CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Formentin et Cie
Étampes en 1836
Lithographies
 
 Formentin et cie: Etampes. Vue prise du château de Vauroux (1836)
Formentin et Cie: Etampes. Vue prise du château de Vauroux (1836)

Marque de l'atelier de Mlle Formentin      On présente ici l’ensemble des lithographies produites en 1836 par la maison Formentin et Cie sur commande de Maxime de Montrond, et l’on dit quelques mots de cette maison. Chacune de ces lithographies se verra prochainement consacrer une page particulière.
B. G., 2011

Formentin et cie: La tour de Guinette (1836)
Tour de Guinette
Formentin et cie: Notre-Dame (1836)
Notre-Dame d’Étampes
Formentin et cie: Morigny (1836)
Restes de l’abbaye de Morigny

Monnaies frappées à Etampes
Monnaies frappées à Étampes sous les règnes de Philippe Ier et de Louis VI ou Louis VII


Première de couverture
Première de couverture
Première de couverture
Détail de la 4e de couverture


     Il est probable que les gravures ornant la couverture des Essais historiques sur la ville d’Étampes de Maxime de Montrond, dans le style troubadour, sont également dues à l’entreprise Formentin et Cie, quoiqu’elle ne ne soient pas signées. La tour de la 4e de couverture représente peut-être un logo, armes parlantes de l’éditeur étampois, Fortin.

 
Formentin et Cie
Étampes en 1836
Lithographies


 
     Joséphine Clémence Formentin, dit la demoiselle Formentin, née vers 1802 à Belleville, associée au sieur Denis Louis Goujon, obtient le 22 juin 1824 un brevet d’imprimeur  lithographe (1). Elle se présente à l’Exposition des produits de l’Industrie de 1827, où elle obtient déjà une médaille, et à nouveau en 1844, dont le jury lui accorde une médaille d’argent. A cette date, son entreprise, située au n°59 de la rue Saint-André-des-Arcs, emploie une trentaine d’ouvriers (2). Plusieurs dessinateurs et graveurs connus sont cités comme ayant travaillé pour cette imprimerie ou en collaboration avec elle (3). Nous voyons que cette imprimerie jouit aussi d’une certaine estime dans les milieux artistiques (4), favorables et attentifs aux progrès continuels de ce nouveau médium, mis en valeur par des affichettes publicitaires destinées à drainer toujours plus de nouveaux clients (5)

     En 1836, c’est tout naturellement que Maxime de Montrond fait appel aux services de cette entreprise pour illustrer le premier tome de ses Essais historiques sur la ville d’Étampes.
La typographie du titrage des lithographies en question est la même que dans d’autres productions du même atelier (6). Ces planches sont au nombre de cinq: “Étampes. Vue prise du château de Vauroux”, numérotée, à l’intention de l’imprimeur-relieur, p. 1, “Tour de Guinette”, numérotée p. 48, “Notre-Dame d’Étampes, p. 56, “Restes de l’abbaye de Morigny”, p. 98, et enfin “Monnaies frappées à Étampes sous les règnes de Philippe Ier et Louis VI ou Louis VII”, p. 132.

     Cette dernière planche paraît avoir été empruntée à un ouvrage de numismatique. Il y faut joindre certainement l’ornementation des pages 1 et 4 de couverture, dans le style troubadour, où la tourelle portée au dos du livre est peut-être une allusion au nom de l’éditeur étampois de l’ouvrage, Fortin.

     Les compétences me manquent pour évaluer l’intérêt artistique des quatre premières de ces lithographies; il n’est pas indifférent à cet égard de remarquer qu’elles n’ont pas été signées, ni du dessinateur, ni du graveur; on ne peut exclure que les dessins originaux en aient été dus à quelque artiste local, éventuellement même à Maxime de Montrond lui-même, et qu’ils aient été ensuite gravés par un employé quelconque de l’atelier de Mlle Formentin.

     Il est étrange que Léon Marquis ne les ait pas citées dans la liste qu’il donne en 1881 des lithographies connues de la ville d’Étampes, et il est difficile de ne pas interpréter cette omission comme volontaire (7). On notera également que Maxime de Montrond lui-même, pour une raison indéterminée, mais probablement financière, n’a pas illusté de nouvelles planches le deuxième tome de son ouvrage, paru dès l’année suivante.
    
     L’intérêt archéologique de ces lithographies, en tout cas, même s
il ne doit pas être majoré, est loin d’être négligeable. C’est ce que nous essaierons de montrer au cas par cas dans les pages que nous consacrerons à chacune de ces vues.

Bernard Gineste, février 2011
Formentin et cie: Notre-Dame (1836)
Notre-Dame d’Étampes


     (1) BÉCHU 1998, p.324, note 842.

     (2) FONTAINE 1844, pp. 357-358 (voir notre Annexe 4).

     (3) Différentes pages internet  et ouvrages en ligne en 2011.

     (4) LAVIRON 1844, pp. 75-77 (voir notre Annexe 5).

     (5) Voyez notre Annexe 3.

     (6) Nous en donnons un exemple en Annexe 1.

     (7) Les Rues d’Étampes et ses monuments, Étampes, Brière, 1881, pp. 397-399 (en ligne ici)


      Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome. 
ANNEXE 1
Une autre gravure de l’atelier Formentin et Cie, pour comparaison
Vue de l’Hôtel du général Foy, vers 1825

Vue de l'Hôtel du général Foy (lithographie, 1825)
Vue de l’Hôtel du général Foy, vers 1825 (Gallica)

     On remarque la même typographie dans les titres de ces lithographies portant toutes deux la marque explicite de l’imprimerie de Mlle Formentin. Mais la première est attribuée précisément à Charles Séchan (1803-1874) et A. Couturier, tandis que les lithographies étampoises ne mentionnent pas les noms de leurs auteurs particuliers au sein de l’atelier Formentin et Cie.
Tour de Guinette (vers 1836)
Lithographie non signée.
 

ANNEXE 2
Un procès de la demoiselle Formentin
Recueil Sirey, 1825

BAIL. — RESILIATION. — MAISON DE JEU.
L’établissement d’une maison de jeu dans un bâtiment occupé en partie par un locataire, autorise celui-ci à demander la résiliation du bail. (Code civil, art. 1719, 1721 et 1741)
(La régie des jeux — C. Honnet et consorts.)

     Le sieur Honnet loue les premier et second étages de sa maison au sieur Bénezat, administrateur de la régie des jeux de Paris. Mais déjà le rez de chaussée était loué an sieur Thomine, et sous-loué par celui-ci au sieur Goujon et à la demoiselle Formentin qui y exploitaient une entreprise de lithographie. La régie des jeux allait entrer en possession et ouvrir sa banque, lorsque le sieur Goujon et la demoiselle Formentin assignèrent le sieur Thomine pour qu’il fût tenu d’expulser la régie des jeux, sinon pour que le sous-bail fût résilié, et Thomine condamné en 20,000 fr de dommages-intérêts.

     Thomine dénonça cette demande au sieur Honnet, propriétaire,qui lui-même assigna en garantie la fenne des jeux, eu s’appuyant sur l’engagement qu’elle avait pris expressément dans l’acte de bail, de le garantir de toutes poursuites intentées par les autres locataires à raison de l’établissement des jeux dans sa maison.

     Jugement du tribunal civil de Paris, en date du 7 juillet 1825, qui ordonne que Thomine et Honnet seront tenus d’expulser l’établissement de jeux, sinon déclare la location faite par Honnet à Thomine, et la sous-location faite par ce dernier à Goujon et à la demoiselle Formentin, résiliées pour le 1er octobre suivant; condamne Thomine envers Goujon et la demoiselle Formentin, en 500 fr de dommages-intérêts en cas d’expulsion de la maison de jeux, et en 6,000 fr. en cas de non expulsion; condamne en outre Honnet à garantir Thomine, et enfin Bénazet à garantir Honnet de l’effet de toutes ces condamnations, avec dépens.

     Voici les motifs du jugement:
     «Attendu, en droit, que le bailleur, par la nature du contrat de louage, sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière à cet égard, est obligé d’entretenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée, et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail, à peine de dommages-intérêts, et même de résiliation du bail (article 1741 du Code civil); Attendu, en fait, que Thomine, en sous-louant à Goujon et à la demoiselle Formentin les lieux qu’ils occupent dans la maison dont il s’agit, pour y exploiter une entreprise de lithographie, ne leur a point imposé l’obligation de souffrir ultérieurement, dans le même corps de bâtiment, l’existence d’une maison de jeux qui n’y était pas, et qui, quoique tolérée par la police, n’en est pas moins assez immorale, assez incommode, assez dangereuse sous tous les rapports pour préjudicier aux autres locations, et spécialement a l’entreprise de Goujon et de là demoiselle Formentin, et nécessiter la résiliation de leur bail, avec indemnité, si l’expulsion de cet inconvenant voisin n’est pas effectuée; Attendu que les mêmes considérations et les mêmes motifs s’appliquent à la demande en garantie de Thomine contre Honnet; — En ce qui touche la demande récursoire de ce dernier contre Bénazet, (motif tiré de l’interprétation de la clause du bail) — ordonne que, dans la quinzaine, à compter de ce jour, Thomine et Honnet seront tenus d’expuser l’établissement des jeux exploité par Bénazet, etc.
»

     Appel de la part du sieur Bénazet, administrateur des jeux.

ARRÊT.
     LA COUR; — Adoptant les motifs des premiers juges, a mis et met l’appellation au néant; ordonne que ce dont est appel sortira son plein et entier effet, etc.
Le Charlatan, lithographie de Mlle Formentin
Une lithographie de Mlle Formentin
(Wikicommons)

     Recueil général des lois et des arrêts. Volume 26, Paris, Sirey, 1826, p.286.
ANNEXE 3
Une réclame de Mlle Formentin en 1827
Affichette en vente sur un internet en 2011

     Début  2001, la librairie L’Île Enchantée (7, quai aux Fleurs, F-75004 ) proposait à la vente pour 1.250 €, sous le n°37874, une affichette lithographiée de l’imprimerie lithographique de Mlle Formentin, petit in-folio (33,2cm. x 21cm.), imprimée au recto seulement, avec divers caractères et décors typographiques, et diffusée probablement à l’occasion de l’Exposition de 1827.
IMPRIMERIE LITHOGRAPHIQUE DE MLLE FORMENTIN ET CIE,
RUE St. ANDRE DES ARCS, N. 59, A PARIS.
     On se charge dans cet Etablissement de l’Impression de tous les genres de Dessin et de toutes les Espèces d’Ecriture. Dessins au Crayon... Dessins au Trait... Ecritures,... L’Etablissement embrasse généralement tout ce qui concerne la Lithographie... Comme cet Art fait tous les jours de nouveaux progrès, les perfectionnements y sont adoptés à mesure qu’ils ont lieu... On trouve dans cet Etablissement des Pierres, des Crayons, de l’Encre, du Papier Autographe, en en un mot tout ce qui concerne les Dessins...
Imprimerie Lithographie de Mlle Formentin, 1827.
 
     Source: le site commercial Find-a-book.com, http://www.find-a-book.com/db/book2513_37874.html, en ligne en février 2011.
ANNEXE 4
Médaille d’argent à Mlle Formentin
Exposition des produits de l’industrie de 1844


MÉDAILLES D’ARGENT.
Mademoiselle FORMENTIN, à Paris, rue des Saints-Pères, 10.


     Mademoiselle Formentin, qui avait obtenu une médaille à l’exposition de 1827, n’avait point paru aux dernières expositions.

     Mademoiselle Formentin n’abandonnait pas pour cela l’industrie dans laquelle elle avait débuté avec succès; elle s’occupait de la recherche et des applications de nouveaux procédés qui pussent la mettre en évidence parmi ses concurrents, et elle s’est présentée à l’exposition de cette année avec des produits vraiment remarquables. [p.358]

     Mademoiselle Formentin, qui a exposé des lithographies de tous genres et toutes parfaitement exécutées, est surtout remarquable dans les lavis lithographiques et les lithographies à l’estompe qu’elle a amenés à une grande perfection.

     Le procédé est tel que les épreuves, même après un tirage considérable, sont à peine inférieures aux premières.

     Mademoiselle Formentin a d’ailleurs un établissement important et occupe journellement une trentaine d’ouvriers. Elle fait pour plus de 100,000 fr. d’émission de ses produits chaque année.

     Le jury décerne une médaille d’argent à Mademoiselle Formentin.



     FONTAINE [président du jury], Rapport du Jury central sur les produits de l’industrie française en 1844. Tome troisième. Sixième commission. Beaux-Arts [790 p.], Paris, Fain & Thunot, 1844, pp. 357-358.
ANNEXE 5
Gaston Laviron
La lithographie à l’Exposition de 1844
L’Artiste 4/1 (1844), pp. 75-77
     J’ai pensé qu’il intéresserait plusieurs internautes de trouver ici en Annexe ce qu’un artiste du temps pensait des progrès techniques de la lithographie à l’époque qui nous occupe, à une époque où où l’atellier de Mlle Formentin tenait une place remarquée sur la place de Paris. Voici donc ce qu’écrivait en 1844 le peintre Gaston Laviron des lithographies présentées à l’Exposition des produits de l’industrie de 1844.
B. G., 2001
EXPOSITION DES PRODUITS DE L’INDUSTRIE.
LA LITHOGRAPHIE.


     Je voulais aborder aujourd’hui les bronzes, les cristaux, l’orfévrerie, la sculpture sur bois, sur métaux, la céramique, l’ébénisterie, la reliure, les objets de luxe, tout ce qui tient de plus près à l’art et se rattache plus directement aux matières qui sont habituellement traitées dans ce journal; mais la partie de l’exposition où se trouvent réunies toutes ces choses présente une telle confusion de formes, de styles, de caractères, qu’ébloui de l’éclat extraordinaire de tant de combinaisons diverses, je n’en ai rapporté que des impressions confuses, et que j’éprouve le besoin de revoir plusieurs fois en détail toutes ces chatoyantes nouveautés, avant qu’il me soit possible de formuler une appréciation motivée de chacun des ouvrages qui méritent une attention particulière. Jamais, dans aucun pays, on n’a [p.75b] fait fléchir, tourner, s’enrouler les métaux, les poteries, les cristaux, les pâtes, les cartons dans des combinaisons plus variées, jamais les couleurs n’ont été amalgamées dans des assemblages plus étranges. De tous côtés les regards sont blessés et le goût offensé par l’aspect de formes monstrueuses bizarrement accouplées, tantôt exagérées et tantôt déguisées par une multitude d’ornements d’un style équivoque, mais exécutés avec une grande recherche, et brillant de l’éclat le plus éblouissant. Tout ce que les artistes du moyen âge ou de l’antiquité, de la renaissance ou du bas-empire, ont produit de plus étrange, a été consulté, imité, mélangé. Tous les peuples du monde ont été mis à contribution, depuis les formes barbares des nations primitives jusqu’au style maniéré du siècle de Louis XV. Les ornements arabes, chinois, étrusques, indiens, grecs, égyptiens, japonais, bizantins, assemblés au hasard et plus souvent confondus que combinés avec intelligence, composent le fonds commun où sont puisées toutes les ressources de la fabrication moderne. A force d’étudier le passé et de l’étudier sans s’éclairer au moyen d’une critique intelligente, notre époque semble avoir perdu toute spontanéité: la mémoire surchargée de matériaux indigestes ne laisse plus de place à l’imagination. On n’invente pas, on se souvient.
Le Charlatan, lithographie de Mlle Formentin
Une lithographie de Mlle Formentin
     Cette stérile fécondité qui fait du nouveau avec les ruines de tous les siècles, est la conséquence naturelle de ce qui s’est passé dans les arts depuis quelques années. Les études comparatives que l’on a faites de l’architecture et des détails d’ornementation de tous les peuples, faute d’avoir été entreprises d’un point de vue élevé, et dirigées avec intelligence, ont amené cette confusion anarchique.

     Cependant tout le monde n’a pas subi l’influence de ce goût bizarre et l’on aperçoit çà et là de rares ouvrages dont les auteurs ont dû rester simples et naturels au milieu des extravagances prétentieuses que la mode a fait prévaloir.

     Encore si chaque objet était exactement inscrit sous le nom de celui qui l’a inventé, perfectionné, fabriqué, la critique saurait à qui s’en prendre; mais point. Malgré les avertissements que nous avons donnés longtemps avant l’ouverture des galeries de l’Exposition, et auxquels on avait promis de faire droit, le jury d’admission a laissé passer une foule d’objets inscrits sous le nom de fabricants supposés dont la plupart ne font qu’exploiter les fabricants véritables; ils, achètent à vil prix leurs modèles, leurs inventions, et quelquefois même ils se dispensent complètement de les payer, ce qui ne laisse pas d’augmenter sensiblement leur bénéfice. Ce sont là des habiletés commerciales qui peuvent mener à la fortune, mais qui ne devraient dans aucun cas obtenir les félicitations et les récompenses du gouvernement. Qu’on ne dise pas que la religion du jury peut être trompée par des fraudes adroites, car, avec un peu de bonne volonté, il lui sera toujours possible de remonter aux auteurs véritables des objets qui sont soumis à son appréciation. En effet, si nous avons pu, bien que privés des moyens d’investigation dont il dispose, découvrir un certain nombre de ces iniquités, il est de toute évidence que rien ne pourra rester caché aux yeux des commissions spéciales chargées d’apprécier chaque nature de produits le jour où elles voudront sincèrement connaître la vérité.

     On n’a pas d’idée de l’impudence avec laquelle certains forbans industriels exposent des ouvrages qui ne sont pas même leur propriété légitime; à ceux-là nous déclarons dès aujourd’hui guerre à outrance, et nous la leur ferons sans miséricorde à mesure que leurs méfaits viendront à notre connaissance.

     En attendant, nous allons nous occuper de la lithographie, [p.76a] celle de toutes les industries qui, par sa nature même, se présente à l’Exposition avec la plus grande loyauté possible. En effet, ici le dessinateur et l’imprimeur, le peintre même d’après lequel le dessin a été exécuté, tous ceux en un mot qui concourent à la production, tiennent chacun le degré d’estime qui leur revient de droit. M. Lemercier n’a pas plus la prétention d’avoir dessiné les planches de M. Léon Noël, que M. Léon Noël celle de les avoir imprimées. Le nom de chacun est au bas de son œuvre, et il y est mentionné pour la part qu’il y a prise; cela est d’une loyauté parfaite.

     M. Lemercier, puisque son nom s’est présenté le premier sous ma plume, aurait dû encore être cité le premier, eu égard au nombre des ouvrages qu’il a envoyés à l’Exposition. Cet habile imprimeur est incontestablement un des hommes qui ont fait faire les progrès les plus considérables à l’art de l’impression lithographique. On ne se figure pas à combien de chances défavorables sont exposés, quand vient le tirage, les dessins les plus admirablement exécutés. M. Lemercier a depuis longtemps essayé de lutter contre ces chances, de les diminuer, et de les soumettre au calcul de probabilité. Dans un temps, il crut même pouvoir répondre de toutes les pierres dont il entreprendrait le tirage; mais cette audacieuse assurance fut obligée de céder devant l’expérience quotidienne, car cette expérience a démontré qu’avec tous les soins possibles on ne peut jamais être sur du tirage d’une lithographie, et que la réussite ou l’insuccès de ce tirage tiennent à des causes qui ont échappé jusqu’ici à l’observation la plus attentive.

     De tous les imprimeurs lithographes, M. Lemercier est celui qui a envoyé à l’Exposition les ouvrages les plus nombreux et les plus variés; toutes les épreuves que renferment ses cadres sont irréprochables, bien que les planches ne soient pas toutes également intéressantes; mais le public ne peut guère juger du mérite de ces magnifiques épreuves, car elles sont presque toutes placées à une hauteur qui ne permet pas à l’œil le plus exercé d’en apprécier le mérite. Au reste, aucun de ses confrères n’a été plus favorisé; tous leurs ouvrages de petite dimension sont placés très défavorablement et éclairés d’une façon déplorable; ceux même qui auraient eu besoin de la lumière la plus pure, comme les chromolithographies de MM. Engelmann et Graf, se trouvent exposés à contre-jour, à côté de stores éblouissants qui ne permettent pas d’en saisir les qualités essentielles. Cependant il n’eût pas été fort difficile de trouver des dispositions plus convenables; pour cela il aurait suffi d’élever au centre d’une des galeries une cloison fort simple, à laquelle les exposants auraient accroché leurs ouvrages, qui, disposés de cette manière, se seraient trouvés sous les yeux du public et n’auraient pas occupé un espace bien considérable. Mais les galeries de l’Exposition semblent avoir été disposées en dehors de la prévision des objets qu’elles devaient contenir; au contraire, l’exhibition de ces objets est subordonnée aux dispositions des galeries, et doit s’en arranger tant bien que mal. La salle est ainsi faite: tant pis pour ceux qui ne peuvent pas s’y arranger convenablement.

     Ce qu’il y a de malheureusement certain, c’est que le public n’aura qu’une idée très imparfaite de la plupart des ouvrages qui sont étalés à ses regards. Les impressions en couleurs de M. Lemercier, pas plus que celles de M. Engelmann, pas plus que celles de M. Simon fils de Strasbourg ou de mademoiselle Formentin, ne se peuvent apprécier convenablement; cependant toutes sont un progrès, et quelques-unes sont dignes d’une attention particulière. Nous citerons, entre autres, les vitraux des cathédrales [p.76b] de Chartres et de Sens, ceux de l’abside de la cathédrale d’Auxerre, imprimés par M. Lemercier; les Fils de la Vierge, de l’imprimerie Formentin; la Danse des morts, d’après une fresque du XVe siècle, imprimée et publiée à Moulins par M. Dérosiers, et, par dessus tout, les magnifiques ouvrages sortis des presses de MM. Engelmann et Graf.

     Les persévérantes recherches de M. Engelmann dans ce genre d’impression ont été depuis longtemps couronnées de succès. Les lecteurs de L’ARTISTE n’ont pas oublié une vue de Venise sortie de ses presses dès le commencement, et qui avait tout l’aspect d’une délicieuse aquarelle. Une des premières publications auxquelles ce procédé fut appliqué dans des proportions considérables est, si je ne me trompe, l’ouvrage de M. Hittorff sur l’architecture polychrome; mais l’exécution de ce travail laissait encore beaucoup à désirer. Le Voyage en Nubie de M. Delaborde présenta des planches plus irréprochables, et certaines épreuves des monuments d’Égypte, par M. Champollion jeune, sont d’une perfection qui ne sera pas de longtemps dépassée.

     Des tentatives de genres très divers ont amené, dans d’autres voies, des résultats plus ou moins satisfaisants. M. Castier a exposé la Sainte Famille de Raphaël, lithographiée à la plume par MM. Collette et Sanson. C’est un ouvrage très remarquable dans son genre, mais je ne crois pas les travaux de cette nature appelés à un grand succès; ils lutteront toujours avec trop de désavantage contre la gravi, re au burin. Mademoiselle Formentin a essayé l’estompe sur pierre, qui n’est pas, à proprement parler, une nouveauté, et qui ne saurait donner de résultats bien satisfaisants. Le lavis sur pierre, quoique plus nouveau, ne me semble pas appelé à un plus brillant avenir. On voit pourtant à l’Exposition d’assez belles épreuves obtenues par ce procédé dans les imprimeries de M. Lemercier, de mademoiselle Formentin et de M. Auguste Bry; mais il ne faut pas juger d’après les exemplaires soumis à l’appréciation du public ceux que l’on obtiendrait dans un tirage courant.
     M. Bertaut n’a pas cru devoir se risquer dans ces aventureuses tentatives: il s’est maintenu, au contraire, dans le genre qui a fait la réputation de sa maison. Il n’a guère produit que des ouvrages de médiocre dimension, mais ils sont imprimés avec une pureté irréprochable. M. Bertaut s’est consacré particulièrement à l’impression des dessins d’artistes, et il y a réussi au-delà de ses espérances. Ses épreuves sont nettes, franches, spirituelles, colorées, pittoresques, capricieuses, comme le génie qui a produit l’original; on y retrouve toutes les fantaisies du crayon, tous les bonheurs du grattoir, tous les hasards de l’inspiration. Aussi la plupart des artistes préfèrent-ils son imprimerie à toutes les autres, et, depuis l’établissement de sa maison, il n’est guère de publication d’art pour laquelle il n’ait à peu près constamment travaillé. Cela est facile à expliquer: en effet, tandis qu’ailleurs on produit des épreuves presque exclusivement commerciales, M. Bertaut recherche toutes les délicatesses de l’art, et il arrive quelquefois à ce point que ses épreuves ressemblent presque à des dessins originaux.

     Les presses de la maison Kaeppelin sont spécialement consacrées à des travaux d’une tout autre nature. D’autres essaient de lutter avec la gravure au burin, soit au moyen de la plume, soit au moyen de la gravure sur pierre; M. Kaeppelin, lui, prend la gravure originale elle-même, la transporte sur pierre où il la fixe par un procédé à lui connu, et la contraint ainsi à être le type d’un nombre de reproductions infini. Malheureusement ces reproductions laissent considérablement à désirer et, si elles peuvent être satisfaisantes quand il s’agit d’estampes communes, [p.77a] elles seront toujours insuffisantes quand il s’agira de planches traitées avec une certaine délicatesse.

     De la lithographie aux presses lithographiques la transition est simple et naturelle. L’exposition en donne de plusieurs sortes depuis les grandes machines de MM. Kocher, Perrot et antres, jusqu’à la presse portative de M. Thuvien.

     Depuis longtemps on cherchait un moyen de transporter à la lithographie les avantages conquis à la typographie par la presse mécanique; mais aucun des essais tentés jusqu’à ce jour n’avait produit des résultats quelque peu satisfaisants. La machine de M. Kocher présente des avantages incontestables, car il est hors de doute qu’elle ne, puisse fournir en très peu de temps un nombre d’épreuves très considérable, mais elle me semble guère applicable à d’autre impression que celle de l’écriture. En effet, la forme cylindrique donnée à la pierre s’oppose à ce qu’on puisse exécuter sur sa surface un objet d’art un peu important, à cause de l’impossibilité où se trouverait le dessinateur d’apprécier l’ensemble de son œuvre et d’un autre coté le grenage ou préparation des pierres doit être d’une grande difficulté.

     L’invention de M. Perrot a l’avantage de pouvoir s’appliquer aux dessins exécutés sur une surface plane, ce qui lui permet d’imprimer des dessins de toute espèce, mais je ne pense pas qu’elle puisse être d’un grand usage dans l’application aux ouvrages d’art. Les échantillons fournis par M. Perrot ne me semblent rien moins que concluants et encore je doute fort qu’on puisse les obtenir tels qu’ils sont sans retouche et dans un tirage courant.

     La presse autographique de M. Pierron a quelques analogies avec celles de M. Thuvien; l’une et l’autre me semblent d’un usage assez simple et assez facile. La presse à bascule de M. Bouyonnet est très ingénieuse: elle doit être assez commode, mais la pratique seule en peut démontrer les avantages ou les inconvénients.
      Les échantillons de presses typographiques exposés cette année n’offrent rien de bien nouveau: tout le monde a pu voir fonctionner celles de M. Normand dans l’impression de ceux des journaux qui, comme le Siècle, la Presse, les Débats, se tirent à un très grand nombre d’exemplaires. Celles de M. Dutartre ont été combinées de façon à pouvoir être utilement appliquées à l’impression des ouvrages de luxe, et les épreuves du Jocelyn de M. de Lamartine démontrent que, par leur moyen, on peut arriver à des résultats fort satisfaisants; mais ces résultats sont loin encore de pouvoir soutenir la comparaison de ceux qu’on obtient par le moyen de la presse à bras.

     Ce serait ici le lieu de parler des miracles de la typographie moderne, mais voila assez d’industrie pour une fois, ce sera le premier sujet de mon prochain article; comme aussi la reliure qui, par le luxe tout oriental qu’on y voit déployé, me fournira l’occasion de parler de l’orfévrerie, des cristaux, ainsi que de la gravure sur pierre et sur métal.

G. LAVIRON.


     Gaston LAVIRON, «Exposition des produits de l’industrie: la lithographie», in L’Artiste 4/1 (1844), pp. 75-77.
     Réédition: Bernard GINESTE [éd.], «Gaston Laviron: La lithographie à l’exposition des produits de l’industrie (1844)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois/cae-19-formentin1836etampes.html#laviron, 2011.
ÉBAUCHE BIBLIOGRAPHIQUE

Éditions

      Clément-Melchior-Justin-Maxime FOURCHEUX DE MONTROND (dit Maxime de MONTROND ou de MONT-ROND), Essais historiques sur la ville d’Étampes (Seine-et-Oise), avec des notes et des pièces justificatives, par Maxime de Mont-Rond [2 tomes reliés en 1 vol. in-8° (XIII+243p.; 240); planches (seulement dans le tome 1); tome 2  «avec des notes... et une statistique historique des villes, bourgs et châteaux de l’arrondissement»], Étampes, Fortin, 1836-1837, tome 1 (1836), pp. 1 (Étampes. Vue prise du château de Vauroux), 48 (Tour de Guinette), 56 (Notre-Dame d’Étampes), 98 (Restes de l’abbaye de Morigny) et 132 (Monnaies frappées à Étampes ous les règnes de Philippe Ier et Louis VI ou Louis VII).
     Réédition en ligne, in Google Books, à cette adresse (cliquez ici), en ligne en 2011 [d’où les scans ici utilisés].
     Réédition en fac-similé, Paris, Le Livre d’histoire, 2010.

     Bernard GINESTE [éd.], «Formentin et Cie: Étampes en 1836 (lithographies)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-formentin1836etampes.html, 2011.

     Bernard GINESTE [éd.], «Formentin et Cie: Vue d’Étampes prise du château de Vauroux (lithographie, 1836)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-formentin1836vauroux.html, 2011.

     Bernard GINESTE [éd.], «Formentin et Cie: Tour de Guinette (lithographie, 1836)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-formentin1836guinette.html, 2011.

     Bernard GINESTE [éd.], «Formentin et Cie: Notre-Dame d’Étampes (lithographie, 1836)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-formentin1836notredame.html, 2011.

     Bernard GINESTE [éd.], «Formentin et Cie: Restes de l’abbaye de Morigny (lithographie, 1836)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-formentin1836morigny.html, 2011.

Quelques lithographies en ligne produites par Formentin et Cie

Marque de l'atelier de Mlle Formentin Paysages
     BNF (Bibliothèque nationale de France) [éd.], «C. Séchan et A. Couturier:  Vue de l’hôtel du général Foy (imprimerie lithographique de Mlle Formentin », in Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84145573.r, en ligne en 2011.

Portraits
     BNF [éd.], «Charles Vogt (d’après): Wolfgang Amadeus Mozart (lithographie, éd. Formentin)» [scan], in Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84228460.r, en ligne en 2011.
     BNF [éd.], «Charles Vogt: Louis-Antoine-Eléonore Ponchard (éd. Formentin & Cie, 1840)», in Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8423649v.r, en ligne en 2011.
     BNF [éd.], «Charles Bazin: Christophe Colomb (éd. Formentin, 1845)» [scan], in Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8400245b.r, en ligne en 2011.
     BIUM (Bibliothèque interuniversitaire de médecine et d’odontologie) [éd.], «Formentin: Jean Paul Marat (lithographie)», in Banque d’images, http://www.bium.univ-paris5.fr/images/banque/zoom/anmpx21x2186.jpg, en ligne en 2011.
     BIUM [éd.], «Formentin: Jean Pierre Joseph d’Arcet (lithographie)», in Banque d’images, http://www.bium.univ-paris5.fr/images/banque/zoom/anmpx13x0782.jpg, en ligne en 2011.
     BIUM [éd.], «Formentin: Joseph-Ignace Guillotin (lithographie)», in Banque d’images, http://www.bium.univ-paris5.fr/images/banque/zoom/anmpx05x0193.jpg, en ligne en 2011.

Autres sujets
     BNF [éd.], «Mademoiselle Formentin: L’Ouïe (lithographie)», in Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8431743c.r=.langFR, en ligne en 2011.
     BIUM [éd.], «Formentin: Ophtalmologie (lithographie)», in Banque d’images, http://www.bium.univ-paris5.fr/images/banque/zoom/06158.jpg, en ligne en 2011.
     BIUM [éd.], «Formentin: Instruments d’ophtalmologie (lithographie)», in Banque d’images, http://www.bium.univ-paris5.fr/images/banque/zoom/06157.jpg, en ligne en 2011.

Sur Mlle Formentin

     Recueil général des lois et des arrêts. Volume 26, Paris, Sirey, 1826, p.286.
     FONTAINE [président du jury], Rapport du Jury central sur les produits de l’industrie française en 1844. Tome troisième. Sixième commission. Beaux-Arts [790 p.], Paris, Fain & Thunot, 1844, pp. 357-358.
     Gaston LAVIRON, «Exposition des produits de l’industrie: la lithographie», in L’Artiste 4/1 (1844), pp. 75-77.
     Réédition: Bernard GINESTE [éd.], «Gaston Laviron: La lithographie à l’exposition des produits de l’industrie (1844)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois/cae-19-formentin1836etampes.html#laviron, 2011.

     Philippe BÉCHU, De la Paume à la presse: étude de topographie et d’histoire parisiennes: recherches sur les immeubles des 57 rue de Seine et 62 rue Mazarine, leurs occupants et leurs familles [490 p.], Paris, Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile-de-France [«Paris et Ile-de-France: Études et documents» 4], 1998, p.324, note 842.

     Wikipédia n’a pas de page consacrée à Mlle Formentin en 2011, mais il est probable que le chose ne vas pas tardr désormais.


Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Source:  les scans ont été empruntées au site Google Books en 2011. 
   
Explicit
  
SommaireNouveautésBeaux-Arts — HistoireLittératureTextes latinsMoyen Age Numismatique  LiensRemerciementsAssociationNous écrire - Mail