CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Bernard Gineste et Fernande Bonnemain
Crash du maréchal des logis Jean Laurent
Étampes, 21 novembre 1912
   
Blériot XI.2 (dessin emprunté au site de Jean-Noël Passieux)
Blériot XI.2

     Le 21 novembre 1912, le maréchal des logis Jean Laurent, jeune aviateur de 22 ans venu y prendre livraison pour son unité basée à Belfort d’un Blériot XI.2 biplace, s’écrasa au sol en compagnie de son passager le sapeur Chenu. Il mourut quelques heures plus tard à l’Hôtel-Dieu d’Étampes, sans être sorti du coma.

 

Bernard Gineste et Fernande Bonnemain
Accident aérien mortel du maréchal des logis Jean Laurent
Étampes, 21 novembre 1912




Récit du crash par l’Abeille
Acte de décès
Récit des funérailles d’Étampes

1. Récit du crash de Jean Laurent du 21 novembre 1912
par l’Abeille d’Étampes du 23 novembre

Étampes-Aéropolis – L’accident de Villesauvage

     L’aviation étampoise est, un fois de plus en deuil: le maréchal des logis Laurent est mort
hier en service commandé à la suite d’une chute effroyable.

     Le funèbre martyrologe de l’aviation, déjà si riche, comptait à Étampes quatre noms, ceux des capitaines Jost et Echeman, de Mme Denise Moore et Mlle Suzanne Bernard. Le malheureux sous-officier qui fournit le cinquième nom, n’était que de passage à Étampes où il venait prendre un appareil destiné à la place de Belfort. Et sans doute, là-bas, près de la douloureuse Trouée, il avait souvent rêvé à l’heure tragique où son envol le porterait au-delà de la frontière … Mais pour les aviateurs le champ de bataille est ouvert partout et toujours. C’est hier, au champ d’honneur que ce brave est tombé. La ville d’Étampes saura exprimer, à ses obsèques, la reconnaissance et la douleur du pays et son nom nous restera cher, comme le souvenir de ceux, qui avant lui avaient payé sur nos aérodromes la lourde rançon du progrès et du courage.

     La journée d’hier a fait une autre victime: André Frey, l’aviateur bien connu, qui se classa 3e dans l’épreuve Paris-Rome, et qui faisait une période d’instruction à l’aérodrome de la Champagne, venait de couper l’allumage pour un vol plané quand une aile se replia: ramassé sous les débris de son monoplan, il ne tarda pas à expirer.

     Voici dans quelles conditions s’est produit l’accident qui a coûté vie au maréchal des logis Laurent:

     Après une première série de vols avec divers sapeurs comme passagers, l’aviateur venait de s’élever à nouveau, en compagnie du sapeur Chenu. A peine arrivé à l’altitude de trente mètres, il prit un virage extrêmement penché à tel point que son passager a avoué ne plus voir l’aile inférieure.

     Malheureusement, ce virage déjà dangereux, fut pris avec un vent d’ouest soufflant par-dessous les ailes et à une trop faible hauteur: le pilote crut avoir le temps de redescendre l’appareil et ne coupa pas l’allumage, mais le redressement était à peine esquissé que l’extrémité de l’aile touchait le sol et faisait capoter l’appareil.

     Des débris du monoplan, on retira les deux aviateurs que l’on croyait morts. A l’hôpital d’Étampes, M. le Docteur Manet constata que Chenu portait des contusions heureusement peu grave. Quant au maréchal des logis Laurent, il avait la langue à moitié coupée et la base du crâne fracturée. Sans être sorti du coma, il mourut à 5 heures et demie en présence d’une grande assistance et de M. Darras, sous-préfet qui s’était rendu à son chevet.

     Le maréchal des logis Laurent était né à Guéret (Creuse) et avait 21 ans. Engagé volontaire au 1er régiment d’artillerie de Bourges, il avait, l’année dernière, passé son brevet de pilote après 8 jours seulement d’apprentissage, ce qui lui avait valu d’être classé premier des pilotes sous-officiers. Affecté au centre d’aviation de Pau, il avait subi avec succès, récemment, les épreuves du brevet supérieur militaire, à la suite desquelles il avait été affecté à l’escadrille n° 3, de Belfort.

     Le matin même, le maréchal des logis Laurent avait obtenu une permission de quinze jours pour aller voir sa mère qui habite Guéret, et qui est en ce moment malade, et son frère, qui est employé à la préfecture de la Creuse.

     Les obsèques du maréchal des logis Laurent auront lieu à Guéret (Creuse): la levée du corps se fera demain matin samedi à 8 h. ¾ en la chapelle de l’Hospice d’Étampes. Après la cérémonie, le cortège se rendra directement à la gare. Prière de considérer le présent avis comme invitation.

     Un «Groupe d’anciens sous-officiers» nous demande de recueillir la somme nécessaire à l’achat d’une couronne qui sera déposée sur le cercueil du camarade Laurent. Nous acceptons bien volontiers cette mission: prière de faire déposer les souscriptions au bureau de l’Abeille ce soir avant 7 h. ½, ou 130, rue Saint-Jacques jusqu’à 9 h. du soir.

     Le Président de la 1359e section des Vétérans invitent les camarades à assister à la levée du corps du maréchal des logis Laurent et à former autour du drapeau de la section une importante délégation.

     Les Anciens Combattants sont également invités, officieusement, à assister à la levée du corps et à suivre le convoi.


Blériot XI.2 d'Adolphe Pégoud conservé au musée du Bourget (cliché de Mikaël Restoux, 2006)
Blériot XI.2 du musée du Bourget
(cliché de Mikaël Restoux, 2006)




Hôpital d'Etampes
Hôtel-Dieu d’Étampes vers 1912 (cliché Allorge)

 
2. Acte de décès de Jean Laurent
au Registre de l’état civil d’Étampes


     L’an mil neuf cent et onze le vingt-deux novembre à dix heures du matin, par devant nous Auguste Lescuyer, premier adjoint, officier de l’état civil spécialement délégué par monsieur le Maire de la ville d’Étampes, département de Seine-et-Oise, sont comparus Joseph Laurent, menuisier, âgé de cinquante-un ans, demeurant à Maindigourt, commune de Guéret (Creuse) et de Auguste Hillaire, secrétaire-greffier du conseil de préfecture de la Creuse, âgé de vingt-sept ans, demeurant à Gueret, rue Roudaire, le premier père et le second beau-frère du décédé ci-après nommé et qualifié, lequels nous ont déclaré que Jean Laurent, maréchal des logis au premier régiment d’artillerie en garnison à Bourges, Cher, et détaché à Belfort comme sous-officier aviateur, âgé de vingt-deux ans, né à Gueret le deux octobre mil huit cent quatre-vingt-dix et y domicilié au hameau de Maindigourt, fils de Joseph Laurent, ci-dessus qualifié et de Marie Parraud son épouse sans profession, âgée de cinquante-un ans, est décédé à Étampes, rue de la Cordonnerie, numéro 33, hier, à cinq heures et demie du soir. Et après nous être assuré du décès, nous avons dressé le présent acte que les comparants ont signé avec nous, après lecture.
     [Signé:] Hillairet – J. Laurent – A. Lescuyer.


Signatures du père et du beau-père de Jean Laurent  
Signatures au registre du beau-frère et du père de Jean Laurent

   
3. Récit des obsèques de Jean Laurent à Étampes
par l’Abeille d’Étampes du 30 novembre

La chapelle de l'Hôtel-Dieu en 1906 (cliché Neurdein)
La chapelle de l’Hôtel-Dieu en 1906 (cliché Neurdein)

Les obsèques du maréchal des logis Laurent

     Malgré l’heure matinale, une foule de nos concitoyens, parmi lesquels la municipalité, le conseil municipal, les conseillers d’arrondissement, les fonctionnaires, les sociétés d’anciens combattants, de Vétérans, de la Croix-Rouge, les délégués de l’Aéro-Club, les aviateurs de l’école d’Étampes ont tenu à suivre samedi matin le convoi du maréchal des logis Laurent, victime d’un accident d’aéroplane à Villesauvage.

     Quatre grandes et belles couronnes avaient été offertes par les groupes aéronautiques, les écoles d’aviation, les camarades de régiment du malheureux sous-officier, elles étaient portées par les jeunes sapeurs du groupe d’Étampes. L’une d’elle en fleurs naturelles, roses chair, violettes, pensées, d’une fraîcheur merveilleuse, semblait symboliser la jeunesse du malheureux pilote.
Les cordons du char étaient tenus par les maréchaux-de-logis chefs Marc et Coste, et par les sous-officiers Debeste, Caron, Schildge et Begneux.

     Une délégation composée des maréchaux-de-logis Loquin, Bessonnier, Cotton et Begneux, sous-officiers du 1er régiment d’artillerie à Bourges, auquel appartenait le défunt, suivait le convoi.
Le deuil était conduit par le frère du maréchal des logis Laurent.

     Après la levée du corps, dans la chapelle de l’Hospice, le cortège s’est rendu à la gare où, — en présence des MM. les colonels Hirschauer et Bouttiaux, du commandant Buot de l’Epine, chef d’escadron d 1er régiment d’artillerie, du capitaine Renault, commandant le centre de Belfort, et des lieutenants de Geyer, Jacquet, Boucher, Dupin de la Morlaye et Combette, de M. François Carnot, député, M. le sous-préfet Darras, M. Marcel Bouilloux-Lafont, maire, M. Lassiat lieutenant de gendarmerie, des chefs des Ecoles civiles d’aviation et d’une foule d’assistants sincèrement attristée – M. le lieutenant Massol, commandant le centre d’Étampes, d’une voix haute et ferme, où cependant perçait une pointe d’émotion, dit le dernier adieu au valeureux sous-officier:

     «C’est au nom de ses chefs, au nom de ses camarades que je viens ici rendre hommage à la mémoire du maréchal des logis Laurent – âgé de 22 ans à peine, il ne comptait pas moins, déjà, parmi nos meilleures pilotes militaires.
     Ses notes excellentes au 1er régiment d’artillerie où il avait fait ses débuts dans la carrière militaire et conquis rapidement ses galons de sous-officiers, l’avaient fait désigner pour faire partie de la 1ère promotion de sous-officier aviateur.
     Avant même que d’entrer dans le service aéronautique, déjà passionné par les questions de mécanique, il avait conçu un appareil et un moteur d’aviation forts intéressants.
     Dès ses débuts à l’école militaire de Pau, en janvier dernier, il se révéla, en outre, doué de qualités remarquables d’audace, d’énergie et de sang-froid.
     Après avoir passé dans le minimum de temps ses épreuves de brevet d’aviateur, il confirma encore les espérances que ses chefs avaient fondés sur lui.
     Aussi, une place de choix – un poste d’honneur – lui fut-il réservé.
     Il fut nommé dans une de nos escadrilles de la frontière, composées de nos meilleurs pilotes.

     
«Détaché momentanément à Étampes, il y poursuivait un entraînement intensif pour acquérir la maîtrise d’un nouvel appareil qu’il devait ramener à Belfort.
     C’est au cours d’un de ces vols audacieux où il émerveillait tout le monde par sa hardiesse et sa virtuosité que la mort vint le frapper, son appareil n’ayant pu se défendre contre la surprise d’un brusque coup de vent.
     Intelligent et dévoué,  d’une nature ouverte et sympathique, il avait su, en quelques jours, acquérir l’amitié de tous au centre d’Étampes, son zèle et sa bravoure le faisait particulièrement apprécier de ses chefs.
     C’est donc un ami que nous perdons. Mais pour cruelle que soit sa mort, elle n’en est pas moins glorieuse!
     Le maréchal des logis Laurent est tombé en soldat, en service commandé.
     Ce n’est pas, sans doute, la mort qu’il avait rêvée quand, volant au-dessus de Belfort, il contemplait la plaine d’Alsace. Mais cette mort, il l’avait regardée cependant en face en entrant dans le service de l’aviation et, d’un grand cœur, en avait accepté les risques.
     C’est la mort d’un vaillant.
     Que la grandeur et la noblesse de cette fin puissent servir de consolation aux siens, qu’elle soit pour ses camarades de l’aviation, soldats du même danger, un exemple inoubliable.
     Au nom du Cercle militaire d’Étampes — au nom de tous vos camarades de l’aviation — maréchal des logis Laurent, adieu!
»

     M. Bouilloux-Lafont a exprimé en ces termes les regrets de la population étampoise:

     «Avant qu’à jamais ne s’éloigne la dépouille de celui qui, nouveau venu parmi nous, a trouvé sur notre sol une mort aussi tragique que prématurée, je veux dire combien la population Etampoise s’associe au deuil qui frappe à nouveau l’aviation militaire, et qui, dans la même journée a doublement frappée l’avaition française.
     «L’année qui va bientôt finir aura été particulièrement curelle; en dehors des victimes dont les habitants ont suivi les obsèques, notre ville aura vu partir beaucoup de ses hôtes de passage qui ne reviendront pas, et parmi eux combien de ces officiers étrangers qui sont allés chercher sur les champs de bataille de Thrace et de Macédoine cette mort que nos écoles d’aviation étampoise[s] leur avaient appris si souvent à braver!
     «Le maréchal des logis Laurent a comme eux donné sa vie à son pays, et il l’a fait avec ce même courage simple et tranquille avec lequel tous ses frères d’armes font l’offre de leur existence à chaque envolée dans les airs.
    « Et si une angoissante douleur nous étreint lorsque l’élément meurtrier prend sa revanche sur le pilote qui l’a si souvent dompté, nousne pouvons nous défendre d’un indicible sentiment de fierté en songeant à la somme de bravoure, d’énergie et de patience que représente la lutte incessante de l’homme.
     «Le maréchal des logis Laurent est mort en soldat, victime de son devoir. Puisse cette considération, plus encore que d’impuissantes paroles, aller au cœur d’une mère qui, attendant joyeusement son fils permissionnaire, ne pourra que sangloter sur son cercueil.
     «En s’inclinant devant ses parents et une fiancée inconsolable, le Maire d’Étampes les assure de la profonde sympathie de la population toute entière.»

     Enfin, M. Darras, sous-Préfet, a salué en ces termes la mémoire du maréchal des logis Laurent, victime du devoir:

     «Messieurs,
     «Un nouveau deuil a frappé l’aviation militaire. C’est un deuil qui nous atteint tous, car c’est un soldat français qui tombe, en accomplissant son devoir,
     «Ce devoir, c’est le plus périlleux de tous, car pour l’aviateur, la bataille se livre chaque jour. C’est la lutte héroïque de l’homme contre les éléments, c’est le perpétuel combat contre l’espace, contre le vent meurtrier, contre le vide. Chaque champ d’aviation est un champ de bataille, le plus incertain de tous et le plus traître. Mais c’est aussi un champ de gloire, car chaque jour c’est la nature rebelle que l’homme dompte un peu plus et qu’il asservit à son génie.
     «Aussi, saluons tous fièrement le maréchal des logis Laurent qui tombe victime d’une si noble cause. Saluons son audace généreuse, sa belle confiance en lui-même, son mépris souriant du danger. Ce sont là des choses bien françaises et qui ne font pas seulement les héros, mais aussi les grands peuples.
     «Qu’il me soit donc permis d’adresser à ses parents et à sa grannde famille miltaire qui le pleurent aujourd’hui, l’hommage de notre douloureuse sympathie, et de saluer respectueusement son cercueil,»

     L’inhumation a eu lieu à Guéret (Creuse)





Blériot XI.2 d'Adolphe Pégoud conservé au musée du Bourget (cliché de Mikaël Restoux, 2006)
Blériot XI.2 du musée du Bourget
(cliché de Mikaël Restoux, 2006)





Hôpital d'Etampes
Hôtel-Dieu d’Étampes vers 1912 (cliché Allorge)

 



Récit du crash par l’Abeille
Acte de décès
Récit des funérailles d’Étampes

BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE 

Éditions

     Auguste LESCUYER (premier adjoint), «Décès de Jean Laurent», in Registre d’état civil d’Étampes, 23 novembre 1912..

     ANONYME, «Étampes-Aéropolis – L’accident de Villesauvage», in Abeille d’Étampes 101/47 (samedi 23 novembre 1912), p. 2.

     ANONYME, «Les obsèques du maréchal des logis Laurent», in Abeille d’Étampes 101/48 (samedi 30 novembre 1912), p. 2.

      Bernard GINESTE et Fernande BONNEMAIN [éd.], «Crash du maréchal des logis Jean Laurent (Étampes, 21 novembre 1912)
», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-19121121crashdelaurent.html
, 2003.

Autres sources

     Revue aérienne 5 (1912), p. ?: [extrait mis en ligne par le site Google Books]: “Etampes, le 21 novembre 1912: — Détaché au centre d’aviation de Belfort, le maréchal des logis Laurent, du 1er régiment d’artillerie, avait été envoyé à Etampes pour prendre livraison d’un monoplan Blériot, biplace type XI-2...”].

     Popular Mechanics [Étas Unis d’Amérique] (février 1914), p. 184 (simple mention de Jean Laurent dans une liste des décès récents d’aviateurs).
 
Étampes et l’Aviation dans le Corpus Étampois

     Bernard GINESTE et alii, «Étampes et l’Aviation: quelques documents», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-aviation.html, depuis 2006.
 

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