CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Louis-Eugène Lefèvre
La démolition du jubé de l’église Notre-Dame d’Étampes (16 mai 1791)
Annales du Gâtinais, 1922

Plan de situation du jubé de l'église collégiale Notre-Dame d'Etampes
 
     En 1913, Louis-Eugène Lefèvre déclarait ne pas même savoir quand avait été détruit le jubé de Notre-Dame d’Étampes. A peine ces propos étaient-ils imprimés que l’abbé Alliot, avec lequel il explorait les archives départementales, mit la main sur le récit de cette destruction en 1791.
 
Louis-Eugène Lefèvre
La démolition du jubé de l’église Notre-Dame d’Étampes (16 mai 1791)
Annales du Gâtinais, 1922

     On appelle jubé, selon Émile Littré, un lieu élevé dans une église, en forme de galerie, et qui est ordinairement entre la nef et le chœur. C’était le plus souvent un mur de séparation séparant le peuple des officiants, surmonté d’une galerie depuis laquelle se faisait la lecture de l’évangile. Avant d’y procéder, le diacre réclamait en effet rituellement la bénédiction de l’officiant en ces termes: Jube, domne, benedicere, c’est-à-dire: “Daignez bénir, monsieur”.

     Je donne en Annexe quelques photographies d’un jubé bien conservé, pour qu’on puisse se faire une idée du genre de structure dont il s’agissait.

Bernard Gineste, août 2012



La démolition du jubé de l’église Notre-Dame d’Étampes
(16 mai 1791)



     Dans mon étude sur les Objets mobiliers du chœur de l’église Notre-Dame d’Étampes pendant le moyen-âge, publiée en 1913, je fus amené à parler du jubé et je déplorais la pénurie des renseignements existant sur son compte. Or, mon travail était imprimé depuis seulement quelques jours, lorsque notre confrère M. l’abbé Alliot, parcourant en ma présence le deuxième Registre des délibérations du District d’Étampes (Archives départ. de Seine-et-Oise, cote L II K), y découvrit à la date du 19 mai 1791 (folio 14 v°), un compte rendu qui se rapportait à la démolition récente du jubé de Notre-Dame.

     Avec sa cordialité habituelle dont je m’empresse de le remercier, l’éditeur du cartulaire de la grande collégiale étampoise me communiqua immédiatement sa bonne fortune, et nos lecteurs doivent à son obligeance la copie de l’intéressant document suivant, qui commence par des allusions à la suppression de certaines paroisses de la ville.


     «Séance du 19 Mai 1791. Le Directoire assemblé, présidé par M. Duverger, vice-président, où étaient MM. Sagot, [p.197] Desroziers, administrateurs, Héret, procureur sindic..........

     «Cependant au moyen des mémoires à lui (Directoire) fournis par le corps municipal, et par les habitants de chacune des cinq paroisses de cette ville et fauxbourgs même par les habitans de celles adjacentes, je pense, Messieurs, qu’il peut présentement s’occuper des suppressions et union de ces différentes paroisses; et il le doit d’autant plus que vous êtes instruits, que le
seize de ce mois, cinq heures du matin, des habitans de la paroisse Notre-Dame de cette ville, autorisés sinon par le Corps municipal, au moins par la présence d’aucuns de ses membres, que l’on assure avoir mis la main à l’œuvre, et avoir procuré les outils et brouettes appartenant à la ville, se sont portés en foule dans l’église où ils ont eu le spectacle touchant de voir l’un d’eux perdre la vie sous les décombres du jubé qu’ils se sont permis de détruire, ainsi que la clôture du chœur.»

     «J’aime à croire qu’ils n’ont eu en vue que la conservation de leur église, et qu’ils ont pensé que, pour pouvoir l’obtenir, il leur fallait la faire paraitre plus vaste en démasquant le chœur et lui donnant plus de clarté. J’y suis d’autant plus fondé, qu’il est de notoriété publique, qu’ils se sont cotisés jusqu’à concurrence de 6 à 700 l. pour la faire reblanchir; mais leur conduite n’est pas moins un mépris des loix, et d’un exemple qu’il serait très dangereux de tolérer, puisque les habitans des autres paroisses pouraient aussi se permettre de semblables destructions, qui, outre qu’elles pouraient tourner au détriment de la Nation, pouraient encore lui occasionner des dépenses infructueuses, dans le cas même où les églises seraient conservées.

     «J’estime donc, Messieurs, que le Directoire doit inviter, même requérir au plustot M. l’évêque du Département, conformément à l’art. 13 de la loy du 24 novembre dernier, de concourir par lui-mème ou par son fondé de procuration aux travaux préparatoires des suppressions et unions tant des paroisses de cette ville et fauxbourgs que de celles adjacentes, même de toutes les autres paroisses du ressort du District.»

     (Signé:) Huret.— Duverger.— Sagot. — Desroziers.
[p.198]


    S’il n’est pas assez explicite à notre gré au point de vue descriptif, le document nous fournit par contre des révélations aussi curieuses qu’inattendues.

     Ainsi ce sont les fidèles eux-mêmes, les plus dévôts parmi les paroissiens de Notre-Dame, qui, lorsque l’interruption du culte n’était pas encore envisagée, quand la Révolution n’avait encore donné que ses prémices, ont pris des pioches et ont furieusement détruit l’encombrant jubé!

     Ils présentèrent pour excuse que le jubé et la clôture du chœur donnaient à l’église une apparence étroite. Ceci n’est pas pour nous surprendre, puisque cela confirme notre proposition touchant l’étendue du chœur et la petitesse extraordinaire de la nef. Le but avoué de ceux qui, à une heure matinale, avec préméditation, avec complot, commirent cet acte de destruction, était de sauver l’église elle-même de la démolition.

     La véracité de cette dernière affirmation ne saurait être mise en doute; mais je pense qu’il faut aussi faire une part, dans un élan si prompt et d’un caractère si insurrectionnel, à l’impopularité des jubés, vastes écrans utiles au bien être des chanoines mais devenus insupportables à la curiosité des fidèles, et que depuis bien longtemps, dans beaucoup d’églises, l’on avait déjà jeté bas.


     Je me suis naturellement empressé de consulter le registre des inhumations au sujet du paroissien à qui son acharnement fit commettre une imprudence fatale. Les commentaires de l’acte que j’ai retrouvé confirment parfaitement le caractère du mouvement populaire indiqué dans la délibération du Directoire. [p.199]

     Le dix sept may mil sept cent quatre vingt onze, a été inhumé dans le cimetière par moi soussigné, Claude Vezard, portefaix, marié en secondes nopces à Marguerite Chenu, âgé d’environ quarante cinq ans, décédé hier en travaillant avec les autres paroissiens de cette paroisse à la démolition du jubé qui était dans cette église, sa mort arrivée par une chute en tombant avec le ceintre dudit jubé a été subite et cruelle; pour quoi tous les citoyens de cette paroisse, en reconnaissance de son travail et de son sacrifice, et pour le pleurer plus dignement, ont voulu que ses obsèques fussent faites d’une manière distinguée et le plus honorable possible; les citoyens des autres paroisses en costume de garde national, ainsi que les paroissiens, ont assisté à son convoi. La dite inhumation faite encore·en présence de M. Denis Michel Voizot, cy devant chantre du cy devant chapitre de cette église, et de Mr Charles Hautefeuille, chapelain de cette église, qui ont signé.»
Voizot, cy devant chantre de Notre-Dame.
Hautefeuille, cy devant chapelain de Notre Dame.
Pierre Vezard. — Boivin, curé.
Dècès d'un ouvrier pendant la démolition du jubé (registre des décès de Notre-Dame d'Etampes)
Acte de décès de Claude Vezard (voir en Annexe)
     Dans mon étude ci dessus mentionnée, j’avais, sans pouvoir la résoudre, posé une autre question: le jubé était-il en pierre ou en bois?

     Nos deux documents nouveaux n’apportent pas de réponse précise. Cependant, pour ma part, par suite de plusieurs circonstances et bien qu’elles ne soient pas probantes,  la réquisition de brouettes, l’existence d’un cintre ou arc et sa chute soudaine, aussi le fait qu’il a survécu aux guerres religieuses et qu’il n’a pas alimenté les feux de l’armée huguenote en 1562 et en 1568,  je me sens enclin à penser que le jubé et aussi les clôtures latérales étaient en pierre. Ce fait, s’il était exact, rendrait encore plus vraisemblable notre proposition concernant [p.200] les deux fragments de pierres sculptées susceptibles d’être des débris du jubé (1); la démolition tardive de celui-ci expliquerait pourquoi ils sont aussi facilement parvenus jusqu’à nous: je ne crois pas que les travaux de restauration opérés durant le XIXe siècle aient touché à des constructions capables de les avoir fournis, et il me semble au contraire que les architectes eurent alors le soin louable de remettre en place ou de refaire les morceaux intéressants. En somme, depuis le XVIe siècle, il n’y a pas eu de travaux ni de changements dans l’église au point de vue construction, hormis ceux que je viens de rappeler et la destruction de la clôture du chœur.
     (1) Article cité, p. 15. (Annales de la Société Historique et Archéologique du Gâtinais, 1er et 2e trimestres 1913).
     L’un et l’autre débris gisèrent longtemps côte à côte dans un coin de la crypte de l’église Notre-Dame, avec d’autres fragments de sculpture plus importants. Je crains que de jolis morceaux provenant du même dépôt ne soient aujourd’hui dispersés, égarés et perdus pour l’histoire (2).

     Quoiqu’il en soit, je tenais à bien affirmer la provenance commune des deux sculptures en question. Leur matière est également identique: toutes deux sont en pierre calcaire stampienne, très dure, et remplie de coquillages distinctifs. L’une d’elles, qui se trouve en la possession de M. le commandant comte Lefebvre des Noëttes, a [p.201] été jugée digne par M. Camille Enlart d’être moulée pour le Musée de sculpture comparée du Trocadéro, et elle y figure en plâtre, comme pièce du XIIe siècle dans la salle romane (côté oriental). On l’a présentée comme un ancien corbeau dont elle a en effet assez bien la forme et les dimensions; il s’agit en tous cas probablement d’un support.

     Tout d’abord, il est évident que nous possédons seulement la partie supérieure de la pierre, et que le fragment détaché et perdu est très important: je l’évalue à plus de la moitié. La largeur de ce qui reste, qui est bien la largeur primitive marquée par les tranches des côtés conservées intactes, est de 0.21 centimètres: c’est celle de l’imposte ou bandeau plat supérieur dont la largeur est, sur la face, de 0.06 centimètres: au-dessous de ce bandeau, la pierre est taillée en chanfrein et se dégage pour laisser en vue le sujet sculpté. La profondeur de la pierre est réduite par la mutilation à 0.10 centimètres.

     (2) Il y a peu d’années, un de nos confrères d’Étampes eut la chance de sauver un fragment de colonnette ornée, parce qu’il avait appris qu’un tombereau de décombres sortis d’un coin de l’église avaient été transportés dans la campagne, dans un lieu de décharges.
     Les honneurs qu’on lui rend sont dus à une petite tête humaine d’une très curieuse physionomie, placée perpendiculairement et immédiatement sous l’imposte qu’elle entame légèrement: la tête a 0.11 centimètres de hauteur pour 0.08 centimètres de large; le visage, jeune, imberbe et même assez fin, est d’un ovale très allongé par suite de la forme tombante mais énergique du menton. Les yeux qui ne sont pas asymétriques, l’un se trouvant plus bas que l’autre, sont très grands, avec le lobe trop saillant et mal arrondi. La bouche fermée est petite et un peu sensuelle; les oreilles font défaut; les
joues ont des contours assez délicats; les narines [p.202] sont prêtes à vibrer, tandis qu’un léger sourire achève de donner la vie à cette figure plaisante et naturelle que malheureusement dépare une mutilation tout à fait regrettable de l’œil droit. Les cheveux, séparés très correctement par une raie médiane, tombent en bandeau et achèvent de féminiser le petit personnage; mais ils tournent à la hauteur des tempes pour former de chaque côté une bouclure ayant l’apparence d’une coque. Enfin, si l’étrangeté et le mystère conviennent à ce jeune visage incertain de fille, de femme, ou de garçon, elles sont fournies par deux ailes qui semblent liées à la tête par la coque des cheveux. Ceci, je m’empresse de le dire, n’est qu’apparent. Nous n’avons plus à considérer aujourd’hui qu’une tête, mais cette tête eut jadis un corps, et c’est aux épaules que les ailes s’attachaient. Quant aux coques de cheveux, je suppose qu’elles indiquent simplement l’extrémité de cheveux courts et roulés.


     Quant à l’identification du personnage, il faut rejeter l’idée d’un chérubin; celle d’un ange serait plus convenable, mais, à mon avis, l’artiste s’est proposé de représenter l’Homme ailé, un des quatre animaux de l’Apocalypse, qui symbolise l’évangéliste saint Mathieu. J’expliquerai pourquoi tout à l’heure, mais je désire faire remarquer tout de suite que des cheveux roulés comme ceux de notre personnage sont, par une coïncidence au moins bizarre, une des plus curieuses caractéristiques d’un Homme ailé (2) sculpté, ayant 1 mètre de hauteur, qui décorait [p.203] jadis un ambon de la cathédrale de Besançon dont je reparlerai plus loin.
     (2) Il ne faut pas dire un ange: le terme serait absolument impropre en cette circonstance. Au point de vue physionomique, l’Homme de Besançon [p.203] a 1a tête aussi ronde et aussi large que celui d’Étampes l’a étroite et longue (Jules Gauthier, L’ambon de la cathédrale de Besançon, XIe siècle, dans le Bulletin archéologique, 1898).
      Si de la première pierre il nous reste seulement la partie supérieure, de la seconde nous ne possédons plus que la partie inférieure: à cette diversité nous trouvons plusieurs avantages pour l’étude qui d’abord va nous prouver que les deux pierres ont appartenu à une même série grande ou petite, de supports semblables, ayant eu les mêmes dimensions et la même destination, outre des rapports symboliques précis, et ensuite qui nous permettra de reconstituer presque complètement la forme des pierres.

      Aucun charme gracieux ne pare la seconde pierre, dont je me suis pour le moment constitué le gardien; de plus la mutilation a rendu piteux l’aigle qui en faisait l’ornement, et dont la tête, le cou et la partie supérieure des ailes ont été brisés et perdus. L’oiseau, posé sur un bandeau de feuilles d’acanthe stylisées, n’est pas très grand: sa hauteur, depuis les pattes jusqu’à la naissance du cou, est de 0.17 centimètres; la largeur du corps, en sa plus grosse épaisseur, est de 0.11 centimètres. La hauteur du bandeau de feuillage est de 0.07 centimètres environ. Ce bandeau devait marquer l’extrémité inférieure de la pierre, mais je ne saurais l’affirmer, car la mutilation a enlevé de ce côté toute trace de taille; par ce fait le bandeau et la pierre peuvent avoir perdu un ou deux centimètres de hauteur, sinon plus. Enfin la [p.204] largeur de la pierre entière,  qui est comme pour l’autre incontestablement la largeur primitive,  est aussi de 0.21 centimètres: cette mesure représente également l’envergure des ailes. En somme il ne reste plus de la pierre qu’un fragment de la partie ornementale.
     L’identité des mesures pour les deux pierres est donc précisée seulement par leur largeur et par la largeur des ailes; mais cela suffit, je pense, pour entraîner la similitude des autres dimensions que nous ne pouvons pas constater par le fait, car en outre, en dehors de tout symbolisme, l’harmonie des sculptures est éclatante: chaque figure est munie d’ailes, et si cela est chose très naturelle pour l’oiseau, c’est plus extraordinaire pour le personnage: les deux pierres ont donc selon toute vraisemblance été taillées sur le même module et par conséquent ont dû concourir à la même décoration. On peut en outre déduire, avec leur première forme presque intégralement reconstituée, les dimensions communes des deux pierres ainsi résumées: Hauteur, 0.42 centimètres environ; largeur, 0.21 cm.; hauteur de l’imposte, 0.06 cm.; hauteur des sujets sculptés, 0.36 cm. Environ. La hauteur totale est approximative, sans être très conjecturale; seule la profondeur, d’un intérêt secondaire, reste inconnue.
     A l’époque romane, par tradition romaine et byzantine (1) sans doute, on s’est plu quelquefois à utiliser [p.205] l’aigle comme ornement pour sa seule beauté décorative et sans être guidé par une idée symbolique. L’orfèvrerie s’en est emparée, et on le rencontre sculpté sur quelques chapiteaux (1). Mais le gros succès de l’aigle à l’époque chrétienne lui vient de son caractère symbolique. Si j’ai proposé pour l’identification du petit personnage du premier support l’Homme ailé, de l’Apocalypse, c’est parce que je vois dans l’Aigle le symbole également apocalyptique de saint Jean l’Évangéliste. Il est plus habituel de représenter les Quatre Animaux nantis chacun d’un nimbe et du Livre de la Bonne Nouvelle, et il n’y a pas trace de ces deux attributs sur nos débris. Cela ne prouve d’ailleurs pas qu’ils n’existaient point, du moins le Livre, car l’Homme le tenait peut-être dans ses mains et l’Aigle dans son bec. En tout cas, si ces attributs sont convaincants, ils ne sont peut-être pas essentiels, et je crois que même sans eux les deux identifications se confirment l’une l’autre suffisamment. Et alors on se demande si le Lion de saint Marc et le Bœuf de saint Luc n’ont pas existé et ne manquent pas à l’appel.
     (1) Les monnaies et les enseignes des légions romaines ont sans doute beaucoup fait pour établir cette tradition: plus tard sont venus les tissus orientaux. Mais encore il apparaît que l’architecture, au temps de l’occupation romaine, a multiplié partout en France des images sculptées de l’attribut de Jupiter que les artistes du haut Moyen-âge eurent constamment sous les yeux. Les musées de Nîmes, de Vienne, de Narbonne, de Marseille, de Limoges, de Langres, etc. possèdent des séries d’aigles en ronde-bosse ou en relief provenant de frises ou d’autres parties de monuments (Espérandieu, Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine).
     (1) De beaux aigles très mouvementés, posés sur des acanthes, ornent les chapiteaux des colonnes du portail de Saint-Gilles-du-Gard; chapiteau de l’église du Ronceray, à Angers, et de Saint-Sernin de Toulouse; chapiteau ou portail de l’église Saint-Michel à Pavie; etc.
     Il faut essayer maintenant de déterminer quelle fut l’utilisation des pierres.

     Comme nous l’avons dit, il peut s’agir seulement [p.206] de supports. La position des pierres dans leur emploi se trouve déterminée par la perpendicularité obligatoire de la partie supérieure de la face du support proprement dit, c’est-à-dire de l’imposte. Or cette position étant acquise, on constate que la pierre devait être naturellement en saillie et libre sur ses côtés, ce qui est inévitable pour les modillons, corbeaux et aussi les pierres destinées à recevoir des linteaux ou les claveaux inférieurs de portes, qui sont également nommées impostes, chambranles, corbeaux. La saillie ou le retrait des figures décoratives de ces supports varie considérablement surtout au fur et à mesure qu’on s’éloigne de l’époque romane, et la modération avec laquelle la sculpture a été exécutée dans cet ordre d’idées, ne pourrait servir qu’à une indication quant à la date du travail. Enfin, en principe, la finesse de la sculpture exclue l’hypothèse d’un modillon de corniche extérieure et élevée; à Étampes, les modillons figurés sont tous du type grotesque.
      S’agirait-il alors de corbeaux? Ils abondent à l’intérieur de l’église Notre-Dame, et leur raison d’être est souvent énigmatique (1). On en voit aussi plusieurs à l’extérieur (2). Ces corbeaux ont dû servir à porter la toiture d’appentis. Les uns et les autres ont [p.207] souvent un rebord étroit, destiné probablement à maintenir quelque pièce de bois. La plupart ont une décoration franchement grotesque et sont certainement plus anciens, parfois même beaucoup plus anciens que les fragments égarés dont nous nous occupons. Différences de style et d’âge plus ou moins grandes, différence plus ou moins nette de destination, différence de genre dans les sujets sculptés, voilà en somme ce qui les sépare des corbeaux encore en place, soit à l’extérieur, soit à l’intérieur de l’église.
     (1) Il y en a de fort peu connus, à la base du clocher, attribuables au XIe siècle et qui furent primitivement extérieurs. Plusieurs autres, qui en réalité devraient être appelés des culots, sur lesquels reposent des arêtes de voûtes à la romaine, sont devenus célèbres; visibles dans le bas-côté sud, ils sont d’une forme très spéciale et ne peuvent être comparés par exemple avec les corbeaux classiques qui supportent des arêtes d’ogives carrées fort primitives dans l’église de Boigneville (arrond. d’Étampes, cant. de Milly).
     (2) Sur le mur de la sacristie actuelle, façade nord.
      Toutes ces considérations viennent à l’appui de notre présomption que les deux pierres proviennent du jubé. Elle se justifie encore mieux si nous examinons la question symbolique et les usages que celle-ci a entraînés. Sans doute les Quatre Animaux de l’Apocalypse furent introduits dans maintes décorations architecturales, mais toutefois au milieu de circonstances presque toujours identiques. Leur place habituelle est sur les façades des églises, dans les tympans de portes, tout proches d’une image du Christ en Majesté (1). Les exceptions à cette règle sont en somme assez rares. Quelquefois ils accompagnent les Évangélistes en qualité d’attribut et les artistes leur ont en même temps prêté un rôle d’inspirateurs (2). Enfin on les rencontre régulièrement, en groupe ou séparément, sur quelque partie des rares ambons ou jubés à galerie qui subsistent. [p.208] D’autres fois on les a peut-être choisis simplement à cause de leur nombre (1).
     (1) Dans les tympans, ils sont presque toujours présentés de côté. Un tympan conservé au Musée archéologique de Dijon est à ce point de vue très exceptionnel, car l’Homme y est de face. — En orfèvrerie, les Quatre Animaux figurent principalement sur les croix reliquaires ou processionnelles, sur les plats de couverture, comme sur les plaques d’ivoire, en un mot partout où le Christ est représenté avec le même caractère symbolique.
     (2) Dans les tympans des portails de Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret) et de Saint-Pierre-le-Moutier (Nièvre); sur un pilier de la nef, dans la cathédrale de Strasbourg, les Quatre Animaux ornent les culots qui portent les statues des saints.
     (1) Sur la façade extérieure du croisillon nord de la cathédrale de Reims, ils servent d’amortissements aux accolades de trois grandes fenêtres rapprochées.  Sur la façade de l’église Saint-François, à Assise, ils décorent en haut et en bas l’extrados d’une grande rose.
     Qu’on veuille bien se reporter à ce que je rappelais dans ma précédente étude (2) à propos de la lecture de l’Évangile sur les ambons et les jubés. Vraiment, il y avait là un motif péremptoire pour que les quatre attributs des Évangélistes servissent à leur décoration de préférence à tout autre sujet. Du reste il en fut ainsi: la tradition s’en est établie au plus tard à l’époque carolingienne et pourrait bien avoir une origine païenne (3). En tout cas, à la fin du Xe siècle, nous voyons en effet Folcuin, abbé de Lobbes, au pays de Liège, faire exécuter un ambon en métal. Du côté nord, celui-ci «portait un pupitre [p.209] en forme d’aigle coulé en bronze et magnifiquement doré; ses ailes rabattues pouvaient se relever pour recevoir le livre des Évangiles; le cou de l’oiseau, au moyen d’un mécanisme ingénieux, devenait mobile; il semblait alors prêter l’oreille au chant du diacre, exhalant en même temps des nuages de parfums produits par l’encens jeté sur des charbons allumés à l’intérieur de son corps» (1). Depuis, quittant les ambons, l’aigle est devenu simple lutrin d’innombrables fois, et il continue seul à jouer ce rôle encore aujourd’hui (2). Pourtant, au Moyen âge, les trois autres animaux ont contribué aussi parfois à l’ornementation des ambons. On en trouve encore des exemples en Italie (3); un exemple, le plus curieux en la circonstance, nous est offert par l’ambon de l’église San Giovanni [p.210] à Pistoia. On y voit l’Aigle, dépassant le rebord du parapet et supportant le pupitre, incliné, posé au-dessus de la tête de l’Homme, tandis que le Bœuf et le Lion sont groupés à droite et à gauche de celui-ci; aucun des Animaux n’est nimbé (1). L’ambon de San Miniato à Florence comporte un arrangement un peu analogue, mais dont le symbolisme, s’il existe, est moins clair: l’Aigle est posé sur des feuilles d’acanthe comme celui d’Étampes; la cariatide qui supporte le tout est ici une femme qui elle-même a pour support une figurine de lion. Aucun nimbe non plus.
     (2) P. 16, note.
     (3) Quatre ambons du VIe siècle, à Ravenne, sont tous ornés de nombreuses images d’animaux uniquement recrutés parmi les agneaux, paons, cerfs, colombes, canards, poissons (Dom Cabrol, Dict. d’archéologie chrétienne et de liturgie, 1907, t. I, art. Ambon). Or ces ambons quadrangulaires, s’ils sont évidés, n’en ont pas moins la forme des autels païens antiques, lesquels précisément eurent quelquefois leurs panneaux ornés de figures symboliques ayant d’étranges rapports avec les figures chrétiennes. Le musée de Langres notamment possède un de ces autels païens sur les faces duquel se voient un aigle, un paon et un amour ailé pour symboliser Jupiter, Junon et Vénus; le quatrième bas-relief rappelle Apollon avec une couronne de laurier (Espérandieu, ouvr. cité, t. IV, p. 320). Les similitudes sont peut-être dues seulement au hasard; je crois qu’elles méritaient néanmoins d’être signalées. — Il est probable que dans nos musées, ou remployées sur les façades de nos monuments du Moyen âge, se trouvent quelques pierres sculptées des époques mérovingienne et carolingienne, dont la destination primitive, aujourd’hui insoupçonnée, fut d’orner des ambons.
     (1) Jules Helbig, L’Art Mosan (Bruxelles, 1906), p. 29-30.
     (2) Dans l’église. Santa-Maria dei Miracoli, à Venise, l’aigle-lutrin en marbre est posé sur la balustrade de l’ambon (dernier quart du XVe siècle).
     (3) Dans l’église du Saint-Sépulcre, à Bologne, à coté de l’autel très surélevé parce qu’il domine le Sépulcre, se trouve l’ambon décoré sur chacune de ses deux faces visibles de deux animaux apocalyptiques. Tous ceux-ci sont de face, sauf le bœuf qui est de profil. L’aigle est d’une très grande similarité avec le nôtre; toutefois pouvant s’étendre, il écarte plus loin ses ailes, et au lieu d’être posé sur un bandeau de feuillage purement décoratif, il tient dans ses serres un volumen en partie déroulé. La tête et les ailes dépassent le bandeau sculpté qui forme le rebord du parapet de l’ambon, lequel rebord joue à peu près le même effet que l’imposte de notre support d’Étampes. La tête et le cou de l’aigle mesurés ensemble n’atteignent pas tout à fait le tiers de la hauteur de tout l’oiseau, constatation utile pour la restitution de notre fragment étampois. — M. J. Gauthier a étudié plusieurs autres ambons italiens, décorés des Quatre Animaux à Almenno, à Milan (ouvr. cité, p. 294-296).  En descendant jusqu’a la Renaissance, on trouve l’exemple d’un remarquable jubé à Paris, celui de l’église Saint-Germain l’Auxerrois, érigé vers 1545. — Son architecte fut Pierre Lescot, et Jean Goujon avait sculpté pour lui cinq panneaux aujourd’hui au Louvre, dont quatre représentent les Évangélistes accompagnés des Animaux.
     (1) Cet ambon est dressé au milieu de la nef comme une chaire à prêcher, mais il ne peut y avoir doute quant à sa qualification. En effet, outre qu’il n’a peut-être pas toujours occupé cette place, il est vaste et muni de trois pupitres fixes, témoignant ainsi qu’il est utilisé comme un ambon ordinaire ou une galerie de jubé.
     En France, la pénurie des monuments de ce genre ne saurait nous faire supposer qu’il n’y en a jamais eu. M. Jules Gauthier, archiviste du département du Doubs, a essayé avec quelques morceaux de marbre sculptés de restituer l’ambon de la cathédrale de Besançon (2), et nous sommes fondé à croire [p.211] qu’il y en eut un également dans la cathédrale d’Angoulême (1). Enfin, quand les Quatre Animaux sont représentés seulement par deux d’entre eux, l’aigle ne manque jamais et il est le plus souvent accompagné de l’Homme ailé (2).

     En résumé tout s’accorde pour nous conduire à cette conclusion, correspondant à notre première proposition, que les deux pierres ont servi de quelque façon à la décoration du jubé, soit qu’elles aient appartenu à un ou deux anciens ambons incorporés dans le jubé, soit qu’elles aient été remployées dans la construction de celui-ci, soit encore qu’elles aient été sculptées spécialement pour lui.

     Leur nombre restreint et leurs sujets d’ornementation rendent très improbable qu’elles aient servi de modillons à un encorbellement de la galerie. Et si elles ont toujours été réduites au nombre deux, elles pourraient avoir servi de corbeaux pour soutenir le [p.212] linteau de la porte d’entrée du chœur ou celui de la porte de l’escalier. Elles pourraient encore avoir marqué l’emplacement des pupitres des lecteurs de l’Évangile et de l’Épitre, montées sur des colonnettes (1), suivant les principes d’un des arrangements italiens.


     Le caractère de la sculpture des deux pierres d’Étampes les désigne bien comme appartenant au XIIe siècle. C’est la date que M. Enlart a spontanément assignée à celle dont le style est en apparence plus avancé.
     (2) Quatre bas-reliefs taillés dans du marbre antique, représentant les Quatre Animaux et attribués au XIe ou au XIIe siècle, furent extraordinairement conservés dans un remplage du XIIIe siècle appliqué contre un arc-de-triomphe romain voisin de la cathédrale de Besançon. M. Gauthier a pu établir qu’ils avaient probablement appartenu à l’ambon de cette église (ouv. cité; voir aussi ci-dessus). Leur sculpture est d’un maigre relief; le lion, le bœuf et l’aigle ont respectivement de 0.60 à 0.65 centimètres de hauteur, et de 0.60 à 0.65 centimètres de largeur. Seul l’Homme est représenté de face, tenant le Livre dans ses mains; son nimbe dépasse le panneau et empiète sur la bordure de la cuve, comme la tête de l’Homme d’Étampes sur l’imposte. Les trois autres Animaux, aussi nimbés et accompagnés du Livre, sont représentés de côté. M. Gauthier présume que l’ambon fut démoli avant 1212, ce qui impliquerait à la même époque la construction d’un jubé.
     (1) Le musée d’Angoulême conserve un aigle nimbé et tenant le Livre sculpté en bas-relief sur une grande pierre presque carrée (haut. 0.70 cent., larg. 0.80 cent.), avec bordure à la partie inférieure, provenant de la cathédrale, qui possède les dimensions et le caractère voulus pour avoir orné un panneau d’une cuve d’ambon; il est impossible de ne pas reconnaître sa grande similitude avec les aigles de Besançon et d’Italie. Lui-même aurait son similaire sur un pignon de l’église peu éloignée des Trois-Palis (Charente), attribué au XIIe siècle. Moulage au Trocadéro. On suggérera peut-être que cet aigle a pu appartenir à un tympan, mais la différence très sensible du relief de la sculpture et peut-être aussi la forme carrée de la pierre rendraient cette proposition peu acceptable.
     (2) Tel est précisément le cas sur la façade de la cathédrale de la ville de Lucques: les deux figures au lieu d’être dans le tympan du portail sont dans son extrados; sur l’ambon de l’église Saint-Marc, à Venise, l’aigle posé sur une colonnette qui s’élève extérieurement au long du parapet, porte le pupitre sur ses ailes, et l’Homme ailé joue le même rôle pour une seconde tribune plus basse; à la baie principale du portail de Saint-Gilles-du-Gard, le linteau est posé sur deux corbeaux ornés de 1’Aigle et du Bœuf.
     (1) M. Maxime Legrand possède justement un fragment de colonnette ayant la même provenance et qui aurait été propre à l’usage dont nous parlons. La colonnette ornée était de style roman avancé.
     D’un autre côté, j’ai expliqué quelles circonstances rendent possible l’érection du jubé vers 1190 (2). M. C. Enlart a remarqué qu’on ne [p.213] connaît aucun jubé en France qui soit une œuvre de l’art roman; ailleurs, si l’on en trouve, c’est parce que le pays qui les a produits s’est attardé dans ce style (1). Toutefois M. Enlart ne déclare nullement comme impossible l’existence de jubés au XIIe siècle.

     On trouvera peut-être cette date prématurée. Pourtant, le seul auteur qui ait fait une étude approfondie de la question, Jean-Baptiste Thiers, pense avec force que la fermeture des chœurs par des murailles a été mise en pratique depuis que les offices divins se sont multipliés, c’est-à-dire depuis le XIIe siècle, et dans le but de préserver les ecclésiastiques des injures de l’air (3)

     On n’a pas encore cité un seul texte du temps pouvant fournir une indication précise. Un embarras naît du fait qu’aucun terme spécial ne fut avant longtemps trouvé pour désigner ce qui devint plus tard «jubé». Au Moyen âge, on disait en latin «ambo» ou «pulpitum» ou «lectrinum» et en français pupitre, lectrin, lesteril, letrin, trin ou trincq (2). En plein dix-septième siècle, Thiers déclare que les jubés sont appelés ordinairement tribunes et Pupitres (3), quelquefois lectriers et doxales; voulant parler des destructeurs de ces galeries, il n’a pas trouvé d’autre expression que celle d’ambonoclastes, dont il est peut-être d’ailleurs l’inventeur. Combien [p.214] la confusion est difficile à éviter! C’est parce qu’il a voulu marquer l’idée de séparation seulement, sans nécessité d’allusion à la galerie, que l’évêque de Mende, Guillaume Durant, dans son Rational des divins offices, a écrit «un mur».

     En résumé, le jubé de l’église Notre-Dame d’Étampes, démoli par les plus fidèles paroissiens eux-mêmes, en mai 1791, devait être en pierre. Sa très grande simplicité, cause probable de l’indifférence que les siècles paraissent lui avoir témoignée, est aussi une preuve de son ancienneté. II y a présomption sérieuse pour que 1ui ait appartenu l’étrange figure du XIIe siècle, sculptée en pierre, dont un moulage existe au Musée du Trocadéro, conjointement avec une pierre semblable ornée d’un Aigle. J’espère qu’on voudra bien me pardonner la petite extension donnée à mon étude au sujet de ces pierres, sans avoir pu étayer ma thèse d’une preuve formelle, et me tenir compte du résultat beaucoup plus certain de l’identification de la première figure qui en tout cas représente évidemment l’Homme ailé apocalyptique, attribut-symbole de l’évangéliste saint Mathieu.

L.- Eug. Lefèvre.
     (2) Ouvr. cité, p. 17: voir aussi Le Miracle de la Visitation de Notre-Dame et l’Aumônerie de Notre-Dame d’Étampes, dans le Bulletin de la Soc. archéologique de Corbeil et d’Étampes (I913).
     (3) Dissertations ecclésiastiques sur les principaux autels, la clôture du chœur et les jubés des églises (Paris, 1688, in-12, p. 19-22). Voici une phrase qui précise les raisons de Thiers: «L’Office de la Vierge…, celui des fondations d’Obits et de Messes votives, étans fort fréquens et fort répandus, je ne doute pas que l’on n’ait pris là occasion de fermer de murailles le Chœur des Églises, et que cela n’ait été exécuté peu après l’établissement de ces offices, qui ne s’est fait que vers la fin du douzième siècle. Voilà à peu près l’époque que l’on peut fixer à ces sortes de clôtures» (Ibid., p. 36). Les autres offices extraordinaires étaient ceux des fêtes particulières et [p.213] des confréries. Les messes votives et les obits furent réduits en 1192 l’office de la Vierge a été ordonné à toute l’Église par Urbain II dans le concile de Clermont, en 1193 (Ibid., p. 22-23 et 29).  L’ouvrage de Thiers, dont le titre est souvent mentionné, n’est jamais cité avec précision; c’est un livre rare, en somme fort peu connu. Aux renseignements ci-dessus je crois donc devoir encore ajouter cet autre: dans ma précédente étude (p. 35, note), j’ai fourni le sens d’une phrase de Guillaume Durant dont voici le texte original: «Hoc tempore quasi communiter suspenditur sive interponitur velum, aut murus inter clerum et populum». Thiers en tire cette conclusion: «Ce qui marque un usage déjà établi dans la plupart des Églises et convient asses bien à notre époque.» (Ibid., p. 36)
     (1) Manuel d’archéologie française (t. I, p. 755).
     (2) Ibid., p. 754.
     (3) N’est-ce pas du jubé et du tref mal appelé chevron dans cet article du compte de fabrique de Notre-Dame d’Étampes, en 1514: «A luy (Jehan Girardin, serrurier) pour avoir fait troys chevilles de fer à tenir le chevron de dessus le pepitre du cueur auquel fut mis et apposé partie du luminaire de feu Anne, en son vivant, royne de France, que Dieu absolve, le corps d’icelle reposant en la dite église, seize deniers» (Max. Legrand, Annales de la Soc. archéolog. du Gâtinais, 1907, p. 100-101).


ANNEXES



ANNEXE 1
Ce que Lefèvre écrivait du même jubé en 1913

     Annales du Gâtinais 31 (1913), pp. 13-20


     II est évident que, à un moment donné, pendant l’époque romane, la barrière du chœur se trouva là où elle est aujourd’hui, au milieu du double transept la preuve nous en est fournie par la présence [p.14] de deux colonnettes adossées, surmontées de deux chapiteaux romans et qui, sans le moindre doute, furent destinées à supporter la poutre de gloire.

     Mais cet état de chose ne dura pas, et on est en droit de penser qu’il cessa vers 1190, quand les chanoines transportèrent hors de l’église un gênant grabatoire qui occupait le croisillon sud (1). C’est après cette date ou un peu plus tard, qu’on accentua l’agrandissement du choeur en le clôturant plus complètement par l’érection du jubé.

     D’ailleurs, au moyen âge, le grand-chœur, c’est-à-dire le chœur proprement dit et ses dépendances, dans les cathédrales ou collégiales, comprenait généralement et peut-être toujours le transept et les bas-côtés plus ou moins développés. Il en fut probablement ainsi dans notre collégiale d’Etampes.

     (1) Ce petit hôpital, qu’on appelait l’Aumônerie Notre-Dame, exista à l’exemple de ceux qui furent installés dans nombre de cathédrales comme celles de Paris et de Chartres. Voir notre étude, Le miracle de la Visitation Notre-Dame, à propos d’un groupe sculpté de l’église Notre-Dame d’Etampes, dans le Bulletin de la Société archéologique de Corteil et d’Etampes, 1913.
     Pour nous convaincre, il y a, outre l’usage, ce fait que des peintures décoratives figurant un semis de fleurs de lis et des colliers existent encore sur la face occidentale intérieure des premiers piliers du choeur actuel, à l’angle de la croisée du transept ces peintures étaient sans doute primitivement dans le chœur, dans la partie où se dressaient les chaires réservées à la famille royale; nulles peintures n’existent sur les deux piliers qui font face et qui sont actuellement les derniers de la nef parce qu’ils étaient cachés, du côté du chœur tout au moins, par [p.15] les boiseries du jubé et les dossiers des hautes stalles.

     Le jubé, dont nous connaissons l’existence seulement par un renseignement fortuit de Basile Fleureau, devait donc être placé entre les deux dernières colonnes de la nef actuelle, en avant du transept. Tout ce que nous savons de positif sur son compte, à cause d’un usage général et d’une mention au XVIe siècle susceptible de s’appliquer à lui seulement, c’est qu’il était surmonté d’un Christ en croix entre la Vierge et saint Jean (1), et qu’il possédait une galerie supérieure de circulation accessible par un ou deux escaliers en vis ou simplement droits comme à Angers (2).

     (1) Il est question de ce calvaire dans le Compte de recettes et dépenses de la fabrique de l’église Notre-Dame d’Étampes pour les années 1513-1515, publie par M Maxime Legrand (Annales de la Société archéologique du Gâtinais, 1907, p. 108). L.-Eug. Lefèvre, Rapport cité, p. 81.

     (2) Sur le plan ci-joint que M. Albert Mayeux a aimablement dessiné pour nous, nous avons place à droite un escalier à vis, comme au jubé de Villemaur (Aube), daté de 1521.
     Considérant que le jubé n’a laissé aucune trace sur les piliers, on le présume volontiers avoir été en bois. Cependant, outre que l’un des deux piliers visés a été refait au milieu du XIXe siècle et se trouve devenu un mauvais témoin, il existait naguère dans un coin de l’église des débris de pierres sculptées pouvant provenir de la barrière du chœur. Il y avait notamment un aigle, motif habituel des décorations d’ambons, et un sommier d’arc ayant pu servir à la porte centrale. Ce dernier vestige doit remonter à la fin du xne siècle, d’ailleurs sans parfaite certitude, et l’aigle, au caractère roman, pourrait être du même [p.16] temps ou plus ancien. Tout ccla est évidemment très vague, et surtout très hypothétique; nous ignorons même quand le jubé de pierre ou de bois fut démoli.

Plan de situation du jubé de l'église collégiale Notre-Dame d'Etampes
PLAN DE l’église Notre-Dame d’Étampes
Essai de restitution de l’arrangement du chœur au moyen âge.

     La galerie servait certainement au lecteur et à des chantres dans des fonctions courantes (1): elle fut aussi [p.17] utilisée à partir du XVe siècle pour une cérémonie annuelle très particulière, un salut par personnages, fondé par maitre Jean Huë, doyen de la Faculté de théologie en Sorbonne, et natif d’Etampes.
     (1) A mon avis, plusieurs motifs poussèrent les chapitres à l’érection de jubés: le désir de rendre le sacrifice de la messe plus mystérieux pour les fidèles, celui de séparer plus complètement le chœur de la nef ou le peuple [p.17] se réunissait trcs librement et non saus quelques inconvénients, le besoin de préserver les chanoines contre le froid et les courants d’air pendant l’hiver. De plus, le vrai jubé a galerie, celui qui n’est pas seulement une haute barriere close, est une galerie qui relie les anciens ambons un peu surelevés. L’Épitre et l’Evangile se chantaient au jubé d’ou ils pouvaient être mieux entendus par le peuple. Entre les deux, on chantait des versets, des psaumes ou d’autres prieres tirées de l’Ecriture Sainte. Ce chant se nomme graduel parce que, a Rome, l’exécutant se plaçait sur les degrés de l’ambon, in gradu ambonis: et en d’autres églises, par exemple à Reims, sur les marches du sanctuaire, in gradibus presbytrii (Instructions générales en forme de catéchisme... imprimées par ordre de mess. Ch.-J. Colbert, évêque de Montpellier, Paris, 1710, pp. 588-589). Le jubé se trouvait indiqué pour d’autres petites cérémonies comme celles dont nous allons parler.
     Voici comment Fleureau décrit cette curieuse cérémonie créée en 1477: «Le grand salut par
personnages se chante dans cette Eglise le jour de la feste de l’Annonciation de Notre-Dame, auquel
on habille deux enfants de choeur, l’un en fille, qui représente la Sainte-Vierge, et l’autre qui représente l’Ange Gabriel, qui luy annonce le Mystère de l’Incarnation. Tous les Ecclésiastiques vont processionnellement au-dessous des Orgues, où ils chantent divers Motets convenables à la solennité cependant les deux enfants habillez, comme nous avons dit, montent au Jubé. Celuy des deux qui représente l’Ange se place au bout du même Jubé, du côté de l’Évangile, et celuy qui représente la Vierge se met à l’autre bout du côté de l’Épitre et après que les Prestres ont cessé, ils chantent à leur tour en forme de Dialogue l’Évangile qu’on lit à la Messe de ce jour; ensuite tous passans par dedans [p.18] dans le Chœur disent le De profundis pour le repos de l’âme du Fondateur, et jettent de l’eau bénite sur sa tombe sous laquelle son corps repose devant le grand Autel (1)».

     Les dimensions de la nef du chœur actuel sont de 30 mètres de longueur pour 14 mètres de largeur; avec une travée de plus, l’ancien chœur présumé devait avoir environ 40 mètres de longueur, moins le petit espace accaparé par l’épaisseur du jubé.

     Le chœur s’étendait ainsi sur quatre grandes travées dont les trois premières, marquées par de gros piliers, étaient ouvertes sur le double transept et sur les bas-côtés. La dernière travée était, comme aujourd’hui, fermée par deux murs épais qui, au XIe siècle, étaient extérieurs et percés de grandes fenêtres devenues sans raison d’être et ultérieurement bouchées. Le chevet est carré et percé à l’étage inférieur de trois fenêtres romanes très primitives, et à l’étage supérieur également de trois fenêtres [p.19] contemporaines des voûtes, dont les arcs sont légèrement brisés.

     (1) Fleureau, ouv. cité, p. 189. – L’Annonciation fut un mystère particulierement populaire au Moyen âge il avait le don de charmer les imaginations. On accrut encore son succes quand on lia le souvenir de la salutation angélique a l’institution du couvre-feu. L’usage de celui-ci fut introduit par Guillaume II d’Angleterre pour obvier aux vols nocturnes. Le concile tenu à Lisieux en 1055 marque peut-être son établissement définitif en Franc:e il ordonnait de sonner une cloche tous les soirs pour inciter à prier Dieu et avertir de fermer sa porte, ce qui se faisait vers les sept heures. Le pape Jean XXII (1316-1334) eut l’idée d’un reglement établissant que la prière de la salutation angelique serait repétée trois fois à la sonnerie de la cloche, et assurant en même temps une indulgence pour ceux qui seraient fidèles à la coutume. Le concile de Paris, en 1346, prescrivit l’observation inviolable du règlement papal, ajoutant en faveur de tous ceux qui diraient alors, outre la prière de la Salutation, l’oraison dominicale pour l’église, la paix, le roi, la reine et la famille royale, une indulgence particulière attachée à chaque jour, dans toute l’étendue de la province de Sens (R. P. Richard, Analyse des Conciles généraux et particuliers, Paris, 1777, t. II, pp. 41 et 273).
     Il ressort des textes que le chœur proprement dit contenait au moyen âge au moins deux autels (1), d’abord le maître autel désigné parfois «grand autel du chœur», «autel principal du chœur», et même «autel des saints Martyrs», et le second probablement consacré à saint Étienne, mais parfois simplement désigné «l’autel du cueur» (2). Il est possible que, durant les XVIIe et XVIIIe siècles, un ou deux autres autels aient été ajoutés aux premiers (3).

     Le maitre-autel, selon l’usage, était en avant, en face de la porte du jubé. Je suppose qu’il était placé au commencement ou au milieu de la seconde travée, [p.20] c’est-à-dire près de la ligne tracée par la grille actuelle.
     (1) Il n’y a pas d’erreur possible à cet égard, car les deux autels sont cités eu même temps, et d’ailleurs la chose était habituelle: «Pour l’achat de quarante-trois aulnes de roulleaux pour faire des custodes entous (entour) l’autel du cueur avecques ung tapis pour couvrir le maistre autel» (Compte de fabrique, manuscrit cité, p. 107).

     (2) L’autel saint Étienne, «au cueur de ladite esglise» (Ibid., p. 106. Voir aussi la note ci-dessus).

     (3) Cependant les deux premiers autels peuvent avoir ete déplacés et prêter ainsi à des erreurs. Il faut egalement se méfier des appellations trompeuses. Nous savons par le pouillé du diocèse de Sens rédigé par Amette, secrétaire de l’archevêché, dont la copie, commencee en 1695, fut
terminée en 1732, que, au XVIIe siècle, on employait couramment le terme chapelle du chœur pour désigner une chapellenie à la collation du Chapitre. C’est ainsi que le pouillé mentionne «dix-sept chapelles du chœur» et ajoute «et en outre les dix-sept chapelles cy dessus il y en a encore
quatre qu’on nomme royales étant à la collation du roy, mais ne sont pas du chœur» (Ernest Menault, Essais historiques sur les villages de Beauce, Morigny, Paris, 1867). Justement les deux autels auxquels ces quatre dernières chapellenies étaient affecés, étaient situés dans une dépendance du chœur, le bas-côté nord un autre auteur aurait donc pu fort bien dire qu’elles étaient «du chœur». Un pouillé rédigé vers 1350 et publié par Longnon (Pouillés de la province de Sens, Paris. 1904, p. 45) fournit quelques détails de plus. Toutefois M. Longnon doit avoir commis une erreur en appliquant aux quatre chapellenies en question la phrase: «ad collationem capituli predicte ecclesie».



ANNEXE 2

Acte de décès du portefaix Claude Vezard survenue pendant la démolition
Registre paroissial de Notre-Dame d’Étampes

Dècès d'un ouvrier pendant la démolition du jubé (registre des décès de Notre-Dame d'Etampes)


ANNEXE 3
Le parallèle du Jubé de l’église de Brou (XVIe siècle)
Quatre clichés

     Nous donnons ici une série de quatre photographies du jubé heureusement conservé de l’église de Brou, en Eure-et-Loir, tirés de diverses cartes postales anciennes. Bien qu’il date du XVIe siècle, tandis que celui d’Étampes remontait probablement au moyen âge, ce jubé donne une idée du volume que pouvait occuper celui d’Étampes.

Le jubé de l'église de Brou, vu depuis la nef
1. Le jubé de l’église de Brou, vu depuis la nef

Le jubé de l'église de Brou vu du choeur
2. Le jubé de l’église de Brou, vu depuis le chœur

Galerie du jubé de l'église de Brou
3. Galerie du jubé de l’église de Brou

Stalles et  jubé de l'église de Brou vus du choeur
4. Stalles et jubé de l’église de Brou vus du chœur






BIBLIOGRAPHIE
 
Éditions


     Louis-Eugène LEFÈVRE, «La démolition du jubé de l’église Notre-Dame d’Étampes (16 mai 1791)», in Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais 36 (1922), pp. 196-214.

     Bernard GINESTE & Bernard MÉTIVIER [éd.], «Louis-Eugène Lefèvre: La démolition du jubé de l’église Notre-Dame d’Étampes en 1791
(1914)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-lefevre1922jube.html, 2012.

Sur ce même jubé

     Louis-Eugène LEFÈVRE, «Œuvres d’art diverses, disparues ou existantes, dans les églises d’Étampes et principalement dans l’église Notre-Dame. Rapport présenté à la Commission départementale des antiquités et des arts de Seine-et-Oise», in Bulletin de la Commission départementale des antiquités et des arts de Seine-et-Oise (1911-1912).
     Dont un tiré à part: Œuvres d’art diverses, disparues ou existantes, dans les églises d’Étampes et principalement dans l’église Notre-Dame. Rapport présenté à la Commission départementale des antiquités et des arts de Seine-et-Oise, par Louis-Eugène Lefèvre [116 p.], A. Picard et fils, 1912, p. 15.

     Louis-Eugène LEFÈVRE, «Le mobilier du chœur de l’église Notre-Dame d’Étampes pendant le moyen âge», in Bulletin de la  Société historique et archéologique du Gâtinais 31 (1913), pp. 8-43.
     Spécialement, pour ce qui concerne le jubé, les pages 13-20, ci-dessus rééditées.

     Louis-Eugène LEFÈVRE, «La démolition du jubé de l’église Notre-Dame d’Étampes (16 mai 1791)», in Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais 36 (1922), pp. 196-214.

     Clément WINGLER, Notre-Dame sous l’Ancien Régime, Étampes, Archives municipales, 1998, p. 14.
     Dans un paragraphe intitulé «Vandalisme révolutionnaire», l’auteur date la destruction du jubé du «moment de la Révolution, en 1793».

     Jacques GÉLIS, Le Pays d’Étampes. Regards sur un passé. 2. Le temps des épreuves, Étampes, Étampes-Histoire, 2011, p. 14, note 77.
     Traitant des saccages opérés par les protestants à Étampes en 1562, l’auteur reproche au passage à Clément Wingler de majorer quant à lui l’importance des bris révolutionnaires, et spécialement de dater de l’époque révolutionnaire la destruction du jubé de Notre-Dame d’Étampes, qui «fut en réalité détruit avant la Révolution, comme ce fut le cas un peu partout. Le mouvement de destruction des jubés correspond en fait à une nouvelle conception des offices qui suppose le dégagement de la nef du sanctuaire.»


Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
Source: Saisie de l’édition de 1922 par Bernard Métivier, août 2012.
 
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