Je me proposais depuis longtemps
d’écrire une biographie aussi complète que possible de ce célèbre
acteur de la Comédie Italienne, que je pensais être étampois,
sur la foi d’un grand nombre d’auteurs, et, à cet effet, j’avais réuni
de nombreuses notes sur cet éminent artiste dont je possède
plusieurs lettres autographes et un portrait à l’aquarelle, signé
du peintre Allou. Mais ne voulant rien avancer sans preuves, je crus devoir
charger mon complaisant confrère, M. Ch. Forteau, de la mission de
rechercher l’acte de baptême de Clairval dans les registres des paroisses
d’Etampes. Les recherches de mon compatriote restèrent sans résultat;
et il ne pouvait pas en être autrement, puisqu’il est né à
Paris, ainsi que nous allons le faire voir.
Tous les biographes, notamment M. de Manne, qui a consacré
à Clairval, dans la Biographie Didot, la notice la plus étendue
qui ait été faite jusqu’à ce jour, le font naître
à Etampes, le 27 avril 1735, d’un jardinier du marquis de Valori, gouverneur
et grand bailli d’Etampes, propriétaire du château du Bourgneuf,
qui existait alors au faubourg Saint-Pierre, et au sujet duquel on doit à
M. Léon Marquis une monographie intéressante publiée
récemment (1).
Autant de lignes autant d’erreurs ; Clairval n’est pas
né à Etampes au mois d’avril 1735, mais bien à Paris,
au mois de novembre de la même année. D’autre part, son père
était perruquier |105
à Paris et non jardinier à Etampes, ainsi que le prouve l’acte
de baptême du comédien, extrait des registres de l’église
paroissiale de Saint-Sulpice de Paris, dont voici la teneur :
«Le huit novembre mil sept cens trente-cinq,
a été baptisé Jean-Baptiste, né d’hier, fils de
Pierre Guignard, perruquier, et de Marie-Françoise Claret, son épouse,
demeurans dans la cour des religieux de l’abbaye de St-Germain-des-Prez. Le
parrein: Jean-Baptiste Thomas, employé à l’hôtel des Fermes;
la marreine : Marie-Françoise Masse, fille de André, suisse,
le père présent et ont signé.»
Je me demande aussi sur quoi on s’est basé pour
inventer la légende de Clairval enfant jouant la comédie chez
le marquis de Valori, où son père était jardinier. Quel
est l’auteur qui, le premier, a raconté que Clairval, chaque année,
adressait à son vieux père, par l’entremise de M. Boivin, curé
de la paroisse de Notre-Dame d’Etampes, une forte somme d’argent? Je serais
désireux de le connaître.
Les biographes font encore erreur en le faisant mourir
à Paris en 1795, alors qu’il est mort entre le 28 et le 30 janvier
1797, ainsi que cela ressort d’une lettre du grand musicien Grétry,
publiée dans les Tablettes des spectacles de la Quotidienne,
du 13 pluviôse an V:
«En disant aux amateurs des arts: Clairval
n’est plus, c’est annoncer que les la nature a détruit un des êtres
qu’elle avait le plus favorisés. Doué de toutes les grâces
de l’esprit et du corps, aussi éloquent que juste, respecté
de tous parce qu’il fut homme d’honneur, Clairval eût été
le favori de Melpomène, s’il n’eût été celui de
Thalie. Pendant plus de trente ans, je lui fus attaché par les liens
de la plus douce amitié ; tous ceux qui l’ont vu au théâtre
l’ont aimé, tous ceux qui l’ont connu plus particulièrement
lui donnent aujourd’hui des pleurs».
Il résulte de ce que je viens de divulguer qu’il
faut rayer Clairval du nombre des célébrités de la ville
d’Etampes. Bien qu’il soit fâcheux pour notre amour-propre de faire
disparaître du Panthéon étampois son nom qui y était
inscrit depuis longtemps, il faut cependant se rendre à l’évidence
et en prendre son parti. Ce qui arrive prouve que, si les biographes étaient
plus sérieux et contrôlaient les dires de leurs devanciers, au
lieu de les copier servilement, comme ils le font généralement,
ils éviteraient, d’abord des mécomptes, et aussi des erreurs
regrettables qui se propagent et s’implantent avec la plus grande facilité
et qu’on ne peut ensuite déraciner que difficilement.
Paul PINSON.
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Bulletin de la Société
historique et archéologique de Corbel, d’Étampes et du Hurepoix
8 (1902), pp. 104-105.
(1) Bulletin de 1901, p.
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