Corpus Historique Étampois
 
Terrier
Revue des actualités étampoises de 1907
L’Abeille d’Étampes du 4 janvier 1908
     
        Passage du dirigeable Le Patrie au-dessus d'Etampes en 1907
Passage du dirigeable Le Patrie au-dessus d'Etampes le 25 octobre 1907

     Au seuil de l’année 1908, l’un des frères Terrier que nous navons pu identifier avec certitude, soit Léon (1869-1937) ou Auguste (1873-1932), propose aux lecteurs de L’Abeille d’Étampes un bilan comique de l’année 1907 qui vient de sachèver, pour ce qui concerne du moins Étampes et sa région. Cette synthèse de l’actualité locale, si subjective soit-elle, a naturellement une valeur irremplaçable pour l’histoire locale du XXe siècle étampois, et c’est pourquoi nous la mettons à la disposition de tous les historiens comme de tous les curieux de l’histoire du Sud-Essonne.
Bernard Gineste, 2018
  
Terrier
Revue des actualités étampoises de 1907
L’Abeille d’Étampes du 4 janvier 1908
       

Du 365 à la minute!
Revue des actualités étampoises de 1907
(En prose et vers... libres).



PERSONNAGES:

   L’Abeille d’Étampes. — L’Aéronaute de la Ville de Paris. — Un Milliacois. — Un Mérévillois. — Un Conseiller municipal. — Voyageurs, passants, employés — La foule.

   La scène se passe à Étampes. Place de la Gare. Foule énorme. Qui attend-on? Est-ce Albinet enfin arrêté? Ou les escrocs de Parvilliez et de Villerville, célèbres au-delà de Méréville? Ou bien encore «Mossieu» Guérin, le directeur de la fanfare de Cyr-en-Val, disparu depuis le dernier concert? Non, car tous regardent en l’air. Soudain un cri: «Le voilà!» Et, décrivant une courbe merveilleuse autour de la tour de Guinette, arrive le dirigeable Ville de Paris. Il atterrit pendant que la foule chante un air connu:
Laisse-moi, laisse-moi
Contempler ton virage !...
   L’Aéronaute. — Salut, ceux d’en bas! Suis- je bien à Étampes, la célèbre ville? (Il déclame, comme Monnet dans Œdipe-Roi) :
Enfants, du vieil Étampe haute postérité,
Pourquoi jusques à moi vos cris ont-ils monté?
Je suis venu moi-même, à bord du dirigeable
Dont la gloire et le nom font un potin du diable.
   L’Abeille. — Pourquoi, ô étranger, nous avoir si gentiment favorisés de ta première grande sortie?

   L’Aéronaute. — Voilà (Il chante):

(Air: Le cocher et son cheval.)
Devant remplacer l’Patrie aux frontières,
Je veux faire comm’ lui mes petites manières.
Il était d’abord venu par ici:
Hé bien! moi, je fais la même chose que lui!

   Mais j’espère mieux finir. Et en attendant, puisque j’ai cinq minutes d’arrêt, qui va me montrer les illustrations et les gros événements d’Étampes en 1907?

   L’Abeille. — Voilà, j’y suis, et ce public servira de spectateur.

   L’Aéronaute. — À qui ai-je l’honneur?...

   L’Abeille. — À l’Abeille d’Étampes, toujours jeune malgré son âge, courtoise et empressée, bien informée et moderne. Elle sait tout, elle dit beaucoup de choses et n’ignore que les injures et les violences. (Elle chante.)

(Air: Ah ! Si vous voulez de l’amour.)

Ah! si vous voulez toujours Savoir les faits du jour,
Lisez bien votre Abeille!
Toujours et partout elle veille,
Pour tous elle fait merveille,
Ce sera vos amours!
Et maintenant, en avant la revue!
   Survient une bande d’enfants des écoles. Ils chantent.

(Air: En rev’nant de la r’vue.)

     Gais et contents,
Nous venons triomphants,
Sans faire plus longtemps
     Sauter le diable,
     Sans hésiter,
Car nous voulons fêter,
Voir et complimenter
     Le dirigeable.
   Tous ont en mains leur diabolo et improvisent une partie d’honneur pour l’Aéronaute en chantant sur l’air du refrain de Funiculi-Funicula:
Ça monte ici, ça descend la,
Diabolo-ci, Diabolo-là!
Ah! Ah! Diabolo-là!
Diabolo-ci, Diabolo-là!
   L’Abeille. — C’est la grande fureur de l’année dans toute la France. Mais à nous le pompon! Le record en est acquis à Étampes par notre petit ami Meunier, et le diabolo y est si en vogue que la Compagnie d’Orléans songe à en mettre dans les salles d’attente à la disposition des voyageurs pour leur faire prendre en patience les retards habituels des trains.

   À ce moment survient un voyageur affolé, les yeux désorbités, la tête congestionnée, l’aspect hagard du monsieur qui avant de déjeuner vient d’attendre pendant dix minutes à la hauteur de la Sucrerie de Morigny l’entrée du train en gare:

   Le Voyageur. — Ah! oui, parlons-en, de nos trains, parlons-en, de notre gare. Une glacière!

   Un Passant. — C’est votre faute, aussi! Pourquoi voyagez-vous? (Il chante.)

(Air du Biniou.)

Sous la gare de notre ville
Il en souffle, un courant d’air!
Ça vous fich’ des escarbilles
Dans l’œil et des rhumes dans l’blair!
On tousse, on souffle, on crachote,
Quand on part, c’est tout en pleurs,
Et, bien qu’on ait la bouillotte,
On y attrape des douleurs.

   Les douleurs sont des folles,
Mais ceux qui voyagent sont encore plus fous!
   Moi j’ traîne pas mes guibolles,
J’ai les pieds nicklés, aussi j’ m’en....

   L’Abeille (lui coupant la parole). — De quoi! De quoi! Des retards, des rhumes de cerveau, ce n’est rien, tout ça, si l’on arrive sans être attaqué en route! Le cambriolage de l’express de Toulouse, il y a de quoi faire trembler tous ceux qui voyagent! (Elle chante.)

(Air de: Ah! mes enfants!)
Ah! oui, vraiment, c’est une bien drôle d’affaire!
On n’osera plus aller en chemin de fer!
     Ah ! mes enfants!
Sans emporter sur soi une cuirasse,
Trois revolvers et deux fusils de chasse
     Ah! mes enfants!
   Et avec çà que les bagages sont en sécurité! Même à destination, on est épié par les cambrioleurs. Rappelez-vous l’histoire de notre principal du Collège! Vous qui voyagez, ne mettez pas votre argent dans vos malles, et que la Compagnie fasse graver ceci dans les compartiments:
Si vous avez de l’argent en grand nombre,
Si vous voulez arriver sans encombre.
     Ah! mes enfants!
Souvenez-vous de l’affaire Delpeuch!
Portez toujours votre argent dans vos... peuches!
     Ah! mes enfants!
   Une voix. — L’histoire du train 16 ne s’est pas passée comme les journaux l’ont dit. J’ai tout vu.

   L’Abeille. — Qui donc es-tu?

   L’homme. — Je suis le gardien du saxby nord! Et voici le récit fidèle de l’événement:
C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.
Saint-Basile sonnait trois coups après minuit,
Quand l’express de Toulouse à mes yeux s’est montré,
Comme à son habitude plutôt très retardé.
Ce retard n’avait point augmenté sa vitesse,
Il allait son chemin dans la douce mollesse
D’un train qui sait avoir pour lui toute la nuit.
Soudain des coups de feu! Une flamme reluit.
Trois hardis malfaiteurs ont longé les wagons,
Sont entrés brusquement dans l’un des lourds fourgons,
Mais l’employé leur dit: «Vous avez du toupet!!!
«Pouvez-vous me montrer, messieurs, votre ticket?»
Il était périmé. Et ça finira mal,
Par une bonne amende et un procès- verbal.
   Voilà toute l’affaire. Et, pour en empêcher le retour, la Compagnie a acheté un lot de chiens de berger primés au récent concours d’Angerville. Ils veilleront à la sécurité des voyageurs et préviendront les voyageuses de.... l’heure du berger!

   L’Abeille. — Allons, tout arrive, même.....

   Un Milliacois. — Même le tramway! Il est enfin déclaré d’utilité publique et nous attirerons bientôt les Étampois chez nous!

   Un jeune homme timide. — Puissiez-vous dire vrai! C’est si loin d’aller d’Étampes à Milly... (soupirant) surtout quand on aime (Il chante.)

(Air de la Tonkinoise.)

Je suis gobé d’une petite,
C’est à Milly (bis), oui, qu’elle habite,
Elle est vive, elle est charmante
C’est comme un z’oiseau qui chante,
Je l’appelle ma p’tite bourgeoise,
Ma Milliacoi (bis), ma Milliacoise :
Le tramway pourra un jour
Faciliter notre amour.
   L’Abeille. — Oui, mais il y a encore un cheveu. Où va-t-on mettre notre gare d’Étampes? À Coquerive, à l’Abattoir, au Jeu de Paume?

   Un Conseiller municipal. — Au Jeu de Paume, jamais! Vous ne connaissez donc pas notre serment?

   L’Abeille. — Quel serment?

   Le Conseiller. — Le Serment du Jeu de Paume! Tous ensemble, nous avons répondu au représentant de l’administration: «Allez dire à l’ingénieur en chef que nous sommes au Jeu de Paume de par la propriété du peuple et que nous n’en sortirons que moyennant une indemnité de 100.000 francs!»

   L’Abeille. — Avec ça vous pourriez donner de l’eau à la ville. Quand on pense que nos petites communes font des sacrifices pour faire jaillir l’eau du sous-sol et que la nôtre est pleine de microbes, vrai, j’en suis honteuse pour Étampes.

   Saint Michel. — Comment! De l’eau! Vous voulez de l’eau! Vous n’en avez donc pas eu assez pendant ma fête? Ah! Ce saint Médard! Il a trempé les braves pompiers du concours de pompes de Milly et il a inondé le Beau Dimanche. Comme on chantait dans ma jeunesse:
     Il a tant plu
     Qu’on ne sait plus
Quel est le jour où il a le plus plu.
     Mais au surplus,
     C’est superflu,
S’il eût moins plu, çà m’eût plus plu!

   L’Abeille. — Oui, et ce pauvre feu d’artifice dont les pétards ont été mouillés! Et l’illumination de la tour qui ne marchait pas quand même le public chantait:
Embrase-toi, Guinette,
Embrase-toi!
La fête s’ra complète,
Guinette, Guinette!
Et l’on s’ra pompette,
Ah ! Guinette, embrase-toi!

   L’Aéronaute. — Alors, la fête locale, pas de monde, pas de spectateurs?

   L’Abeille. — Non. Ça rappelait le Théâtre d’Étampes, où le public brille souvent par son absence. Et pourtant que de bonnes soirées nous a données notre dévoué directeur !
(Elle chante.)
Il court, il court, M’sieu Furet,
Pour votre théâtre, Mesdames!
Il court, il court, M’sieu Furet,
Et toujours c’est bien joli!
Le drame et la comédie,
Le concert et l’opéra,
Il a donné de ceci,
Il a donné de cela.
Il court, il court, M’sieu Furet, etc.
   Bénéfice net par an: quelques centaines de francs de perte! L’argent ne récompense pas toujours les efforts d’art !

   Un Mérévillois. — De l’argent! Qui en veut? j’en offre. Je vais rouler sur l’or. Un seul client m’a acheté tout mon fonds.

     L’Abeille. — Qui donc?

   Le Mérévillois (Il se découvre.) — Môssieu le Marquis Georges de Parvilliez, assisté de Môssieu le Baron Raoul de Villerville (Il chante)

(Air de: Vive le cidre de Normandie.)
Vive le sire d’Californie,
Jamais on n’a acheté comme ça!
Et d’acheter, ces gens-là,
Ont sûrement la maladie!
   L’Abeille. — Mais, malheureux, vous ne savez donc rien? Ce sont des escrocs, vous ne toucherez pas un radis!

   Le Mérévillois. — Où sont-ils, que j’y coure? À la prison?

   L’Abeille. — Non. 
À la prison d’Étampes, il n’y a plus que des messieurs très bien depuis que l’administration, fort galante, a nommé trois dames au nombre des Membres de la Commission de surveillance. Faudrait plutôt voir à Paris.

   Le Mérévillois. — À Paris? je vais d’abord téléphoner...

   L’Abeille. — Imprudent! N’essayez pas! A cette heure vous aurez le numéro 74 avec un seul fil. Prenez le train.

   L’Aéronaute. — Non, pauvre homme, c’est moi qui vais vous ramener. C’est plus sûr. Les voyageurs pour Paris, en nacelle! Madame l’Abeille, la revue de l’année est-elle terminée?

   L’Abeille. — Attendez que j’aie fini de tourner les pages de ma collection de 1907. Voyons encore. Ah! l’horrible histoire de Piednoir: le 4 février une meule brûle à Étréchy et dans les décombres on croit trouver les restes de ce malheureux gars de batterie, mais quatre jours après, on le revoyait dans les rues: les débris humains n’étaient qu’un conglomérat de grains de blé avec des cendres. Le 13 février, des masques éteignent un incendie chez un boulanger de Saint-Martin: beau sujet pour un peintre impressionniste et pour le Musée d’Étampes. Au mois d’avril j’ai noté à La Ferté-Alais un concours de chevilles ou de chenilles, je ne sais plus, au Pont-de-Villiers. Le Tribunal d’Étampes est mis en joie par un prévenu qui a mis la grammaire en chansons. En mai, la noble duchesse de Vilanda se casse la jambe en entrant à la prison. En juin, histoire attendrissante du jeune marié dont la femme disparaît le soir de la noce avec le portemonnaie du mari. En juillet on vole à la consigne de la gare d’Austerlitz les costumes des nouveaux officiers de pompiers. En août, exploits de Geraldy, l’inventeur de l’escroquerie aux sacs d’avoine. Et cœtera! Et cœtera!

   L’Aéronaute. — Une chose me frappe dans tout cela. Étampes est-elle une oasis dans la France agitée? Il me semble qu’il n’y a chez vous ni querelles, ni polémiques, ni divisions....

   L’Abeille (vivement) — Si, si, nous avons aussi nos agités, nos brouillons. Seulement, comme dit l’autre, ils veultent bien, mais ils peuvtent pas. On ne les écoute pas. Bien faire et laisser aboyer.....

   L’Aéronaute. — Je comprends :
De méchants insulteurs se martèlent les tempes
À trouver des gros mots. Ils n’iront pas au but.
Car je crois deviner que l’Abeille d’Étampes
Leur fait un pied de nez et leur dit gaîment: Zut!
   Et il remonte dans la Ville de Paris qui s’élève pendant que la foule applaudit et chante: «Tu t’en vas et tu nous quittes!» et que l’Abeille salue ainsi le public:

(Air de l’Internationale.)
C’est le Zut! final
Et pendant l’an prochain
À votre vieux journal
Tendez encore la main!

RIDEAU.
   L’Abeille d’Étampes 97/1 (4 janvier 1908), p. 1 (saisie de Bernard Gineste).
      

   
SourceL’Abeille d’Étampes 97/1 (4 janvier 1908), p. 1 (saisie de Bernard Gineste, 2018).
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     Léon ou Auguste TERRIER, «365 à la minute! Revue des actualités étampoise de 1907», in L’Abeille d’Étampes 97/1 (4 janvier 1909), p. 1.

     Bernard GINESTE [éd.], «Terrier: Revue des actualités étampoise de 1907
», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/che-20-terrier1908etampesen1907.html, 2018.


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