Corpus Littéraire Étampois
 
René Pomeau
Notes sur l’abbé Guénée
[Extraits de La Religion de Voltaire]
1969
 
Signature de René Pomeau      L’abbé Guénée est surtout resté dans l’Histoire comme l’un des adversaires les moins négligeables du grand Voltaire. C’est pourquoi nous extrayons ce que dit de lui un ouvrage de référence sur La Religion de Voltaire, publié en 1969 par René Pomeau. 
Bernard Gineste, décembre 2002
   
La religion de Voltaire: 
Notes sur l’abbé Guénée


I. Guénée, honorable adversaire (pp. 343-344)
 

    C’est à Paris que se trouvent les adversaires les plus notables. […] Voltaire avait de la chance: le collège Mazarin lui procurait un trio de grotesques qu’il transporta tout vifs dans ses facéties.  

     Moins réjouissants étaient l’abbé François, réfutateur du Catéchisme de l’honnête homme, les auteurs de dictionnaires antiphilosophiques Chaudron et Paulian, les écrivains de la société formée en 1770, à l’instigation de l’assemblée du clergé, pour défendre la religion, Bergier, Pey, Gérard, du Voisin… Dans la dernière meute pendue aux basques d’un Voltaire octogénaire se trouvent de médiocres folliculaires, Clément et Sabatier de Castres, et un bon pamphlétaire, l’abbé Guénée. Seul, celui-ci, auteur des Lettres de quelques juifs, sut attraper la manière voltairienne. Il avait de l’érudition et un tour d’esprit ironique auquel Voltaire rendit hommage (156).

 

    156. Thomas BESTERMAN [éd.], Voltaire’s Correspondence, n°19310.
Car il ne faudrait pas croire que le pourfendeur de l’infâme [p.344] ne rencontra en face de lui qu’adversaires méprisables. Outre l’abbé Guénée, Mgr Lefranc de Pompignan, le P. Nonnote et Fréron n’étaient pas indignes de se mesurer à Voltaire.




II. Guénée, inspirateur du Taureau blanc (p. 358)
 
     Par lassitude il devient modéré. […] Voltaire, après 1772, se replie sur les affaires de son canton. […] 

     Pourtant il a des réveils redoutables. Il retrouve la verve de sa jeunesse pour écrire le Taureau blanc; les malices de l’abbé Guénée raniment la sienne; il se fait Chrétien pour combattre les six juifs de celui-ci. Enfin la Bible expliquée pétille encore de tout l’esprit du vieux lecteur de Dom Calmet.




III. Guénée, correcteur malicieux (p. 364)
   
     Depuis la période de Cirey, il se plaît à explorer  les cultes de l’Orient  […]. Dans ces immensités il arrive que Voltaire s’égare. Ne fallut-il pas que l’abbé Foucher l’avertît que le Sadder n’était pas un homme mais un poème? (15)


    15. Erreur malicieusement relevée par Guénée, Lettres à quelques Juifs, t. II, p. 122.
IV. Guénée et l’exégèse biblique
 (pp. 373-375)
   
     Devant  la Bible, l’attitude de Voltaire, et en général de la critique philosophique depuis Spinoza et Richard Simon, est celle du moderne. On ne reconnaît plus à l’histoire du peuple juif sa qualité d’histoire sainte. Les textes qui la racontent ne possèdent plus le privilège d’une véracité d’origine surnaturelle. […] Dans ce domaine-ci, il faut dire qu’avec Voltaire, «c’est un siècle qui commence».

Lettres de quelques Juifs, édition de 1822 (exemplaire en vente en 2005)      C’est ce dont on prend conscience quand on se reporte aux interprétations des apologistes contemporains Ne parlons point de Dom Calmet: il possédait au moins, avec l’admirable suavité des âmes simples, une immense érudition, et il écrivait dans les premières années du siècle Mais les commentaires de ses successeurs, et les réponses à  Voltaire des François, [p. 374] Chaudon, Guénée et autres, nous étonnent. [...]
    
     Comment Sara, âgée de soixante-cinq ans, toucha-t-elle le cœur de Pharaon? Chaudon l’explique en quatre points:   
         «I. Par comparaison avec les Égyptiennes, dont le teint était livide et basané.   
         II. Parce que réellement elle était à la fleur de son âge car elle vécut cent vingt-sept ans.   
         III. Elle s’était d’autant mieux conservée, que jusque-là elle n’avait point eu d’enfants.   
         IV. Enfin pourquoi ne dirions-nous pas que, par une providence particulière, elle avait conservé la fleur de sa jeunesse et tous les agréments de sa beauté, afin que cela même fournit à la foi d’Abraham un nouvel exercice, et lui fît sentir à elle-même que, si la beauté a des charmes, elle expose quelquefois à des terribles tentations et aux plus grands malheurs (87).» 
     Dans ces matières délicates, nos abbés se surpassent. Du Contant de La Molette «prouve» la beauté de Sara «par celle d’Hélène», et «par celle d’Andromaque, de Cléopâtre» (88). [p.375] Guénée déniche on ne sait quelle relation d’un voyageur qui a vu au Chili des indigènes engendrer à quatre-vingt-dix ans, et «des sauvagesses fécondes à quatre-vingt» (89). […]        Ce sont les adversaires de Voltaire qui recourent à des rationalisations abusives. Guénée soutient que la fille de Jephté «ne fut pas réellement sacrifiée, mais seulement consacrée, au service du tabernacle, dans une perpétuelle virginité» (95). Les Juifs frappés de mort pour avoir regardé l’arche furent punis de leur désobéissance (96). Michas et les Danites n’ont pas adoré les idoles; mais Michas, habitant trop loin du tabernacle, s’était construit un oratoire garni d’objet de piété (97).  
    87. Chaudon, Anti-dictionnaire philosophique, Paris, 1775, p. 233, 235.
      

    88. Du Contant de La Molette, La Genèse expliquée, t. I, p. 354, 360. […]
     

    89. Lettres de quelques Juifs, t. I, p. 439.

    95. Lettres de quelques Juifs, t. II, p. 92.
Signature de René Pomeau

    96. Ibid., t. I, p. 333.  
    97. Ibid., t. I, p. 327.
 
Source: réédition de 1995, saisie en mode texte par Bernard Gineste, décembre 2002.
BIBLIOGRAPHIE
 
 Éditions
 
     René POMEAU, La religion de Voltaire. Nouvelle édition revue et mise à jour [547 p.; 1e édition en 1969; réimprimé par Nizet en 1974], Paris, A.-G. Nizet, 1995, pp. 343-344, 358, 364 & 374-375.

     Bernard GINESTE [éd.], «
René Pomeau: Notes sur l’abbé Guenée (1969)», in Corpus Etampois, www.corpusetampois.com/cle-18-guenee-pomeau.html (2002).
  
Autres sources
  
     ACADÉMIE ROYALE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES, Épitaphe de l’Abbé Guenée, dans un cimetière de Fontainebleau, 1817. 
   
    ANONYME, «Épitaphe de l’abbé Guenée» [titre de la table des matières], in L’ami de la religion et du roi, journal ecclésiastique, politique et littéraire [Paris] 13 (1817) [dont une saisie numérique en mode image par la BNF, gallica.bnf.fr [fascicule N031593. 1817. 26. T. 13 N 314-339 (août-novembre)], (en ligne en 2002)], p. 13. 

     Bernard GINESTE [éd.], «René Pomeau: Notes sur l’abbé Guenée (extraits de: La Religion de Voltaire, 1969)», in Corpus Etampois, www.corpusetampois.com/cle-18-guenee-pomeau.html (décembre 2002).

     Clément WINGLER, «Les Étampois méconnus : Antoine Guénée», in Étampes-Info 571 (16 mai
2003), p. 5.

     Clément WINGLER, «Antoine Guénée», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cle-18-gueneedewingler.htlm, mai
2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «Antoine Guénée. Une bibliographie», in Corpus Étampois, www.corpusetampois.com/cbe-antoineguenee.html, mai 2003.


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