CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Excelsior
Les Élèves de Blériot à Étampes 
novembre 1910
      
     Voici un cliché paru dans le numéro de 17 novembre 1910 du quotidien parisien Excelsior qui représente les élèves de Blériot dans son école d’aviation d’Étampes. Nous y joignons le texte d’un article paru dans le même numéro sur les dangers de l’aviation, par Georges Rozet, qui contient une interview de Blériot.
   
L'école Blériot à Etampes (cliché paru dans l'Excelsion le 3 février 1910)
 

Une École d’Aviation à Étampes. – Les Élèves de Blériot

LES ÉLÈVES DE L’ÉCOLE D’ÉTAMPES AU PORT D’ARMES LE LONG DU FUSELAGE D’UN AÉROPLANE.

De gauche à droite: Professeur Colin, MM. Duflot, Lütge, de Romance, de Boisay, Perreyont, Mlle Jeanne Hervieu, MM. Bellot, Ténaud, Morin, Borgnis, Studensky et Lecomte


Merci de nous adresser toute information  intéressant l’interprétation de ce document.
Blériot, Colin et Duflot (novembre 1910)
Blériot, Colin et Duflot
Lütge, de Romance, de Boisay et Perreyont (novembre 1910)
Lütge, de Romance, de Boisay et Perreyont
Studensky et Lecomte (novembre 1910)
Studensky et Lecomte
Jeanne Hervieu (novembre 1910)
Jeanne Hervieu
Bellot, Ténaud, Morin et Borgnis (novembre 1910)
Bellot, Ténaud, Morin et Borgnis

Merci de nous adresser toute information  intéressant l’interprétation de ce document.
UN CAS DE CONSCIENCE

Faut-il encourager les aviateurs ?
Ou faut-il réfréner leur ardeur ?
Blériot, M. Croisset, Mme Judith Gautier expriment leur avis.

     L’aviation ne connaît plus d’hiver. «Que seulement il ne pleuve pas demain matin, disait Legagneux, nous partons.» Et il fait Paris-Bruxelles, à plus de 100 kilomètres à l’heure, au milieu des menaces d’un novembre inclément. Les mécènes du sport — comme ce nom de mécène est lourd à porter quand il s’agit d’aviation! — peuvent créer des pris d’hiver: pas plus qu’en été ils ne manqueront de volontaires ni, au besoin, de héros.

     Devant cette furie d’héroïsme et, si je puis dire, cette contagion de l’audace, quelle doit être l’attitude de la presse? Doit-elle réfréner, doit-elle lancer en quatrième vitesse le courage impétueux des comingmen de l’hélice? Après Poillot, Chavez, Blanchard et l’infortuné capitaine Madiot, un vétéran égaré parmi les recrues, que doit-elle dire, que doit-elle conseiller?

«Il faudra des morts encore», nous dit Blériot.

     Il faut d’abord qu’elle sache et qu’elle fasse savoir au public à quelles ouailles nous avons affaire, humbles prédicateurs que nous sommes. Blériot, homme heureux, encore qu’il ait une histoire, et une belle histoire, me disait l’autre jour ceci:

     — Il faudra des morts encore. Nous n’avons pas le droit de les refuser au progrès. Des précautions, soit, mais seulement à l’égard des appareils, de leur mise au point. Nous ne voulons plus des hasards qui dépendent de l’appareil, de la construction hâtive, des réparations de fortune. Mais à l’homme lui-même, nous devons permettre tous les aléas. La victoire est à ce prix.

     »Voyez les Américains, ajoutait-il: le danger leur apparaît comme la condition même de cette victoire. Les descentes de 1.000 mètres, en tire-bouchon, dans un rayon de 10 mètres, le looping the loop même tenté en plein ciel, tout cela n’a pas chez eux le nom d’excentricité: ce sont les exercices normaux de l’appareil qui prétend être un jour le maître de l’air.»

     La voix de Blériot était douce et calme sous le front obstiné et la moustache belliqueuse. Il me disait sa foi dans l’avenir, dans un mieux-être général dû au progrès de toutes les mécaniques qui, en abrégeant les tâches déprimantes de l’humanité, lui permettront de vivre une vie plus large, de mettre au monde plus d’enfants et d’enfants heureux. Quelques vies sacrifiées maintenant en sauveront, en améliorant des milliers plus tard.

     Et cet ingénieur en arrivait naturellement, ingénument, à des conclusions de moraliste ou de métaphysicien, exprimées en style de mathématiques. La vie d’un homme n’était rien pour lui que relativement à sa descendance, en fonction de l’avenir…

«Soyons prudents», ajoute M. Croiset, littérateur attique.

     M. Alfred Croiset, doyen de la Faculté des Lettres, chef responsable de l’élite de notre jeunesse intellectuelle, à qui je racontais cette conversation pour essayer d’avoir son avis, se prit d’abord à sourire. [p.4] Jem’y attendais. Le philosophe a tôt fait de découvrir sous nos émotions d’«actualistes», que nous croyons inédites, les inquiétudes et les émotions éternelles de l’humanité. Il doit s’aviser notamment qu’en matière de danger comme en matière d’impôts, le Français ne s’étonne que des formes nouvelles, et d’ailleurs ne s’en étonne qu’un instant. M. Croiset, littérateur attique, était préparé de longue date, par la mort du regretté Icare, à nos catastrophes d’aérodromes.

     Il s’y intéresse cependant. Il voit dans cette notion bien moderne du «courage sportif» un remarquable ferment, pour la jeunesse, d’énergie et de dignioté morale et l’espoir, doux à son cœur d’helléniste, de voir renaître cet «homme complet» qui fut le triomphe de la civilisation grecque.

     — Je voudrais toutefois, dit M. Croiset, qu’on pût accommoder le prudence avec le courage. Laissons à nos aviateur le bénéfice moral de leur héroïsme, encourageons-les à tout oser. Mais soyons prudents en leur lieu et place. Et, par exemple, lorsque les circonstances rendent trop aléatoires une épreuve d’aviation, quand la traversée des Alpes, je suppose, semble comporter neuf chances sur dix de danger mortel et que la réussite même, dans l’état actuel des appareils volants, ne prouve rien ou presque rien, sachons l’empêcher.

«N’invitons personne au sacrifice», écrit Mme Judith Gautier.

     Qui pourra concilier la méthode philosophique du professeur avec l’audace du sportsman? Est-ce ce billet de quelques lignes que j’ai sous les yeux, visiblement écrit et signé Judith Gautier? Car aujourd’hui, grâce au ciel et aux Goncourt, nous pouvons remplacer par une académicienne le traditionnel académicien des enquêtes.

     «J’admire infiniment, écrit l’illustre femme de lettres, ceux qui risquent leur vie pour la conquête de l’air, mais j’estime qu’il serait trop inhumain d’inviter quiconque au sacrifice… Rien que des volontaires!»

     Mme Gautier est-elle donc au courant de l’histoire secrète du sport? Sait-elle, par hasard, qu’aux premières années de l’automobilisme certains constructeurs n’hésitèrent pas à stimuler par la perspective du renvoi aussi bien que par l’appât de la prime ceux de leurs mécaniciens dont la vaillance paraissait encore indécise?…

     Sur ce point, nous sommes de son avis. On n’a pas le droit d’obliger les gens au courage et d’en faire des héros malgré eux que si leur lâcheté même peut causer leur perte, en temps de guerre par exemple, puisqu’aussi bien les lâches peuvent être fusillés dans le dos.

     Le cas de conscience de l’aviation est-il résolu? Je m’aperçois qu’en faisant parler Blériot, M. Croiset et Mme Gautier, j’ai mis en ligne, symboliquement, la sensibilité, l’intelligence et la volonté. Et cela me reporte au temps où, en classe de philosophie, nous faisions batailler entre elles ces trois abstractions, marionnettes psychologiques de M. Victor Cousin.

     Mais j’ai trouvé aussi de l’attendrissement chez Blériot, de la volonté chez M. Croiset et du courage chez Mme Gautier. Philosophiquement, ce n’est pas une solution. Pratiquement, cette constatation me suffit. La logique et la vaillance françaises, en se faisant quelques concessions réciproques, peuvent sortir indemnes de ce conflit.

Georges ROZET.  


Source: Exemplaire original. Saisie de Bernard Gineste, 2004
 
 
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE 

Éditions

     ANONYME, «Une École d’Aviation à Étampes. — Les Élèves de Blériot», in Excelsior [journal illustré quotidien, Paris, 16 p., dirigé par Pierre Lafitte] 2 (jeudi 17 novembre 1910), p. 3-4.

     Georges ROZET, «Faut-il encourager les aviateurs?», in Excelsior 2 (jeudi 17 novembre 1910), p. 3-4.

     Bernard GINESTE [éd.], «Excelsior: L’École Blériot à Étampes (cliché, novembre 1910)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-19101117excelsior2ecolebleriot.html, 2004.

Étampes et l’Aviation dans le Corpus Étampois

     Bernard GINESTE, «Étampes et l’Aviation: quelques documents», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-aviation.html, 2006.

   
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