Annexes du Corpus Étampois
 
Bernard Gineste
Onomastica 01
Simples notules, depuis 2009 
     
Notes et hypothèses
 
     Je donne ici quelques notes éparses sans intérêt direct ni même indirect pour l’histoire du pays d’Étampes, mais qui peuvent éventuellement servir à d’autres chercheurs ou intéresser les simples curieux. Je serais très obligé à toute personne informée de me signaler si l’une de ces remarques avait déjà été faite par d’autres auteurs, afin de leur rendre ici la priorité de la remarque considérée, selon l’usage et les règles de la courtoisie intellectuelle.  

     
Ceux qui sentiraient l’utilité de l’une de ces modestes notules, et qui auraient le scrupule de citer leur source, voudront bien le faire sous la forme indiquée à la fin de chaque article.
  
Sommaire alphabétique

     Concierge (nom commun et patronyme).  Debise (patronyme). — Gien (toponyme). Montlhéry (toponyme). — Sergent (nom commun et patronyme).  Sublaines (toponyme).


Introduction

     On rangera ici sans ordre, ou plutôt dans l’ordre inverse de leur mise en ligne, quelques notes ou simples hypothèses sans prétention intéressant l’onomastique prise dans son sens large, et susceptibles  dans l’ordre de servir à d’autres chercheurs ou simples curieux, ou simplement à les distraire. Toute remarque sera appréciée et fera l’objet d’une réponse.

Bernard Gineste, avril 2009.
    006.  Le mot Sergent n’a pas été expliqué jusqu’à aujourd’hui de manière satisfaisante. J’y suis venu par l’étude d’un patronyme étampois attesté au XIIIe siècle, Sergent.

     Que signifie ce mot, et quelle est son étymologie? Il est transcrit à partir du début du XIIIe siècle par sergent, mais on trouve plutôt avant cela sergant et serjant. On le fait dériver généralement d’un bas-latin servientem, du verbe servire, “servir”, sous prétexte que c’est ainsi que le mot est régulièrement rendu par le latin médiéval, et qu’on a en provençal servent, sirvent, en espagnol sirviente, en italien servente. Mais le mot français me paraît difficilement avoir la même étymologie, car on mal comment on aurait pu passer de l’un à l’autre, et spécialement de -vi- à -j-.

     Le sergent était anciennement, selon Littré, un «officier de justice chargé des poursuites judiciaires; on dit aujourd’hui huissier.» C’est pourquoi je préfère pour ma part expliquer la formation de serjant comme une altération ancien d’un ancien français serchant, dont une meilleure rétroversion latine aurait été circans, du verbe circare, “parcourir”, qui a donné en berrichon, selon Littré, cercher, sercher, sarcher et charcher, et en français moderne chercher.

     L’évolution de -erch- en -erj- est bien documentée, par exemple pour berge et serge, qui dérivent de berche (latin barica) et serche (latin serica, sarica). De même le verbe bouger (d’abord bougier) vient d’un bas-latin bullicare, “bouillonner”, qui aurait dû donner boucher.

     Le sergent était donc en France un officier itinérant, circulant dans le territoire d’une juridiction dans le cadre de poursuites judiciaires, en d’autres termes, serchant. Le terme, une fois que sa formation n’a plus été comprise par suite de l’altération de -ch- en -j- (sous l’influence peut-être de gens), a été rendu en latin médiéval par serviens, déjà en usage pour rendre les mots provençal servent, sirvent, espagnol sirviente et italien servente, qui, eux, viennent bien de servire.

     Bernard GINESTE, “Sergent, in Onomastica 01, http://www.corpusetampois.com/var-onomastica01.html#sergent, 2 mai 2009.

    005.  Le mot Concierge n’a pas été expliqué jusqu’à aujourd’hui de manière satisfaisante. J’y suis venu par l’étude d’un nom de personne étampois. Un tenancier, ou plutôt une tenancière des dames de Longchamp à Étampes vers 1268, reçoit le nom de La Concierge. Plus tard, en 1274, il est question de son fils, Macy fils à la Concierge (censier des dames de Longchamp 1268, n°47: La Concierge; 1271, n°127: La Concierge; 1274, n°7: Maci fiuz à la concierge).

     Que signifie ce mot, et quelle est son étymologie?
     Selon Émile Littré, un concierge est «Celui qui a la garde d’un château, d’un hôtel, d’une prison.» Il précise que c’était autrefois le nom d’un office considérable. Il cite Vallet de Viriville sur Isabeau de Bavière : «La reine Isabelle de Bavière avait la garde royale; dès le 24 février 1413, elle s’était fait nommer concierge de la conciergerie du Palais; ce poste considérable, et quelquefois rempli par les plus éminents personnages, donnait au titulaire la garde du corps ou de la personne du roi». Cependant Littré ne cite aucun texte d’époque antérieur au XIVe siècle.
     Voici ce qu’il écrit sur l’étymologie de ce mot:
     «Picard, conchierge; espagn. conserge, bas-lat. consergius, dans un texte de l’an 1106. Ménage le tire de conservare; mais conservare n’a jamais pu donner consergius. Labbe propose le mot hybride con-skarjo, skarjosbirre signifiant en allemand sergent; mais la forme du mot et aussi le sens s’y opposent. Diez, qui écarte ces deux étymologies, n’en propose aucune. La présence de la forme consergius, dans un texte aussi ancien que l’an 1106, ne permet guère d’y voir autre chose que le représentant roman d’un bas-latin conservius, dérivé de cum et servire; servius donnant serge ou sierge, comme serviens donne sergent. De sorte que concierge ne signifierait que serviteur, terme général déterminé ensuite par l’usage à un sens particulier.»

     Le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, tout récent, n’est pas plus affirmatif dans sa réimpression de 2006:

     «D’abord cumcerge (1192) puis concierge (v.1220), est probablement hérité du latin médiéval consergius (1106 et 1190), altération d’un latin populaire °conservius sous l’influence de serviens (voir: sergent). Il représenterait le latin classique conservus, “compagnon d’esclavage”, de cum, “avec” (voir: co-) et servus, “esclave”.

     Voyons maintenant comment il explique le mot Conciergerie.

     «Conciergerie n.f. (1328; 1201, en latin médiéval, conciergeria), “charge” et “logement de concierge”, désigne spécialement la prison attenante au Palais de Justice de Paris (1400-1417) car celle-ci était à l’origine le logement du concierge du Palais.»

     Est-il nécessaire d’expliquer à quel point cette étymologie est insatisfaisante au point de vue de l’évolution phonétique? Le parallèle douteux de sergent, supposé traditionnellement provenir de serviens (terme par lequel on le rend en latin traditionnellement et par analogie), n’est guère probant (Voyez l’article suivant sur Sergent). Au reste serge ne vient pas de servus ou servius comme le croyait Littré, mais d’un bas-latin serica, sarica, via sarche, puis sarge. Et de même berge vient de *barica, via berche.

     Quant à l’évolution de sens supposée par cette étymologie, non seulement elle n’est pas du tout documentée (où est passé ce mot improbable de conservius pendant plus de mille ans?), mais elle est tout à fait invraisemblable, puisque la spécialisation de ce mot hypothétique de sens très vague ne reçoit aucun élément d’explication. Et comment se fait-il qu’on ait mis des prisonniers dans le logement du concierge du Palais? Et d’où vient cette idée de surveillance toujours présente dans les fonctions attribuées à ceux qui portent ce titre dont la racine est pourtant obscure?

     Niermeyer dans son Lexicon du latin médiéval relève les graphies concergius et consergius, avec le sens de “concierge, door keeper”; et il se demande s’il ne viendrait pas d’un hypothétique concerius, en renvoyant à la formation du latin primicerius, secondicerius, “dont le nom était porté en premier (ou second) sur la tablette de cire (cera) contenant les noms des différents officiers en exercice”. Mais quelle explication donner dans ce cadre au préfixe con-? Même problème que pour l’hypothétique *conservius.

     Le Lexicon de Blaise quant à lui relève les graphies concergerius, concergius, consergerius et consergius, avec le sens de “concierge, portier”, mais il relève aussi les sens de “garde-champêtre, messier ” (malheureusement sans références, comme d’habitude).
     Toutes les solutions insatisfaisantes qui ont été jusqu’ici proposées pour trouver l’étymologie de ce mot ont pour point commun de reconnaître dans la première syllabe du mot le préfixe latin con-. Ne s’agirait-il pas plutôt de l’altération d’une racine canch-?

     Précisément, selon le Lexique de Godefroy, il a existé en ancien français un nom canchier, qui signifiait prison, et qui a la même étymologie que le verbe cacher, à savoir le verbe bas-latin *coacticare, “comprimer, serrer” (cf. aussi le français moderne cachot). Un canchier, c’était donc un *coacticarium, un “serroir”, d’après une image comparable à la métaphore argotique moderne “il a été serré par les flics”.
     Le mot doit être né à la cour royale des premiers capétiens pour désigner une nouvelle dignité, vers la même époque où l’on adopte le mot archichancellier, apparemment créé par la chancellerie du Saint-Empire Romain Germanique, et où survit aussi la dignité carolingienne d’archichapelain. Je suppose dans ce contexte un mot de création savante, ou plutôt demi-savante: canchi-arche, “geôlier en chef” ou “chef de prison”. A l’époque contemporaine a été formé de la même manière le mot énarque, haut fonctionnaire issu de l’E.N.A., c’est-à-dire de l’École Nationale d’Administration.

     Le mode de création très spécial de ce mot l’a rendu très vite opaque et il a été vite altéré par analogie en conchierche, d’où le picard conchierge allégué par Littré.

     En faveur de cette évolution, on notera à Étampes tout au long du dernier quart de XIIIe siècle un patronyme Lepatriarche ou Patriarche, régulièrement rendu par ces deux graphies savantes, mais qui est transcrit en 1298 Patriache (Censier de 1298, item n°44) et une autre fois surtout Patrieige (item n°85): il s’agit sans doute en ce dernier cas de la prononciation réelle du patronyme, et les autres fois d’une normalisation savante. On la retrouve ailleurs (Jean Favier, Les contribuables parisiens à la fin de la Guerre de Cent Ans, p. 364, cite une Perrette La Patriaige), et dailleurs ce patronyme existe toujours. 

     Cette hypothèse aurait l’avantage d’expliquer le fait que la Conciergerie de Paris ait été une prison, aussi loin qu’on puisse le savoir. Quant au concierge d’Etampes, il en aurait été aussi le geôlier en chef. On se rappellera que dès 1108, la tour d’Étampes fut utilisée par Louis le Gros pour incarcérer le châtelain de Sainte-Sévère, d’après son historiographe Suger, et que c’est aussi à Étampes que Philippe Auguste fit incarcérer son épouse Isambour de Danemark au tout début du XIIIe siècle. Mais en fait le titre de concierge semble très vite sêtre dévalué pour qualifié bien dautres officiers subalternes.

     Le mot et titre de concierge a connu une fortune proportionnelle a son opacité, en conservant le sens général d’officier chargé d’une fonction de surveillance, d’où sans doute les usages du mots en latin médiéval qu’allègue, malheureusement sans références, le Lexicon de Blaise, au sens de “concierge, portier”, mais aussi, sans doute à date plus tardive, de “garde-champêtre, messier”.

     C’est peut-être ce sens qu’il revêt en 1268 et 1271 à Étampes dans le censier des dames de Longchamp, car nous voyons que certains des censitaires y sont listés comme payant non seulement un cens mais aussi un droit de “garde”, qui doit se justifier par la rétribution d’un officier chargé de surveiller toutes les parcelles de la censive.

     Bernard GINESTE, “Concierge, in Onomastica 01, http://www.corpusetampois.com/var-onomastica01.html#concierge, 2 mai 2009.

    004. Le nom de la commune de Montlhéry. Comme je l’ai suggéré dans une contribution de novembre 2008 au site Wikipédia  (archivée ici), le nom de cette ville est un toponyme formé de façon classique à partir du nom commun mont et du nom de personne germanique Leotheric, courant dans la région du IXe siècle au XIe siècle.

     Je concluais en disant que ce Lhéry était donc probablement sinon le fondateur, au moins l’un des premiers seigneurs de la place fortifiée de Montlhéry, à l’époque carolingienne.

     A la réflexion, le toponyme est presque nécessairement plus ancien. En effet sa première attestation, en 798, revêt la forme Aetricus mons. Or cette graphie repose sur une dissimilation, le L de Lhéry étant perçu à tort comme un déterminant introduisant un bizarre adjectif aetricus, ce qui signifie que l’anthroponyme n’est plus reconnu comme tel par le scribe de l’extrême fin du VIIIe siècle, ce qui peut se comprendre peu avant la vogue du nom dans la région, mais difficilement peu juste la mort du personnage qui a donné son nom au lieu-dit.

     Cela nous reporte donc apparemment plutôt à l’époque mérovingienne que carolingienne.

     Bernard GINESTE, “Montlhéry, in Onomastica 01, http://www.corpusetampois.com/var-onomastica01.html#montlhery, avril 2009.
    003. Le nom de la commune de Gien pose un très vieux problème qui à ma connaissance n’a pas encore trouvé de solution satisfaisante. Philologiquement, il dérive évidemment du toponyme gaulois Genabum ou Cenabum. Mais paradoxalement l’archéologie a démontré que Genabum-Cenabum, c’était Orléans, à quelque 73 kilomètres de là.
     La solution est extrêmement simple.
     Le premier nom attesté de l’actuel Gien a été, en réalité, Le vieux Gien.
     L’actuelle commune de Gien est en fait située sur un autre lieu que le site du Vieux Gien, car vers le IXe siècle l’agglomération s’est déplacé vers un éperon rocheux plus facile à défendre que le site gallo-romain originel: on eut dès lors pour ainsi dire un Nouveau Vieux Gien.
     Le dit Vieux Gien en effet ne tirait pas son nom d’une antériorité quelconque, bien qu’on l’ait très tôt compris en ce sens (dès le XIe siècle).
     Il s’agissait en fait d’une réinterprétation erronnée du toponyme Le Vié Gien, c’est-à-dire “le gué de Gien” (c’est-à-dire d’Orléans), compris erronément Viez Gien, c’est-à-dire “le Vieux Gien”.
     La dénomination primitive doit remonter à l’époque mérovingienne, ou carolingienne, à une époque en tout cas où le passage le plus commode de la Loire, lors que l’on allait de Bourges à Orléans, était celui du Gien actuel, qui a conservé l’ancien toponyme d’Orléans d’autant plus facilement que cette métropole l’a de son côté abandonné au bénéfice du gentilé Aureliani.
     Cette mésinterprétation de toponyme trouve de nombreux parallèles ailleurs en France à la même date (au XIe siècle), notamment à Étampes, comme je l’ai montré en 2004 (Cahier d’Étampes-Histoire 6, p. 75), où les “Les vieilles Étampes”, c’est-à-dire le quartier Saint-Martin, recevaient en fait leur nom des deux gués sur la Louette et la Chalouette que traversait à l’époque mérovingienne et carolingienne la route de Paris à Orléans, avant l’érection du pont dont l’existence n’est attesté, précisément, qu’au XIe siècle.
     La chose est aussi avérée, et même absolument certaine, à Pithiviers-le-Vieil (à 5 km de Pithiviers), au Vieil Amiens (Vetus Ambianum, 1184: c’est Neuville-les-Bray, à 38 km d’Amiens). et au Vieux Rouen (à 80 km de Rouen), toutes localités qui toutes se trouvaient sur un gué important.


     Bernard GINESTE, “Gien, in Onomastica 01, http://www.corpusetampois.com/var-onomastica01.html#gien, avril 2009.
    002. Le nom de la commune de Sublaines, en Indre-et-Loire, ne peut pas dériver de sabulum, “sable”. Il est attesté dès le IXe siècle sous la forme Sublena (IXe siècle, sous Louis le Pieux), puis on trouve Seblena (1060), sans qu’on sache s’il s’agit d’un féminin singulier ou d’un pluriel neutre (comme semble plutôt l’indique la suite, tantôt au neutre singulier, tantôt au pluriel), Sublenum (1119, 1177), Sublanis (XIIIe siècle), et en ancien français Subleines (XIIIe siècle).
     Je propose un toponyme gaulois en deux éléments.
     Su- peut dériver d’un gaulois Sego- “victoire, ou force” (cf. latin securus > français sûr), élément bien représenté en position initiale pour des toponymes (cf. Segobriga, “Ségorbe”, Segodunum, RodezSegontia, Seguntia ou Saguntia, “Sigiienza”, Segosa, “Escoussé”, Segovia, “Ségovie”, Segusio, “Suse”, Segustero, “Sistéron”, etc.
     -blena ou -blenum peut représenter un adjectif belenos (postposé comme cela semble avoir été la règle en gaulois), le même qui qualifiait le dieu Bélénos, “puissant”.
     Le tout pourrait être compris “Puissante Victoire”, ou bien comme un adjectif composé qualifiant collectivement les habitants et signifiant “puissants en victoires”, “aux puissantes victoires”, comme dans l’anthroponyme bien connu Segomaros, de -maros, “grand”, généralement interprété “aux grandes victoires” (cf. Lambert, La langue gauloise, 1995, p. 32).
     Il faut donc peut-être comprendre: “Puissante victoire”,  ou “Les Puissants Vainqueurs”, sans forcément y chercher le souvenir d’un événement historique précis, mais seulement la trace d’un nom chargé de connotations positives et donc de bon augure.

Bernard GINESTE, “Sublaines, in Onomastica 01, http://www.corpusetampois.com/var-onomastica01.html#sublaines, avril 2009.
    001. Le nom de famille Debise, dans toutes ses variantes graphiques, signifie étymologiquement de bise, c’est-à-dire habitant le côté nord de l’agglomération, celui qui est exposé à la bise. D’ailleurs, dans bien des actes que j’ai pu consulter il y a quelques années aux archives de Saône-et-Loire, l’expression de bise est encore usuelle au XVIIe siècle pour signifier “au nord” de telle ou telle parcelle, et ce dans des textes où est attesté simultanément le dit patronyme, ce qui met la chose hors de doute. Son sens était alors absolument transparent.

Bernard GINESTE, “Debise, in Onomastica 01, http://www.corpusetampois.com/var-onomastica01.html#debise, avril 2009.

    

Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.

 
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