Corpus Latinum Stampense
    
Scaevola Sammarthanus - Scévole de Sainte-Marthe
Jacobus Hollerius - Jacques Houllier père et fils
1598

   
Scaevola Sammarthanus (gravure due à Edelinck, 1696)
Scaevola Sammarthanus (XVIIe s.)
Jacques Houllier (portrait de convention dû à Frédéric Barré, XIXe siècle)
Jacobus Hollerius (XIXe s.)

     Scévole de Sainte-Marthe (1536-1623), humaniste, poète, capitaine et maire puis trésorier de France à Poitiers, a laissé parmi d’autres œuvres remarquables un recueil latin d’Éloges des hommes célèbres pour leur savoir qui ont brillé en ce siècle, paru à Poitiers en 1598.
     Une notice y est consacrée
au médecin étampois Jacques Houllier, ainsi qu’à son fils et homonyme Jacques Houllier, conseiller à la cour des Aides. Nous en donnons ici le texte latin original, accompagné de deux traductions en français: la première assez libre, donnée en 1644 par Guillaume Colletet; la deuxième de notre cru, plus proche du texte original.
Bernard Gineste, février 2013.
    
Scaevola Sammarthanus - Scévole de Sainte-Marthe
Jacobus Hollerius - Jacques Houllier père et fils
1598




Traduction de Guillaume Colletet (1644)
Texte original de Scévole de Sainte-Marthe (1598)
Traduction de Bernard Gineste (2013)
Jacques Houlier
Jacobus Hollerius
Jacques Houllier
   La petite ville d’Estampes qui n’est guieres esloignée de Paris, fut le pays natal de cet homme recommandable. Aussi le voisinage & la commodité du lieu l’ayant aisément introduit dans la plus noble & la plus célèbre Uniuersité du monde, il y fut bien-tost apres receu Docteur en Médecine. Mais Docteur accomply de tout poinct, soit que l’on considère la cognoissance parfaite qu’il avoit de son art, soit que l’on fasse reflexion sur l’experience qu’il s’estoit acquise, & sur le soin qu’il apportoit à visiter les malades & à guérir les maux. Quoy que son visage parust d’abord un peu rustique & farouche, si est-ce qu’il estoit d’une humeur ciuile, & parfaitement affable. Et cela de telle sorte, que ne s’arrestant pas seulement à guérir les corps infirmes par ses ordonnances & ses medicamens, il taschoit encore de recréer les Esprits par ses discours [p.166] agréables, & par ses rencontres divertissantes.
   Hujus lectissimi vir patria fuit ager Stempensis non longè à Lutetia dissitus. Quae loci proximitas opportunum illi aditum ad nobilissimam totius orbis academiam praebuit, in qua Medicus brevi tempore factus est omnibus numeris absolutus: sive perfectam artis cognitionem spectes, sive in morbis curandis usum & solertiam: cùm in ore subagresti summa lateret urbanitas, aegrorùmque mentes non minus quàm corpora jucunda sermonis comitate & hilaritate recrearet.
   La patrie de cet homme d’élite fut le pays d’Étampes, non loin de Paris. Cette proximité lui procura la chance d’un accès facile à la faculté la plus célèbre du monde, dans laquelle il devint vite un médecin parfait à tous égards, tant pour ce qui regarde la parfaite connaissance de l’art que l’expérience et l’habileté dans le soin des maladies, tant recelaient d’urbanité ses traits quelque peu rustiques (1), et tant il rafraîchissait les esprits autant que les corps de ses patients par l’agrément de sa conversation affable et enjouée.

   Homo apertus & nullius rei dissimulator. Quàm ingenui animi libertatem carpentibus nonnullis, monentibùsque oportere Medicum ad multa connivere, quòd sub aliis vitam paret, repondere solebat alios vivere beneficio Medicorum, Medicos suo.
   C’était un homme franc et sans aucune dissimulation. Et comme plus d’un s’étonnait de sa noble liberté de parole en disant qu’il convenait à un médecin de fermer les yeux sur beaucoup de choses pour gagner sa vie auprès d’autrui, il avait coutume de répondre que c’étaient les autres qui devaient leur vie aux médecins, tandis que ceux-ci ne la devaient qu’à eux-mêmes.
   Parmy ces utiles emplois il ne laissoit pas de travailler dans son Cabinet pour sa gloire. Mais ce qui nous fait regretter d’avantage la perte de cét excellent homme, c’est qu’il ne nous est resté que fort peu de chose de ses doctes ouvrages. Encore ce qui en est parvenu jusques à nous, n’a esté publié qu’apres sa mort, & n’a pas receu la derniere lime de son Autheur; le reste ayant esté enlevé par des plagiaires & des voleurs du travail d’autruy, ou au grand regret du public, supprimé par ses Amis, ou par luy-mesme.
   Sed hoc unicè dolendum est, quod ex doctissimis [p.47] tanti viri scriptis pauca tantum & posthuma neque dum ab authore consummata pervenerunt in hominum manus: caetera aut à plagiariis surrepta sunt, aut mag[n]o humani generis incommodo suppressa perierunt.
   Il faut pourtant regretter une chose: c’est que des très savants écrits de ce grand homme un petit nombre seulement soient parvenus entre les mains du public, posthumes et inachevés par l’auteur. Tout le reste ou bien a été usurpé par des plagiaires ou bien a été détruit au grand dam de l’humanité.
   Ce ne fut pas avec un moindre desplaisir ny mesme avec un moindre dommage, que nous perdismes le docte Fils d’un si docte Pere, auparavant qu’il eust laissé à la postérité des marques illustres de sa haute suffisance. Il fut receu dans une charge de Conseiller du Roy en sa Cour des Aydes;
   Neque minori dispendio accidit ut eruditissimus filius in suprema vectigalium curia Senator, qui morienti superstes fuit, ante nobis eripetur, quàm ulla summae doctrine argumenta literis consignata relinqueret. Quod forsitan à senescente poterat exspectari, nisi mors acerbior vetuisset.
   Et ce qui n’a été une moindre perte, c’est que son fils très érudit, conseiller à la cour des Aides, qui lui avait survécu, nous a été enlevé avant que d’avoir laissé par écrit quelque témoignage que ce soit de son immense savoir. C’est ce qu’on était en droit sans doute d’attendre de ses vieux jours, si une mort cruelle ne l’avait empêché (2).
   Mais parmy les obligations & les devoirs de sa charge, il n’est pas croyable avec quel soin il s’adonnoit à l’Estude des Sciences. Comme il survesquit celuy qui l’avoit mis au monde, la mort le [p.167] prevint dans un temps où l’on n’esperoit de luy que de grandes choses. Elle le surprit en sa fleur de jeunesse, dans un aage ennemy du repos & de l’oisiveté , & qui brusloit de l’ardant désir de tout voir, & de tout cognoistre. Jusques-là mesmes que dés qu’il pouvoit se desrober à ses Amis & à sa charge comme s’il eut rompu les fers de sa captivité, sans communiquer à personne son dessein, & le dissimulant mesme à ses plus proches, il entreprenoit secrettement de longs & de pénibles voyages, tantost en Asie, & tantost en Affrique, ce qu’il faisoit afin de cognoistre le monde, n’estimant pas que la lecture des Livres fust capable de luy donner une parfaite cognoissance des divers secrets de la Nature, s’il n’en eust conféré de bouche avec des hommes aussi differens de pays, que de mœurs & d’inclinations; & s’il n’eust veu de ses yeux propres la distance des lieux & la situation des Prouinces.
   Juvenis enim dum vixit otii prorsus impatiens & impotenti peregrinandi amore correptus quoties à publico munere vacabat, ceu compedibus solutus, continuò se quà in Asiam, quà in Africam ad exteras nationes invisendas dissimulata suis profectione proripiebat. Minimè scilicet contentus ea, quae ex librorum lectione comparari potest, rerum naturae notitia, nisi varios hominum mores, regionùmque situs & loca ipsis oculis videret ac pernosceret.
   Car dans sa jeunesse, tant qu’il vécut, tout à fait impatient et incapable de rester à ne rien faire, saisi de la passion des voyages, à chaque vacance que lui laissaient ses fonctions, comme un prisonnier qu’on vient de libérer, il se précipitait aussitôt soit en Asie ou en Afrique visiter les nations étrangères en cachant aux siens son départ. Il ne se contentait pas en effet de la connaissance scientifique qu’on peut acquérir par la lecture tant qu’il n’avait pas appris à connaître et vu de ses propres yeux les différentes coutumes des hommes ainsi que les sites et les particularités de leurs provinces.
   Houlier le Pere mourut au commencement de la guerre civile, peu de mois auparavant que toute la France se vid en armes dans les campagnes de Dreux, où la prise des deux Généraux d’armée, [p.168] l’une au commencement, & l’autre à la fin de la Bataille, rendit la journée aussi sanglante, que la victoire y fut long-temps douteuse. Ce qui arriva l’an 1652.
   Obiit autem Hollerius pater sub ipsa belli civilis initia, paucis ante mensibus quàm in Druydûm campu captis utrunque ductoribus ancipiti diu Marte pugnaretur.
   Quant à Houllier père, il mourut au tout début de la guerre civile, peu de mois avant que ne soit livré le combat incertain de Dreux où chaque parti fit prisonnier le chef de l’autre (3).
 
     (1) On remarquera que ce portrait ne correspond guère à celui qu’en a donné Frédéric Barré au milieu du XIXe siècle pour orner l’hôtel de ville d’Étampes, sur la seule base de son imagination, et dont nous donnons une photographie en haut de cette page: il lui a prêté des traits fins et élégants qui n’ont rien de la bonhommie rustique suggérée par Scévole de Sainte-Marthe (B.G.).

     (2) Je n’ai pas pu trouver la date de cette mort. Mais il faut remarquer que, selon Jacques Flach et F. Funck-Brentano, dans leur édition remarquable du Traité de la constance et consolation ès calamitez publiques, écrit pendant le siège de Paris de 1590 par Guillaume du Vair, l’un des interlocuteurs de ce traité en forme de dialogue serait bien, sous le pseudonyme d’Orphée, le dit Jacques Houllier fils (pp.26-27). C’est précisément une lettre de Scaliger à Du Puy (9 juillet 1591, éd. Tamizey, p. 286) qui relate le séjour de Houllier à Paris pendant la Ligue, et le biographe de Le Fèvre, son neveu Le Bègue, nous dira que celui-ci n’a pas voulu quitter la ville pour ne pas se priver de la compagnie de Pithou, de Du Vair et de Houllier (p.27). On peut lire cette lettre de Scaliger ici, mais elle n’a guère d’intérêt pour connaître Houllier fils qu’elle ne fait guère que mentionner. Il s’ensuit en tout cas qu’Houllier fils ne serait mort qu’entre 1591 et 1598, date de publication des présents Éloges de Sainte-Marthe (B.G.).

     (
3) La bataille de Dreux est du 19 décembre 1562, ce qui signifie que Jacques Houllier père est mort vers le milieu de l’an 1562 sans qu’on puisse préciser davantage (B.G.).


BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE

Éditions

       Scaevola SAMMARTHANUS (quaestor Franciae) [Scévole de SAINTE-MARTHE (1536-1623, trésorier de France)], Virorum doctrina illustrium, qui hoc seculo in Gallia floruerunt, elogia [in-8°; XII+111 p.], Augustoriti Pictonum (Poitiers), Iohannes Blancetus (Jean Blanchet), 1598, pp. 46-47.

     Guillaume COLLETET (1596-1659), Éloges des hommes illustres, qui depuis un siècle ont fleury en France dans la profession des Lettres, composez en latin par Scevole de Sainte-Marthe, et mis en françois par Guillaume Colletet [in-4°; XVIII+608 pp. et table], Paris, Antoine de Sommaville, Augustin Courbé et François Langlois, 1644, pp. 165-168.

     Bernard GINESTE [éd.], «Scévole de Sainte-Marthe: Jacques Houllier père et fils (Éloges des savants illustres, 1598)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-16-sammarthanus1598hollerius.html, 2013.

Sur le XVIe siècle étampois

     COLLECTIF, «Le Seizième siècle étampois (documents mis en ligne par le Corpus Étampois)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-16esiecle.html, depuis 2008.


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