CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
L’Abeille d’Étampes
Accident mortel de Denise Moore
numéro du 29 juillet 1911
     
Madame Denise Moore

     Le 21 juillet 1911 s’écrasa au sol, pour la première fois au monde, une aviatrice. C’était à l’aérodrome Farman d’Étampes. Voici le récit de cet événement publié huit jours plus tard par l’Abeille d’Étampes, dans sa rubrique Étampes-Aéropolis. L’année suivante, ce fut le tour de Suzanne Bernard. Étrange et funèbre record dans les annales de l’aéronautique étampoise: c’est sur le territoire de notre bonne cité que périrent les deux premières héroïnes de l’aviation.
   
Etampes – Aéropolis

     Des deuils et de la gloire! Longtemps encore se résumera ainsi la chronique aérienne de l’Abeille.

     Les morts de cette semaine, outre Mme Moore, dont nous parlons plus loin, sont le jeune aviateur Jolly, qui, pris dans un remous, s’est tué dimanche à l’aérodrome de Juvisy, et les aviateurs russes Slussarenko et Chamasky qui concouraient dans le Pétersbourg-Moscou.

     La gloire, ce fut d’abord, l’exploit de Loridan qui samedi, fit 750 kil. En 11 h 45 en circuit fermé, et surtout la victoire de Beaumont-Conneau et Védrines dans le Tour d’Angleterre. Le Daily Mail avait doté d’un pris de 250,000 fr. cette course difficile à faire en quatre étapes. Dès la première, les deux aviateurs français restaient seuls en course et, se tenant à quelques minutes près, ils engageaient dans les airs un passionnant duel de trois jours dans les airs, malgré les difficultés d’un pays inconnu d’eux, malgré la chaleur, malgré la fatigue. Et mercredi Beaumont l’emportait de 72 minutes sur Védrines!

     C’est la gloire pour l’aviation française, pour les Blériot et les Morane. Qui de nous eût cru voir cela: deux hommes-oiseaux luttant de vitesse pendant quatre jours, se dépassant, se rattrapant et finissant au but à moins de deux heurs de différence. Il y a quelque chose de nouveau sous le soleil!



     Nous aérodromes sont en deuil! Pour la première fois une aviatrice s’est tuée et c’est à notre aérodrome Farman qu’elle a inscrit son nom sur la funèbre liste qui approche de la centaine! Étampes avait eu ici la veine: peu d’accidents et aucun qui fût mortel. Espérons que cette catastrophe aura pour longtemps écarté de nous la cruelle faucheuse qui rôde auprès des champs d’aviation.

Madame Denise Moore
Madame Denise Moore
     Vendredi soir, une tragique rumeur mettait notre ville en émoi: une aviatrice venait de se tuer à l’aérodrome Farman. La nouvelle n’était que trop vraie.

     Il s’agissait de Mme E.-J. Cornesson, demeurant à Alger, faubourg de France et qui était arrivée il y a un mois à Étampes pour suivre l’entraînement de l’école Farman. Elle voulait être pilote et s’installait dans ce but 128, rue Saint-Jacques, chez M. Feuillet. Elle était veuve [p.2] et pour que sa famille ne fît pas opposition à son désir d’être aviatrice, elle avait adopté un nom de guerre, celui de Denise Moore.

     Sous ce nom elle était très populaire dans nos aérodromes. Son ardeur à conquérir le diplôme était admirée de tous. Le brevet de pilote allait bientôt récompenser ses efforts. Les journaux de la semaine dernière annonçaient ses envolées. La journée de vendredi s’annonçait comme un triomphe. A quatre heure du soir, elle réussit deux beaux vols. Elle eût dû s’en tenir là, ses professeurs de l’école Farman le lui conseillaient, le temps chaud et pénible l’y invitait. Hélas! Il y a une sorte de griserie de l’air et Denise Moore voulut faire un troisième vol, des amies qui l’avaient applaudie l’y poussaient. Elle céda à la tentation, ce fut sa perte.

     A 6 h. 20 elle reprit l’air; très brillamment, elle fit deux tours de piste, puis pointa vers le Sud. Soudain, dans un virage, son biplan obliqua. Les spectateurs commencèrent à s’émouvoir; elle put dans un effort désespéré redresser son biplan et tenter de se rapprocher du champ d’aviation. Mais le virage rata et soudain on vit le biplan «piquer du nez» et s’abattre vers le sol. Un cri d’horreur s’éleva. Sur le sol déjà gisait la pauvre femme, morte, les cuisses brisées en trois endroits, la clavicule gauche cassée, avec des fractures au crâne, inondée de l’essence du réservoir qui, s’il avait pris feu, l’aurait carbonisée.

     Il n’y avait plus rien à faire, c’est ce que constata le médecin appelé en toute hâte. On la releva toute blanche des débris de son biplan, son visage bientôt apparut tout noirci. La mort avait accompli son œuvre terrible: de la grâce et de la vaillance de cette jeune et charmante femme elle avait fait de la tristesse et de l’horrible.

     Le souvenir de Denise Moore restera cher à nos aviateurs. Il sont bine montré leur émotion en suivant mardi le char funèbre qui, de l’Hôpital d’Étampes où il avait été déposé, amenait le corps de la vaillante jeune femme à la gare d’où il a été transporté à Joigny dans un caveau de famille. De nombreux habitants d’Étampes et notamment M. Dorival, délégué de l’Aéro-Club, s’étaient joints au frère et à la sœur de Mme Moore qui conduisaient le deuil et aux aviateurs qui le suivaient. Les officiers de l’École militaire Blériot s’y remarquaient au premier rang. De belles couronnes portaient les inscriptions: Les élèves pilotes de l’École Farman à leur camarade, Souvenir des frères Farman, Les Écoles militaire et civile Blériot, d’autres encore.
L'aviateur Arnal
L’aviateur Arnal


     Denise Moore ne sera pas oubliée de nous. Qu’elles durent être tragiques, ces secondes où la pauvre femme tenta de lutter contre la mort qui l’étreignait! On dit qu’elle poussa à ce moment des cris qui furent entendus de loin… Ces drames de l’air, si rapides, sont poignants. A nous de ne pas oublier ceux dont le sang ouvre les voies de l’avenir, surtout quand c’est le sang ardent et généreux d’une jeune femme.



     Nous venons de demander, à l’hospice, des nouvelles de l’aviateur Arnal, qui, la semaine dernière, se brisa la jambe en trois endroits.

     Son état est aussi satisfaisant que possible.

     L’aviateur hollandais qui y réside depuis quelques mois par suite de blessure, est en convalescence assez avancé.


Merci de nous adresser toute information intéressant l’interprétation de ce document.
Autres données
avec nos remerciements à François Besse

     D’après les sources citées en bibliographie, Denise Moore était née à Alger en 1876 E.-Jane Wright. En 1911, veuve de Denis Cornesson et demeurant au faubourg de France à Alger, elle avait reçu son baptème de l’air avec René Métrot sur le terrain de Joinville, à Blida, le 3 mars, puis avait gagné en juin l’école d’aviation Farman pour y obtenir le brevet de pilote. Elle résidait alors au 128 rue Saint-Jacques, chez M. Feuillet, sous le nom d’emprunt de Denise Moore, pour ne pas effaroucher sa famille. Après plusieurs vols à partir du 1er juillet sur biplan sous la direction de Guggenheim, elle prit l’air seule pour la première fois le 17 juillet. Elle était alors bien connue des élèves pilotes des trois écoles d’aviation d’Étampes, l’école Farman, l’école civile Blériot et l’école militaire du même Blériot. Le 21, vers 16 heures, elle vola deux fois de suite avec succès à 100 mètres de hauteur. Elle décida de tenter un troisième vol en se fixant de voler à 150 mètres de hauteur et décolla à cet effet à 18 h 20, malgré, à ce qu’il dirent, l’avis de ses professeurs. La suite est racontée par l’Abeille d’une manière plus précise et circonstanciée que par les autres sources. Bernard Marck précise qu’elle fut écrasée sous le moteur.

B.G.

Source: L’Abeille d’Étampes. Saisie de Bernard Gineste, février 2006.
 
 
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE 

     Bernard GINESTE [éd.], «L’Abeille d’Étampes: Accident mortel de Denise Moore (numéro du 29 juillet 1911)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-19110729abeille19110721moore.html, 2006.

     C. H. FAROUX & G. BONNET, Aéro-Manuel 1914, Répertoire Sportif Technique et Commercial de l’Aéronautique, Paris, Dunod & Pinat, 1914, p. ?.

 
     Wendy BOASE, The Sky’s The Limit, New York, Macmillan Publishing Co, 1979, p. 12 [références aimablement fournies par David Lam, courriel du lundi 31 mars 2003 09:03].   
    
     Marie-Josèphe de BEAUREGARD, Femmes de l’air. Chronique d’une conquête, Paris, France-Empire, 1993, p. ?.

     Bernard MARCK (collaborateur du Monde et de Flight international), Les aviatrices [24 cm; 387 p.; bibliographie pp. 369-373; index], Paris, l’Archipel, 1993 [ISBN 2-909241-26-2], p. ?.

     Eileen F. LEBOW, Before Amelia. Women Pilots in the Early Days of Aviation, Brasseys, 2002, p. 50 (références et précisions aimablement communiquées par David Lam, courriel du 25.03.2003).

     Ralph COOPER, «Denise Moore, 1886-1911, 26 AKA Jane Wright» [en collaboration avec David LAM], in ID., The Early Birds of Aviation, Inc. An organization of pioneers who flew solo before December 17, 1916, http://www.earlyaviators.com/emoorden.htm, 2004, en ligne en 2006.

     Stéphane NICOLAOU (chargé de recherche au musée de l’Air et de l’Espace) & Elizabeth MISMES-THOMAS (journaliste), Aviatrices, un siècle d’aviation féminine française [190 p.; préface de Claudie Haigneré], Paris, Altipresse & Musée de l’Air et de l’Espace [«Nouvel Envol»], 2004 [ISBN 2 911218 21 3], p. 84 [autant pour Denise Moore que pour Suzanne Bernard, référence communiquée par François Besse].

     Bernard MARCK, «Moore, Denise», in ID., Dictionnaire universel de l’aviation, Paris, Tallandier, 2005 [nos remerciements à François Besse qui nous a aimablement signalé cet ouvrage apparemment non conservé à la BNF et qui nous a même communiqué une saisie de son article consacré à Denise Moore.]

Étampes et l’Aviation dans le Corpus Étampois

     Bernard GINESTE [éd.], «L’Abeille d’Étampes: Accident mortel de Denise Moore (numéro du 29 juillet 1911)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-19110729abeille19110721moore.html, 2006.

      Bernard GINESTE [éd.], «Clémentine X. et L. T.: Crash de Suzanne Bernard (cartes postales, mars 1912)
», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-191203suzannebernard.html, 2003.

      Jean-Michel ROUSSEAU [éd.], «L’Illustration: Chute mortelle d’une aviatrice (n°3603 du 16 mars 1912)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-19120316illustration.html, 2006.

     Bernard GINESTE et alii, «Étampes et l’Aviation: quelques documents», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-aviation.html, 2006.
 

Toute critique ou contribution seront les bienvenues. Any criticism or contribution welcome.
   
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