CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Catherine de Médicis
Lettres aux Étampois, ou sur l’Étampois
17 lettres et dépêches, 1587
   
Etampes vers 1610
Etampes au début du XVIIe siècle
   
     Catherine de Médicis, épouse de Henri II (roi de 1547 à 1569) et mère de ses trois successeurs, François II (1569-1570), Charles IX (1570-1574) et Henri III (1574-1589), régente de fait pendant tout le règne de  Charles IX, s’était retirée à l’avènement de son troisième fils; mais elle reprit du service lorsqu’Henri III se trouva en difficulté, notamment pendant la huitième guerre de religion à laquelle la Ligue le contraignit. Voici dix-sept lettres et dépêches qui jettent un jour intéressant sur le sort du pays étampois pendant cette année mouvementée: depuis le démontage des moulins, jusqu’au mauvais sort que firent des mercenaires à un pauvre paysan catholique d’Angerville, entre autres intéressantes péripéties.     
 
Catherine de Médicis
Lettres aux Étampois, ou sur 
l’Étampois
1587

Introduction

     Catherine de Médicis, épouse de Henri II (roi de 1547 à 1569) et mère de ses trois successeurs, François II (1569-1570), Charles IX (1570-1574) et Henri III (1574-1589), régente de fait pendant tout le règne de  Charles IX, s’était retirée à l’avènement de son troisième fils; mais elle reprit du service lorsqu’Henri III se trouva en difficulté, notamment pendant la huitième guerre de religion à laquelle la Ligue le contraignit.

    La correspondance de Catherine
(1519-1589), patiemment éditée en dix volumes parus de 1880 à 1909 (plus un index paru seulement en 1943), contient plusieurs lettres ou missives intéressant l’histoire du pays étampois, notamment en l’année 1562, où elle passa à Étampes à quatre reprises. Mais c’est surtout en l’année 1587, sous le règne de son troisième fils Henri III, que ses lettres abondent en détails intéressants et pittoresques sur les différentes péripéties de la huitième guerre de religion dans le secteur d’Étampes.

     Nous donnons donc ici toutes les lettres qui nous ont paru intéresser directement l’histoire du pays d’Étampes dans sa correspondance de l’année 1587; elles sont au nombre de dix-sept, soit, dans l’ordre chronologique:
     1. Lettre d’Henri III, à la fin mars 1587, au sujet de sa mère qu’il appelle à Paris pour venir l’y seconder.
     2. Lettre de Catherine, malade, qui est en route pour Paris et s’apprête à passer par Étampes.
     3. Après le départ de Paris d’Henri le 12 septembre, qui rejoint le gros de son armée qui campe près d’Étampes, Catherine, restée à Paris pour assurer notamment l’intendance du roi, lui adresse plusieurs lettres, dont celle-ci, du 19 octobre, qui lui annonce qu’elle a bien retenu à Paris le train du roi qui aurait pu être intercepté par l’ennemi près d’Étampes.
     4. Lettre de Catherine du 24, qui met en garde toutes les villes d’Île-de-France contre de possibles coups de force de l’armée protestante.
     5. Lettre de Catherine aux Étampois du 26, renouvelant cette mise en garde (la même ayant été adressée à la Ferté-Alais et à Dourdan).
     6. Lettre de Catherine à Henri III du même jour.
     7. Nouvelle lettre de Catherine aux Étampois, le 27.
     8. Lettre de Catherine aux Chartrains, du 28, renouvelant ses mises en garde.
     9. Lettre de Catherine du 31 à Monsieur de Sainte-Marie, capitaine de cent arquebusiers à cheval en poste à Étampes.
     10. Lettre du 8 novembre de Catherine à Henri III, sur l’envoi du duc de Retz à Étampes, et sur des nouvelles transmises depuis Étampes par Sainte-Marie.
     11. Nouvelle lettre de Catherine à Sainte-Marie, du 13 novembre, lui ordonnant notamment de mettre hors d’état de fonctionner les moulins de l’Étampois.
     12. Lettre au duc de Guise, du 14, lui indiquant qu’on le laissera passer en Étampois.
     13. Lettre à Henri III, du 18, l’informant notamment de mouvements de troupes en Étampois.
     14. Lettre à Henri III, du 21, lui notifiant notamment le départ du duc de Retz pour Étampes.
     15. Lettre du 24, faisant état de la victoire d’Auneau, apprise d’un abbé qui vient de passer Étampes.
     16. Lettre à Henri III du 30 novembre, annonçant notamment l’envoi à Étampes de vêtements destinés aux Suisses huguenots dont le roi a négocié la reddition.
     17. Lettre du 2 décembre 1587 à M. de Dinteville, en mission à Étampes sur les dits vêtements, et sur le meurtre par ces Suisses d’un pauvre paysan catholique d’Angerville.
     Dans le cas de deux lettres un peu longues de Catherine à son fils, il n’est qu’un passage où il soit question d’Étampes; comme je répugne fort à citer des documents tronqués, je me suis résolu à donner en tout petits caractères ce qui ne concerne pas le pays d’Étampes, de telle manière que d’autres puissent néanmoins tirer profit de cette saisie en mode texte du document intégral.

Bernard Gineste, 18 février 2007

François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
 
 
1. Henri III au duc de Nevers
(vers le 29 mars 1587)

     Mon cousin, j’envoie Valerey pour savoir des nouvelles de la Royne ma bonne mère et estre aduerty du jour qu’elle arrivera, ayant seu qu’elle vient coucher demyn à Etampes. J’an loue Dieu; car il est très necessaire que nous prenions une resolution pour le bien de mon servisse. Je prie a Dieu, mon cousin, vous conserver en très bonne santé.

HENRY.

Henri III
  
 
2. Catherine à Bellièvre
(29 mars 1587)

A MONSIEUR DE BELIEVRE.

     Monsieur de Believre, j’ay receu la lettre que m’avez escripte par le Sr de Pontcarré, à laquelle je ne vous diray aultre chose, sinon que, combien que je sois fort travaillée de malladies, neantmoings je m’achemine et faiz la plus grande dilligence que je puis pour m’aller renger auprès du Roy monsieur mon filz, pour le servir de tout ce qu’il me sera possible (1). Il fault bien aussi que tous ses bons serviteurs l’assistent, ainsi que je m’asseure qu’ilz feront, vous entre autres, de cœur et d’affection, comme avez accoustumé. Et me remectant au Sr Miron, je ne vous feray ceste-cy plus longue, priant Dieu, monsieur de Believre, vous avoir en sa saincte garde.
Notes de l’édition de 1905:
     (1) Henri III désirait vivement se retrouver avec la reine mère qu’il savait malade; il écrivait à cette occasion au duc de Never (Bibl. Nat., Fonds fr., n° 3407, f°3): [Suit le texte repris dans notre Lettre n°1 (B.G.)].

 
     Escript à Sainct-Dyé (2), le jour de feste de Pasques fleuries 1587.

     De sa main: Set n’è pas asseuré qu’il fault que le ceour falle; je say byen que enn avés quant il est besouy plus que vostre robe n’a acoteumé d’en donner à ceuls qui la portet, come, Dyeu mersis, Dyeu me fortyfie le myen et augmente, plus que mon sexe ne l’acoteume, aus afayres que l’on tyen deployée; mès je ne tyen pas les nostres de la fason: car je croy, mès que le Roy veulle croyre et feyre, que byen tost yl sera au deseubs de tous ses mauls, et qu’il sera byen servy et byen consellé, et qu’il ne tyendra qu’à luy que tout n’alle comme yl douyt (3). Yl y fault de la forse, de la pasiense et de la contynuatyon.

     La bien vostre,
CATERINE.
     (2) Sainc-Dyé-sur-Loire (Loir-et-Cher). Nous ne savons quel chemin suivit la reine pour retourner à Paris, l’ayant laissée le 22 mars à Châtellerault. Elle s’arrêta sans doute à Blois et de là gagna Orléans et Étampes. Les histoires locales ne nous donnent aucune indication sur son itinéraire.

     (3) L’archevêque de Lyon, d’Espinac, écrivait le 20 mai à Bellièvre: «Monsieur, je ne puys qu’avec vous je ne déplore la misère de ce siècle et  ne ressente un déplaisir incroyable de veoyr tant de mauvays accidens qui semblent concourir à nostre ruine, n’estoyt le fondement que je fay sur le prudence et bonheur de la Royne, qui, comme j’espere, ne mettra point la main inutillement à ce bon euvre, mesme estant assisté de vous, qui surpassés tous les autres en experience des affaires de cest estat et ne cedés à aucun en bonne volonté d’y aporter les remedes necessaires.» Orig. Bibl. Nat. Mss fr., n° 15908, f°414.)
 

3. Catherine à son fils Henri III
(19 octobre 1587)

AU ROY MONSIEUR MON FILZ.

        Monsieur mon filz, en accusant la reception de vostre lettre du jour d’hier, XVIIIe de ce mois, je vous diray que l’intendant Petremol a faict, avec les Srs de vostre Conseil qui sont icy, tout ce qu’ilz ont peu pour recouvrer argent, mais il n’a esté possible, quelque obligation en leurs propres et privez noms qu’ilz se soient offertz de faire, ainsy que vous dira ledict Petremol, par lequel vous serez bien amplement et par le menu informé, s’il vous plaist de l’oyr, de tout ce que nous avons faict depuis qu’il est par deçà, en quoy il a veu qu’il ne s’est espargné nulle sorte de debvoir ny de moyens que l’on aict peu tenter pour recouvrer argent et pour tacher à faire des partiz, affin d’establir et asseurer ung fondz certain pour subvenir à vostre armée; mais nous n’y sommes encores peu parvenir, pour ce que l’edict des affirmations, dont on espere ung grand denier, et quelques aultres ne sont veriffiez au parlement, y aians encores esté hier refuzez, comme il vous plaira veoir par le memoire de l’estat en quoy nous sommes sur chacun des articles d’iceulz edictz et aultres choses dont nous esperons faire argent, de quoy particullierement ceulz de vostre Conseil et moy vous rendons compte par ledict memoire, mis pour cest effect es mains d’icelluy Petremol; auquel me remectant, je ne vous ennuyeray pour ceste heure de plus long discours, mais vous diray à ce propos que le tresorier de l’espargne Mollan a emprunté sur son credit de Zamet, qui en a voullu sa promesse pure et simple, la somme de dix mil escuz, qui vous est presentement envoiée, en attendant que en puissions trouver daventaige; à quoy vous pouvez croire, Monsieur mon filz, qu’il sera faict tout ce qu’il me sera possible et sera intelligemment suivy les erres et poursuicte de chacun article d’icelluy memoire.
        Cependant, Monsieur mon filz, je vous diray que depuis le partement du Sr de Liancourt que je chargay de vous faire entendre ce qui se trouvoit par le rapport que me feit le lieutenant criminel Gellée, allencontre d’ung nomné Grantmaisons, arresté prisonnier en ceste ville et auquel a esté commancé [le procès] et à deuz aultres qui sont avec luy aussy prisonniers, il en a esté encores pris en cestedicte
[p.254] ville quelques aultres, qui sont de la nouvelle oppinion et qui ont esté ou sont depuis quelque temps sortiz de Sedan, ausquelz ledict lieutenant criminel faict les procès, comme auz aultres. Il y a assez de gens en ceste ville qui sollicitent allencontre d’eulz, pour l’oppinion qu’ilz ont sur ung bruict que l’on a faict courir, qu’il y avoit entreprinse sur aucuns des bons catholicques de cestedicte ville; à quoy je ne veoy aucune apparance. Toutesfois l’on verra, par les proceddures que l’on faict, s’il y aura charge contr’eulz pour en ordonner par la justice ainsy que de raison. Et affin que l’on puisse sçavoir et congnoistre tousjours ceulz qui vont et qui viennent, les recherches se feront toutes les sepmaines par les maisons et les gardes de jour soigneusement auz portes et les guetz de nuict, suyvant le bon reiglement qu’il vous pleut prandre la peyne d’en faire faire et resouldre vous mesmes, avant vostre partement. Je vous diray aussy, Monsieur mon filz, que j’ay receu une depesche du Sr de Pierrecourt, de laquelle je vous envoye l’extraict, ayant retenu l’original icy, pour ce qu’i faict mention du faict des garnisons de Normandie: il me mande, comme vous verrez, avoir pris prisonnier ung nommé Gratepanse, aultrement dict Maucomble, et icelluv avoir mené prisonnier à Caudebec (1), avec LX des siens, et que le reste est demouré en routte. II y en a bien de semblables en vostre royaume, et croy qu’il sera bon d’escrire par les provinces, d’icy à quelque temps, que les compagnies qui vous doibvent aller trouver seront arrivées en vostre armée, que l’on courre sus à telles gens, qui resteront en armes esdictes provinces, sans commission de vous; et, s’il vous plaist de commander lesdictes lettres elles auront bien plus d’auctorité que si elles se faisoient et partoient d’icy, signées de vostre cachet et vostre Conseil.
François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis

Note de l’édition de 1905:
(1) Caudebec (Seine-Inférieure), arr. de Rouen.
     Monsieur mon filz, suyvant ce qu’il vous a pleu de m’escrire, j’ay faict arrester en ceste ville vostre train, bande et equipaige d’artillerie et aussy voz tantes, qui fussent partis dès hier et eussent pris le chemyn de Estampes, comme je vous ay faict entendre par mes dernieres, lesdictes pieces d’artillerie estant des samedi delà l’eau; mais nous attenderons sur ce de vos nouvelles. Je vous mercie tres affectueusement de ce qu’il vous a pleu m’escrire de vostre deliberation; en laquelle je prie Dieu vous assister et vous donner en toute prosperité, parfaicte santé, très longue et très heureuze vie.

     Escript à Paris, le… jour d’octobre 1587.

[CATERINE.]

 
 
4. Catherine aux villes d’Île-de-France
(24 octobre 1587)

AUX HABITANS DES VILLES DE L’ISLE DE FRANCE
ET AULTRES CIRCONVOISINES.

     Messieurs, pour ce que pour les advis que j’ay de plusieurs endroictz, je veoy qu’il est plus de besoing que jamais de veiller et prandre garde à la seureté des places, pontz et passaiges des rivieres, j’ay bien voullu vous faire ceste lettre pour vous dire que vous vous teniez sur voz gardes et faciez si bon guet, que l’on ne puisse user d’aucune surprinse sur vous et vostre ville; et, oultre que vous avez en cela le plus d’interest pour vostre repos et conservation, vous ferez en ce faisant service très agreable au Roy mondict Sr et lui et à moy, qui vous y exhorte aultant qu’il m’est possible, priant Dieu, Messieurs, etc.

     Escript à Paris, le XXIIe jour d’octobre 1587.

CATERINE.
François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
 

5. Catherine aux Étampois
(26 octobre 1587)
 
A MESSIEURS
DE LA VILLE D’ESTAMPES.

     Messieurs, les Srs president Brisson et Chandon, conseillers au Conseil d’estat et privé du Roy monsieur mon filz, s’en vont par delà par son commandement, pour faire inventaire et description de tous les bledz et grains battuz qui y sont et les faire amener en ceste ville, et aussy pour faire battre et amener ceulz qui sont encores en gerbe, afin d’eviter que l’armée estrangere, favorisant ceulz de la nouvelle oppinion et leurs adherens, qui prend son chemyn vers la Beaulse, ne s’en puisse prevalloir. Pour ce faire, il leur a esté baillé commission et instruction avec ample pouvoir de ce qu’ilz ont à faire en cela, en quoy vous les assisterez et leur obeirez en ce qu’ilz vous ordonneront pour cest effect, le plus promptement et fidelement que pourrez, selon qu’il est necessaire et utille pour le bien du service du Roy mondict Sr et filz et de cest estat, et aussy pour vostre particullier et de ceulz à qui lesdicts bledz appartiennent. M’asseurant que ne ferez faulte d’y apporter tout ce qui dependra de vostre debvoir, je ne vous ferez la presente plus longue que pour prier Dieu, etc.

     Escript à Paris, XXVIme octobre.

CATERINE.

     [En dessous:] «Semblables [dépêches] ont esté faictes à Messieurs de La Ferté-Alez et Dourdan.»
François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
 

6. Catherine à Henri III
(26 octobre 1587)

  AU ROY MONSIEUR MON FILZ.

     Monsr mon filz, suivant la lettre qu’il vous a pleu m’escripre de Chastillon le XXIIIe de ce mois, que je repceus hier sur le soir, j’ay assemblé ce matin ceux de vostre Conseil avec lesquelz j’ay prins resolution d’envoyer incontinent à Estampes les presidens Brisson et Chandon, leur ayant fait expedier la commission et instruction dont les doubles seront inclus en cette lettre, pour aller faire retirer tous les bleds et grains qui sont à Estampes et aux environs de Corbeil, pour estre amenés en ceste ville, et ceux aussy de La Ferté-Aleps (1), Dourdan et des environs. J’ay fait aussy semblables depesches pour Chartres, et ay si expressement recommandé cette affaire aux Sr Brisson et Chandon et aussy au Sr de Reclainville qui commande à Chartres, que je m’asseure qu’il y sera faict ung bon debvoir: pour le moings y faisons-nous tout ce que nous pouvons. J’ay fait tous ces jours cy deux fois la sepmaine, et feray encore chaque jour, reiterer la publication pour faire apporter en cette ville les grains qui sont es environs. J’ay aussy advisé d’envoyer par les villaiges les lieutenants de robe courte de ce gouvernement pour diligenter de faire battre les grains et les faire amener en cette ville, pour estre conservés à ceux à qui ils appartiendront, selon l’ordre porté par l’ordonnance imprimée, qui sera aussy avec cette lettre incluse. J’ay fait faire le semblable es aultres villes d’icy alentour, afin qu’il reste le moins de grains que l’on pourra à la campaigne; mais, quant aux aultres biens et bestail des habitans qui sont au delà vie la riviere de Seine, et aussy à ce que m’escripvez pour faire rompre les fours, jeter dedans l’eau les meulles de moulins à eau, et abattre ceux qui sont à vent, faire emporter les enclumes des forges, enlever tout le sel qui se trouvera es lieux qui ne se peuvent defendre et le retirer dedans les bonnes villes, il suffira de faire faire cela deux ou trois jours debvant que l’armée approche de cette ville, ainsy que ceux de vostre Conseil et moy estimons; car si l’armée d’estrangers prend un aultre chemin, cela apporteroit un grand effroy, et feroit beaucoup dc dommaiges sans cause. Par quoy il vous plaira de faire advertir d’heure en heure, si cette armée tourne de deçà, et vous souviendrez, s’il vous plaist, de nous envoyer des gens de guerre pour mettre aux tranchées de cette ville, où l’on besongne pour escarper les tranchées et [p.258] relever les bresches. J’ay faict, et le Sr de Villequier aussy, une bien expresse depesche au Sr de Rostaing pour Melun, afin d’y faire faire bonne et seure garde, y ayant des habitans assez bon nombre qui portent les armes, et crois qu’il n’est pas besoing de faire lever gens pour la garder. Mais si les estrangiers s’en approchoient, il fauldra que vous en envoyiez; car, comme sçavez, il n’y a en ce gouvernement neulles forces que la compaignie des gens d’armes du Sr de Villequier, que j’ay fait mettre en garnison icy auprès, pour nous en servir si nous en avons besoing; et quant à Corbeil, j’ay ordonné que l’on leve cinquante soldats pour la garde du pont, oultre les habitans, afin d’eviter une surprinse.

  François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis


Note de l’édition de 1905:
     (1) La Ferté-Aleps (Seine-et-Oise), à 20 kilomètres d’Étampes [Aujourd’hui La Ferté-Alais, en Essonne (B.G.)].
        Nous sommes encore avec ceux du Parlement pour la verification de ces esdits sur lesquelz ont esté faites des pressions, et je leur ay si expressement parlé qu’enfin ilz veriffieront l’esdit des trois conseillers aux Requestes et les lettres patentes pour l’alienation des vingt-cinq mil livres de rente sur voz aides. Nous sommes aussy tousjours après, et faisons ce que nous pouvons pour vendre ces douze offices de maistres des Comptes; mais personne ne s’y presente; et sollicite-t-on journellement les Prevost des Marchands et Eschevins d’accelerer le payement de la subvention où l’on va fort lentement, quelques poursuittes que en puissions faire. Vous pouvez croire qu’il n’y est perdu une seulle minute de temps et que l’on ne fasse tout ce qui se peut pour recouvrer argent, afin de vous en envoyer; mais il ne se veoit encore rien de quoy l’on puisse faire prompt estat, sinon les cent mil livres dont nous avons accordé le parti soubs vostre bon plaisir avec Zamet, qui faict, en attendant vostre response, ses diligences pour tenir prest son argent, que nous vous enverrons incontinent, si vous avez le parti agreable. Je vous diray aussy que j’ay, ce matin et encore cette après disner, parlé à Gondi et Zamet (2) pour l’obligation que demande d’eux la Seigneurie de Venise pour les cent mil livres qu’ilz accordent vous prester; mais je veois en cela beaucoup de difficultés et crains bien que ce fait tire à la longue; car, parce que s’est laissé entendre l’ambassadeur de la Seigneurie, auquel j’ay parlé ceste après diner, comme aussi après l’audience, le Sr de Bellievre, suivant la charge que je luy en avois donnée, il semble que le Sr de Maisse, vostre ambassadeur, ait mal compris l’intention de ladicte Seigneurie, car son ambassadeur, oultre vostre obligation expresse qu’il demande, dict que la Seigneurie entend avoir l’obligation particuliere des Sr Gondi, Bandini et Zamet, pure et simple et l’ung pour l’aultre, ung seul et pour le tout, pour payer en leurs propres et privés noms et ensemblement ces cent mil escuz, mais aussy les LXVIc M., sans aultremnent parler du clergé; sur quoy les Sr Bandini et Zamet qui sont icy, encore qu’ilz monstrent desir vous pouvoir faire service, dient neanmoings ne pouvoir bailler ladicte obligation qu’ils n’ayent leurs seurettés, lesquelles il ne voyent pas que leur puissiez bailler, si ce n’estoit que les archevesques et evesques, par consentement de ceux des dioceses des provinces de deçà, s’obligeassent à eux, de leur faire recepvoir, en leur propre et privé nom dedans le temps qu’il fauldroit adviser, les deniers de leurs diocese de la vente et alienation de leurs cotte et part, des seconds LM de rente; ce qui se pourra, comme je voy, mal aisément faire, d’aultant que ces evesques et ceux du clergé se rendront sans doubte trop difficiles à cela. Touttefois il fauldra venir demain, que mon cousin le cardinal de [p.259] Bourbon me doibt venir retrouver pour me faire entendre ce que luy et ceux du clergé auront resollu cette après-disner qu’ilz se sont assemblés. Cependant il est besoing qu’il vous plaise parler au Sr Bandini. affin de le disposer à s’obliger avec lesdictz Gondi et Zamet, envers lesquelz je n’obmettray rien de ce qui pourra servir pour les induire de bailler leur obligation aux Venitiens, ainsy qu’ils la demandent en prenant leurs seuretez sur ce qui viendra de l’alienation desdicts LM l. de rente.
     Je vous envoye ung bref du Pape et une lettre que vous escript le nunce, qu’il m’a baillée cette après disner.
     Quant à ces prisonniers huguenots, on est après à leur faire leur procès, et crois qu’ils seront bien tost jugés au Chastellet, Et pour le regard des corps de garde, dont il a esté esclaircy en la presence de ceux de vostre Conseil que ce qui fut faict au bout du pont St Michel par un nommé le capitaine La Rue (3), tailleur, advinct sur ce que le president Seguier et aultres principaux du quartier luy dirent qu’il n’y avait point de mal que l’on print garde qu’il n’advint aulcune esmotion audict quartier et qu’il en advertit aulcuns de sa dizaine, et sur cela, sans penser mal faire, se mirent dix ou douze ensemble après souper et se retirerent environ les dix heures sans y demeurer davantaige, à ce que Daubret (4), qui est prevost des Marchands, nous a rapporté, les recherches continueront en la forme et ainsy que je vous ay escript, afin que ceux qui viendront en cette ville pour mal faire puissent estre intimidés, decouverts et chastiés, si l’on les peut prendre. Je vous prie de croire, Monsr mon filz, que nous n’obmettrons rien pour entretenir le repos et mettre toutes choses en bon estat en cette ville, où je ne doubte point qu’il n’y en ait de mauvaise volonté, mais pourtant ay-je esperance qu’il se contiendront, veu l’ordre et reglement que vous avez vous-mesme pris la poyne de faire observer, à quoy le Sr de Villequier a fort soingneusement l’œil ouvert, et fera user de toute diligence aux tranchées, auxquelles nous faisons employer les pionniers de vostre artillerie: aussy bien ne faisoient-il rien.
     J’ay veu aussy le double de la lettre que vous a escripte le duc de Bouillon, et les aultres doubles des lettres, instructions et memoires qu’il vous a envoyés avec; ilz seroient bien saiges s’ils se vouloient ranger à leur debvoir, et ay ferme esperance que Dieu vous assistera, congnoissant vostre bonne et saincte intention. C’est ung grand malheur que la perte que vous avez faite en Guyenne, dont je suis en tres grande poyne (5) depuis hier disner que le jeune Desportes me dict ces nouvelles si mal à propos; et j’en eus une telle esmotion que je n’en ay pas esté bien à mon aise depuis. Je vous prie. Monsr mon filz, si vous avez entendeu comme cela s’est passé, m’en vouloir escripre, et je vais prier Dieu vous conserver en tout prosperité, parfaite santé, et longue et très heureuse vie.


     Escript à Paris, le XXVIe octobre 1587.


CATERINE.
Notes de l’édition de 1905:

     (2) Sur les banquiers Girolamo Gondi, de Mario Bandini et Sebastiano Zametfo, on peut voir le Bulletin italien, I, p. 158; II, p. 122 et 143.
     (3) L’Estoile parle dans un grand nombre de passages du tailleur Pierre de La Rue.
     (4) Le fameux Claude d’Aubray, qui fut député de Paris aux Etats-généraux de 1593.
     (5) La défection du comte de Soissons, qui venait de rejoindre Turenne, ou plutôt la défaite de Coutras.



 

7. Catherine aux Étampois
(27 octobre 1587)

A MESSIEURS D’ESTAMPES.


     Messieurs, pour ce que l’armée estrangere, venue en faveur de ceulz de la nouvelle oppinions [sic] et leurs adherens, a tourné la teste et prend son chemyn du costé de la Beaulse, avec apparance de se voulloir saisir de la ville d’Estampes, où ilz pensent trouver des vivres abondemment, le Roy monsieur mon filz m’a escript et advertye de prouvoir [pourvoir] à la seureté d’icelle, auquel effect je me suis advisée que voz compaignies et trouppes de gens de guerre se presentent bien à propos, au lieu de vous mettre en debvoir d’aller trouver le Roy mondict Sr et filz, ce que vous ne pourriez faire à ceste heure sans danger d’estre rencontrez par ladicte armée estrangere: occasion pourquoy j’ay bien voullu vous faire ceste lettre pour vous dire et prier que, sur tant que desirez faire service agreable au Roy mondict Sr et filz, vous ayez à vous acheminer et rendre promptement en ladicte ville d’Estampes, où vous trouverez le Sr Alfonse d’Ornano, collonel des Corces, que le le Roy mondict Sr et filz y a envoyé, avec commission pour prouvoir à la seureté de ladicte ville, lequel vous fera entendre ce que vous avez à faire en cest endroict; vous priant ne faire difficulté de le recongnoistre et faire ce qui sera par entre vous advisé estre bon et necessaire pour la tuition et deffense de ladicte ville d’Estampes contre ladicte armée estrangere, laquelle sera suivie de si prés de celle du Roy mondict Sr et filz, qu’elle n’aura loisir de rien entreprendre contre vous et ladicte ville. Et m’asseurant que ferez tout debvoir et dilligence de vous emploier en cest affaire, tant important au service du Roy mondict Sr et filz, selon la singulliere affection que je sçay que vous y avez, je ne vous y exhorteray davantaige, priant Dieu, Messieurs, etc.

     Escript à Paris, le XXVIIme octobre 1587.

[CATERINE]
François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
   

8. Catherine aux Chartrains
(28 octobre 1587)

A MESSIEURS DE CHARTRES.

     Messieurs, vous estes assez advertiz comme l’armée estrangere, favorisant le parti de ceulz de la nouvelle oppinion et leurs adherens, à [sic] tourné la teste et s’achemine du costé de la Beaulse, non sans grande suspition et apparence que soit pour approcher de vostre ville et tenter quelque entreprinse; tellement que vous avez toute occasion et plus de besoing que jamais de vous tenir sur voz gardes. C’est pourquoy j’ay bien voullu vous faire ceste lettre, pour vous prier de faire faire bonne garde et guest, tant de jour que de nuict, en vostre ville, et y veiller si soigneusement qu’il n’y puisse advenir aucun inconveniant au prejudice du service du Roy mondict Sr et filz et de vostre propre repos et conservation, en attendant que, selon que l’on en verra la necessité le requerir, l’on vous envoye des forces suffizantes pour resister aux effortz que pouroient et voudroient [sic] faire ladicte armée estrangere. Car le Roy mondict Sr et filz et moy vous portons tant de bonne affection, que nous ne vouldrions jamais manquer à vous secourir et assister en ceste occasion si urgente. Cependant vous garderez ung bon ordre et discipline en vostredicte ville et y ferez provision de toutes choses necessaires à soutenir ung siege, si ainsy estoit que l’on vous voullust attacquer. Priant Dieu, Messieurs, etc.

     Escript à Paris, le XVIIIe jour d’octobre 1587.

[CATERINE.]
François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
 


9. Catherine à M. de Sainte-Marie, en poste à Étampes
(31 octobre 1587)

[A MONSIEUR DE SAINTE-MARIE.]


     Monsr de Sainte-Marie (1), j’ay receu la lettre que m’avez escripte le XXXe de ce mois à Estampes (2), où vous vous estes acheminé suivant le commandement du Roy, dont je suis très aise, m’asseurant qu’il n’eut seu faire meilleure eslection que de vous, à qui je diray que, suivant vostre lettre, j’ay commandé au Sr de Bord de vous envoyer incontinent ung millier de pouldre à canon, à quoy je m’asseure qu’il satisfera. Je lui ay aussy ordonné de vous envoyer des pelles et picques; mais il n’en a que pour les pionniers qui sont icy et pour la munition de l’equipaige de l’artillerie qu’il doibt conduire en l’armée, de sorte que je ne sçais s’il vous en pourra envoyer, mais je suis d’advis que vous en fassiez faire à Estampes, où il y a force ouvriers.

     J’escrips aussy aux presidens Brisson et Chandon, sur ce que desirez que je leur mande, qu’ilz fassent ce que le Roy monsr mon filz leur mandera pour le faict des grains et vins; car ils ont envoyé vers luy pour savoir son intention. Je prie Dieu, Monsr de Sainte-Marie, vous avoir en sa saincte et digne garde.

     Escript le dernier octobre 1587.

     CATERINE.

     [Au bas:] «Il a esté espédié une ordonnance au sr Bord pour delivrer la pouldre.»

Notes de l’édition de 1905:
     (1) Jacques de Sainte-Marie, sgr d’Agneaux, capitaine de cent arquebusiers à cheval, chevalier de l’ordre et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, plus tard gouverneur de Barfleur, mort en 1629. Son frere puîné, Louis de Sainte-Marie. sgr de Canchy, etait gouverneur de Carentan.

     (2) Le gouverneur de la ville et du château était Claude de la Motte, sgr de Bonnelles, et le capitaine de Blaville commandait depuis 1586 les milices locales. Mais en voyant approcher les reistres, on avait voulu renforcer la défense de la ville. «Sainte-Marie, écrit Fleureau, y fut reçu pour commander pour le Roy avec onze compagnies de gens de pied des régiments de Laugnac et de Brigneux.» — Les antiquitez de la ville et du duché d’Estampes, de D. Basile Fleureau. 1683, in-8°, p. 250.



 

10. Catherine à Henri III
(8 novembre 1587)

AU ROY MONSIEUR MON FILZ.

     Monsr mon filz, ayant receu et veu la depesche qu’il vous a pleu me faire de Meung le IXe de ce mois, je l’ay encore faict lire cette après-disner, estant en Conseil, aux Srs dudict Conseil, et avons resolu que, aussi tost que l’on saura que l’armée des estrangers de ceux de la nouvelle oppinion sera ung peu esloingnée d’Estampes, le duc de Raiz partira d’icy et vous remenera voz quatre mille suisses, auxquels je suis après à faire bailler quatre cents escus pour enseigne en quinze jours, qui fera deux cents pour cette sepmaine et deux pour la prochaine, dedans laquelle j’espere qu’ilz vous joindront avec les deux cents lances et les gens de pied que le duc de Retz a amenez. Si ay bonne esperance qu’il assemblera encore quelques compaignies de gens d’armes et de l’arriere ban, que j’ay envoyé de rechef advertir, sur les plus preignantes poynes qu’i se peut, de s’advancer vers Estampes, afin de se joindre et passer pour vous aller trouver avec le duc de Raiz, qui menera vostre artillerie, tente et equipaige, pour lequel aussy je suis après à faire fournir sept mil escus au tresorier de l’artillerie, qui est seulement pour demy-mois du payement des officiers et chevaulx. Zamet fait compter les C M l. de son prest, desquelz aussy le duc de Raiz conduira ce qu’il aura delivré icy au tresorier Gobelin; car, à ce que j’entends, Zamet a une partie de son argent à Orleans et à Tours, dont il donne ordre qu’il sera fourny à l’instant à Gobelin. Je viens de recepvoir une lettre du sr de Sainte-Marie, qui est à Estampes, laquelle je vous envoye (pour ce qu’il dict ne vous pouvoir advenir, luy estant les chemins bouchez), afin que vous entendiez des nouvelles de l’armée de ceux de la nouvelle opinion. Je vous diray aussy que le duc de Guise s’en va vous joindre, à ce qu’il m’a escript aujourd’huy, avec ce qu’il a de forces, suivant ce qu’il vous a pleu luy escripre. Il a couché la nuit passée à Fontainebleau, où il attend des nouvelles du sr de Raiz, qui a envoyé vers luy pour cet effet, estimant qu’ilz pourront marcher ensemble. Vostre artillerie en ira plus seurement. Et si ce n’eust esté que vous desirez avoir toute vostre artillerie, pionniers et reitres, ilz eussent esté tous deux beaucoup plus tost à vous qu’ilz ne pourront estre, nous ayant le sr de Raiz remonstré cette après disner qu’il n’est pas à propos de faire partir d’icy vostre artillerie que l’on ne saiche que l’armée ennemie soit deslogée d’où elle est et qu’elle se soit ung peu esloinguée et ait passé le pont bien avant; car il y auroit danger qu’ilz fissent quelque entreprinse sur le sr de Raiz et ce qu’il mene, où il pourroit advenir, estant le plus faible, beaucoup de prejudice à vostre service.

François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
        Je ne fauldray de parler demain ou vendredy aux presidens du Parlement, ainsy qu’il vous plaist m’escripre, encore que ce matin je leur aye derechef faict entendte le mescontentement que vous aviez de ce qu’ilz ont tenu en si grande longueur la verification de vostre edict après cette feste; je leur feray porter au parlement la bonne lettre que vous leur escripvez. Cependant il ne se perd une seule minute de temps pour accelerer les choses afin de recouvrer argent; mais il ne s’y advance quasy rien, quelque poyne que l’on y prenne. J’ay ce matin parlé aux presidens des chambres des Comptes et aussy au prevost des Marchands et à aulcuns des principaux bourgeois, tant pour accelerer le payement de la subvention que pour tenir tousjours cette ville en bon et paisible repos. Soubs [p.277] vostre auctorité, pendant que vous estes à travailler jour et nuit pour mettre non seulement cette ville, mais aussy tout le royaulme hors de la poyne où nous sommes, où vous ne vouliez, comme chacun voit, espargner vostre propre personne et vie. J’estime que cela, avec ce que je leur fis entendre il y a quelques jours et le soing que le sr de Villequier y prendra, servira beaucoup à rompre les mesnées et mauvaises deliberations de quelques ungs. Je ne fauldray aussy de faire regarder quel moyen il y aura de pouvoir faire parti pour des draps, chapeaux et aultres commoditez que desirez que l’on vous envoye d’icy pour faire distribuer aux soldats de vostre armée. Cependant, je vous diray que ceux à qui l’on a parlé et qui vouldroient bien faire ces fournitures, demandent que le recepveur du clergé s’y oblige en son propre et privé nom, ou quelque aultre bien solvable; mais jusques à ce que soient resolus et que l’on voye comme l’on levera les deniers des L M l. de rente du clergé, le recepveur ny personne ne vouldra entrer à faite ces responsions. L’on besongne es roolles de la taxe des benefices, et crois qu’ilz seront bientost prests. Nous l’attendons pour regarder à faire assigner sur ces deniers le tresorier de l’exercice des guerres pour le Daulphiné, sur ce qui proviendra de la province mesme, et fera-t-on par mesme moyen ce qui se pourra pour le marquisat de Saluces. Quant aux garnisons des provinces de deçà, l’on a faict et envoyé les depesches pour leur en faire payer trois mois sur les biens de ceux de la nouvelle opinion, et affecter le revenu particulier de chacune terre pour chacune garnison, et le capitaine de chacune place pourra faire venir lui-mesme les deniers du revenu de ce qui luy sera affecté, le tout suivant ce qu’il vous a plu m’escripre; ayant ordonné que les premiers quinze mil escus qui viendront en la generalité de Paris des biens de ceux de la nouvelle opinion seront envoyez à Cambray, dont j’ay adverty le sr de Ballagny, afin de le continuer tousjours en son debvoir. Le sr de Torcy est icy venu, suivant ce qu’il dict qu’il vous a plus luy escripre: il a faict tenir sa compaignie de gens d’armes icy autour, il demande qu’elle soit establie en garnison et payée comme celle du sr de Villequier: sur quoy il vous plaira mander vostre volonté. Cependant je prie Dieu, Monsr mon filz, vous avoir en sa sainte et digne garde.

     Escript le VIIIe novembre 1587.

CATERINE.

 

11. Catherine à M. de Sainte-Marie, en poste à Étampes
(13 novembre 1587)

À MONSIEUR DE SAINTE-MARIE


     Je viens de recepvoir par ce porteur la lettre que m’avez escripte, et ay veu par icelle comme le Sr d’Ossonville (
1) vous a dict que mon nepveu le duc de Guise seroit aujourd’huy à Estampes (2) me demandant ce que vous avez à faire sur cela. Sur quoy je vous diray que le Roy monsr mon filz ayant escript, comme il a fait depuis peu de jours, au duc de Guise de s’en aller joindre à luy avec ses forces, je suis d’advis que vous laissiez passer ledict duc avec ses forces par Estampes, afin qu’il ne soit point retardé.
Notes de l’édition de 1905:
     (1) Jean, baron d’Haussonville.
     (2) Entre la victoire de Vimory, qui est du 27 octobre, et celle de Auneau, qui est du 24 novembre, le duc de Guise passa par Étampes, poursuivant les troupes du baron de Dohna.
     Je suis bien marrie que ceux de la nouvelle oppinion ayent pris le chasteau de Mereville (3), comme rn’escripvez; car je croy, comme vous dites, qu’ils y trouveront des commoditez qu’il seroit bon pour le service du Roy qui leur fussent ostées. [p.282]
     (3) Méréville (Seine-et-Oise) [actuellement en Essonne (B.G.)], à 20 kilomètres d’Étampes, sur les bords de la Juine, où existait un vieux château gothique, flanqué de quatre tours, reconstruit au XVIIIe siècle par le financier de Laborde avec un luxe extraordinaire.
     Je vous escripvis hier que vous fissiez oster les ailes et rompre les fers des moulins (4), si ne l’aviez faict; à quoy je m’asseure que satisferez, vous priant m’advertir à toutes heures de ce que croirez le meriter.

     Escript à Paris, le XIIIe novembre 1587.

[CATERINE.]

     (4) On sait que, jusqu’à ces dernières années, la vallée d’Étampes était sillonnée de moulins, qui approvisionnaient de farine Paris et les environs.
 

12. Catherine au Duc de Guise
(14 novembre 1587)

A MONSIEUR DE GUISE.

     Mon nepveu, pour ce que je vous escripvis hier par ung de mes lacquais faisant response à voz lettres (
1) et vous advertissant aussy comme j’avois mandé à Estampes et aultres villes des environs de vous laisser passer, vous et vos troupes allant trouver le Roy, j’ay retenu jusques à ce jourd’huy ce porteur et le courrier qui est avec luy afin que vous puyssiez avoir encore par eux de mes nouvelles et vous advenir de celles que pourrois avoir du Roy, comme j’ay eu presentement, qu’il m’escript qu’il vous attend avec voz troupes en deliberation de faire quelque bon exploict, estant encore l’armée des estrangers de ceux de la nouvelle opinion es lieux mesmes où ils estoient il y a dix jours, faisant demonstration de vouloir prendre Janville en Beaulse (2) où le Roy m’escript avoir faict entrer trois compaignies de gens de pied, n’estimant pas qu’ilz y puissent rien faire, en veoyant que son armée et voz troupes sont si près d’eux, aussy qu’ilz n’ont plus de pieces ny de mugnitions d’artillerie pour faire grand exploict; et pour ce que le Sr de Sainte-Marye m’a escript vous avoir donné advis de la traicte qui fut la nuit d’hier donnée aux compaignies des Suisses des Huguenots, et comme il avoit entendeu qu’il se debvoit faire quelque entreprises sur voz troupes, je ne vous feray plus longue lettre, mais prieray Dieu vous avoir en sa sainte garde.

     Escript à Paris, le XIVe jour de novembre 1587.

CATERINE.
Notes de l’édition de 1905:
     (1) Toute la correspondance originale du duc de Guise avec le roi et la reine mère dans les mois d’octobre et de novembre 1587 se trouve à la Bibliothèque nationale (ms. fr. 4734). Ses lettres sont datées de Montargis, 23 octobre, de Nemours, 7 novembre, de Montereau, 6 novembre, de la Ferté-Alais, 15 novembre.

     (2) Janville-en-Beauce, arr. de Chartres (Eure-et-Loir).
 
 
13. Catherine à Henri III
(18 novembre 1587)

AU ROY MONSIEUR MON FILZ.

     Monsr mon filz, suivant la lettre qu’il vous a plu m’escrire par Regnault de… le … (1) de ce mois, j’espere que le duc de Retz partira l’ung des premiers jours de la semaine prochaine, avec voz quatre mil Suisses et les deux cents lances et les regimens de gens de pied qu’il a amenez avec luy, excepté celuy que j’ay envoyé a Chartres, et oultre cela il recueillera encore des compagnies de gens d’armes qui sont icy es environs et devers Estampes, où je les ay fait acheminer, lesquelz font aussy bon nombre de chevaulx; mais je ne vous puis dire à la verité combien il a de compaignies de l’arriere ban d’aulcuns bailliages de Normandie qui iront pareillement avec luy, qui n’est point encore resolu du chemin qu’il tiendra, jusques à ce que le duc de Guise se soit advancé pour vous aller trouver, ainsy que je luy escripvis hier et luy ay encore escript aujourd’huy qu’il faut qu’il fasse, ayant cousche à la Ferté-Aleps, et ses troupes es environs, assez prés de ceux de la nouvelle opinion, qui firent une entreprise sur luy, ainsy que le sr de Saincte-Marie luy en avoit donné advis et qu’il l’avoit aussy sceu d’ailleurs: cela l’a empesché de marcher et ne sçait encore, à ce qu’il m’escript, quel chemin il prendra, à present qu’il faut qu’il laisse la riviere d’Estampes sur laquelle il a faict venir des vivres, et dont il craint d’estre fort incommodé pour ce qu’il n’a aulcun equipaige, ny charroy pour en faire porter; à ce qu’il m’a aussy mandé, l’armée des huguenots battoit aux champs ce matin pour marcher. [p.289] Si c’est pour aller devers Janville, j’estime qu’ilz y seront fort incommodez, car oultre qu’il y a peu d’eau en ces quartiers, le Sr Damoy, qu’avez envoyé dedans, a fait gaster l’eau de tous les puits et des mares aussy des environs, ce qui aidera bien à augmenter les maladies qu’ilz ont déjà en leur armée: ce sera toujours pour les diminuer. Et encore que je pense bien que dès cette heure vous aurez entendeu l’extraicte que le Sr de Saincte-Marie a faict donner à sept enseignes de Suisses, qui estoient logez à deux lieues près d’Estampes, si ne laisseray-je de vous envoyer la lettre que ledict Sr de Sainte-Marie m’a escripte, affin que vous voyiez comme les Srs de Brigneu et de Longnac ont fort bien faict. Je leur ay escript le contentement que en aviez, pour les encouraiger toujours de bien en mieux; s’il vous plaist de leur en escripre aussy, ce sera occasion aux aultres capitaines de n’en laisser passer aulcune pour faire leur debvoir.
Note de l’édition de 1905:
(1) En blanc dans le texte.
     Cependant, je vous diray que nous sommes après et quasy d’accord pour faire fournir, par Papillon et quelques aultres marchands des draps, pour treize mil livres, aux treize enseignes des Suisses qui sont icy. Nous empruntons le drap, payable le plus loing que nous pouvons, des deniers de l’alienation des cent mil livres du clergé sur la responsion du receveur du clergé, qui nous a promis la bailler, et vous sera envoyé le memoire aussitost que le marché sera conclud, affin de veoir si vous aurez agreables les prix, et si trouverez bon que l’on en achepte encore pour vingt cinq ou trente mil livres pour vous envoyer, et que l’on en mette l’assignation aussy payable le plus loing que l’on pourra des deniers de ladicte vente, sur lesquelz nous sommes aussy à faire ung partv d’une somme qui vous seroit fournie comptant par Gondy et Zamet et incontinent après que la verification sera faicte en la chambre des Comptes du contrat qu’ilz en feront, et dont j’espere que vous aurez bientost les articles; car ceulx de vostre Conseil en ont esté desjà bien avant en propos avec eux, qui monstrent avoir beaucoup de bonne volonté de vous faire service, mais qu’ilz puissent avoir leur seuretés. J’ay envoyé aujourd’huy à vostre parlemeut les lettres que vous luy avez escriptes par le Sr de Lanssac, qui n’a rien obmis de ce qu’il avoit à leur dire pour faire passer les esditz qn’ilz avoient remis à cette Saint-Martin. Je crois que maintenant, ayant veu ce que leur en avez mandé, ilz entreront en la verification. Il esté aussy, au partir de là, en vostre chambre des Comptes, pour faire recepvoir le deux presidens de la nouvelle creation; car jusques à ce qu’ilz soient repceus et installez, nous voyons bien qu’il ne viendra personne prendre les offices de maistres des comptes. Ils ont remis à lundy à assembler les deux semestres; mais je crains bien qu’il se trouve encore de la difficulté à faire recepvoir les presidens, pour la plainte que font ceux de la chambre du prejudice que leur apporte cette nouvelle creation, y en ayant eu quelques ungs qui se sont monstrez en cecy fort contraires, et ung entre aultres que nous avons fait venir en vostre Conseil et reprimandé pour s’estre elevé plus que pas ung des aultres, et avoir dict au Sr de Lanssac que, leurs biens estant ruinez aux champs et n’estant payez de leurs gaiges et de leurs rentes, et, leur diminuant encore si fort leurs offices, il n’y avoit plus qu’à mettre le feu en leurs maisons affin qu’ilz abandonnassent tout. Je vous diray aussy, Monsieur mon filz, que, suivant ce qu’il vous pleu m’escripre, j’ay faict aussy expedier des lettres patentes sur votre sceau, qui seront presentées lundy prochain à la chambre [p.290] des Tournelles de vostre parlement, afin de faire sortir Boisgarnier de la Conciergerie et le faire mettre entre les mains du chevalier du guet, pour en faire bonne et seure garde à la Bastille, en attendant qu’il vous plaise envoyer voz lettres patentes par lesquelles vous le declarerez prisonnier de guerre et l’absouldrez du jugement à mort contre luy rendu, ordonnant qu’il soit mis en liberté. Il vous plaira aussy m’escrire ce que vous entendez estre faict des aultres prisonniers qui ont esté jugez avec luy.

     Cependant, Monsr mon filz, je vous envoyc une requeste dont l’ambassadeur d’Espaigne m’a desjà parlé par deux fois aux dernieres audiences qu’il a eues, et, suivant ce que je luy respondis la premiere fois, je fis voir ladicte requeste en vostre Conseil, qui fut d’advis que le secretaire Pinart diroit au secretaire de l’ambassadeur venant vers luy que, faisant apparoir comme ceux de voz subjectz qui ont des terres et seigneuries es Pays-Bas avoient esté et estoient encore exemptz de la subvention qu’ilz prennent par delà sur les fiefs et seigneuries, qui est ce que l’on appelle icy arriere-ban, vous en ferez de mesme aux subjectz du roi d’Espaigne qui ont des fiefs et seigneuries par delà, mais il le vouloit entendre par escript: ce que vostre Conseil fut d’advis de faire, qui a esté cause qu’il m’en a encore parlé à la derniere audience et que je vous en fais ce mot, afin qu’il vous plaise m’en mander vostre intention. Il me parla aussy de faire revocquer des lettres patentes, contresignées Bruslart, qui ont esté expediées, il y quelque temps, au roy don Antonio; il m’en bailla pareillement une requeste dont je vous envoye le double, et de la response que, j’y ay faite, de laquelle il ne se contente pas, me requerant que l’on revocque ces lettres; et l’homme du roy don Anthonio demande à estre oy en vostre Conseil sur ladicte requeste, en ayant aussy presenté une. Il vous plaira sur le tout me mander vostre intention, et pareillement sur une aultre que l’ambassadeur d’Angleterre m’a faicte pour le faict des lettres de marque. Ceux de vostre Conseil seroient bien d’advis d’accorder, de part et d’aultre et reciproquement que les lettres de marque ne se executassent point que premierement elles n’ayent esté communicquées avec les pieces justificatives du desny de justice, et que delay de trois mois fust donné à l’ambassadeur du Prince sur les subjectz duquel sont baillées ces lettres de marque, pour donner moyen à l’ambassadeur de faire satisfaire les parties. Il vous plaira aussy parler à mon nepveu le duc de Mercœur du contenu en une aultre requeste que poursuivent icy, il y a desja longtemps, des Anglois pour quelques marchandises vendues en Bretaigne, pour lesquelles ils sont sur le point de bailler lettres de represailles, desquelles il adviendroit que ceux de voz subjectz, qui n’en peuvent mais, partiroient. Priant Dieu, Monsr mon filz, vous avoir en sa sainte et digne garde.


     Escript à Paris, le XVIIIe jour de novembre 1587.

    CATERINE.
François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
 

14. Catherine à Henri III

(21 novembre 1587)

AU ROY MONSIEUR MON FILZ.

     Monsr mon filz, je viens de recepvoir la lettre qu’il vous a plu m’escripre par le courrier Barbier, suivant laquelle et ce qu’avez escript au duc de Retz, il partira demain de cette ville avec vostre artillerie, train et compaignie, tentes et pionniers, et s’acheminera à Estampes, où l’on a pourveu icy de luy fournir du pain, et en cette ville aussy on le fera porter sur mes mulets et sur ceux de la Royne ma fille, puisqu’il ne se peut trouver chevaux des voicturiers en la ville, où il est veneu bien des laboureurs qui y amenent du bled le jour du marché; mais, qui arresteroit ceux-là, il en viendroit de grandes plaintes et incommoditez en la ville.

        J’ay, incontinent après avoir receu vostre lettre, faict une très expresse depesche au Sr de Carrouges, suivant ce que vous m’avez escript, pour aller à Verneuil, L’Aigle, Mortagne et aultres petites places qui sont en ces quartiers là, combien qu’elles ne soient de sa charge. Le Sr de Villequier a aussy envoyé à Dreux, qui est de ce gouvernement, et si ai-je faict expedier commission au frere de Lugolli, commissaire des guerres, pour aller conduire les six compaignies de gens de pied du regiment de Perigueux en ces quartiers là, avec commission pour les faire venir et departir eu tous les lieux où besoing sera. La depesche au Sr de Carrouge porte aussy, suivant ce m’avez mandé, de faire retirer les vivres dans les meilleures villes et faire rompre les rouets (1) des moullins et les fours et forges, et faire pareillement oster les bottes, souliers et aultres commoditez, que l’on verra que les ennemis se pourroient procurer, s’ilz alloient de ce costé là, affin qu’ilz en soient privez. Quant au payement de la subvention de cette ville, dont vous m’escripvez aussy que desirez savoir où l’on en est, je vous diray qu’il n’y a encore que trois mil escus de receus, et quelque poursuitte que l’on en fasse, je ne veois qu’il s’y advance gueres. Pour le faict du party dont est faict cy-debvant mention, je vous diray [p.295] que du commencement il avoit esté parlé qu’ilz fourniraient trois cent mil livres, dont cent seroient comptant et les aultres deux cents mil par mois; mais, comme vous avez entendu du Sr Miron, vostre premier medecin, ilz ont depuis changé, ne parlant plus que des VI XX M. livres, ainsy qu’il est porté par le memoire qui sera inclus icy; en font-ilz difficulté d’y entrer (2), comme vous aurez entendeu par Miron, que je priay de ramentevoir de nous en mander vostre intention, comme je fais encore presentement, vous priant de croire qu’il n’y a rien qui me travaille tant que le peu de moyen que je veois qu’il a de recouvrer argent maintenant; car, quelque dilligence que l’on y fasse, je ne veois point que l’on y advance, dont il me desplait grandement; et si je pouvois en mon particullier trouver à emprunter et engaiger ce que j’ay, comme j’ay tasché de faire, dussé-je jeusner, croyez que je n’ay rien que je ne baillasse; car, comme vous dites, je vois avec extresme regrect que vostre armée se defera, si vous ne lui faictes faire monstre. J’ay veu aussi ce qu’il vous a plu me mander parle post-scriptum de vostre lettre pour celuy qui est depesché en Allemaigne, à quoy j’ay secrettement donné ordre que, pour le moings aux portes de cette ville, il sera observé, et fera-on aussy, aux aultres lieux que me mandez, ce que l’on pourra pour en savoir des nouvelles.

     Escript à Paris, le XXIe jour de novembre 1587.

     Vostre bonne mere,
CATERINE.
François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
Notes:
     (1) On appelle rouet, selon Littré, la «roue dentée placée sur l’arbre d’un moulin à eau ou à vent, laquelle engrène avec les fuseaux de la lanterne.» (B.G.).
     (2) Le 23 novembre, la reine mère signifia au prévôt de marchands de Paris qu’il eût à faire payer dans les trois jours la taxe de «deux cens mil livres», pour la solde des 4,000 Suisses (note de l’édition de 1905).
 

15. Catherine à Monsieur Brulart
(24 novembre 1587)

A MONSIEUR BRULART,
CONSEILLER AU CONSEIL DU ROY MONSIEUR MON FILZ,
SECRETAIRE D’ESTAT DES SES COMMANDEMENS ET FINANCES.

     Monsieur Brulart, vous m’avez faict très grand plaisir de m’avoir escript par Regnault la continuation de la bonne santé du Roy monsieur mon fils et l’estat en quoy l’on estoit pour la negociation des Suisses, que l’on nous dict icy qui est conclue et arrestée avecq eulz. Si ainsi est, et les bonnes nouvelles qui courent icy et que l’abbé de Villeloyn (1), qui vient d’arriver, nous a dict avoir entendues passant par Estampes, que ceste nuict mon nepveu le duc de Guize est entré, par le chasteau d’Auneau (2), dedans le bourg où estoient logées treize enseignes de cornettes de reistres qu’il a entieremet deffaictes, les aiant surpris. Je prie à Dieu que l’une et l’autre de ces nouvelles soient bien veritables, et vous prie m’en escripre ce qui en est et que en aurez apris.

     Cependant je vous diray que le Sr de Rieux est passé par icy, m’aiant monstre son instruction et le double de la lettre que le Roy mon dict Sr et filz escript à mon filz le duc de Lorraine; c’est ung affaire qui m’afflige et me donne beaucoup d’ennuy: je y ay faict, Dieu m’en est tesmoing, tout ce qu’il m’a esté possible, ainsi que vous aurez veu par les lettres que j’en ay a toutes occasions escriptes à mon dict filz dc Lorraine (3), que je prie Dieu [p.303] vouloir inspirer à faire ce qu’il doibt, et que le Roy mondict Sr et filz en puisse demeurer content et satisfaict. J’ay bonne esperance audit Sr de Believre, qui est sage et bon serviteur du Roy mondict Sr et filz; aussitost que j’en auray nouvelles, je ne faudray de vous donner advis. Cependant je prie Dieu, Monsieur Brulart, vous avoir en sa saincte et digne garde.

     Escript à Paris, le XXIIIIe novembre 1587, au soir.

CATERINE.
     PINART.
Notes de l’édition de 1905:
     (1) C’était Antoine de Bruyères de Chalabres. L’abbaye benedictine de Villeloin se trouvait à 19 kilomètres de Loches (lndre-et-Loire).
     (2) La victoire du duc de Guise dans la nuit du 23 au 24 novembre 1587.
     (3) Nous possédons un certain nombre des lettres du duc de Lorraine à la reine mère; mais nous n’avons pu retrouver les réponses de Catherine de Médicis. — Voir plus haut, p. 279, la lettre du 12 novembre à Villeroy. [N.B.: L’édition de 1905 porte avant cela en note à une autre lettre, p. 281:Bulletin historique et philologique, année 1901, p. 374, et suiv. Paris, lmpr. nat., in-8°. (B.G.)]. Voir, sur cette affaire, la communication faite au Congrès des Sociétés savantes tenu à Nancy en 1901: «Le projet d’intervention armée du duc de Lorraine lors de l’invasion des reîtres allemands en France».
 

16. Catherine à Henri III
(30 novembre 1587)

 
AU ROY MONSIEUR MON FILZ.

     Monsieur mon filz, j’escripvis hier soir au Sr de Villeroy pour vous faire entendre comme [p.306] nous avons fait de sorte que dedans jeudy ou vendredy on nous fourniroit pour trente mil livres de draps, serges, etc., des draps de soye pour dix mil, et pour sept cents et tant d’escuz de chapeaux, que les marchands avoient à tout prestz, promettant d’en faire en toute diligence encore fournir bonne quantité. Je vous diray aussy que, comme il est porté par le memoire qui sera cy-inclus, il y a des cordonniers qui ont promis fournir jusques à dix mil paires de souliers neufs; et si en a-t-on recouvert aultres cinq cents paires à la savatterie, le tout revenant à la somme de XLX tant d’escuz.

     Les sieurs de vostre Conseil ont presentement repceu une lettre de l’intendant Petremol, par laquelle il leur fait entendre que vous [avez] fait traité avec le colonel et aulcuns capitaines des Suisses de la nouvelle opinion, que dedans quatre jours il leur sera delivré à Estampes pour VC M l. d’estamine (
1) de toutes couleurs, propres à faire chausses, et tout ce qui se pourra recouvrer de souliers en cette ville jusques à la somme de quinze cents escus, et pour ce que les marchés sont faicts pour jusques à MXC et tant d’escus, il vous plaira me mander ce que entendez estre faict du surplus, selon l’assurance et promesse que le Sr Petremol escript avoir esté faicte par le Sr Dinteville de faire fournir le surplus aux Suisses en la ville de Troyes et environs, et m’en faites savoir incontinent vostre intention. Cependant je vous diray que nous n’avons pas fait fournir à Saint-Yon les huit mil livres que lui aviez accordé pour l’advance du marché des chairs; car nous n’avons pas trouvé qu’il fust pour effectuer le marché, aussy qu’il ne se pouvoit trouver de cautions. Nous avons [pris] des huit mil livres deux mil cinq cents, qui ont esté distribuées aux gens de pied françois qui s’en sont retournés avec le duc de Retz, et, des cinq mil cinq cents qui restent, nous nous en aidons pour les choses qu’il faut acheter argent comptant pour les Suisses et donner en advance aux chappeliers et cordonniers. Je vous diray encore que, suivant ce qu’il vous a plu m’escripre par vostre lettre d’hier que j’ay repceu ce matin, nous sommes à faire tout nostre possible pour trouver les trente mil escus que desirez que l’on vous envoye, et soyez asseuré qu’on n’y perdra une seule heure de temps. Priant Dieu, Monsieur mon fils, vous avoir en sa saincte et digne garde.

     Escript de Paris, le XXXe novembre 1587.

CATERINE.
François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis
Note de l’édition de 1905:
     (1) L’«estamine» une étoffe mince, travaillée comme de la toile [N.B.: VC M l. = 5000 livres (B.G.)].
 

17. Catherine à M. de Dinteville, en mission à Étampes
(2 décembre 1587)

A MONSIEUR DE DINTEVILLE.

     Monsr de Dinteville (1), je viens de recepvoir la lettre que m’avez escrypte par ce porteur, à laquelle je vous diray que, suivant ce que le Roy m’avoit mandé, j’avois fait prix et marché pour six mil escus de draps et estamines, draps de soie, et aussy pour des chapeaux, que je debvois faire partir demain pour vous les adresser à Troyes, afin de les faire distribuer aux Suisses des huguenots, qui s’en retournent en leur pays; mais, depuis, le Roy monsr mon filz m’escrivit d’envoyer et adresser à Estampes (2) pour cinq mil escus de ces [p.307] draps et doublures et pour quinze cents escus de soulliers; à quoy auroit desjà esté satisfait, car cela estoit parti, quand ce porteur est arrivé en cette ville, où j’ay soubdain mandé ramener le tout. J’espere vous faire envoyer et porter, dès demain ou vendredy, le tout, jusques à la valeur des quarante neuf mil escus, selon le memoire que je vous en envoye par le controleur general des guerres Du Tremblay, excepté les draps de soie, qui ne se prendront pas du marchand, puisque vous esperez en recouvrer à Troyes. Cependant, j’ay fait parler aux fournisseurs de ces draps, pour voir si l’on pourroit les avoir à meilleur marché; mais il n’y a eu ordre. Comme vous ferez entendre au colonel et aultres capitaines des Suisses que je suis bien marrie du desordre d’Angerville (3), il n’y a remedde puisqu’ilz n’en ont pu faire la recompense. Il fauldra avoir esgard à la perte des pauvres gens d’Angerville et les soulaiger en la contribution et departement des tailles. Je vous prie faire advancer le plus tot que vous pourrez les Suisses, car, oultre la depense que c’est à ce Royaulme qui n’en a pas besoing, ilz ont, à ce que j’entends, des maladies parmy eux, qu’il ne faut pas qu’ilz laissent sejourner, s’il est possible, par où ilz passeront. Je vous prie aussy m’envoyer le double de l’acte que m’escrivez esperer recouvrer d’eux. Je prie Dieu, Monsr de Dinteville, sous avoir en
sa sainte et digne garde.

     Escript à Paris, le IIe jour de decembre 1587.

CATERINE.

     Monsieur Dinteville, j’ay entendeu que aux desordre et scandale qu’ont faict les Suisses à Angerville, ilz ont pendeu et estranglé ung pauvre paysan catholique en l’eglise, qui est ung trop grand scandale pour le souffrir. Je vous prie donc que le colonel en fasse faire justice exemplaire, comme il est necessaire. Il fauldroit aussy regarder si l’on pourroit leur faire rabattre quelque chose pour le dommaige qu’ilz ont faict audict Angerville.

François Clouet: Portrait de Catherine de Médicis

Notes de l’édition de 1905:
    (1) Joachim de Dinteville, lieutenant général du gouvernement de Champagne, avait été charge de régler ce qui concernait le départ des Suisses, négocié par le roi. Le duc de Guise lui en voulut beaucoup de s’être acquitté de cette mission.
     (2) Dans le vol. 3301 des ms. fr., il se trouve deux lettres de Dinteville, datées d’Etampes, en décembre 1587.
     (3) Angerville (Seine-et-Oise), à 25 kilomètres au sud d’Etampes.
   
Source: texte de l’édition de 1905, saisi et mis en page par B.G., février  2007
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
  
Éditions

Catherine de Médicis (gravure du temps)      Lettre 1: Bibliothèque nationale de France, fonds français, n°3407, f°3 (Lettres, t. IX, p. 196, note 1).
     Lettre 2: Original conservé à la BNF, fonds français, n°15908, f°371 (Lettres, t. IX, p. 196).
     Lettre 3: Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°4 v°
(Lettres, t. IX, pp. 253-254).
     Lettre n°4: Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°8 v°
(Lettres, t. IX, p. 257).
     Lettre n°5: Copie conservée à la BNF, fonds français, 
n°3302, f°13 v° (Lettres, t. IX, pp. 262).
     Lettre n°6:
Original conservé à la BNF, fonds français, n°3302, f°8 v° (Lettres, t. IX, pp. 257-259).
     Lettre n°7:
Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°14 r° (Lettres, t. IX, pp. 262).
     Lettre n°8:
Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°14 r° (Lettres, t. IX, p. 263).
     Lettre n°9: Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°50 v° (Lettres, t. IX, p. 266).
     Lettre n°10:
Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°28 v° (Lettres, t. IX, pp. 276-277).
     Lettre n°11:
Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°29 v° (Lettres, t. IX, pp. 281-282).
     Lettre n°12: 
Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°30 r° (Lettres, t. IX, p. 283).
     Lettre n°13: 
Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3301, f°31 r° (Lettres, t. IX, pp. 288-290).
     Lettre n°14: 
Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°37 v° (Lettres, t. IX, pp. 294-295).
     Lettre n°15: Original 
conservé à la BNF, fonds français, n°3370, f°34 (Lettres, t. IX, pp. 302-303).
     Lettre n°16: 
Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°43 v° (Lettres, t. IX, pp. 305-306).
     Lettre n°17: 
Copie conservée à la BNF, fonds français, n°3302, f°45 r° (Lettres, t. IX, pp. 306-307).

     Comte Hector de LA FERRIÈRE (1811-1896) [éd. des tomes I à V] & Comte Gustave BAGUENAULT DE PUCHESSE (1843-1921) [éd. des tomes VI à XI], Lettres de Catherine de Médicis [27 cm; 11 volumes: t.I (1880): 1533-1563; t.II: 1563-1566; t.III: 1567-1570; t.IV: 1570-1574; t.V (1895): 1574-1577; t.VI (1897): 1578-1579; t.VII (1899): 1579-1581; t.VIII 1905): 1582-1585; t.IX (1905): 1586-1588; t.X (1909): supplément 1537-1587; t.XI (1943): index général, par Gustave Baguenault de Puchesse, Eugène Lelong et Lucien Auvray (1860-1937), mis au point et publié par André Lesort; XI+296 p.); texte en français moyen et introduction en français; bibliographie: t. 1, pp. CLXVII-CLXXI; index], Paris, Imprimerie nationale [«Collection de documents inédits sur l’histoire de France»], 1880-1943, tome IX (1905), pp. 196 (lettres n°1 et 2); 253-254 (lettre n°3); 257 (lettre n°4); 257-259 (lettre n°6); 262 (lettres n°5 et 7); 263 (lettre n°8); 266 (lettre n°9); 277-277 (lettre n°10); 281-282 (lettre n°11); 283 (lettre n°12); 288-289 (lettre n°13); 294-295 (lettre n°14); 302-303 (lettre n°15); 305-306 (lettre n°16); 306-307 (lettre n°17).

     Bernard GINESTE [éd.], «Catherine de Médicis: Lettres aux Étampois ou sur l’Étampois (17 dépêches de 1587)», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/che-16-catherinedemedicis1587etampois.html, 2007.
 
 
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