Scaevola Sammarthanus - Scévole
de Sainte-Marthe
Jacobus Hollerius - Jacques Houllier
père et fils
1598
Traduction de Guillaume Colletet (1644)
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Texte original de Scévole de Sainte-Marthe (1598)
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Traduction de Bernard Gineste (2013)
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Jacques Houlier
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Jacobus
Hollerius
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Jacques Houllier
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La
petite ville d’Estampes qui n’est guieres esloignée de Paris, fut le
pays natal de cet homme recommandable. Aussi le voisinage & la commodité
du lieu l’ayant aisément introduit dans la plus noble & la plus
célèbre Uniuersité du monde, il y fut bien-tost apres
receu Docteur en Médecine. Mais Docteur accomply de tout poinct, soit
que l’on considère la cognoissance parfaite qu’il avoit de son art,
soit que l’on fasse reflexion sur l’experience qu’il s’estoit acquise, &
sur le soin qu’il apportoit à visiter les malades & à guérir
les maux. Quoy que son visage parust d’abord un peu rustique & farouche,
si est-ce qu’il estoit d’une humeur ciuile, & parfaitement affable. Et
cela de telle sorte, que ne s’arrestant pas seulement à guérir
les corps infirmes par ses ordonnances & ses medicamens, il taschoit encore
de recréer les Esprits par ses discours [p.166]
agréables, & par ses rencontres divertissantes.
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Hujus
lectissimi vir patria fuit ager Stempensis non longè à Lutetia
dissitus. Quae loci proximitas opportunum illi aditum ad nobilissimam totius
orbis academiam praebuit, in qua Medicus brevi tempore factus est omnibus
numeris absolutus: sive perfectam artis cognitionem spectes, sive in morbis
curandis usum & solertiam: cùm in ore subagresti summa lateret
urbanitas, aegrorùmque mentes non minus quàm corpora jucunda
sermonis comitate & hilaritate recrearet.
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La
patrie de cet homme d’élite fut le pays d’Étampes, non loin
de Paris. Cette proximité lui procura la chance d’un accès facile
à la faculté la plus célèbre du monde, dans laquelle
il devint vite un médecin parfait à tous égards, tant
pour ce qui regarde la parfaite connaissance de l’art que l’expérience
et l’habileté dans le soin des maladies, tant recelaient d’urbanité
ses traits quelque peu rustiques (1), et tant
il rafraîchissait les esprits autant que les corps de ses patients
par l’agrément de sa conversation affable et enjouée.
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Homo apertus & nullius rei dissimulator. Quàm ingenui
animi libertatem carpentibus nonnullis, monentibùsque oportere Medicum
ad multa connivere, quòd sub aliis vitam paret, repondere solebat
alios vivere beneficio Medicorum, Medicos suo.
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C’était
un homme franc et sans aucune dissimulation. Et comme plus d’un s’étonnait
de sa noble liberté de parole en disant qu’il convenait à un
médecin de fermer les yeux sur beaucoup de choses pour gagner sa vie
auprès d’autrui, il avait coutume de répondre que c’étaient
les autres qui devaient leur vie aux médecins, tandis que ceux-ci
ne la devaient qu’à eux-mêmes.
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Parmy ces utiles emplois il ne laissoit pas de
travailler dans son Cabinet pour sa gloire. Mais ce qui nous fait regretter
d’avantage la perte de cét excellent homme, c’est qu’il ne nous est
resté que fort peu de chose de ses doctes ouvrages. Encore ce qui en
est parvenu jusques à nous, n’a esté publié qu’apres
sa mort, & n’a pas receu la derniere lime de son Autheur; le reste ayant
esté enlevé par des plagiaires & des voleurs du travail
d’autruy, ou au grand regret du public, supprimé par ses Amis, ou par
luy-mesme.
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Sed
hoc unicè dolendum est, quod ex doctissimis [p.47]
tanti viri scriptis pauca tantum & posthuma neque dum ab authore consummata
pervenerunt in hominum manus: caetera aut à plagiariis surrepta sunt,
aut mag[n]o humani generis incommodo suppressa perierunt.
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Il
faut pourtant regretter une chose: c’est que des très savants écrits
de ce grand homme un petit nombre seulement soient parvenus entre les mains
du public, posthumes et inachevés par l’auteur. Tout le reste ou bien
a été usurpé par des plagiaires ou bien a été
détruit au grand dam de l’humanité.
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Ce ne fut pas avec un moindre desplaisir ny mesme
avec un moindre dommage, que nous perdismes le docte Fils d’un si docte
Pere, auparavant qu’il eust laissé à la postérité
des marques illustres de sa haute suffisance. Il fut receu dans une charge
de Conseiller du Roy en sa Cour des Aydes;
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Neque minori dispendio accidit ut eruditissimus filius in suprema
vectigalium curia Senator, qui morienti superstes fuit, ante nobis eripetur,
quàm ulla summae doctrine argumenta literis consignata relinqueret.
Quod forsitan à senescente poterat exspectari, nisi mors acerbior vetuisset.
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Et
ce qui n’a été une moindre perte, c’est que son fils très
érudit, conseiller à la cour des Aides, qui lui avait survécu,
nous a été enlevé avant que d’avoir laissé par
écrit quelque témoignage que ce soit de son immense savoir.
C’est ce qu’on était en droit sans doute d’attendre de ses vieux
jours, si une mort cruelle ne l’avait empêché (2).
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Mais parmy les obligations & les devoirs de
sa charge, il n’est pas croyable avec quel soin il s’adonnoit à l’Estude
des Sciences. Comme il survesquit celuy qui l’avoit mis au monde, la mort
le [p.167] prevint dans un temps où l’on
n’esperoit de luy que de grandes choses. Elle le surprit en sa fleur de jeunesse,
dans un aage ennemy du repos & de l’oisiveté , & qui brusloit
de l’ardant désir de tout voir, & de tout cognoistre. Jusques-là
mesmes que dés qu’il pouvoit se desrober à ses Amis & à
sa charge comme s’il eut rompu les fers de sa captivité, sans communiquer
à personne son dessein, & le dissimulant mesme à ses plus
proches, il entreprenoit secrettement de longs & de pénibles voyages,
tantost en Asie, & tantost en Affrique, ce qu’il faisoit afin de cognoistre
le monde, n’estimant pas que la lecture des Livres fust capable de luy donner
une parfaite cognoissance des divers secrets de la Nature, s’il n’en eust
conféré de bouche avec des hommes aussi differens de pays, que
de mœurs & d’inclinations; & s’il n’eust veu de ses yeux propres la
distance des lieux & la situation des Prouinces.
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Juvenis
enim dum vixit otii prorsus impatiens & impotenti peregrinandi amore correptus
quoties à publico munere vacabat, ceu compedibus solutus, continuò
se quà in Asiam, quà in Africam ad exteras nationes invisendas
dissimulata suis profectione proripiebat. Minimè scilicet contentus
ea, quae ex librorum lectione comparari potest, rerum naturae notitia, nisi
varios hominum mores, regionùmque situs & loca ipsis oculis videret
ac pernosceret.
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Car
dans sa jeunesse, tant qu’il vécut, tout à fait impatient et
incapable de rester à ne rien faire, saisi de la passion des voyages,
à chaque vacance que lui laissaient ses fonctions, comme un prisonnier
qu’on vient de libérer, il se précipitait aussitôt soit
en Asie ou en Afrique visiter les nations étrangères en cachant
aux siens son départ. Il ne se contentait pas en effet de la connaissance
scientifique qu’on peut acquérir par la lecture tant qu’il n’avait
pas appris à connaître et vu de ses propres yeux les différentes
coutumes des hommes ainsi que les sites et les particularités de
leurs provinces.
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Houlier le Pere mourut au commencement de la guerre
civile, peu de mois auparavant que toute la France se vid en armes dans les
campagnes de Dreux, où la prise des deux Généraux d’armée,
[p.168] l’une au commencement,
& l’autre à la fin de la Bataille, rendit la journée aussi
sanglante, que la victoire y fut long-temps douteuse. Ce qui arriva l’an
1652.
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Obiit
autem Hollerius pater sub ipsa belli civilis initia, paucis ante mensibus
quàm in Druydûm campu captis utrunque ductoribus ancipiti diu
Marte pugnaretur.
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Quant à Houllier père, il mourut au tout début de la
guerre civile, peu de mois avant que ne soit livré le combat incertain
de Dreux où chaque parti fit prisonnier le chef de l’autre (3).
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(1)
On remarquera que ce portrait ne correspond guère à celui qu’en
a donné Frédéric Barré au milieu du XIXe siècle
pour orner l’hôtel de ville d’Étampes, sur la seule base de
son imagination, et dont nous donnons une photographie en haut de cette page:
il lui a prêté des traits fins et élégants qui
n’ont rien de la bonhommie rustique suggérée par Scévole
de Sainte-Marthe (B.G.).
(2) Je
n’ai pas pu trouver la date de cette mort. Mais il faut remarquer que, selon
Jacques Flach et F. Funck-Brentano, dans leur édition remarquable
du Traité de la constance et consolation ès calamitez publiques,
écrit pendant le siège de Paris de 1590 par Guillaume du
Vair, l’un des interlocuteurs de ce traité en forme de dialogue serait
bien, sous le pseudonyme d’Orphée, le dit Jacques Houllier
fils (pp.26-27). “C’est
précisément une lettre de Scaliger à Du Puy (9 juillet
1591, éd. Tamizey, p. 286) qui relate le séjour de Houllier
à Paris pendant la Ligue, et le biographe de Le Fèvre, son
neveu Le Bègue, nous dira que celui-ci n’a pas voulu quitter la ville
pour ne pas se priver de la compagnie de Pithou, de Du Vair et de Houllier” (p.27). On peut lire cette
lettre de Scaliger ici, mais elle n’a guère d’intérêt
pour connaître Houllier fils qu’elle ne fait guère que mentionner.
Il s’ensuit en tout cas qu’Houllier fils ne serait mort qu’entre 1591 et
1598, date de publication des présents Éloges de Sainte-Marthe
(B.G.).
(3) La bataille de Dreux est du 19 décembre 1562,
ce qui signifie que Jacques Houllier père est mort vers le milieu de
l’an 1562 sans qu’on puisse préciser davantage (B.G.).
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BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
Éditions
Scaevola SAMMARTHANUS (quaestor Franciae) [Scévole de SAINTE-MARTHE
(1536-1623, trésorier de France)], Virorum doctrina illustrium,
qui hoc seculo in Gallia floruerunt, elogia [in-8°; XII+111 p.], Augustoriti
Pictonum (Poitiers), Iohannes Blancetus (Jean Blanchet), 1598, pp. 46-47.
Guillaume COLLETET (1596-1659), Éloges des hommes illustres, qui depuis un siècle
ont fleury en France dans la profession des Lettres, composez en latin par
Scevole de Sainte-Marthe, et mis en françois par Guillaume Colletet
[in-4°; XVIII+608 pp. et table], Paris, Antoine de Sommaville, Augustin
Courbé et François Langlois, 1644, pp. 165-168.
Bernard GINESTE [éd.], «Scévole de Sainte-Marthe:
Jacques Houllier père et fils (Éloges des savants
illustres, 1598)», in Corpus Étampois,
http://www.corpusetampois.com/cls-16-sammarthanus1598hollerius.html, 2013.
Sur le XVIe siècle étampois
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