CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Brantôme
Vie de Claude de France
[Vie des Dames illustres]
entre 1590 et 1614
   
Pierre de Bourdeille, abbé séculier de Brantôme
 Monsieur de Bourdeille, alias Brantôme
Bontemps: Claude de France (orante mortuaire de marbre)
 Claude de France
   
     Brantôme, né vers 1540, mort en 1614,  a beaucoup écrit sur les grands personnages de son temps et des générations immédiatement précédentes, mais ses œuvres ne furent éditées qu’à partir de 1665, en commençant par le recueil qui contient ce passage consacré à Claude de France. Fille de Louis XII et femme de François Ier, la Reine Claude fut comtesse d’Étampes à la suite de sa mère Anne de Bretagne et jusqu’à sa propre mort, c’est-à-dire de 1514 à 1524. Nous donnons le texte et les notes de trois éditions différentes. La meilleure de ces trois-ci est sans conteste celle de Mérimée.
 
Vie de Claude de France
Texte de lédition de Mérimée (1890)
  
     Il faut parler de madame Claude de France (1), qui fust très bonne et très charitable, et fort douce à tout le monde, et ne fist jamais desplaisir ny mal à aucun de sa court ny de son royaume. Elle fust aussy fort aymée du roy Louys, et de la royne Anne, ses pere & mere, et estoit leur bonne fille et la bien-aymée, comme ilz luy monstrarent bien; car amprès que le roy fust paisible duc de Milan, ilz la firent déclarer et proclamer en sa court de parlement de Paris, à huys ouverts, duchesse des deux plus belles duchez de la chrestienté, qui estoient Milan et Bretaigne, l’une venant du pere et l’autre de la mere. Quelle heritiere! s’il vous plaist. Ces deux duchez joinctes ensemble eussent bien faict un beau royaume.
La Reine Claude       La Royne sa mere la vouloit fort maryer à [p.275] Charles d’Austrie, despuis empereur; et si elle eust vescu cela se fust faict; car elle s’en faisoit accroire quelques fois par dessus le roy son mary, et mesmes pour le maryage de ses filles, desquelles elle vouloit avoir la totalle charge et soucy. Jamais elle ne les appelloit autrement que par leur nom: «Ma fille Claude» et «ma fille Renée». Aujourd’huy, il faut donner des seigneuries aux filles des princesses, voire des dames, pour les y appeler. Et si elle eust vescu, jamais le roy François ne l’eust espousée, comme j’ay dict en son discours; car elle prevoyoit bien le mauvais traictement qu’elle en debvoit recepvoir, d’autant que le roy son mary luy donna la verolle (2), qui luy advança ses jours. Et madame la régente, sa belle mere, la rudoyoit fort; mais elle se fortiffioit le plus qu’elle pouvoit de son bon esprit et sa douce patience et de grand’ sagesse, pour supporter ces rigueurs; ny plus ny moins qu’on list de Marguerite, fille de Raymond, comte de Provance, femme du roy sainct Louys, fort sage et prudente princesse, qui supportoit les rudesses de Blanche, sa belle mere, qu’elle luy faisoit, par sa prudence, et les vainquoit par sa patience. Quoy qui soit, [p.276] ceste vertueuse et sage royne produisist une très belle et genereuse lignée au roy son mary, trois fils, François, Henry et Charles; et quatre filles, Louyse, Charlotte, Magdalaine et Marguerite.
     Elle fust fort aymée aussy du roy son mary, et bien traictée, et de toute la France, et fort regrettée amprès sa mort, pour ses admirables vertus et bontez.
     J’ay leu dans la Chronique d’Anjou qu’amprès sa mort son corps fist miracles, si bien qu’une grand’ dame des siennes, estant un jour tourmantée d’une fiebvre chaude, et s’estant vouée à elle, soudain elle recouvra santé.

Notes de Mérimée
(renumérotées)


     (1) Fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne, femme de François Ier.
     (2) Cette maladie se trahissait chez le roi par une extinction de voix continuelle. Hubert-Thomas Leodius, dans ses Mémoires, où il parle d’un voyage qu’il fit en France avec l’électeur palatin Frédéric II, note ce qui suit: «Ce qu’il y avoit de fâcheux (pour les convives du roi François Ier), c’est qu’une maladie luy ayant fait perdre la luette, il n’avoit presque plus de voix, et il falloit être accoutumé à l’entendre pour recueillir aisément toutes ses paroles.» (Francfort, 1622).
     Nous citons ci-après le texte de deux autres éditions, principalement pour donner au commun des lecteurs une idée de la variété d’orthographe et de ponctuation, voire d’erreurs et de lacunes qui peuvent se présenter d’une édition à l’autre des textes anciens. Les notes cependant ne sont pas cependant dépourvues d’intérêt.
Texte de lédition Roucher (1790)
 
ARTICLE IV.
Madame CLAUDE DE FRANCE

     IL faut parler de Madame CLAUDE DE (1) FRANCE, qui fut très-bonne & très-charitable, & fort douce à tout le monde, & ne fit jamais desplaisir ny mal à aucun de sa Cour ny de son Royaume. Elle fut aussi fort aymée du Roy Louïs, & de la Reyne Anne, ses pere & mere, & estoit leur bonne fille et la bien-aimée, comme ils luy monstrerent [p25] bien: car après que le Roy fut paisible (2) Duc de Milan, ils la firent déclarer & proclamer en la Cour de Parlement de Paris, à huis ouverts, Duchesse des deux plus belles Duchés de la Chrestienté, qui estoient Milan & Bretagne, l’une venant du pere, & l’autre de la mere. Quelle heritage! s’il vous plaist. Ces deux Duchés, jointes ensemble, eussent bien fait un beau Royaume.
La Reine Claude       La Reyne sa mere la voulut fort marier à Charles d’Austriche, depuis Empereur. Si elle eust vescu, cela se fust faict; car elle s’en faisoit accroire par-dessus le Roy son mary, & mesme pour le mariage de ses filles, desquelles elle vouloit avoir la totale charge & soucy. Jamais elle ne les appelloit autrement que par leur nom; ma fille Claude, & ma fille Renée. Aujourd’hui, il faut donner des Seigneuries aux filles des Princesses, voire des Dames, pour les y appeler. Et si elle eust vescu, jamais le Roy François ne l’eust espousée, comme j’ay dict en son discours (3); car elle prévoyoit bien le mauvais traittement qu’elle en devoit [p.26] recevoir, d’autant que le Roy son mary luy donna la vérole (4) qui luy avança ses jours. Et Madame la Régente, sa belle-mere, la rudoyoit fort: mais elle se fortifioit le plus qu’elle pouvoit de son beau esprit, & de sa douce patience, & grande sagesse, pour supporter ses rigueurs, ny plus ny moins qu’on lit de Marguerite, fille de Raimond, Comte de Provence, femme du Roy Saint-Louïs, fort sage & prudente Princesse, qui supportoit les rudesses de Blanche, sa belle-mere, qu’elle luy faisoit, par sa prudence, & les vainquoit par sa patience. Quoy qu’il en soit, elle produisit une très-belle et généreuse lignée au Roy son mary: trois fils, François, Henry & Charles; & quatre filles, Loüise, Charlotte, Magdeleine & Marguerite.
     Elle fut fort aymée aussy du Roy son mary, [p.27] & bien traittée, & de toute la France, & fort regrettée après sa mort, pour ses admirables vertus & bontez.
     J’ay leu dans la Chronique d’Anjou qu’après sa mort son corps fit miracles, si bien qu’une grande Dame des siennes, estant un jour tourmentée d’une fievre chaude, & s’estant vouée à elle, soudain elle recouvra santé.

Notes de Roucher
(renumérotées)

     (1) Fille de Louis XII, & d’Anne de Bretagne.
     (2) Ce fut vraisemblablement en 1513, lorsque son armée, commandée par Louis de la Tremoille reprit pour la troisième fois le Milanez.
     (3) Pour être plus exact, Brantôme auroit dû dire qu’Anne de Bretagne, si elle eût vécu, auroit empêché la consommation de ce mariage: à l’égard du contrat & de la célébration du mariage, le vœu de la nation [p.26] contraint Annede Bretagne d’y consentir. (Voyez les mémoires de Fleuranges, Tome XVI de la collection [générale des mémoires particuliers relatifs à l'histoire de France], page 325).
     (4) Il paroit constaté que François I mourut des suites douloureuse de son incontinence. Mais il n’est pas également prouvé qu’il ait infecté sa femme du mal vénérien. Au surplus, la fécondité de Claude de France semble indiquer qu’en admettant le récit de Brantôme comme authentique, François I commit ce crime, (car c’en est un), vers les dernières années de la vie de son épouse.
     (5) Louise de Savoye, duchesse d’Angoulême, mère de François I.


Texte de l'édition de Louis Molland (1890)
 
IV
MADAME CLAUDE DE FRANCE

     Il faut parler de madame Claude de France, qui fut très-bonne et très-charitable, et fort douce à tout le monde, et ne fit jamais desplaisir ny mal à aucun de sa cour ny de son royaume
     Elle fut aussi fort aimée du roi Louis et de la reyne Anne, ses pere et mere, et estoit leur bonne fille et la bien aimée, comme ils luy monstrerent bien; car, après que le roi fut paisible duc de Milan, ils la firent declarer et proclamer en la cour de parlement de Paris, à huis ouverts, duchesse des deux plus belles duchés de la chrestienté, qui estoient Milan et Bretaigne, l’une venant du pere, et l’autre de la mere. Quelle heritière, s’il vous plaist! Ces deux duchés joinctes ensemble eussent bien faict un beau royaume.
La Reine Claude       La reyne sa mere la vouloit fort marier à Charles d’Austriche, despuis empereur; et si elle eust vescu, cela se fust faict, car elle s’en faisoit accroire par-dessus le roy son mary, et mesmes pour le mariage de ses filles, desquelles elle vouloit avoir la totalle [p.266] charge et soucy. Jamais elle ne les appelloit autrement que par leur nom: ma fille Claude, et ma fille Renée. Aujourd’huy, il faut donner des seigneuries aux filles des princesses, voire des dames, pour les y appeler (1). Et si elle eust vescu, jamais le roy François ne l’eust espousée, comme j’ay dict en son discours; car elle prevoyoit bien le mauvais traictement qu’elle en debvoit recevoir, d’autant que le roy son mary luy donna la verole, qui luy advança ses jours. Et madame la regente, sa belle mere, la rudoyoit fort; mais elle se fortifioit le plus qu’elle pouvoit de son bon esprit et de sa douce patience et grande sagesse, pour supporter ces rigueurs, ny plus ny moins qu’on lit de Marguerite, fille de Raymond, comte de Provence, femme du roy sainct Louis, fort sage et prudente princesse, qui supportoit les rudesses de Blanche, sa belle mere, qu’elle luy faisoit, par sa prudence, et les vainquoit par sa patience. Quoy qu’il en soit, elle produisit une tres-belle et genereuse lignée au roy son mary: trois fils, François, Henry et Charles: et quatre filles, Louise, Charlotte, Magdelaine et Marguerite.
     Elle fut fort aimée aussy du roy son mary, et bien traictée, et de toute la France, et fort regrettée après sa mort, pour ses admirables vertus et bontés.
     [p.267] J’ay leu dans la Chronique d’Anjou qu’après sa mort son corps fit miracles, si bien qu’une grande dame des siennes, estant un jour tourmentée d’une fiebvre chaude, et s’estant vouée à elle, soudain elle recouvra santé.

Note de Molland
 
     (1) C’est-à-dire, pour les appeler du nom de ces seigneuries.


Source: les éditions considérées, dont deux sur le site Gallica de la BNF; saisie: Bernard Gineste, mai 2003.
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
  
Éditions (choix)
      
     Pierre de BOURDEILLE, abbé de BRANTÔME (vers 1540-1614), Mémoires de messire Pierre du Bourdeille, seigneur de Brantome, contenans les Vies des Dames illustres de France de son temps [in-12; 407 p.; pièces liminaires; index; édition princeps  fondée non sur le manuscrit même de l’auteur, mais sur une copie parfois défectueuse], Leyde, Jean Sambix le jeune [en fait: Bruxelles, F. Foppens],
1665, pp. ?-?.

     Jean-Antoine ROUCHER [éd.], Collection universelle des mémoires particuliers relatifs à l'histoire de France. Tome LXIV, contenant la fin des Dames illustres et les Dames galantes de Brantôme. XVIe siècle [20 cm; 492 p.], Paris, Cuchet,
1790 [dont une édition numérique en mode image par la  BNF en 1995, mise en ligne, gallica.bnf.fr, N022689, http://gallica.bnf.fr/scripts/ConsultationTout.exe?E=0&O=N022689, en ligne en 2003], pp.25-27.

     Prosper MÉRIMÉE & Louis LACOUR DE LA PIJARDIÈRE (dit LA PIJARDIÈRE) [éditeurs, préfaciers et annotateurs], Œuvres complètes de Branthôme . Tome X1890 [dont une réédition en fac-similé: Nendeln (Liechtenstein), Kraus reprint, 1977; dont une réédition numérique en mode image par la BNF, 1995, mise en ligne par la BNF, gallica.bnf.fr, N027697, http://gallica.bnf.fr/scripts/ConsultationTout.exe?E=0&O=N027697, en ligne en 2003; dont la présente saisie en mode texte par Bernard Gineste, mai 2003], pp. 274-276.

     Louis MOLAND [éd.], Brantôme. Vies des dames illustres françoises et étrangères. Nouvelle édition avec une une introduction et des notes [XXXVIII+444 p.; huit «discours» traitant de 35 personnages; une biographie de l’auteur dans l’introduction], Paris, Garnier frères [«Meilleurs ouvrages français et étrangers»], sans date [
[16 cm; 376 p.], Paris, Plon [«Bibliothèque elzévérienne» 8], 1890], pp. .265-267.

     Bernard GINESTE [éd], «Brantôme : Vie de Claude de France», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-16-brantome-claudedefrance1.html, mai
2003.
 
Sur Brantôme
   
      Prosper MÉRIMÉE & Louis LACOUR DE LA PIJARDIÈRE (dit LA PIJARDIÈRE) [éditeurs, préfaciers et annotateurs], Œuvres complètes de Branthôme [13 volumes], Paris, Plon [«Bibliothèque elzévérienne»], 1858-1895 [dont une réédition en fac-similé: Nendeln (Liechtenstein), Kraus reprint, 1977; dont une réédition numérique en mode image par la BNF, 1995, mise en ligne par la BNF, gallica.bnf.fr, N027688-N027700,
de http://gallica.bnf.fr/scripts/ConsultationTout.exe?E=0&O=N027688 à http://gallica.bnf.fr/scripts/ConsultationTout.exe?E=0&O=N027700, en ligne en 2003].
     
Sur Claude de France dans le Corpus Étampois

 
    Bernard GINESTE [éd], «Brantôme: Vie de Claude de France», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-16-brantome-claudedefrance1.html, mai 2003.
 
     Bernard GINESTE [éd], «Pierre Bontemps: Claude de France (orante de marbre, vers 1550)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-16-bontemps-claude.html, mai 2003.

     Bernard GINESTE [éd], «Quicherat: Claude de France (gravure d’après un portrait contemporain, 1875)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-quicherat-claude.html, mai 2003.

Sur Brantôme dans le Corpus Étampois

 
    Bernard GINESTE [éd], «Brantôme: Discours sur Marguerite de Valois», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-16-brantome-margueritedevalois.html, mai 2003.
  
 
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