Corpus Historique Étampois
 
Terrier
À tire d’ailes, Étampes en 1918
L’Abeille d’Étampes du 4 janvier 1919
     
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     Au seuil de l’année 1919, l’un des frères Terrier que nous navons pu identifier avec certitude, soit Léon (1869-1937) ou Auguste (1873-1932), propose aux lecteurs de L’Abeille d’Étampes un bilan de l’année 1918 qui vient de s’écouler, pour ce qui concerne du moins Étampes et sa région. Cette synthèse de l’actualité locale, si subjective soit-elle, a naturellement une valeur irremplaçable pour l’histoire locale du XXe siècle étampois, et c’est pourquoi nous la mettons à la disposition de tous les historiens comme de tous les curieux de l’histoire du Sud-Essonne.
Bernard Gineste, 2018
  
Terrier
À tire d’ailes, Étampes en 1918
L’Abeille d’Étampes du 4 janvier 1919
 

  À tire d’ailes
Étampes en 1918


   En cette dernière année de guerre, Étampes vécut ardemment de la vie de toute la France: elle connut les jours d’angoisse du début, elle vibra d’enthousiasme lors des journées finales.

   Néanmoins, sa vie propre offrit quelques faits caractéristiques qui valent la peine d’être signalés. L’hiver fut, comme partout, fort rude; le 1er janvier 1918, il tomba une avalanche de neige et c’est sous un blanc manteau d’une épaisseur telle que voitures et autos restaient en panne sur les routes de notre arrondissement, qu’Étampes s’éveilla frileusement; il fallut — spectacle peu banal en Beauce — faire usage de traîneaux; certaines rues, notamment dans le quartier du Collège, inondées à la suite de rupture de conduites d’eau, furent prises par les glaces et les sentiers de Guinette ainsi que la descente de Saint-Pierre offrirent des pistes qui eussent fait la joie des amateurs de sports d’hiver. Chasseur Enfin, notamment dans les environs de Milly, nos Nemrods purent se livrer à la chasse aux sangliers, voire même à la chasse aux loups.

   Cependant, si attrayante que soit notre vallée sous sa parure d’hiver, elle ne devait connaître les faveurs des touristes parisiens qu’au printemps, lorsqu’avril revint, poudrant joliment de fleurettes roses et blanches les arbres de nos verges, mais… permettant aussi, par la lumineuse clarté de ses nuits, les randonnées meurtrières des oiseaux boches au-dessus de la Capitale, accompagnées du bombardement diurne de la région parisienne par de monstrueux obus.

   Alors Étampes, loin de la Seine, ligne de repère pour les gothas; Étampes coquettement parée de vertes pelouses, de fraîches rivières; Étampes où les nuits s’écoulaient dans une tranquillité parfaite et une complète sécurité, Étampes et ses environs connurent une vogue à rendre jaloux les centres de villégiature les plus réputés. Et il n’y eut pas besoin pour cela qu’un syndicat d’initiative entreprenant s’abouchât à quelques médecins à la mode pour accorder une vertu médicale aux eaux de la Juine! Celles-ci se suffirent à elles- mêmes et toutes les villes, tous les villages que traversaient la jolie rivière et ses environs, de Méréville à Étampes, d’Étampes à Lardy, furent envahis par une foule de femmes et d’enfants à qui les trains du soir amenaient les papas.

   D’avril à octobre, il fut difficile, en notre arrondissement, de trouver à louer un local quelconque, ferme, hangar ou grenier; les propriétaires firent des affaires d’or, les commerçants aussi.
Trompette La population d’Étampes atteignit 20.000 habitants. Jamais nos rues, nos promenades n’avaient connu une telle animation; les après-midis, Guinette et les pelouses du Port et du Marché-Franc voyaient s’ébattre une multitude d’enfants; les soirs, de 7 à 9, heures d’arrivée des trains, c’était, place de l’Embarcadère, une cohue rappelant les beaux soirs de la Saint-Michel. Midinettes aux airs effarouchés ou héros... en pantoufles ayant connu les détails du dernier raid, étaient assaillis de questions par les Étampois ayant leurs parents à Paris; il en résultait un brouhaha que dominait le son aigu des trompettes des vendeurs de l’Intran, petites figures de guerre populaires à Étampes jusque dans les quartiers éloignés.

Préhistoire    Cette animation, accrue encore par le va-et-vient des corvées militaires et des transports automobiles, donnait à notre ville un aspect joyeux; mais il y avait, hélas! la contre-partie; comme en 1914, nous assistâmes aux longs et mornes défilés des lourdes voitures chargées d’évacuer les villages et les villes à nouveau envahis, puis les gothas, étendant audacieusement le champ d’action de leurs monstrueux exploits, nous eûmes aussi nos petites alertes; chaque soir, notre gare se plongeait dans l’obscurité; un moment vint même où nos édiles durent, en prévision des bombardements de la Beauce, chercher à Étampes les caves susceptibles de servir de refuge: enfin, dans les journées critiques, le bombardement se percevait nettement de Guinette et de Saint-Pierre; le 14 juillet au soir, à l’issue d’une représentation cinématographique offerte par les Sammies, nous eûmes même le plaisir — on peut bien appeler cela un plaisir puisqu’il décida de la Victoire — d’apercevoir les lueurs du formidable duel d’artillerie qui se livra en Champagne; nous perçûmes nettement le grondement des canons; ce furent les derniers échos que nous eûmes du grand drame.....

   Mais Étampes n’offrit pas seulement asile à des touristes; des industriels — fabrique de bonneterie à l’hôtel des Trois-Rois; fabrique de chaussures au moulin du Bourgneuf, blanchisserie militaire de Saint-Pierre, etc. ; des écoles — pensionnat de garçons rue Évézard — vinrent se réfugier en nos murs; une activité intense régna par nos rues, mais il en résulta de grosses difficultés pour le ravitaillement, difficultés qui ne durent d’être solubles que grâce à l’énergie, l’initiative et le dévouement à la chose publique de notre Conseil municipal et particulièrement de notre maire, M. Marcel Bouilloux-Lafont, enfin revenu de sa lointaine mission. Aidant l’homme d’action qui était à leur tête, nos conseillers, continuant l’œuvre ébauchée sous la direction de M. Lescuyer, accomplirent bénévolement les tâches les plus difficiles, les plus délicates; ils mirent, comme on dit vulgairement, la main à la pâte, s’improvisèrent acheteurs, vendeurs, distributeurs, trouvant d’ailleurs parmi nos concitoyens d’inlassables bonnes volontés. Et la population tint à marquer l’estime qu’elle éprouvait à leur égard, en assistant en foule aux obsèques de l’un d’entre eux, mort à la tâche, M. Auclert.

Théâtre    Pour nous délasser l’esprit et nous faire momentanément oublier la gravité des événements, quelques fêtes et cérémonies nous furent offertes. M. Condom tenta de rénover sur notre scène l’opéra-comique et l’opérette française; mais l’électricité lui joua pour ses débuts un vilain tour; la Fille du Régiment fut représentée à la lueur des bougies et des lampes à pétrole; et la valeur incontestable des artistes qu’il nous présentait ne put prévaloir contre les difficultés matérielles. Nos amis américains nous offrirent à leur tour le spectacle des divertissements chers à leurs compatriotes; nous les goûtâmes fort, bien qu’ils différassent des nôtres. L’Independence Day nous valut (ainsi qu’à Milly) une très belle parade militaire, exécutée par de vrais poilus, sous le haut commandement de M. le Commandant d’armes Boulanger, successeur de M. Delalande. Le 14 juillet, après la cérémonie solennelle d’adoption des Pupilles de la Nation, il nous fut permis de goûter à des divertissements artistiques et athlétiques dans l’exécution desquels se distinguèrent nos musiciens de la Fanfare municipale d’Étampes et nos jeunes gymnastes des Enfants de Guinette et de la Revanche Étampoise; enfin, la cérémonie annuelle d’anniversaire des Anciens Combattants et des Vétérans donna l’occasion au public de saluer les étendards des vaillants et fidèles sociétaires.

   Milly vit aussi se dérouler sur ses places d’imposantes parades militaires auxquelles, malheureusement, les habitants des autres villes ne purent prendre part, le coquet chef-lieu de canton se trouvant complètement et définitivement isolé à la suite de l’enlèvement des rails du C. G. B.

    Enfin, par tout l’arrondissement la signature de l’armistice donna lieu à un pavoisement général et à des illuminations très réussies.

   Trop absorbés par les soucis quotidiens, les populations ne prêtèrent que peu d’attention aux faits divers d’ordre juridique qui se déroulaient dans l’arrondissement; très peu, d’ailleurs, furent sensationnels; quelques incendies de meules de paille, quelques vols de légumes et de lapins défrayèrent pour quelques heures les conversations au village; la gendarmerie et le Parquet — qui perdit son estimé procureur, M. Lair, victime de la grippe, et qui fonctionne maintenant sous l’habile direction de M. François — la gendarmerie et le Parquet n’eurent guère à s’occuper que de la fin tragique à Pussay du trompette Ayousso et de sa fiancée, Lucie Tintelin; des méfaits de la bande Rivet-Brunet qui terrorisait la région de La Ferté-Alais; enfin de la terrible catastrophe de Maisse qui coûta la vie à seize travailleurs tunisiens. Mentionnons aussi la lutte très vive que menèrent les autorités judiciaires contre les accapareurs, les spéculateurs, les fraudeurs, les tireurs de sonnette... et les automobilistes.

   Nous eûmes cependant à déplorer, sur tous les points de l’arrondissement, de nombreux deuils: l’épidémie de grippe infectieuse ne nous épargna pas et il n’est pas possible de citer les noms de toutes les victimes qui furent ainsi ravies, à la fleur de l’âge, à notre affection, à notre sympathie. Au cours de cette épidémie, nos docteurs, nos pharmaciens, avec des moyens réduits, accomplirent des prodiges de dévouement pour secourir et sauver les malades; ils méritèrent la reconnaissance de la population.

   Quand nous aurons dit que les «Foyers du Soldat» d’Étampes et de Milly; que les hôpitaux auxiliaires et postes de secours des gares; que les Comités de Secours aux Réfugiés fonctionnèrent sans interruption et mirent à contribution le dévouement de nos vaillantes infirmières dont l’une, Mme Van Loo, infirmière-major à l’hôpital du Collège, mourut à son poste — nous aurons mentionné tout ce qu’il y eut de remarquable en notre ville au cours de cette dernière année de guerre.

   Il nous reste cependant à signaler que, tout là-bas, sur les champs de bataille, les enfants de l’arrondissement d’Étampes se couvrirent de gloire, méritèrent les plus nobles citations, moururent courageusement, mais ajoutèrent un fleuron à la couronne de gloire qu’ils tressèrent, durant quatre ans, à leur terre natale.

   1919 s’annonce comme une année de rénovation. Les nobles initiatives qui se sont manifestées au cours de la guerre ne se lasseront pas, au contraire; Étampes, ville de garnison cosmopolite, centre de villégiature, centre d’aviation, durant quatre ans, ne peut, ne doit pas retomber brusquement dans la torpeur.

   Et le Chroniqueur qui adresse à tous ses lecteurs ses meilleurs vœux de Bonne et Heureuse Année est certain d’avoir à signaler l’an prochain une poussée vigoureuse dans la voie du Progrès et de bonnes réformes, sources de mieux-être et de bonheur pour toute la population.


La Juinette.
   L’Abeille d’Étampes et le Réveil d’Étampes 5/242 (4 janvier 1919), p. 1. (saisie de Bernard Gineste).


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SourceL’Abeille d’Étampes et le Réveil d’Étampes 5/242 (4 janvier 1918), p. 1 (saisie de Bernard Gineste, 2018).
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     Léon ou Auguste TERRIER, «À tire d’ailes, Étampes en 1918», in L’Abeille d’Étampes et le Réveil d’Étampes 5/2424 (4 janvier 1918), p. 1.

     Bernard GINESTE [éd.], «Terrier: À tire d’ailes, Étampes en 1918
», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/che-20-terrier1919etampesen1918.html, 2018.


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