousser et, tout à coup, je sentis sous mes doigts le froid de l’acier d’un revolver à moitié sorti de l’étui, accroché à son ceinturon. Je ne réfléchis pas une seconde aux conséquences de ce que j’allais faire et, tirant à moi l’arme vengeresse, je la braquais sur le flanc gauche de l’homme qui me pressait de plus en plus fortement et, par trois fois, j’appuyais sur la gâchette. Foudroyé, il roula au bas du lit, m’entraînant dans sa chute, et je m’évanouis dans une mare de sang. Lorsque je revins à moi, plusieurs heures après, j’appris coup sur coup de la bouche d’un sous-officier chargé de me surveiller, que j’avais été condamnée à mort par les officiers amis de ma victime, puis graciée par un général, survenu inopinément, et mis au courant de l’orgie qui devait si

tragiquement se terminer. Mais, sans pitié pour ma faiblesse, les bourreaux m’acheminèrent d’étapes en étapes jusqu’à ce camp de misère, perdu dans le Hanovre où, mise au cachot, je subis les plus cruelles humiliations, où j’eus faim, où j’eus froid, où j’implorais quotidiennement la mort de me délivrer. Notre généreuse patrie obtint enfin ma libération plus de vingt mois après mon internement.


HORTENSE. — De telles souffrances sont imméritées et, en attendant que sonne pour l’Allemagne |113 l’heure du châtiment, nous allons nous efforcer, Mademoiselle, de vous faire oublier le cauchemar tragique, les douloureuses épreuves de votre long calvaire, l’irréparable deuil de votre amour ! En échange, votre rôle ici sera, non seulement d’être une dévouée secrétaire, mais encore une charmante et enjouée compagne qui fera oublier, un tout petit peu, aux deux vieillards que nous serons bientôt, la

cruelle perte de leur enfant, l’anéantissement de leurs espérances, de leurs beaux rêves. Nous allons être amies, n’est- ce pas ?


SOLANGE, avec effusion, tendant ses deux mains à Hortense.


  1. Mariage de Jean à Annecy en 1885 13


    « N°32 — Terrier Jean-Claude et Décarroz Joséphine. — L’an mil huit cent quatre-vingt-cinq, le vingt-cinq du mois d’avril, à cinq heures et demie du soir, à Annecy, chef-lieu du département de la Haute-Savoie, dans la salle de l’état civil située en l’hôtel-de-ville, par devant nous Félix Francoz, adjoint, délégué, par acte du dix-neuf mai dernier, aux fonctions

    d’officier de l’état civil de la dite ville, se sont présentés, d’une part, Terrier Jean-Claude, compositeur typographe, âgé de vingt-cinq ans, né à Annecy, le vingt-huit février mil huit cent soixante, domicilié à Annecy, où il demeure, fils majeur de vivants Denis Terrier, maître charpentier, et Louise Excoffier, son épouse, ménagère, tous deux domiciliés en cette ville, présents et consentant ; d’autre part, Décarroz Joséphine, lingère, âgée de dix-neuf ans, née à Annecy le premier août mil huit cent soixante-cinq, domiciliée à Annecy, où elle demeure, fille mineure de vivants François Décarroz, tailleur de pierres, et Geneviève Vincent, son épouse, ménagère, tous deux domiciliés en cette ville, présents et consentants ; lesquels, après avoir déclaré qu’il n’existe entre eux aucun degré de parenté ni d’alliance, nous ont requis de procéder à la célébration de leur mariage dont les publications ont été faites en cette ville les dimanches douze et dix-neuf avril courant. La naissance des futurs étant inscrite aux registres de l’état civil déposés au secrétariat de la mairie, nous avons dispensé les parties de produire une expédition authentique des actes, à l’appui de leur réquisition. Aucune opposition ne nous ayant été signifiée, nous, officier de l’état civil, après avoir reçu des futurs époux et des personnes présentes pour autoriser le mariage, la déclaration qu’il n’a pas été passé de contrat, avons donné lecture des dispositions du code civil relatives au mariage ; après quoi, nous avons demandé aux requérants s’ils veulent se prendre pour époux. Chacun d’eux ayant répondu séparément et affirmativement, nous avons prononcé qu’au nom de la loi, Terrier Jean-Claude et Décarroz Joséphine sont unis par le mariage. Le tout a été fait publiquement aux lieu, jour et heure indiqués et nous en avons immédiatement dressé acte en présence de Terrier François Joseph, employé des ponts et chaussées, âgé de vingt-un ans, frère germain de l’époux, Dufresne Louis, employé à la mairie, âgé de vingt-six ans, Revil Jean, cordonnnier, âgé de vingt-cinq ans, et Grandi

    Édouard, tapissier, âgé de vingt-quatre ans, ces trois derniers non parents avec les nouveaux époux, tous quatre témoins majeurs, domiciliés en cette ville. Lecture faite du présent acte, tous l’ont signé avec nous. — [Signé :] Josephine Decarre [sic]

    image

  2. Mariage de Franceline à Annecy en 1888 14


    « N°42 — Revil Jean et Terrier Franceline. — L’an mil huit cent quatre-vingt-huit, le onze du mois d’août, à cinq heures du soir, à Annecy, chef-lieu du département de la Haute-Savoie, dans la salle de l’état civil située en l’hôtel-de-ville, par devant nous Camille Dunant, premier adjoint, remplissant, en l’absence du maire, les fonctions d’officier de l’état civil de la dite ville, se sont présentés, d’une part, Revil Jean, maître cordonnier, âgé de vingt-neuf ans, né à Annecy, le cinq juillet mil huit cent cinquante-neuf, domicilié à Annecy, où il demeure, fils majeur de défunt Antoine Revil, en son vivant maître cordonnier, domicilié en cette ville, décédé à Annecy-le-Vieux (Haute- Savoie) le trois avril mil huit cent quatre-vingt-sept, et de survivante Jacqueline, dite Franchette, Pétrod sa veuve, ménagère, aussi domiciliée en cette ville, présente et consentante ; d’autre part, Terrier Franceline, sans profession,


    14 AD74 4E 2812.

    âgée de vingt-un ans, née à Annecy le dix-sept octobre mil huit cent soixante-six, domiciliée à Annecy, où elle demeure, fille majeure de vivants Denis Terrier, maître charpentier, et Louise Excoffier, son épouse, ménagère, tous deux domiciliés en cette ville, présents et consentant ; lesquels, après avoir déclaré qu’il n’existe entre eux aucun degré de parenté ni d’alliance, nous ont requis de procéder à la célébration de leur mariage dont les publications ont été faites en cette ville les dimanches vingt- deux et vingt-neuf juillet proche passé. À l’appui de leur réquisition les parties nous ont remis l’acte de décès du père du futur ; la naissance des futurs étant inscrite aux registres de l’état civil déposés au secrétariat de la mairie, nous avons dispensé les parties de produire une expédition authentique des actes. Aucune opposition ne nous ayant été signifiée, nous, officier de l’état civil, après avoir reçu des futurs époux et des personnes présentes pour autoriser le mariage, la déclaration qu’il n’a pas été passé de contrat, avons donné lecture de la pièce produite ainsi que des dispositions du code civil relatives au mariage ; après quoi, nous avons demandé aux requérants s’ils veulent se prendre pour époux. Chacun d’eux ayant répondu séparément et affirmativement, nous avons prononcé qu’au nom de la loi, Revil Jean et Terrier Franceline sont unis par le mariage. Le tout a été fait publiquement aux lieu, jour et heure indiqués et nous en avons immédiatement dressé acte en présence de Revil Félix, cordonnier, âgé de vingt-sept ans, frère germain de l’époux, Terrier Louis, journaliste, âgé de trente ans, et Terrier Jean, compositeur typographe, âgé de vingt-huit ans, frères germains de l’épouse, et Coutin Joseph, employé de commerce, âgé de trente ans, non parent avec les nouveaux époux, tous quatre témoins majeurs, domiciliés, les premier, troisième et quatrième, en cette ville, et le deuxième, à Paris, lesquels, ainsi que les parties contractantes, nous a affirmé par serment, conformément à l’avis du Conseil d’État du 30 mars 1808, que les vrais nom et prénom de la mère de l’époux sont :

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    Pétrod Jacqueline, et que c’est par erreur qu’elle a été désignée sous ceux de Pétrot Jacqueline Françoise, dans l’acte de naissance de son fils, et Pétrod Fanchette, dans l’acte de décès de son mari. Lecture faite du présent acte, tous l’ont signé avec nous, à l’exception de la mère de l’époux, qui a déclaré être illettrée. — [Signé :] Terrier Franceline — Revil Jean — Terrier Denis — F. Revil —

    L. Terrier —Jean Terrier — Terrier Louise — J. Cautin

    C. Dunant. »


  3. Naissance de Léon Louis à Annecy (1889) 15


    « N°142 — Terrier Léon Louis — L’an mil huit cent quatre- vingt-neuf, le dix-neuf du mois d’août, à quatre heures et demie après-midi, par devant nous, Émile Duparc, adjoint du maire, délégué, par acte du vingt-six novembre mil huit cent quatre- vingt-huit, aux fonctions d’officier de l’état civil de la ville d’Annecy, chef-lieu du département de la Haute-Savoie, a comparu Terrier Jean-Claude, compositeur-typographe, fils de vivants Denis Terrier et Louise Excoffier, né à Annecy, le vingt-huit février mil huit cent soixante, demeurant en cette ville, rue Notre-Dame, n°14, maison Perroux, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, qu’il nous a dit être né le dix-neuf août courant, à onze heures du matin, dans la maison qu’il habite, de lui, déclarant, et de son épouse, Décarroz Joséphine, lingère, fille de vivants François Décarroz et Geneviève Vincent, née à Annecy, le premier août mil huit cent


    15 AD74 4E 2781.

    soixante-cinq, demeurant avec son mari, auquel enfant il a déclaré devoir être donnés les nom et prénoms de Terrier Léon- Louis. — Ces déclaration et présentation ont été faites en présence de Terrier Denis, maître charpentier, âgé de cinquante- sept ans, et Revil Jean, cordonnier, âgé de trente ans, le premier, grand-père paternel, et le second, oncle par alliance du nouveau-né, tous deux domiciliés en cette ville. —Lecture faite du présent acte, le déclarant et les témoins l’ont signé avec nous. — Les témoins. [Signé :] Terrier Denis — J. Revil — Le déclarant [Signé :] Terrier Jean — L’officier de l’état civil : [Signé :] E. Duparc. »


  4. Mariage de François à Quimperlé (1893) 16


    « 1 — Mariage de François Joseph Terrier et Élisa Joséphine Beaufrère — L’an mil huit cent quatre-vingt-treize, le trois janvier à dix heures du matin, devant nous Charles Richard adjoint au maire remplissant par délégation les fonctions d’officier public de l’état civil de Quimperlé, ont comparu, en l’hôtel de la mairie, toutes portes ouvertes, le sieur François Joseph Terrier âgé de vingt huit ans, rédacteur administrateur de l’Union agricole et maritime, domicilié à Quimperlé, né à Annecy (Haute-Savoie) le vingt-cinq avril mil huit cent soixante quatre comme le constate son acte de naissance ci- annexé, fils majeur et légitime de Denis Terrier âgé de soixante ans entrepreneur domicilié à Annecy, consentant suivant acte authentique passé devant maître Grivaz notaire à Annecy (Haute-Savoie) le trois décembre mil huit cent quatre-vingt- douze ci-annexé, et de feue Louise Excoffier décédée à Annecy


    16 AD29 1Mi EC 289/15.

    le dix décembre mil huit cent quatre-vingt-onze comme le constate son acte de décès ci-joint d’une part. — Et demoiselle Élisa Joséphine Beaufrère âgée de vingt-cinq ans, sans profession, domiciliée et née à Quimperlé le huit juin mil huit cent soixante-sept comme le constate le registre des naissances de cette commune, fille majeure et légitime de Eugène Louis Henri Beaufrère entrepreneur de peinture âgé de cinquante-cinq ans et de Françoise Marie Mélançon, âgée de cinquante-un ans, sans profession, domiciliés à Quimperlé, ci-présents et consentant d’autres part ; — Lesquels nous ont requis de procéder à la célébration du mariage projeté entr’eux dont les publications ont été faites et affichées en cette mairie, les dimanches dix-huit et vingt-cinq décembre mil huit cent quatre- vingt-douze à l’heure de midi, comme le constate le registre des publications de cette commune. — Aucune opposition au présent mariage ne nous ayant été signifiée, faisant droit à leur réquisition ; après avoir donné lecture de toutes les pièces ci- dessus mentionnées, et du chapitre VI du titre du code civil, intitulé : Du mariage, nous avons, conformément à la loi, interpellé les futurs époux et les personnes qui les assistent, d’avoir à déclarer s’il a été fait un contrat de mariage ; à quoi ils ont répondu négativement. Nous avons ensuite demandé au futur époux et à la future épouse s’ils veulent se prendre pour mari et pour femme : Chacun d’eux ayant répondu séparément et affirmativement, déclarons au nom de la loi que le sieur François Joeph Terrier et demoiselle Élisa Joséphine Beaufrère sont unis par le mariage. En foi de quoi nous avons dressé acte en présence de Louis Terrier, âgé de trente-quatre ans, directeur de l’Union agricole et maritime domicilié à Paris, frère du contractant, de Anatole Jean Le Braz, âgé de trente-trois ans, professeur domicilié à Quimper, ami des contractants, Victor Auguste Mélanson, âgé de cinquante-deux ans, garde maritime domicilié à Concarneau, oncle de la contractante et Eugène Beaufrère, âgé de vingt-quatre ans, peintre, frère de la

    image

    contractante. Et ont les contractants, leur père et mère et les quatre témoins signé avec

    nous le présent acte après qu’il leur en a été fait lecture.

  5. Décès de François à Quimperlé (1893) 17


    « 58 — François Joseph Terrier — L’an mil huit cent quatre- vingt-treize, le vingt-cinq mars à onze heures du matin devant nous Charles Richard adjoint au maire remplissant par délégation les fonctions d’officier public de l’état civil de Quimperlé, ont comparu Sosthène David, âgé de quarante-huit ans, agriculteur, conseiller général domicilié à Tréméven, et Gustave Le Folcalvez, âgé de quarante-trois ans, conducteur des ponts et chaussées domicilié à Quimperlé, amis du défunt, lesquels nous ont déclaré que François Joseph Terrier, âgé de vingt-huit ans, publiciste né à Annecy (Haute-Savoie), domicilié à Quimperlé, fils de Denis, âgé de soixante ans, entrepreneur domicilié à Annecy et de feue Louise Excoffier, époux de Élisa Joséphine Beaufrère, âgée de vingt-cinq ans, sans profession, domiciliée à Quimperlé, est décédé ce jour à deux heures et quart du matin en sa demeure, place Hervo, ainsi que nous nous en sommes assuré ; et ont les comparants signé

    avec nous le présent acte après qu’il leur en a été fait lecture. — [Signé :] G. Lefolcalvez — S. David — C. Richard. »


  6. Mariage de Louis à Tréméven (1893) 18


    NOTES MONDAINES. CARNET DE MARIAGE.


    Lundi prochain 7 août, sera célébré, en l’église de Trémeven, prés de Quimperlé, le mariage de notre collaborateur M. Louis Terrier, secrétaire général du Journal des Débats, avec Mlle Louise David, fille de M. David, conseiller général du Finistère.


  7. Mariage de Henri à Annecy (1895) 19


    N°38 — Terrier Henri Claudius et Décarroz Marie Louise — L’an mil huit cent quatre-vingt-quinze, le dix-sept du mois d’août, à quatre heures trois quarts du soir, à Annecy, chef-lieu du département de Haute-Savoie, dans la salle de l’état civil située en l’hôtel-de-ville, par devant nous Damille Dunant, premier adjoint, remplissant, en l’absence du maire, les fonctions d’officier de l’état civil de la dite ville, se sont présentés, d’une part, Terrier Henri-Claudius, journaliste, âgé de vingt-quatre ans, né à Annecy, le huit août mil huit cent soixante-onze, domicilié à Paris, quai aux Fleurs, numéro 11, fils majeur de vivant Denis Terrier, maître charpentier,


    18 Journal des débats politiques et littéraires (3 août 1893), p. 3 ; même texte dans Le Figaro 39/214 (3 août 1893), p. 1 (avec « confrère » au lieu de « collaborateur »).

    domicilié à Annecy, consentant par acte passé cejourd’hui, devant maîtres Louis Grivaz et son collègue, notaires en cette ville, et de défunte Louise Excoffier, son épouse, en son vivant ménagère, aussi domiciliée à Annecy, où elle est décédée le dix décembre mil huit cent quatre-vingt-onze ; d’autre part, Décarroz Marie Louise, couturière, âgée de vingt-deux ans, née à Annecy le vingt-quatre décembre mil huit cent soixante- douze, domiciliée à Annecy, où elle demeure, fille majeure de vivants François Décarroz, tailleur de pierres, et Geneviève Vincent, son épouse, ménagère, tous deux domiciliés en cette ville, présents et consentants ; lesquels, après avoir déclaré qu’il n’existe entre eux aucun degré de parenté ni d’alliance, nous ont requis de procéder à la célébration de leur mariage dont les publications ont été faites en cette ville les dimanches vingt-un et vingt-huit juillet dernier, et à Paris (quatrième et cinquième arrondissements) les vingt-huit juillet et quatre août de l’année courante. Et à l’appui de leur réquisition les parties nous ont donné l’acte de consentement du père du futur et les certificats de publications et de non opposition délivrés par les maires des quatrième et cinquième arrondissements de la ville de Paris ; la naissance des futurs et le décès de la mère du futur étant inscrits aux registres de l’état civil déposés au secrétariat de la mairie, nous avons dispensé les parties de produire une expédition authentique des actes. Aucune opposition ne nous ayant été signifiée, nous, officier de l’état civil, après avoir reçu des futurs époux et des personnes présentes pour autoriser le mariage, la déclaration qu’il n’a pas été passé de contrat, avons donné lecture des pièces produites ainsi que des dispositions du code civil relatives au mariage ; après quoi, nous avons demandé aux requérants s’ils veulent se prendre pour époux. Chacun d’eux ayant répondu séparément et affirmativement, nous avons prononcé qu’au nom de la loi, Terrier Henri Claudius et Décarroz Marie Louise sont unis par le mariage. Le tout a été fait publiquement aux lieu, jour et heure indiqués et

    image

    nous en avons immédiatement dressé acte en présence de Terrier Jean, compositeur typographe, âgé de trente-cinq ans, frère germain de l’époux, Décarroz François, chapelier, âgé de vingt-huit ans, frère germain de l’épouse, Encrenaz Claudius, typographe, âgé de vingt-quatre ans, et Laffin Georges, coiffeur, âgé de vingt-huit ans, ces deux derniers non parents avec les nouveaux époux, tous quatre témoins majeurs, domiciliés en cette ville. Lecture faite du présent acte, tous l’ont signé avec nous. — [Signé :]

    Marie Louise Décarroz — H. Terrier — Terrier Denis — Décarrouz Fransos [sic] — Decarroz — Jean Terrier. — Laffin Georges — Encrenaz Claudius — Décarroz Fçois

    —L’officier de l’état civil, C. Dunant. »


  8. Publication de poèmes de Louis à Annecy (1894) 20


    Louis Terrier, Choses et gens d’Annecy (poèmes en patois annécien), Annecy, Hérisson, 1894. — Réédition en fac-similé : Frangy, La Margande, 1994.


    20 AD74 4E 2781.

  9. Décès de Louis à Vichy (1897) 21


    « 87 — Terrier Louis, 38 ans, marié, 7 mai — L’an mil huit cent quatre-vingt-dix-sept le sept mai à quatre heures et demie du soir, par devant nous Pierre Melchior Ferdinand Desbrest chevalier de la Légion d’honneur, maire, officier de l’état civil de la commune de Vichy, chef-lieu de canton, département de l’Allier, ont comparu en la maison commune : Alexis Vigier, trente-huit ans, employé, et Jean Baptiste Mansard, vingt-quatre ans, employé, domiciliés à Vichy, lesquels nous ont déclaré que ce soir à deux heures Louis Terrier, âgé de trente-huit ans, domicilié à Paris, rue Lagrange n°10, rédacteur au Journal des Débats, époux de Louise David, né à Annecy (Haute-Savoie) le vingt-huit juin mil huit cent cinquante-huit, fils de Denis Terrier et de feue Louise Excoffier son épouse, est décédé à l’hôtel d’Amérique situé rue Petit ainsi que nous nous en sommes assurés et les comparants ont signé avec nous le présent acte après lecture faite. — [Signé :] A. Vigier — J. B. Mansart — F. Lesbrest.


  10. Nécrologie orléanaise de Louis (1897) 22


    « Nous avons le regret d’apprendre la mort de M. Louis Terrier, rédacteur en chef de L’Abeille d’Étampes et collaborateur du Journal des Débats.

    Notre estimé confrère n’était âgé que de 39 ans ; il a succombé, à Vichy, aux suites d’une maladie dont il était atteint depuis longtemps. Il laisse une veuve et deux enfants.


    21 AD3 2E 311/22.

    22 Journal du Loiret 80/112 (jeudi 13 mai 1897), p. 3.

    Nous adressons tous nos compliments de condoléances à toute la famille.


  11. Nécrologies bretonne et étampoise de Louis (1897) 23


    LOUIS TERRIER


    Deux ans sont écoulés depuis qu’à cette place Louis Terrier a rendu le dernier hommage à celui dont la mort a été pour lui et pour nous doublement cruelle, à Hippolyte Percher, auquel il avait associé sa vie par une amitié sans limites. Courageusement alors, il avait continué seul dans L’Abeille 1’œuvre commencée et si brillamment menée, et, guidé par cette fidélité éclairée, cette inaltérable confiance dans la cause qu’il défendait, il a lutté pour le triomphe des idées républicaines modérées qu’il estimait avec nous être le salut du pays.

    Il a eu la satisfaction de les voir·se répandre dans presque toutes les communes de notre arrondissement d’Étampes, et si dans quelques-unes l’opinion publique égarée par des compétitions, par des alliances inattendues, y est restée rebelle, du moins la loyauté, la sincérité et la modération de sa polémique lui ont-elles donné droit à l’estime de tous.

    Aujourd’hui c’est lui que nous pleurons.

    Depuis 1884, il nous aidait de son labeur et de son amitié. Ceux qui l’ont connu à Étampes ou à Paris, savent de quelle obligeance éclairée et cordiale il servait ses amis. C’était un rude travailleur, arrivé par son seul labeur à une situation estimée. Il avait débuté au Journal des Débats comme simple


    23 Abeille d’Étampes 86/20 (15 mai 1897), p. 2.

    reporter, et en était devenu pendant la période de la double édition, l’administrateur général. Il avait aidé en plus d’une occasion à la diffusion de l’instruction populaire, et il en fut récompensé par le ruban d’officier d’Académie.


    Ajoutons que ce n’est pas seulement à Étampes qu’il luttait avec ardeur pour la défense de ses convictions républicaines ; en Bretagne, il dirigeait avec succcès le journal L’Union Agricole et Maritime de Quimperlé, qui assura la réélection de

    M. de Kerjégu dont l’avis, dans toutes les questions maritimes fait autorité à la Chambre, et 1’élection du regretté sénateur Rousseau, gouverneur de l’Indo-chine.

    Là-bas, dans ce pays breton qui était devenu pour Louis Terrier un pays d’adoption, — il s’y était marié il y a trois ans

    si profondément attristé comme le plus complet et le plus bel hommage qui puisse être rendu à notre ami regretté.

    Et maintenant, lorsque nous aurons accompagné sa dépouille au champ de l’éternel repos, dans cette terre de Bretagne où sa jeune femme et ses petits enfants pourront chaque jour aller fleurir sa tombe, nous reprendrons l’œuvre pacifique et libérale de nos devanciers : L’Abeille d’Étampes restera demain ce qu’elle était hier, et tout imprégnés de leur souvenir, nous suivrons sans défaillance la voie qu’ils nous ont tracée.

    L’ABEILLE.


    Voici le touchant adieu adressé par M. Le Braz à Louis Terrier dans L’Union Agricole et Maritime de Quimperlé :


    24 Anatole Le Braz (1859-1926) avait été brièvement professeur de philosophie au collège d’Étampes, vers 1880, période pendant laquelle il avait collaboré avec L’Abeille d’Étampes (B.G.).

    « LOUIS TERRIER


    « J’ai la triste mission d’annoncer aux lecteurs de L’Union Agricole et Maritime la perte douloureuse que fait le journal en la personne de son directeur, M. Louis Terrier. Je sens d’avance, au moment de prendre la plume, que je m’acquitterai fort mal de cette tâche. La mort de Louis Terrier me frappe, en effet, dans une de mes affections les plus chères, et mon émotion présente est trop vive pour que je puisse parler dignement de l’ami qui vient de m’être enlevé. Il est difficile de retracer comme il faudrait une physionomie qu’on ne peut plus regarder au fond de soi, qu’à travers un brouillard de larmes.

    « Et puis, vraiment, je suis incapable de me faire à cette idée que Louis Terrier n’est plus. Il y a six mois à peine, il m’apparaissait encore si plein de vie, de force sereine, menant de front les besognes les plus multiples avec cette ardeur tranquille, cette aisance sérieuse et calme qu’on ne se lassait point d’admirer en lui ! Car c’était un homme complet, celui-là, et qui réalisait à un degré rare le parfait équilibre des facultés humaines : intelligence lucide et volonté droite, toujours de sens rassis, ouvert à toutes les idées, rebelle à tout fanatisme, il avait, par surcroît, le cœur le plus généreux et la conscience la plus probe. C’était une âme haute et salubre, comme ces montagnes de Savoie où il naquit, où vit encore sa famille et d’où, ses études achevées, il s’achemina vers Paris pour s’y tailler une place. Que de fois en nos causeries d’antan, ne m’a-t-il pas raconté ses premiers rêves, ses premiers efforts, ses premières luttes ! Il aimait à se retremper dans ces souvenirs de son passé, comme à la source de ses plus belles énergies. Le destin mit sur sa route Hippolyte Percher (Harry Alis) dont la mémoire, voilée d’un crêpe si tragique, n’est certainement pas tombé en oubli auprès des lecteurs de cette feuille. Percher, observateur aigu, se connaissait en hommes. Tout de suite, il s’associa ce montagnard viril et doux, l’adopta pour frère d’armes. Il le fit

    entrer avec lui au Parlement, puis aux Débats. Cette profession si décriée par des gens qui n’en jugent que d’après quelques aventuriers malpropres, Louis Terrier est de ceux qui l’ont le plus honorée depuis leurs débuts jusqu’à leur fin.

    « Je n’ai pas à dire ici quelle a été sa carrière parisienne. Les hautes personnalités qui président aux destinées du Journal des débats rendront à ce travailleur acharné l’hommage auquel il a droit et veilleront à ce qu’il ne s’en aille point dans l’éternel repos, sans qu’une plume plus autorisée que la mienne rappelle ses brillants états de services. Quant aux circonstances dans lesquelles il prit en main la direction de L’Union Agricole et Maritime, il y a peu de nos lecteurs qui ne s’en souviennent. Il s’agissait d’amener à la République des adhésions encore hésitantes, des esprits insuffisamment éclairés ou même des récalcitrants qu’aveuglaient de trompeuses images. Nul n’était mieux fait que Louis Terrier pour conduire à bien cette campagne d’apaisement, de réconciliation, d’unification de toutes les bonnes volontés dans une large et hospitalière conception de l’intérêt commun. Le spectacle politique que présente aujourd’hui l’arrondissement de Quimperlé est en grande partie son œuvre. L’entreprise était délicate : il sut y

    apporter le tact qu’il fallait. Point de personnalités25 irritantes, point de sectarisme, une lumière paisible, toujours égale,

    désillant les yeux sans les blesser. Telle fut sa méthode. C’était la seule qui convînt à son tempérament, la seule aussi qui eût chance de réussir auprès de populations auxquelles il avait accepté de prêcher la bonne parole. Relisez ces articles honnêtes et francs, signés : Jacques Rude ; comment l’accent de sincérité, de droiture, de tolérance et de simplicité qui s’en dégage n’eût-il pas séduit des âmes bretonnes ?


    25 C’est-à-dire d’attaques personnelles (B.G.)

    « L’effet en fut sûr et prompt. Bientôt L’Union Agricole et maritime franchit, par une sorte d’expansion naturelle, les frontières qu’elle s’était d’abord assignées, gagna les arrondissements limitrophes, poussa des pointes en dehors du pays cornouaillais, devint une lecture du dimanche jusque sous les chaumes trégorrois. Louis Terrier en éprouvait une satisfaction qu’il ne chercha à point déguiser. Car, cette Bretagne qu’il rêvait de conquérir à des idées plus modernes, après l’avoir étudiée pour la comprendre, il en était venu rapidement à l’aimer. Il l’avait parcourue tout entière, non en touriste de passage, mais en observateur curieux, attentif, passionné. Et, quand il l’eut pénétrée, elle le charma.

    « Décidément, m’écrivait-il un jour, une part de mon âme devient vôtre ». Il ne croyait pas alors si bien dire. Moins de quatre ans après, il prenait ses lettres de grande naturalisation en épousant une Bretonne… Et voici que je ne me sens plus le courage de continuer. Ces noces d’un caractère si local, là-haut, dans le vert pays de Tréméven, elles sont presque d’hier ! Avec quelle joie nous lui faisions cortège· sous les voûtes de la vieille église rustique, aux cintres surbaissés !

    « L’ère d’un long bonheur semblait s’ouvrir devant lui. Il n’en a goûté que les premières ivresses. Sa toute jeune femme vient de lui fermer les yeux, dans la banalité sinistre d’une ville d’eaux, à Vichy; les deux orphelins qu’il laisse ne l’auront même pas connu !...

    « De cette vaillante famille des Terriers, il est le second qui tombe pour la cause de l’idée bretonne.

    « L’autre, son frère cadet, nous l’enterrions, il y a quatre ans à peine, sur une des hauteurs qui dominent Quimperlé. À côté de l’ancienne fosse une fosse nouvelle va s’ouvrir. Je ne doute pas que sur ses bords on ne s’empresse nombreux ; et je suis sûr aussi d’être à cette place, l’interprète de tous les lecteurs de ce journal, en offrant aux deux familles si cruellement atteintes l’expression d’une condoléance émue. Pour moi, je n’hésite pas

    à considérer la mort de Louis Terrier, non comme un deuil personnel, mais comme un deuil breton.

    « A. Le Braz.

    « Quimper, Stang-ar-C’hoat, 7 mai 1897.


  12. Nécrologie parisienne de Louis (1898) 26

    M. Louis Terrier, né à Annecy (Haute-Savoie), le 27 juin 1858, décédé à Vichy, le 7 mai 1897, a été inhumé le dimanche 16 mai 1897, à Tréméven (Finistère), après un service religieux à l’église paroissiale.

    Entré au Journal des Débats le 1er janvier 1884, et attaché au service des informations.

    Détaché le 23 mars de l’année suivante à Quimperlé pour organiser le journal républicain L’Union agricole et maritime.

    Rentré au service des informations du Journal des Débats, le 1er décembre, tout en conservant le titre et les fonctions de directeur de L’Union agricole et maritime que M. Terrier a dirigé de Paris, depuis ce temps.

    M. Terrier a pris, le 1er mai 1891, les fonctions de secrétaire de rédaction du Journal des Débats, qu’il a conservées jusqu’au 1er janvier 1893, date à laquelle il a été choisi par la nouvelle

    société du journal comme secrétaire général des services administratifs.

    Depuis deux ans, M. Louis Terrier était chargé, aux Débats, de la rédaction parlementaire du Sénat.

    Il était, en outre, rédacteur en chef de L’Abeille d’Étampes.

    M. Terrier s’était engagé, en 1870, dans l’administration de l’armée. Il avait été nommé officier de réserve après sa libération, et il était officier d’administration adjoint de 2e


    26 Bulletin de l’Association des journalistes parisiens 13 (15 avril 1898),

    pp. 21-22.

    classe du cadre auxiliaire des Bureaux de l’intendance militaire.

    |22

    M. Louis Terrier était officier de l’ordre du Nicham Iftikhar de Tunisie (1886), de l’ordre royal du Cambodge (1889), et officier d’Académie (1889) pour services rendus à l’instruction publique.

    Il faisait partie de l’Association depuis le 20 février 1889. (Voir page 46, le Rapport du Comité.) […]|23-46 […]

    LOUIS TERRIER.

    M. Louis Terrier, très jeune encore, avait, comme tant de nos confrères, une existence entièrement consacrée au travail.

    Il ne se contentait pas de servir ses idées dans un des journaux les plus réputés, le Journal des Débats, dont il était devenu le secrétaire général, en même temps que l’informateur parlementaire, il avait, en outre, organisé un journal républicain dans le Finistère et il dirigeait lui-même L’Union agricole et maritime.


  13. Mariage de Léon à Étampes (1899) 27


    « N°54 — Terrier et Égré — L’an mil huit cent quatre-vingt- dix-neuf, le lundi vingt-trois octobre, à dix heures et demie du matin, par devant nous, Édouard Joseph Béliard, maire de la ville d’Étampes, officier de l’état civil de la dite ville, département de Seine-et-Oise, officier d’académie, sont comparus Léon Francis Terrier, comptable âgé de trente ans, demeurant à Étampes rue de la Juiverie numéro vingt-quatre, né en la ville d’Annecy département de la Haute-Savoie le premier juillet mil huit cent soixante-neuf, fils majeur de Denis Terrier,


    27 AD91 4E 3647.

    entrepreneur de charpente, âgé de soixante-sept ans, demeurant en la ville d’Annecy place du Théâtre, et de Louise Excoffier, son épouse, décédée au même lieu le dix décembre mil huit cent quatre-vingt-onze. Et demoiselle Marguerite Charlotte Égré, brodeuse âgée de dix-sept ans, demeurant à Étampes place de l’Hôtel-de-Ville, numéro premier, avec ses père et mère, et y étant née le deux juillet mil huit cent quatre-vingt-deux, fille mineure de Germain Edmond Égré, employé au chemin de fer d’Orléans, âgé de cinquante-trois ans, et de Marie Sylvie Picandet, son épouse, sans profession, âgée de quarante-deux ans, tous deux demeurant à Étampes place et numéro susdits, ici présents et consentants au mariage de leur fille. Lesquels nous ont présenté leurs actes de naissance, l’acte de décès de la mère du futur, le consentement donné au présent mariage par le père du futur le six septembre dernier devant monsieur l’adjoint au maire de la ville d’Annecy, officier de l’état civil, enregistré et légalisé au même lieu le dit jour et les actes de publication du présent mariage faits en cette mairie les deux dimanches premier et huit octobre présent mois sans opposition. Ici les futurs époux avec les père et mère de la future nous ont déclaré qu’il n’a pas été fait de contrat de mariage. Et après avoir vérifié sur nos registres de l’état civil l’acte de naissance de la future, nous avons visé pour être annexées les autres pièces énoncées ci-dessus et nous avons donné lecture du tout aux parties comparantes assistées des quatre témoins ci-après nommés et qualifiés, ainsi que du chapitre six du titre du mariage sur les droits et devoirs respectifs des époux. Ensuite nous avons reçu la déclaration de Léon Francis Terrier qu’il prend pour son épouse la demoiselle Marguerite Charlotte Égré, et celle de la demoiselle Marguerite Charlotte Égré qu’elle prend pour son époux Léon Francis Terrier. En conséquence nous avons déclaré au nom de la loi que Léon Francis Terrier et Marguerite Charlotte Égré sont unis par le mariage. Tout ce que dessus fait publiquement à Étampes, en l’hôtel de la mairie, les

    image

    dits jour, mois en an, en présence de Paul Louis Ollivier Lecesne, imprimeur, âgé de cinquante-deux ans, ami de l’époux, demeurant en cette ville, Auguste Jean François Terrier, publiciste, âgé de vingt-sept ans, frère de l’époux, demeurant à Paris rue de Bourgogne numéro trente-six, Charles Égré coiffeur âgé de quarante-huit ans, oncle de l’époux, demeurant à Bourges (Cher), et de Ernest Labbé, négociant âgé de trente-un ans, ami des époux, demeurant à Étampes, qui ont signé avec les époux, les père et mère de l’époux et nous maire sus-nommé, après lecture faire. — [Signé :] M. C. Égré — Terrier Léon — E. Égré — Silvie Picandet — O. Lecesne — A. Terrier — Ch. Égré — E.

    Labbé — E. Béliard. »


  14. Léon Francis journaliste de Seine-et-Oise en 190028


    Les journalistes de Seine-et-Oise se sont réunis hier à Versailles, au Dîner Français, sous la présidence de M. Arthur Bailly, directeur du Courrier de Versailles et de Seine-et-Oise.

    Le Syndicat qu’ils ont formé et dont ils ont élaboré les statuts, prendra le titre de Syndicat des Journalistes de Seine-et-Oise. Ont été nommés : MM. Victor de Bonaffos, rédacteur en chef du Journal de Versailles et de Seine-et-Oise, président ; Jacquemin, de la Tribune de Seine-et-Oise, vice-président ; Guichon, rédacteur en chef de la Rive Gauche, syndic ; d’Angluse, rédacteur au Petit Journal, secrétaire ; Arthur Bailly, trésorier.

    Ont été nommés, en outre, membres du comité d’organisation : MM. Léon Terrier, de L’Abeille d’Étampes ;


    28 Le XIXe siècle 11.182 (22 octobre 1900), p. 2.

    Phavidier, de L’Abeille de Corbeil ; Beaumont, du Journal de Mantes ; Jean Vilain, du Républicain de Pontoise ; Jules Maillard, du Progrès de Rambouillet ; et Paul Espéron, du Réveil de Seine-et-Oise.


  15. Mariage d’Auguste à Étampes (1901) 29


    « N°1 — Terrier et Lecesne — L’an mil neuf cent un, le lundi sept janvier, à onze heures du matin, par devant nous, Pierre Jules Frédéric Louis, maire de la ville d’Étampes, officier de l’état civil de la dite ville, département de Seine-et-Oise, sont comparus Auguste Jean François Terrier, secrétaire général du comité de l’Afrique française, âgé de vingt-sept ans, demeurant à Paris rue de la Bourgogne numéros trente-six et trente-huit, septième arrondissement, né en la ville d’Annecy département de la Haute-Savoie, le onze juillet mil huit cent soixante-treize, fils majeur de Denis Terrier, ancien entrepreneur de charpente, âgé de soixante-huit ans, demeurant en la ville d’Annecy place du Théâtre, et de Louise Excoffier, son épouse, décédée au même lieu le dix décembre mil huit cent quatre-vingt-onze. Et demoiselle Renée Charlotte Albertine Lecesne, sans profession, âgée de vingt-quatre ans, demeurant à Étampes rue Saint- Jacques numéro vingt-neuf, avec ses père et mère, née en la ville de Château-Thierry, département de l’Aisne, le douze mars mil huit cent soixante seize, fille majeure de Louis Paul Olivier [sic] Lecesne, imprimeur âgé de cinquante-trois ans et de Mathilde Élisabeth Allien, son épouse, sans profession, âgée de cinquante ans, demeurant ensemble à Étampes rue Saint- Jacques numéro susdit, ici présents et consentants au mariage


    29 AD91 4E 3647.

    de leur fille. Lesquels nous ont présenté leurs actes de naissance, l’acte de décès de la mère du futur, le consentement donné au présent mariage par le père du futur le vingt-quatre décembre dernier devant monsieur Bock maire de la ville d’Annecy, officier de l’état civil, enregistré et légalisé un certificat délivré le trente décembre mil neuf cent, par maître Prat Marca notaire à Étampes, constatant que les futurs époux ont fait un contrat mariage devant lui le dit jour, et les actes de publication du présent mariage faits tant en cette mairie qu’en celle de Paris, septième arrondissement, les deux dimanches vingt-trois et trente décembre de l’année dernière sans opposition . Et après avoir visé ces pièces, nous en avons donné lecture aux parties comparantes assistées des quatre témoins ci- après nommés et qualifiés, ainsi que du chapitre six du titre du mariage sur les droits et devoirs respectifs des époux. Ensuite nous avons reçu la déclaration de Auguste Jean François Terrier qu’il prend pour son épouse la demoiselle Renée Charlotte Albertine Lecesne, et celle de la demoiselle Renée Charlotte Albertine Lecesne qu’elle prend pour son époux Auguste Jean François Terrier. En conséquence nous avons déclaré au nom de la loi que Auguste Jean François Terrier et Renée Charlotte Albertine Lecesne sont unis par le mariage. Tout ce que dessus fait publiquement à Étampes, en l’hôtel de la mairie, les dits jour, mois en an, en présence de messsieurs Edmond Marcel Dubois, professeur à la Sorbonne, âgé de quarante-quatre ans, chevalier de la légion d’honneur, demeurant à Paris, 76 rue Notre-Dame-des-Champs, sixième arrondissement, ami des époux, Roch Auguste Henri Lecesne, propriétaire, âgé de cinquante-huit ans, demeurant à Châteaudun, Eure-et-Loir, cousin de l’épouse, Étienne Alfred Léonore de Valèche, directeur du Journal des débats, âgé de trente-cinq ans, demeurant à Paris, 40 rue de Berlin, huitième arrondissement, ami de l’époux, et Marie Joseph Laurent Amodru, député, vice- président du conseil général de Seine-et-Oise, âgé de cinquante-

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    un ans, demeurant à Paris, avenue des Champs Élysées, numéro soixante-six, ami de l’époux, qui ont signé avec les époux, les père et mère de l’époux et nous maire sus-nommé, après lecture faire. — [Signé :] A. Terrier

    Léon — R. C. A. Lecesne — V — O. Lecesne — M. Allien

  16. Recensement d’Étampes (1901) 30

    Le recensement de 1901 trouve à Étampes :

    sans profession, son épouse ; 3° Henri Terrier, 6 mois, son fils.


  17. Recensement d’Étampes (1906) 32

    Le recensement de 1906 trouve à Étampes :


    30 AD91 6M 125.

    31 Les almanach d’Étampes pour 1901 et 1902 (le premier édité à l’extrême fin de 1900) montrent tout deux Terrier à cette adresse.

    32 AD91 6M 126.


  18. Pourquoi Auguste mérite la Légion d’honneur (1906) 33


    1. Éléments présentés par l’intéressé.


      Terrier Auguste-Jean-François, né à Annecy le 11 juillet 1873.

      • Rédacteur du Bulletin du Comité de l’Afrique française de 1891 à 1893. — Secrétaire-adjoint au Comité de 1893 à 1897.

      • Secrétaire général depuis 1898. — Secrétaire général du Comité du Maroc depuis sa fondation. — Membre de la commission chargée de préparer la participation du ministère des colonies à l’exposition universelle de 1900. A rédigé en cette qualité le 1er volume de la série des publications de l’Exposition coloniale, Un siècle d’expansion coloniale,


      33 Archives nationales, dossier 19800035/1244/43579.

      rapport sur les explorations du XIXe siècle. A dressé en outre pour le volume du ministère des colonies la notice relative aux auxiliaires de la colonisation. — Médaille d’or de l’Exposition.


      Lauréat de l’académie française (prix d’histoire Marcellin- Guérin 1902), de la Société de géographie de Paris (1902) et de la Société de géographie commerciale (prix Castonnet des Fosses, 1902). — Licencié en droit de la faculté de Paris.


      Voyages en Afrique : 1899. Délégation du Comité de l’Afrique française au congrès de géographie qui sous la présidence de MM. Laferrière et de Brazza étudia la question des chemins de fer sahariens. Voyage dans le Sud constantinois et en Tunisie. — 1901. Voyage d’études en Algérie et en Tunisie. — 1904. Voyage d’études sur la côte du Maroc, d’Oran à Tanger. Délégation de l’Alliance française à Tanger pour arrêter le programme scolaire au Maroc. — 1905. Mission d’études du comité du Maroc sur la côte ouest, de Tanger à Mogador. Préparation des missions Leclerc, Dyé, Dehors, etc.


      Au Comité de l’Afrique française et au Comité du Maroc M. Terrier a été l’organisateur et l’auxiliaire de toutes les missions d’études accomplies en Afrique en ces dernières années. Il a notamment pris une part active à la préparation des missions Cazemajoin, Bretonnet, Gentil, Thomas, etc.


      Dans le Bulletin qu’il dirige il a défendu les intérêts de la politique française notamment dans les affaires du Niger et du haut Dahomey. — A été correspondant du Journal Égyptien, organe des intérêts français au Caire, jusqu’à la disparition de ce journal en 1899. — A dirigé le journal de Tanger Le Maroc.

      — Nombreuses conférences et articles dans les principales revues coloniales.

    2. Éléments retenus par le ministère du commerce.


      République française Légion d’honneur — Ministère du commerce et de l’industrie — Légion d’honneur.


      Nom : Terrier — Prénoms : Auguste, Jean, François — Date et lieu de naissance : le 11 juillet 1873 à Annecy (Haute- Savoie) — Domicile : 17 avenue de Tourville, Paris — Situation : Directeur de l’office du gouvernement chérifien et du protectorat de la République — Grades universitaires : licencié en droit ; lauréat de l’académie française.

      Services militaires : services auxiliaires (classe 1893) — Durée total des services : 21 annés — Situation diverses (fonctions électives, professions) : Secrétaire général du Comité de l’Afrique française et du Comité du Maroc ; conseiller du Commerce extérieur. — Missions à l’étranger, dans les colonies : Rapport sur l’expansion française au 19e siècle ; membre de la Commission du ministère des colonies.

      Publications littéraires, scientifiques, artistiques : Publication du ministère des colonies ; Exposition de 1900 ; La formation territoriale de l’Afrique occidentale française.

      Distinctions honorifiques : Chevalier de la Légion d’honneur en avril 1906. —

      Détail des services extraordinaires rendus par le candidat : Délégué pour le Maroc aux expositions de Marseille et de Londres.

      Observations : Délégué du Maroc à l’exposition de Gand.

      Le ministre du Commerce et de l’industrie certifie, en outre, qu’il résulte de l’enquête que la moralité de M. Terrier permet son admission dans l’Ordre de la Légion d’honneur.


      À Paris, le …. 191…. — Le ministre du commerce et de l’industrie. — [Signé :] Peret.

    3. Éléments retenus par le ministère de l’instruction.


      République française — Ministère de l’instruction publique et des beaux-arts — Renseignements produits à l’appui du projet de décret tendant à nommer chevalier de la Légion d’honneur un candidat n’ayant pas le temps de services exigé par l’article 11 du décret du 16 mars 1852.


      Nom et prénoms : Terrier Auguste Jean François — Date et lieu de naissance : 11 juillet 1873 à Annecy (Haute Savoie) — Domicile : 15, rue de la Planche (7e arrondissement) — Nationalité : française — Situation : Secrétaire du Comité de l’Afrique française et du Comité du Maroc. — Grades universitaires : licencié en droit.

      Services militaires : classé dans les services auxiliaires de l’armée.

      Services civils : conseiller du commerce extérieur de la France 1904 ; membre de la commission chargée de préparer la participation du ministère des colonies à l’exposition universelle de 1900 ; chargé par le ministère des colonies en 1900 du rapport sur les missions d’exploration au 19e siècle (Un

      siècle d’exploration coloniale, 1902) ; organisation, avec le ministère des colonies, de missions d’exploration et d’enquête en Afrique (missions Baud, Bretonnet, Hourst, Cazemajoin, Foureau, Lamy, etc.) ; a dresssé pour le ministère des colonies en 1900 la Notice sur les Auxiliaires de la Colonisation ; attaché au comité de l’Afrique de 1890 à 1897 ; secrétaire général du Comité depuis 1897 ; secrétaire général du Comité du Maroc depuis sa fondation, 1904.

      Missions à l’étranger, dans les colonies : délégation du Comité de l’Afrique française au congrès de géographie d’Alger 1899 et voyage dans le Sud constantinois et en Tunisie ; voyage en Tunisie, Algérie et frontière marocaine en 1901 ; mission de l’Alliance française à Tanger et du Comité du

      Maroc sur la côte septentrionale (juillet-août 1904) pour la réorganisation des écoles de l’alliance au Maroc ; voyage à Tanger et dans le Maroc occidental (avril-mai 1905) avec mission du Comité du Maroc et de l’Alliance française (création de groupes français à Mazagan et Mogador).

      Services rendus dans les établissements de bienfaisance, les commissions, etc. : Commission du commerce extérieur (ministère du commerce) ; commission d’organisation de l’exposition coloniale de Marseille.

      Publications, titres littéraires, scientifiques, artistiques : lauréat de l’académie française (prix d’histoire Marcellin- Guérin 1902) ; volume : Un siècle d’expansion coloniale, publié par le ministère des colonies dans la collection de 1900 ; lauréat de la Société de géographie de Paris et de la Société de géographie commerciale (1902) ; direction depuis 1897 du Bulletin du Comité de l’Afrique française et de la série de publications du Comité du Maroc ; conférences à la Société de géographie commerciale, à la Ligue de l’enseignement ; ancien correspondant du Journal Égyptien, organe des intérêts français en Égypte, et direction du journal français deTanger, Le Maroc.

      Distinctions honorifiques : officier d’académie ; médaille d’or de collaborateur à l’exposition de 1900.

      Détails sur les services extraordinaires rendus par le candidat :

      M. Terrier, en qualité de secrétaire général du Comité de l’Afrique française, a été l’organisateur et le collaborateur de toutes les missions accomplies en Afrique en ces dernières années : il a notamment pris une part personnelle très active à la préparation des missions du Niger et du Chari. Dans le Bulletin qu’il dirige, M. Terrier a défendu, sous la haute direction de la Direction de l’Afrique au ministère des colonies, les résultats des missions françaises et les intérêts menacés par nos concurrents allemands et anglais. M Terrier a été, sous la présidence de MM. Étienne et Guillain, l’organisateur du Comité du Maroc et des missions formées par ce Comité. Il a

      lui-même rempli une mission en Algérie Tunisie pour le Comité du Maroc et l’Alliance française.

      Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts certifie, en outre, qu’il résulte de l’enquête que la moralité de M. Terrier permet son admission dans l’ordre de la Légion d’honneur.


      Paris, le 20 janvier 1906. — Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, [Signature illisible]


  19. Léon, rue Magne (1909) 34


    L’annuaire d’Étampes pour 1909 mentionne maintenant :

    « Terrier Léon, comptable, rue Magne, 1 ».


  20. Recensement d’Étampes (1911) 35

    Le recensement de 1911 trouve à Étampes :


    34 AD91 6M 127.

    35 AD91 6M 127.

    3° Henri Terrier, né à Étampes en 1900, son fils ; 4° Olivier Terrier, né à Étampes en 1902, son fils .


  21. Auguste à Étampes (1912-1913) 36


    Il semble bien d’après les annuaires de ces deux années qu’Auguste Terrier a habité quelque temps à Étampes, précisément au n°29 de la rue Saint-Jacques, c’est-à-dire chez Ollivier Lecesne, beau-père de son défunt ami Harry Alis, car on y lit : « Terrier A., publiciste, 29 rue Saint-Jacques ».


  22. Mariage de Léon Louis à Annecy en 1913 37


    « Par acte en date du 5 avril mil neuf cent treize inscrit le même jour à la mairie de Annecy, [blanc] dont la naissance est constatée dans l’acte ci-contre a contracté mariage avec Mugnier Jeanne Franceline, dont mention faite par nous greffier du tribunal d’Annecy le 2 août mil neuf cent quatorze.— [Signé :] Denivet. »


  23. Auguste mérite de passer officier de la Légion (1914) 38


    République française — Ministère des affaires étrangères — Direction des affaires politique et commerciales — Maroc — N°412. A. S. de M. Terrier — Paris, le 9 avril 1914. — Le


    36 Almanach de 1912, p. 157 ; et de 1913, p. 153. Mais il faut noter que ces listes contiennent par ailleurs des erreurs manifestes, notamment dans ce passage.

    37 Première mention marginale à son acte de naissance de 1889 à Annecy, AD74 4E 2781.

    38 Archives nationales, dossier 19800035/1244/43579.

    Président du Conseil, ministre des affaires étrangères, à monsieur le ministre du commerce et de l’industrie (Direction des transports et des Expositions)


    La participation de mon Département à l’Exposition de Gand, pour laquelle le Parlement avait accordé un crédit spécial, a consisté dans l’exposition du Maroc à laquelle a été délégué M. Auguste Terrier, directeur de l’Office du gouvernement chérifien et du Protectorat de la République française au Maroc. Ainsi que vous le savez, l’exposition du Maroc à Gand a été très remarquée. C’était la première fois que le Maroc français

    participait à une exposition.

    Le délégué a présenté le Maroc avec les documents les plus complets et les plus variés, à la fois au point de vue économique, au point de vue historique, au point de vue agricole, au point de vue pittoresque et au point de vue scientifique. De l’avis général, le pavillon du Maroc a été le principal attrait de la Section Coloniale française et c’est avec succès qu’il a paru devant le jury international, qui lui a accordé :

    1° au titre « Exposants » : 13 grands prix

    7 diplômes d’honneur

    19 médailles d’or

    16 médailles d’argent 20 médailles de bronze 6 mentions honorables

    2° au titre « Collaborateurs » : 6 diplômes d’honneur

    53 médailles d’argent Soit en tout 140 récompenses.

    Dans ces conditions, j’estime qu’il serait équitable de reconnaître l’effort ainsi accompli en inscrivant dans la liste des décorations de la promotion de l’Exposition de Gand le seul

    délégué de mon Département qui a figuré à cette exposition et je vous serais très obligé de bien vouloir reconnaître les excellents services que M. Terrier a rendus à la cause marocaine en lui réservant une des 45 croix d’officier de la Légion d’Honneur qui ont été mises à la disposition de votre ministère.

    [Signé : ] P. de Margerie.


  24. Léon gérant de L’Abeille au début de 1914


    Le numéro de L’Abeille d’Étampes du 7 février 1914 mentionne encore Lecesne-Allien comme « directeur » autant que comme « imprimeur gérant », tandis que le numéro suivant du 14 février mentionne seulement « Léon Terrier, gérant. »


  25. L’Imprimerie Terrier et la Guerre (1914-1924) 39



    Jean Fontaine-Vive (1895-1917), Lieutenant Jean Fontaine- Vive. Fleurs printanières (in-8° ; 115 p. ; portrait ; préface de Joseph Désormaux, 1867-1933), Étampes, Terrier frères, 191941.


    40 Compte-rendu dans la Revue Savoisienne 60 (1919), p. 188 : « Voix de la guerre, par Mathilde Désormaux. Étampes, Terrier, 1919. — Nous signalons avec plaisir cette élégante plaquette, qui a été éditée, avec beaucoup de goût par notre confrère Léon Terrier, et dont quelques pièces viennent d’obtenir une mention honorable à l’Académie de Savoie. — Les vers de Mlle Désormaux sont écrits sans affectation : le style est naturel et se ressent d’une longue fréquentation des bons auteurs. Les idées sont nettes et témoignent d’une maturité d’esprit plutôt rare chez une jeune fille. Nos lecteurs connaissent déjà l’Église abandonnée, qui a paru dans la Revue Savoisienne. Ils apprécieront comme nous Les morts fécondes, Aux Soldats de France, Le Rêve, etc. Mlle Désormaux sent ce qu’elle écrit, et communique son émotion aux lecteurs : ce sont bien là les signes qui caractérisent le véritable talent poétique. Tous nos compliments. — F. M. »

    41 Compte-rendu dans la Revue Savoisienne 60 (1919), p. 120 : « Séance

    du 23 décembre 1919. […] M. Désormaux présente, pour la Bibliothèque Florimontane, le premier exemplaire d’un volume qui vient de paraître et dont il a préparé l’édition : Fleurs printanières. Cet élégant ouvrage, sorti des presses des habiles artistes que sont les imprimeurs savoyards Terrier frères (Étampes, 1919), contient les premiers vers d’un jeune poète

    Ville d’Étampes, Troisième (3e) fête des fleurs, au bénéfice des gazés de la guerre de l’arrondissement d’Étampes (22 cm ; non paginé ; illustrations dont la couverture de Louis Icart, 1888-1950), Étampes Terrier frères, 1924.


  26. Décès de Henri à Étampes (1921) 42


CARNET DE DEUIL


La famille de nos directeurs et rédacteurs vient d’être cruellement éprouvée. M. Henri Terrier, secrétaire administratif du Comité de l’Afrique Française et du Comité de l’Asie Française, est décédé dans la nuit de samedi à dimanche, à l’âge de 49 ans, chez son frère, M. Jean Terrier, 4, rue de la Plâtrerie, à la suite d’une longue et cruelle maladie.

Henri Terrier avait appartenu pendant de longues années aux services administratifs du Journal des Débats, qu’il dut se résoudre à quitter par suite de fatigue. Les services qu’il avait rendus à la presse lui valurent d’être nommé officier d’académie.

Plusieurs de ses anciens collègues sont venus se joindre à ceux de nos concitoyens qui ont bien voulu suivre son cercueil. MM. Terrier frères, ainsi que Mme veuve Henri Terrier et la


annécien, le lieutenant Jean Fontaine-Vive (1895-1917), mort au champ d’honneur. Outre ces premières « fleurs », M. Désormaux a recueilli dans ce volume des « Poèmes écrits pendant la guerre » (complément de la belle plaquette parue antérieurement sous le titre de Jeunesse Ardente), des extraits de la correspondance adressée par Jean Fontaine-Vive à sa famille, et une série de Poèmes nouveaux. Le recueil, ornée d’un portrait, est précédé d’une préface et d’une biobibliographie dues à M. J. Désormaux.

42 L’Abeille d’Étampes 110/11 (13 mars 1921), p. 2.

famille les remercient vivement les uns et les autres de cette marque de sympathie à laquelle ils sont très sensibles.


[…] États civils — Commune d’Étampes. […] Décès […] Du

5. Henri-Claudius Terrier, secrétaire administratif du Comité de l’Afrique Française, 49 ans, rue de la Plâtrerie, 4. […]


  1. Remarques historiques de Jean (1923) 43


    « Académie Florimontane — Annecy. — Séance du 11 avril 1923 . […]

    « Notre collègue M. Jean Terrier, imprimeur à Étampes, écrit qu’en parcourant L’Abeille d’Étampes de 1860, il a trouvé, à la date du 30 juin, un article qui rend compte de la manière dont le curé de Boissy-la-Rivière a célébré la réunion de la Savoie à la France. Le 17 juin, ce curé, l’abbé Joseph Bel, de Rumilly, “est monté en chaire et a témoigné, d’une voix émue, toute sa reconnaissance aux événements qui lui avaient rendu le titre de citoyen français, et il a fini son allocution en invitant ses paroissiens à se rendre, à l’issue de l’office, au presbytère, où

    une collation toute fraternelle les attendait pour fêter en commun l’annexion”. |46

    « L’abbé Bel desservit pendant 36 ans la paroisse de Boissy- la-Rivière (Seine-et-Oise), et y mourut le 22 décembre 1880.

    « M. Terrier ajoute que d’autres ecclésiastiques savoyards occupaient des postes dans le diocèse de Versailles et il cite M. l’abbé Bize, curé de Saclas, et M. l’abbé Quenard, curé de Guillerval. »


    43 Revue Savoisienne 64 (1923), pp. 46-46 et 150

    « Académie Florimontane — Annecy. — Séance du 3 octobre 1923.

    « M. Jean Terrier, imprimeur à Étampes, nous adresse une liste de quinze prêtres savoyards qui ont exercé leur ministère dans le diocèse de Versailles, au cours du XIXe siècle. Ces prêtres avaient été recrutés en Savoie par Mgr Mabille, évêque de Versailles, qui lui-même avait pris en main toutes les formalités d’incorporation, veillant avec un soin jaloux à ce que son personnel fût une élite. »


  2. Annuaire d’Étampes (1925) 44


    « Terrier, Léon, directeur de L’Abeille d’Étampes, rue Saint- Jacques, 130.

    « Terrier Jean, directeur d’imprimerie, rue de la Plâtrerie, 4.

    « Terrier, Léon, fils, rédacteur de L’Abeille d’Étampes, rue des Cordeliers, 31 bis. »


  3. Décès de Jean à Annecy (1925) 45

    Séance du 1er juillet 1925. — Présidence de M. Miquet, président. La séance est ouverte à 17 heures. Après lecture du procès-verbal de la réunion précédente, qui est approuvé, le Président s’exprime ainsi :

    « Messieurs,

    « Nous avons appris avec un vif regret la mort, de notre excellent collègue, M. Jean Terrier, maître-imprimeur à Étampes, décédé le 7 juin dernier, à Annecy, sa ville natale, à


    44 Almanach d’Étampes pour 1925, p. 179.

    45 Revue savoisienne 66 (1925), p. 124.

    laquelle il était venu, depuis quelques semaines, demander un allégement à ses souffrances.

    « Pendant plus de quarante années, M. Terrier, professionnel hors de pair, prote consciencieux et averti, s’était fait remarquer à l’imprimerie Abry par ses mérites et le soin qu’il apportait à la composition de la Revue Savoisienne, et la Florimontane lui avait accordé, dans son assemblée générale du 14 janvier 1914, une médaille d’honneur en témoignage de gratitude.

    « Peu de temps avant la grande guerre, il avait acquis à Étampes, une imprimerie dont l’importance était en rapport avec ses aptitudes, mais il n’oubliait pas son pays, et il nous envoyait en 1923 deux communications sur des ecclésiastiques savoyards qu’il avait découverts dans le diocèse de Versailles.

    « Nous garderons de M. Terrier le meilleur souvenir. J’adresse à sa veuve et à ses fils, ainsi qu’à toute sa famille et spécialement à notre éminent collègue, M. Auguste Terrier, nos respectueuses condoléances. »


  4. Nécrologie de Jean dans L’Abeille (1925) 46


    JEAN. TERRIER


    L’Abeille d’Étampes a la douleur de faire part à ses lecteurs et à ses amis de la mort du directeur de son imprimerie, M. Jean Terrier, décédé dimanche 7 juin, à l’âge de 66 ans, à Annecy (Haute-Savoie).

    Originaire de ce pays, Jean Terrier entra à 1’âge de 13 ans dans une imprimerie ·semblable à la nôtre où il fit son apprentissage dans les dures conditions où on le faisait


    46 L’Abeille d’Étampes (juin 1925), p. 1.

    autrefois. Puis, une fois ouvrier, il partit à Genève, ville où la typographie était en honneur, pour se perfectionner dans sa profession. C’était en effet un ouvrier de l’ancienne école, un artisan qui considérait son métier comme un art. Il en avait fait le but de sa vie et dans maints concours, notamment à l’Exposition de 1900, ses travaux lui avaient valu des distinctions officielles.

    Il avait à peine 22 ans que son ancien patron le rappelait et lui donnait la direction de ses ateliers qu’il assura, sous son successeur, jusqu’au jour où il prit, à la suite de M. Lecesne, avec M. Léon Terrier, son frère, la direction de la Société d’imprimerie Terrier frères et Cie et du journal L’Abeille d’Étampes. À un âge où tant d’autres songent déjà au repos, il pensa de suite à faire bénéficier de ses capacités professionnelles la vieille maison dont il prenait la tête.

    C’était en avril 1914 ; quelques mois après éclatait le grand cataclysme qui dure encore. La mobilisation avait enlevé aux deux journaux d’Étampes leur direction et la plus grande partie de leur rédaction et de leur personnel. Jean Terrier, aidé de notre regretté prote Charles Quérard, rassembla jeunes et vieux et sous sa direction parut L’Abeille-Réveil d’Étampes dont on n’a pas oublié la belle tenue, l’optimisme, l’esprit d’union sacrée.

    Pendant la guerre et depuis, tous ceux de nos lecteurs, tous ceux des clients de notre imprimerie qui avaient affaire dans nos bureaux ont été accueillis par cet homme dont l’obligeance, la bonté et la sereine philosophie, même aux heures les plus inquiétantes de 1914 et de 1918, faisaient de tous un ami.

    Puis un jour, en décembre dernier, on ne le vit plus à son poste. D’une robuste santé, aimant sa tâche quotidienne comme tous ceux qui considèrent le travail comme le but de la vie, Jean Terrier n’avait su, n’avait pu, par la force des choses, l’âge venant, envisager un repos qu’il avait bien mérité cependant par 52 années de dur labeur. La maladie qu’il n’avait jamais connue

    jusqu’alors l’avait atteint ; malgré des soins éclairés et affectueux, elle l’emportait, dimanche matin, dans son pays natal qu’il eut cette dernière satisfaction de revoir en des jours ensoleillés.

    Si les clients de la maison étaient ses amis, ses ouvriers dont il connaissait, étant travailleur lui-même, les aspirations, les besoins lui portaient une affection presque filiale ; ils perdent en lui le Maître vénéré qui savait leur faire aimer l’art typographique et qui fut toujours pour eux un patron juste et soucieux d’améliorer dans la mesure du possible leur situation.

    La dureté des temps fit qu’il ne songea pas assez à lui- même… Mais quand il vit que son mal, dont la gravité lui avait été cachée, allait 1’emporter, c’est avec la satisfaction du devoir accompli qu’il a pu évoquer sa longue carrière de travail et d’honneur et donner sa dernière pensée à cette maison d’imprimerie de la rue de la Plâtrerie où il laisse son fils pour continuer son œuvre, un personnel pénétré de ses enseignements pour l’y aider.

    Nous demandons à tous nos lecteurs de garder dans leur souvenir le nom de Jean Terrier comme celui d’un des maîtres qui depuis un siècle ont contribué à la prospérité de notre journal et qui en ont fait un lien si utile et apprécié entre les divers membres de la grande famille Étampoise.

    La Rédaction.


    Les obsèques de M. Jean Terrier ont eu lieu mardi après-midi, à Annecy, dans un tombeau de famille. Une foule considérable suivait le cercueil qui disparaissait littéralement sous les gerbes de fleurs et les couronnes.

    Au cimetière, en présence des notabilités, plusieurs discours furent prononcés et le délégué de l’Amicale des Protes de France adressa un adieu ému à l’excellent confrère qui, devenu patron par son labeur, n’oublia jamais les humbles. C’était là le plus bel adieu que pouvait espérer notre directeur.

    Puissent sa veuve inconsolable, ses enfants et ses frères, trouver une atténuation à leur douleur dans cette manifestation d’ardente sympathie.


  5. Léon Francis officier d’académie (1926) 47


    « Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, vu les décrets des 24 décembre 1885, 25 mars 1921, 4 février 1922 et 13 décembre 1924, arrête : Sont nommés […] Officiers d’académie : […]

    « Terrier (Léon-François [sic]), publiciste à Étampes (Seine- et-Oise).

    […]

    « Fait à Paris, le 12 février 1926. – Daladier. »


  6. Nécrologie parisienne d’Auguste (1932) 48


    MORT DE M. AUGUSTE TERRIER


    C’est avec un vif regret que nous apprenons la mort, survenue à Annecy, de notre confère Auguste Terrier, secrétaire général du Comité de 1’Afrique française, professeur à l’École libre des sciences politiques et à l’École coloniale, conseiller de l’Office du protectorat public.

    M Auguste Terrier était né en 1873. Rédacteur au Journal des Débats, il s’était consacré de bonne heure aux questions africaines et était devenu très vite l’un des animateurs du comité de l’Afrique française.


    47 Journal officiel de la République française 58/38 (14 février 1926), pp. 2039, 2048, 2075 et 2078.

    48 L’Écho de Paris 48/19186 (28 avril 1932), p. 2.

    Les grandes missions qui pénétrèrent l’Afrique noire, dans les dernières années du XIXe siècle, l’eurent comme conseil et comme organisateur, et le général Meynier a pu le faire figurer parmi les « conquérants du Tchad ». Lorsque se posa la question du Maroc, M. Auguste Terrier fonda avec Eugène Étienne le comité du Maroc et contribua puissamment à créer

    l’irrestible courant d’opinion qui aboutit au protectorat.

    M. Auguste Terrier devint, par la suite, directeur de l’Office français au Maroc et continua à se consacrer aux campagnes destinées à faciliter la consolidation et à l’organisation de l’Afrique française, notamment à la campagne pour le Transsaharien.

    Son autorité dans les milieux coloniaux et africains était considérable. Elle a rayonné sur les jeunes générations, notamment par ses cours à l’École des sciences politiques et à l’École coloniale. Avec lui disparaît un haut exemple de conscience professionnelle, une belle figure de la presse française et l’un des meilleurs artisans de l’expansion de notre pays, dont il a eu le grand bonheur de voir l’épanouissement.

    M. Auguste Terrier était commandeur de la Légion d’honneur Les obsèques auront lieu à Annecy demain 29 avril, à 9 h. 30.


  7. Nécrologe étampoise d’Auguste (1932) 49


    AUGUSTE TERRIER


    Au mois de novembre dernier, l’Abeille d’Étampes avait le grand plaisir de donner la relation d’une cérémonie au cours de laquelle son ancien rédacteur en chef, M. Auguste Terrier,


    49 L’Abeille d’Étampes 121/17 (30 avril 1932), p. 1.

    secrétaire général du Comité de l’Afrique française, avait reçu des mains d’Albert Lebrun, président du Sénat, une plaquette, en souvenir de l’effort opiniâtre qu’il avait accompli pendant plus de quarante années pour le développement de notre expansion coloniale et le succès de la dernière Exposition coloniale en particulier.

    Nous avons la douleur d’annoncer aujourd’hui qu’Auguste, Terrier qui s’était rendu dans son pays natal, à Annecy, dans l’espoir d’y rétablir sa santé compromise par l’excès de travail, qui était sa règle de vie depuis sa plus tendre jeunesse, y est décédé dans la nuit de mardi à mercredi, malgré les soins éclairés et affectueux dont il était entouré.


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    Auguste Terrier

    (par François de Hérain)


    Né en 1873, Auguste Terrier fut au Lycée d’Annecy un brillant élève, sur lequel ses maîtres fondaient les plus belles espérances ; mais il dut, à peine bachelier, entreprendre la lutte pour la vie et demanda au journalisme ses moyens d’existence,

    ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre ses études et à l’âge où les soucis de chef de famille deviennent pressants, de passer brillamment son examen de licence en droit.

    La mort si brutale, d’un des nôtres aussi, M. Percher50, fit

    qu’Auguste Terrier eut à assumer, tout jeune, la charge du secrétariat général du Comité de l’Afrique française, et ceux-là seuls qui ont suivi avec attention le mouvement colonial depuis un demi-siècle peuvent se rendre compte du labeur énorme qu’il a fallu accomplir pour mener cette œuvre à bien. Il est mort à la peine, laissant le meilleur souvenir à tous ceux qui l’ont connu, et hautement estimé des pouvoirs publics, qui avaient bien voulu reconnaître ses services par l’éoile de commandeur de la Légion d’honneur.

    Auguste Terrier avait scellé les liens qui l’unissaient à notre ville en épousant en 1901 l’une des filles de M. Lecesne-Allien, alors imprimeur et directeur de L’Abeille d’Étampes. De cette union sont nés deux vertueux enfants, qui, ainsi que Mme Auguste Terrier, firent le charme de son foyer et qu’il eut la dernière joie de voir réunis autour de lui dans ses derniers moments.

    Au nom de tous ses amis connus et inconnus, l’Abeille d’Étampes présente à la veuve et aux orphelins l’expression de sa douloureuse sympathie et adresse à sa mémoire le témoignage de son admiration et de sa reconnaissance.

    *

    L’Écho de Paris a bien voulu rappeler en ces termes l’œuvre accomplie par Auguste Terrier :

    « Rédacteur au Journal des Débats, etc. [Voyez ci-dessus (B.G.)]… dont il a eu le grand bonheur de voir l’épanouissement. »


    50 Hippolyte Percher (1857-1895) plus connu sous son nom de plume Harry Alis, autre gendre de Lecesne-Allien, mort en duel (B.G.).

  8. Nécrologie africaniste d’Auguste (1932) 51


    AUGUSTE TERRIER


    Né le 11 juillet 1873, Auguste Terrier est mort le 27 avril 1932, âgé seulement de 59 ans. Secrétaire depuis la fondation (1890), puis secrétaire général (1899) du Comité de l’Afrique française, il y consacra l’activité de toute sa vie et en fut véritablement l’âme. Sous son impulsion le Bulletin du Comité de l’Afrique française, devenu plus tard l’Afrique française devint un remarquable organe de documentation sur notre empire africain ; il y réunit une quantité considérable de matériaux qui constituent une véritable histoire de notre colonisation en Afrique, et en fit également un organe de défense des intérêts français en Afrique du Nord et en Afrique noire.

    Chargé de nombreuses missions au Maroc et en Afrique occidentale, il créa en 1913 l’Office du Protectorat du Maroc, et fut après la guerre et jusqu’en 1924 délégué du Haut- Commissariat de la République en Syrie et au Liban. Son activité coloniale fut énorme et il exerça une influence très forte sur les coloniaux des jeunes générations.

    Outre les innombrables articles qu’il publia dans le Bulletin du Comité de l’Afrique française, on lui doit en particulier les ouvrages suivants : L’œuvre de la troisième République en Afrique occidentale, Paris, Larose, 1910, 558 p. (publié avec Charles Mourey) ; Le Maroc, Paris, Larousse, 1931, 224 p. ; L’Afrique équatoriale française, Paris, Plon, 1931 (Gabriel Hanotaux et Alfred Martineau. Histoire des colonies françaises et de l’expansion française dans le monde, t. IV).


    51 Journal de la Société des Africanistes 2/2 (1932), p. 244.

    Rien de ce qui touchait aux questions africaines ne le laissait indifférent ; lorsque se constitua la Société des Africanistes, il fut parmi ses fondateurs et ce sera toujours un grand honneurpour nous qu’il ait bien voulu en accepter la vice- présidence.

    P. Lester.


  9. Léon Terrier passe la main à Dormann (1934/1935)


    La série des Abeille d’Étampes en ligne est malheureusement lacunaire, à l’heure qu’il est, pour 1934 et 1935. Le 4 août 1934, c’est encore Léon Terrier qui est directeur général, et l’imprimerie est au nom de M. Terrier. En revanche le numéro du 13 avril 1935 trouve Maurice Dormann « directeur politique » et René Collart « directeur général » de L’Abeille d’Étampes.


  10. Accident de Léon à Ablis (1937) 52


    M. LEON TERRIER VICTIME DUN ACCIDENT


    Notre collaborateur et ami, M. Léon Terrier, gérant de L’Abeille, a été victime, dimanche dernier [9 mai 1937], dans l’après-midi, d’un accident d’automobile.

    Il se rendait, en compagnie de Mme Terrier et de deux

    membres de sa famille, à la fête du Muguet, lorsqu’à Ablis, une voiture Renault conduite par des jeunes gens, vint tamponner à un carrefour l’auto que Mme Terrier pilotait.


    52 L’Abeille d’Étampes 125/20 (15 mai 1937), p. 1.

    C:\Users\Bernard\Desktop\cpe-leonterrier1937abeille.jpg


    Le choc fut rude et l’auto réduite en miettes. Des quatre occupants, M. Léon Terrier fut le plus touché. On put cependant le ramener en ambulance à son domicile à Étampes où l’on constata qu’il avait plusieurs côtes fracturées. Mme Terrier, elle, ne souffrait que de quelques contusions sans gravité. Quant

    aux deux jeunes gens qui les accompagnaient, ils en avaient été quittes pour la peur.


    Aux dernières nouvelles, l’état de notre cher collaborateur est des plus satisfaisants. Il ne lui faut plus qu’un bon repos. C’est du fond du cœur que nous lui souhaitons un prompt et complet rétablissement.


  11. Décès de Léon (1937) 53


    « M. Léon Terrier, 67 ans, ancien directeur de L’Abeille d’Étampes, succombe à ses blessures recues au cours d’un accident d’automobile, dimanche dernier [9 mai] à Ablis. »


  12. Nécrologie parisienne de Léon (1937) 54


    Nous apprenons la mort de M. Léon-Francis Terrier .ancien directeur de L’Abeille d’Étampes, officier de l’Instruction publique, décédé à Étampes, des suites d’un accident, dans sa soixante-huitième année. Ses obsèques auront lieu demain mardi, 18 mai, à 10 h. 30, en l’église Saint-Gilles, sa paroisse.

    Il était le frère d’Auguste Terrier qui fut secrétaire général du Comité de l’Alliance française, de Louis Terrier, ancien secrétaire de l’administration du Journal des Débats et de Henri Terrier, également notre collaborateur.


    53 Le Matin 54/19.413 (dimanche 16 mai 1937), p. 6 :

    54 Le Journal des débats 149/136 (18 mai 1937), p. 2.

  13. Nécrologie étampoise de Léon (1937) 55


    « L’ABEILLE » EN DEUIL


    Je ne me doutais guère, en mettant L’Abeille sous presse, jeudi après-midi, 13 mai, que notre cher Léon Terrier décéderait le lendemain matin, trop tard pour que nous puissions porter la triste nouvelle à la connaissance de ses innombrables amis.

    Je l’avais vu moi-même quelques instants plus tôt, immobilisé sur son lit de souffrance après ce stupide accident d’automobile, pestant contre une blessure qui le devait retenir quelques semaines à la chambre, mais rien ne faisait prévoir une fin aussi rapide et aussi tragique.

    Nous en restons tous désemparés, sa famille, ses collaborateurs, ses bons camarades, et le signataire de ces lignes.

    Et maintenant, que pourrais-je dire de Léon Terrier, que tous les lecteurs de ce journal.ne sachent mieux que moi ? devrai-je rappeler son talent, sa probité, sa modestie, sa bonté, toutes qualités qui demeurent gravées sur un livre d’or de quarante années de travail acharné et le dévouement consacrés au service de L’Abeille d’Étampes ?

    Durant vingt ans, il fut le directeur éminent et intègre de cette feuille.

    Toutes les choses, tous les objets qui m’entourent portent son empreinte profonde et ne cessent de me parler de lui.

    Léon Terrier, spectateur repu de l’inanité des hommages posthumes, et trop modeste ouvrier devant l’Éternel, a demandé sur son testament qu’on ne prononce devant son cercueil aucun discours et qu’on ne dépose aucune fleur sur son tombeau. Que ses dernières volontés soient respectées, mais qu’il me permette


    55 L’Abeille d’Étampes 125/21 (22 mai 1937), p. 1.

    à tout le moins de lui dire ici, sur le « papier »-qu’il a tant aimé, l’estime et l’affection que je lui portais.

    Je le considérais comme un bon maître, comme un père, et je l’aimais comme tel. Lorsque sonna pour lui le moment de me passer la direction de ce journal, je sentis dans son cœur s’opérer un tel déchirement dissimulé sous une résignation si émouvante, que je fus pris à son endroit d’une affection spontanée et filiale qui ne fit que gagner en profondeur et étendue avec le temps.

    Puis il voulut bien, peu à peu, m’accorder sa confiance et, depuis, nous ne cessâmes point de vivre dans une mutuelle sympathie.

    Son expérience, ses connaissances, son exemple furent jusqu’au dernier jour des biens précieux pour moi.

    Qu’aurais-je fait sans lui, à la tête de cette Abeille, petite par le format, mais si grande par l’influence et le prestige, si je n’avais eu près de moi « papa » Terrier pour me guider dans l’inconnu ?

    Si j’ai pu reprendre le flambeau de ses mains et m’efforcer de conserver sa flamme, c’est à son concours que je le dois.

    Devant sa dépouille mortelle, je m’incline profondément et je me souhaite à moi-même d’être imprégné de son exemple et digne de sa mémoire.

    René Collard.


    NOTES BIOGRAPHIQUES


    Léon-Francis Terrier était né le 1er juillet 1869, à Annecy, sixième enfant. d’une famille de 7 garçons et d’une fille. Il fit ses études secondaires au lycée de cette ville, puis accomplit son service militaire au 11e bataillon de chasseurs alpins à Annecy. Son service terminé, il devint correspondant d’une agence d’informations à Bizerte, dirigée par M. Percher, gendre de .M. Lecesne, alors directeur de L’Abeille. A la suite d’un

    duel, au cours duquel M. Percher trouva la mort, il entra comme rédacteur au Journal des Débats, dont son frère Louis était le secrétaire général.

    Il vint alors à Étampes en 1897, et devint le collaborateur de

    M. Lecesne à L’Abeille.

    À ce moment, M. Louis Terrier, outre ses fonctions à Paris, était rédacteur politique de L’Abeille.

    A la suite de son décès, M. Auguste Terrier, autre frère de Louis et de Léon, assura cette rédaction sous la signature de Paul Clermont ou la sienne propre.

    Léon-Francis Terrier se maria à Étampes le 23 octobre 1899. Il eut successivement deux fils, Henry et Olivier, qui sont aujourd’hui, le premier géomètre et, le second, rédacteur à la Préfecture de police.

    Léon Terrier devint Directeur de L’Abeille au début de 1914, s’associant avec son frère Jean pour l’exploitation de la Société d’ Imprimerie Terrier frères et Cie.

    Dès le premier jour de la guerre, Léon Terrier fut mobilisé dans une formation des G. V. C. en gare d’Étampes. C’est à cette époque, jusqu’en octobre 1916, qu’il organisa, avec la société de gymnastique Les Enfants de Guinette, la préparation militaire des jeunes classes, dont il fut l’animateur. Après quoi, on l’affecta comme instructeur au Centre d’Instruction Physique de Romorantin.

    Léon Terrier était officier de l’instruction publique, vice- Président des Enfants de Guinette, vice-Président de la Section des Vétérans. Outre ses fonctions de gérant à L’Abeille, il collaborait régulièrement à L’Écho de Savoie où il publiait chaque semaine des articles en patois fort goûtés des Savoyards.


    AUX ENFANTS DE GUINETTE


    Léon Terrier, depuis 40 années, a toujours eu en grande estime la Société Les Enfants de Guinette et honorait d’une

    solide amitié le moniteur-chef, Fernand Girard, qui en était fier et touché et la lui rendait bien ; une identique communauté d’idées les rassemblait.

    Pendant la guerre, les moniteurs étant tous partis aux armées combattantes, c’est avec un dévouement inlassable qu’il seconda le Président d’alors, son ami, M. Félix Chanon, le Vice-Président, M. Téton, et M. Louis Jousselin dans la préparation militaire des jeunes gens qui rejoignaient leurs aînés, au fur et à mesure de l’appel de leurs classes. Quand vint la création du brevet de préparation militaire, il aida, par ses connaissances techniques, le Directeur dans l’enseignement des appelés et de ceux qui désiraient devancer l’appel.

    Son rôle d’informateur public, malgré ses attaches profondes avec la société, l’avait empêché d’entrer ouvertement dans son sein, mais lors du dècès de M. Téton, il céda aux sollicitations affectueuses qui lui furent adressées ; il fut nommé vice- président le 29 avril 1929 et coopéra ainsi à la vie active des Enfants de Guinette. Dans les diverses réunions, son jugement juste et pondéré, sa grande bienveillance envers les membres actifs lui avaient attiré, de leur part, une grande reconnaissance et, soit à leurs fêtes, soit à leurs banquets, c’est toujours avec le plus grand plaisir qu’il y assistait. D’un esprit qui avait conservé, malgré le temps, toute l’ardeur de la jeunesse, il aimait cette jeunesse, il suivait de près et avec intérêt ses travaux et avait été heureux de faire, avec elle, quelques longs déplacements.

    Aussi, en perdant leur vice-président, les Enfants de Guinette vont se trouver maintenant en présence d’un grand vide causé par cette disparition trop tôt survenue de l’un de leurs meilleurs guides.


    AUX VETERANS

    Léon Terrier était vice-président de la 1359e section des Vétérans des Armées de Terre, de Mer et de l’Air. Il avait été élu à ce poste en 1924 et y avait toujours été maintenu depuis.

    Il entra à la section en 1899 et fut nommé membre du bureau le 19 mai 1901.

    Il devint pensionné en 1920.

    Nul plus que lui n’était fidèle à toutes les réunions et assemblées auxquelles il se faisait un devoir d’assister. S’il n’était pas un des doyens par l’âge, il l’était certainement par le grand nombre d’années (38) passées au milieu de ses camarades de la section.


    LES OBSEQUES


    Les obsèques de notre cher collaborateur ont eu lieu mardi dernier, en l’église Saint-Gilles et au cimetière Notre-Dame Nouveau.

    De nombreux amis avaient tenu à l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure.

    Des nombreux élus de la région, M. Maurice Dormann en tête, et des confrères du département, au nombre desquels figurait M. Robert Durocher, directeur de la Gazette de Seine- et-Oise, étaient venus lui rendre un suprême hommage. Une délégation des Enfants de Guinette et une autre des Vétérans accompagnaient le cortège. Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Marcel Duclos, Paul Jousset, Fernand Girard, Lucien Renard et René Collard.

    Le défunt, ayant déclaré dans ses dernières volontés ne vouloir ni fleurs, ni couronnes, ni discours, ses obsèques revêtirent ainsi une émouvante simplicité à la mesure du modeste et honnête homme qu’il ne cessa d’être toute sa vie. Aussi bien les fleurs et les hommages étaient-ils dans le cœur de tous ceux qui le menèrent jusqu’à sa tombe et la crispation des visages en disait plus long que les plus longs discours.

    À Mme Léon Terrier, digne compagne de cet être exquis que nous pleurons aujourd’hui, à ses enfants et à tous ceux qu’atteint ce deuil prématuré et tragique, nous présentons nos respectueuses et attristées condoléances.


    *


    À peine la tombe vient-elle de se refermer sur notre regretté ami Léon Terrier, que nous apprenons une autre triste nouvelle : sa belle- fille, Mme Yvonne Terrier, épouse de M. Olivier Terrier, rédacteur à la Préfecture de Police et fils de notre regretté collaborateur, est décédée à son tour subitement·à la suite d’une opération chirurgicale, mercredi, à son domicile à Paris.

    La défunte, qui n’était âgée que de 32 ans, laisse un mari éploré et une petite fille de deux ans.

    Les obsèques religieuses auront lieu samedi 22 courant, à 9 heures, en l’église Saint-Séverin, rue St-Jacques, Paris, et l’inhumation au cimetière Notre-Dame nouveau, le même jour, vers 11 heures 30.

    Le présent avis tient lieu d’invitation.

    À la famille, si durement éprouvée, nous adressons nos douloureuses condoléances. […]


    REMERCIEMENTS D’OBSEQUES


    Étampes. — Mme Veuve Terrier, MM. Henri et Olivier Terrier et la famille, très touchés des marques de sympathie qui leur ont été témoignées à l’occasion du décès de M. LÉON TERRIER remercient toutes les personnes qui se sont associées à leur deuil.

    Ils s’excusent auprès de celles qui n’auraient pas été avisées.

  14. Décès de Léon Louis Terrier à Paris (1968) 56

« Décédé à Paris (10ème) le 13 juin 1968 — Le 28 septembre 1968, le greffier en chef. [Signé :] E. Sender. »


56 Deuxième mention marginale à son acte de naissance de 1889 à Annecy, AD74 4E 2781.


Table des Matières

Préface 3-7

Nouvelles et contes

de l’arrière, 1914-1916


par Léon Terrier


I .

Le Noël de Marthe

13-30

II.

Poupée de Noël

32-43

III.

L’espion

44-57

IV

Le Châtiment

58-90

V

Le pardon de Francine

92-115

VI

Grand’Mère

116-145


Terrier-Frères,

Une histoire étampoise, 1884-1934

par Bernard Gineste

49 documents 147-217



Nouvelles et contes


Préface

3-7

I .

Le Noël de Marthe

13-30

II.

Poupée de Noël

32-43

III.

L’espion

44-57

IV

Le Châtiment

58-90

V

Le pardon de Francine

92-115

VI

Grand’Mère

116-145

de l’arrière, 1914-1916


Terrier-Frères

Une histoire étampoise, 1884-1934 (49 documents)


147-217



BHASE n°30 (juillet 2016)
AVERTISSEMENT
     Cette page est une simple reversion automatique et inélégante au format html d’un numéro du BHASE (Bulletin Historique et Archéologique du Sud-Essonne), pour la commodité de certains internautes et usagers du Corpus Étampois.

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