CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Hans Malberg & Wolf von Niebelschütz
L’État-Major d’Étampes
(Stabsquartier Etampes)
livre souvenir, noël 1942
     
Couverture  
ÉTAT-MAJOR D’ÉTAMPES

Livre-Souvenir


REDACTEURS
Capitaine Dr. Hans MALBERG
Sous-Officier Wolf von NIEBELSCHÜTZ


ILLUSTRATIONS
Sergent Gustav Rohrbach
Caporal Chef Franz Bleyer


Traduit de l’allemand
par Christian Brouzeng-Lacoustille
© Tous droits réservés



Étampes, Noël 1942

         
     Nous mettons en ligne ici sans commentaire cette traduction très soignée faite par M. Christian Brouzeng-Lacoustille d’un ouvrage édité à la noël 1942 par l’État-Major de la Luftwaffe alors établi à Étampes. N’ayant pu contacter son auteur, nous prenons la liberté de cette mise en ligne, que sans doute il approuvera; mais nous sommes prêts évidemment à la retirer s’il se manifeste en ce sens; il est dommage en effet qu’un travail aussi soigné ne garde qu’un caractère confidentiel.
     Ce livret-souvenir, agrémenté de gravures originales et de deux poèmes, était visiblement destiné au personnel militaire de la Luftwaffe, qui ne constituait pas précisément la lie de la soldatesque nazie. Vers la même époque, un résistant étampois comme le colonel Manhès se demande précisément, à Buchenwald, comment un peuple à la culture aussi raffinée a pu en venir à tant de barbarie:
«C’est le K... L... B..., camp de Buchenwald et cela se tient... au pays de Goethe!»
     Ce livret présente aussi et surtout le point de vue de l’Occupant sur les circonstances dans lesquelles Étampes fut conquise et occupée, à partir de juin 1940. L
internaute saura faire la part des choses!
B.G., avril 2005
  
Edition originale de 1943

ÉTAT-MAJOR D’ÉTAMPES


Livre-Souvenir


REDACTEURS
Capitaine Dr. Hans MALBERG
Sous-Officier Wolf von NIEBELSCHÜTZ


ILLUSTRATIONS
Sergent Gustav Rohrbach
Caporal Chef Franz Bleyer


Traduit de l’allemand
par Christian Brouzeng-Lacoustille
© Tous droits réservés


Étampes, Noël 1942


Vue générale d'Etampes



     Ce petit ouvrage retrace les destinées et les particularités de la ville d’Étampes, où se trouve l’État-major de la France Ouest depuis juin 1940.

     Puissent ces pages laisser à tous ceux qui, durant leurs obligations militaires, appartiennent ou ont appartenu à l’État-major de la France Ouest, un souvenir inoubliable des événements vécus ensemble, dans le combat décisif pour l’avenir de la Grande Allemagne.

Signature
Général de l’artillerie antiaérienne
Général-Commandant en chef
de la Région Aérienne de France Ouest. [p.4]


PETITE VILLE ETRANGERE

Petite ville étrangère dans la vallée,
Avec tes grises maisons alignées.
De tes tours, sonnent faiblement les heures,
Dont la régulière cadence appelle à faire demeure.

Des ondes, sur des collines inondées de soleil,
Glissent le long des vastes champs vermeils,
Où, bridés par les bordées d’arbres, gravissent
Les chemins qui s’envolent vers la vie.

Ville grise dans son étroitesse,
Contre les désirs se fait rempart,
Et pour qu’aucun cœur d’elle ne se sépare,
S’est faite forteresse.

Pourtant un ruban d’étoiles, dans l’obscurité
De la nuit, par delà l’espace bondissant,
Tisse, au loin, dans l’infini, un lien adoucissant,
La nostalgie de ce qu’il a fallu quitter.

M. [p.5]
I. A la découverte d’Étampes


     Le 14 juin 1940, les troupes allemandes entrèrent dans Paris. Le 22 juin, la France signa l’Armistice dans la forêt de Compiègne. Le pays fut divisé en une zone occupée et une zone non-occupée.

     Ce n’avait été d’abord qu’une rumeur, avant d’être ensuite officialisé l’État-major allait être transféré en zone occupée; l’État-major irait à Étampes! Soudain, dans tout Wiesbaden, on ne pouvait plus trouver de Guide Baedecker (1) de la France. Chacun essayait de situer ce patelin inconnu. Ah oui! A environ 50 km au sud de Paris, à mi-chemin entre la capitale et Orléans, la ville de la Pucelle schillerienne (2) se situe cette petite ville calme de campagne, dans la vallée de la Juine et de la Chalouette, 10.000 habitants; important commerce de céréales, ainsi que de bétail, d’horticulture; château en ruines qui domine un paysage charmant aux alentours, haut plateau nu. Il semblait qu’on puisse trouver en France des endroits plus intéressants.

     A l’aube du 25 juin, nous nous mîmes effectivement en route, dans deux autocars, riches des dernières recommandations précises du commandant de l’État-major alors en fonction. Nous commençâmes par traverser le Luxembourg, direction Charleville où nous rejoignîmes le reste du corps dirigeant, qui nous avait devancé. Le jour suivant, sous l’éclat d’un soleil d’été, nous traversions la France. Rethel. Laon. A Meaux, où, comme par enchantement, les premières bouteilles de l’excellent vin rouge montèrent des profondes caves, nous traversions la Marne. Cette fois-ci, le fleuve fatal n’était plus un obstacle, comme ce fut le cas en 1914. Quelque part dans le lointain, sur notre droite, se trouvait Paris; mais il nous était formellement interdit de nous y rendre. A Fontainebleau, changement de cap, à droite toute, pour traverser de profondes forêts avec leurs étranges rochers. Direction Étampes! Arrivée au crépuscule. Le bled ne nous apparut pas spécialement accueillant. Tout était bloqué. La route nationale était embouteillée tout du long. A l’entrée de la ville, la confusion qui y régnait, faisait penser au temps où les éclopés se réunissaient en un même lieu pour partir en pèlerinage. Mon Dieu, que les Français devaient avoir eu peur de nous à cette époque-là! Par milliers, ils s’étaient enfuis avec leurs bardas par la route. Ils affluaient maintenant pour rentrer chez eux, avec de pitoyables véhicules qui contrastaient avec les cargaisons qu’ils devaient traîner, composées de matelas, de coffres à habits, d’ustensiles de cuisine, et d’hommes. [p.6]

     Ce flot s’écoula encore pendant des jours entiers à travers Étampes. Plusieurs semaines après, on trouvait encore des cadavres de voitures sur le bord de la route. On ne pouvait que sourire devant l’étrangeté de certains véhicules. Des images bouleversantes sont restées gravées dans notre mémoire, alors que la légèreté avec laquelle les Français abordent la vie les leur a fait depuis longtemps oublier.

     Les braves Étampois avaient eux aussi préféré fuir, plutôt que de braver le danger. En effet, alors que nous nous frayions un chemin à travers le flux chaotique des fuyards, utilisant une douzaine d’expressions autoritaires tirées du langage domestique du soldat,
ainsi qu’à coups de klaxon, pour les faire se ranger, nous trouvâmes la ville aux trois-quarts vide. Le détachement précurseur sous le commandement du Major Leh fut le seul à exécuter les ordres avec une imperturbable ardeur. Les hommes qui, de par leur expérience, avaient déjà été confrontés à ce genre de situation, savaient exactement comment s’adapter et s’organiser dans une petite ville comme celle-ci.

     Quand, après quelques jours, les Étampois, prudemment, cherchèrent à savoir si un éventuel retour était possible, ils trouvèrent leurs maisons sous bonne garde. Nous avions, entre-temps, débarrassé les restes de leurs déjeuners abandonnés là, nous avions fait la vaisselle, les lits, et tout rangé. Ils devaient vivre un peu plus à l’étroit, bien sur, mais ce qui les étonna fort, ce fut de voir que chaque casserole avait encore son couvercle et que l’argenterie était encore à sa place. Les Allemands les avaient agréablement surpris et ils en furent soulagés et reconnaissants.

     C’est ainsi que nous commençâmes à vivre doucement les uns avec les autres. Nous nous répartîmes de la façon suivante: à l’extérieur de la ville, dans le château, se trouvaient le Commandant, le Chef et l’appareil dirigeant , à l’intérieur de la ville très asymétrique, étalée sur plusieurs kilomètres, avec ses rues étroites et enchevêtrées, se répartissaient les douzaines de bureaux constituant l’appareil administratif. Ce dernier était si bien intégré qu’un bruit courait, selon lequel des camarades qui avaient fait connaissance au milieu des vastes étendues russes, où ils avaient été transférés, constataient avec surprise qu’ils s’étaient trouvés en même temps à Étampes sans jamais s’y rencontrer.

     Nous avons d’abord pensé qu’Étampes serait une étape provisoire. C’est ce que les Étampois souhaitaient aussi. Mais les uns comme les autres, nous étions dans l’erreur. Alors que nous écrivons ces lignes, à la fin de l’année 1942, nous ne faisons plus aucun pronostic; le soldat pose pas de question. Si on lui ordonne de partir, il part, si on lui ordonne de rester, il reste. Nous, nous restons. Et maintenant, nous connaissons parfaitement Étampes et ses alentours. Un peu grise, la ville l’est sûrement, même les publicités multicolores pour Apéritif sur les murs et clôtures ne peuvent nous le faire oublier.

     Ce serait aussi une erreur de vouloir dire d’Étampes qu’elle est un «Petit-Paris», même si des trains express s’arrêtent dans sa gare, et que son théâtre municipal donne l’illusion d’une importante activité culturelle. Mais cette modeste ville réussit pourtant à nous séduire. Dans un premier temps, quand on passe au-dessus de la nappe de gaz d’échappement en montant vers la promenade au-dessus des voies de chemin de fer, une vue sur la vallée verdoyante s’offre à nous. Ensuite, plus magnifique encore, est le panorama depuis le sommet de la tour Guinette, si bien si l’on prend le loisir d’y grimper à l’aide de l’échelle à incendie dite «brise-cou». [p.7]

Pêcheur étampois      Là-haut, à perte de vue s’étendent les champs et les collines, et, de ses yeux exercés, le militaire repère avec satisfaction des champs en friche qui feraient de parfaits terrains de manœuvre où il irait se briser les os lors d’entraînements d’endurcissement.

     On peut aussi suivre la promenade longeant la rive, bordée d’arbres, où se trouvent les anciens lavoirs, et, si l’on poursuit plus bas, on éprouve, au pied de la pente, avec son labyrinthe de cours d’eau, un enchantement romantique, car ici comme ailleurs, le Français laisse pousser ce qui veut bien pousser. On y trouve aussi des pêcheurs ils ont le temps, et leur attente immobile nous laisse deviner une des facettes du caractère national français.

     Il nous reste non seulement des paysages en mémoire, mais aussi des impressions: les hautes charrettes des fermiers, par exemple, auxquelles sont attelés deux ou trois lourds chevaux de trait. On ne peut oublier le bruit de crécelle de leurs roues. Ou, à l’aube hivernale, quand les portes d’entrée des moulins à blé sont ouvertes et que le clair-obscur produit par la lumière et l’ombre glisse furtivement sur les contours des travailleurs, une scène rembranesque nous apparaît alors.

Pêcheur étampois      Il faut dire que les moulins sont vraiment représentatifs d’Étampes. On en trouve environ une trentaine alentour, aux bords de petits canaux. Le blé y joue un rôle de premier plan. Si l’on en croit certains anciens récits, on devait y moudre environ 5 à 30 millions de kg de céréales de toutes sortes par an, avant de les envoyer à Paris par chalands. On a du mal à imaginer une telle animation à Étampes, mais la «Promenade du port» prouve qu’il fut un temps où la ville possédait un bassin suffisamment important pour une telle activité. Partant du port, les chalands à grains suivaient un canal rejoignant la Juine à Morigny, pour ensuite se jeter dans l’Essonne, et enfin atteindre la Seine à Corbeil qui avalait tous les frets. Un tel voyage prenait plusieurs jours. Mais, dériver agréablement de la sorte était seulement possible il y a environ deux siècles. Aujourd’hui, le port est comblé, les canaux sont impraticables et, pour se rendre à Paris, on emprunte des trains électriques; l’on trouve même désagréable que l’«Omnibus» perde, tout en respectant l’horaire, deux minutes d’un temps si précieux à chacun de ses 19 arrêts!

     Quant aux moulins, on les utilise encore, même ceux des tanneurs et ceux à foulons; les moulins à sable, eux, sont particulièrement actifs, car le sable extrait des sablières d’Étampes est très réputé pour la finesse de son grain et pour son abondance. II est très recherché pour la fabrication de miroirs et du cristal, et les fabricants de Porcelaine de Limoges ont toujours été d’excellents clients.

      Mais, à Étampes, rien n’est plus beau qu’une promenade en suivant ses ruelles, par une nuit de pleine lune, lorsque les pignons projettent une ombre oblique. Alors, les façades grises de l’église brillent d’un mat argent. Alors, l’eau murmure. Seul parfois, le sifflement strident d’une locomotive perce le silence absolu.

     Non, nous n’arrivons pas à nous plaindre d’Étampes! Cette ville est pleine de charme et de singularité. On n’oubliera jamais le premier souffle timide du vert sur les peupliers et les saules de la vallée, les routes tirées au cordeau s’enfonçant, à travers les champs de blé ondoyants, dans le doux bleu du ciel d’été, les palettes de couleurs variées des chutes de feuilles automnales dans le parc du château de Brunehaut ou le verglas brillant sur les irrégularités cahotantes des pavés d’Étampes. Personne n’aimerait manquer l’affairement du marché du samedi, pendant lequel notre corps de musique joue les principaux airs militaires. Et toujours sonnera à nos oreilles le cri perçant et traînant lancé par les rues: «Peau de lapin, peau!» avec lequel l’acheteuse de peaux, résolument, inlassablement, appelle les peaux de lapin à sortir des maisons où les enferment les habitants d’Étampes. [p.8]

     Longtemps, quand nous serons de retour chez nous, ou quand nos hommes seront sur d’autres fronts, nous conserverons le souvenir d’Étampes, que nous soyons restés là des années, ou seulement quelques mois. Pour nous, Étampes est devenue, au sein de cette terre étrangère, un peu comme une deuxième patrie.

Attelage


 [p.9]
ST-MARTIN-D’ÉTAMPES

L’Érable murmure, et le Platane se balance,
Sur la place de l’Église, ils dorment, voilés par la noirceur,
De la nuit claire, brodée d’étoiles en abondance,
Projetant un spectre lumineux sur l’arc-boutant des tours et du chœur.

Le clair de lune tisse invisiblement,
Un ouvrage en pierre, qui grandit, silencieux,
Et la tour gigantesque courbée par les ans,
Se penche dans le creux de l’oreille de Dieu.

Toujours, toujours plus encore, je me trouve ici,
Envoyé pour les gardes nocturnes,
Et j’ignore ce qui me réconforte ainsi,

Devant la rosace et la tour, immobile et taciturne,
Mystérieusement, dans la clarté de la neige,
Jamais je n’ai froid, quand mes yeux vers elles se lèvent.

v. N. [p.10]



II. Les Monuments d’Étampes
 au regard de son histoire



     Étampes était autrefois une des villes les plus riches et importantes du centre de la France. Elle était entourée d’un mur doté de hautes tours, et était surplombée d’un château fortifié. Elle était reliée par route à Paris, Orléans, Chartres et, à ses alentours, possédait un site dont la richesse céréalière demeure célèbre aujourd’hui encore. De telles villes ne peuvent qu’attirer la ruine vers elles. En temps de guerre, les deux parties s’affrontant voyait en Étampes un emplacement stratégique, à conquérir avant l’autre une telle place forte donnait la possibilité à son conquérant de regarnir ses troupes, de se réapprovisionner et de contenir ses ennemis. Quand Étampes était conquise, elle était soumise au pillage, quand on l’abandonnait, la retraite se soldait par des incendies volontaires, afin de laisser le moins possible aux adversaires. Au cours de sa longue histoire, Étampes a été poursuivie par cette fatalité. C’est surprenant que, de ses nombreuses églises, couvents, hôtels de ville, que de son château et de ses fortifications, il nous reste encore quelque chose de notable. Mais, le peu qu’il nous reste possède une valeur historico-artistique non négligeable; quant à ce qui a disparu, ici et là, des ruines ou des noms de rues nous rappellent à leur existence. De plus, on est très bien informé sur l’histoire éminente, mouvementée, colorée et majestueuse de cette ville, et un bon nombre d’anecdotes peuvent être très facilement rapportées au nom des rues existantes à ce jour.

     Il faut se figurer Étampes au Moyen Age, comme un vaste et solide complexe de fortifications, un enchevêtrement de maisons, comprimées entre ses murs comme dans une cuirasse, et d’où s’élancent, entre les milliers de pignons et cheminées, des clochers d’églises. Au milieu de tout ceci, surplombant la ville, se dressait, à l’emplacement de l’actuelle tour Guinette, le château relié à la ville par des murs, tours et chemins de ronde, vous trouverez dans cet ouvrage une gravure donnant une idée de ce à quoi pouvait ressembler Étampes à cette époque.

     A première vue, cette ville semblait avoir été très pieuse. En effet, trois noms de rues font allusion à des monastères qui s’y trouvaient. Et celles-ci sont toutes les trois voisines. Dans la «rue du Haut-Pavé» se trouvait l’Hospice Saint Jean qui, déjà en 1085, était recensé comme existant depuis longtemps. De plus, le pavage dans la rue prouve qu’il devait être très riche, car, à l’époque, il n’existait pas encore de ville à cet endroit mais, entre le Vieil Étampes autour de Saint-Martin et le Nouvel Étampes autour de Saint-Pierre (l’actuel faubourg du côté de Fontainebleau), ne s’étendaient que des champs et des prés. Le «carrefour des religieuses» fait aussi état d’une institution religieuse, plus précisément du couvent des «Religieuses de la Congrégation de Notre-Dame», un ordre qui ne fut fondé qu’après 1600. A cette date, les [p.11] bâtiments du couvent n’étaient plus construits en plein champs, comme ce fut le cas pour l’Hospice Saint Jean, mais à l’intérieur des murs. En effet, au milieu du 12e siècle, le quartier Saint Gilles avait été intégré à l’intérieur des fortifications de la ville, ce qui réduisait l’écart entre Étampes et Saint-Martin-d’Étampes. Enfin, tout près du couvent, se trouvait un monastère, celui des moines Franciscains appelés «Cordeliers» faisant allusion à la corde qu’ils portaient autour de la taille. Ce monastère semble avoir été la construction architecturale la plus éminente, la plus belle, la plus riche de la ville. Mais la Révolution, à la fin du XVIIIe siècle, passa par là et le sacrifia. Pas une pierre n’en est restée.

     Le point central du quartier Saint-Gilles est l’église qui est restée en place jusqu’à aujourd’hui. D’un point de vue historique, elle n’a rien de particulier et c’est plutôt le marché au milieu duquel elle se dresse qui est intéressant. Il était, déjà autrefois, un vieux marché très fréquenté, où l’on trouvait bestiaux et chevaux. Il se situait alors entre deux bourgs et, pour raison de sécurité, on l’intégra dans l’enceinte de la ville; tout un quartier s’est ensuite constitué autour. De nos jours, les rassemblements du samedi soir en ce même lieu témoignent du rôle qu’il avait jadis — si ce n’est qu’il y manque les chevaux. Il faut dire aussi que ce n’était pas seulement une place de marché, et son autre utilisation est moins réjouissante. En effet, on y trouvait aussi la roue, le gibet ou le pilori, par lesquels on faisait expier les petits péchés, les crimes, ou les délits. Et ce fut certainement durant la révolution que la place fut la plus utilisée à ces fins.

     On a du mal à s’imaginer comment cette ville a pu un jour être riche d’églises, d’hôpitaux, de chapelles, d’institutions religieuses, de monastères, et de calvaires. Et, quoique ce soit un phénomène assez commun au Moyen Age, la construction de telles œuvres, possible grâce à d’innombrables dons, il semble avoir été particulièrement développé à Étampes. Celle-ci fut même un temps considérée comme le lieu idéal pour les conciles des Evêques de l’Église Catholique et c’est au cours de l’un d’eux, en 1130, qu’un pape, Innocent il, fut élu.
Pourtant Étampes était une ville laïque, peuplée de riches commerçants. Elle n’appartenait pas au clergé, mais au Roi qui la céda, en tant que fief de la couronne, à la noblesse titrée. Bien avant cela, Étampes, qui est mentionnée la première fois au VIe Siècle après J.C., était déjà un des comtés les plus convoités du centre de la France, de par sa position géographique centrale vis-à-vis de Paris, et de par la richesse de son sol. Il paraît donc naturel que cette haute noblesse ait souhaité l’élévation du Comté d’Étampes au titre de Duché; pourtant cette nouvelle dignité ne fut accordée qu’en 1532, d’une manière assez habituelle à cette époque. En effet, Étampes acquit le titre de Duché par la grâce d’Anne de Pisseleu, dont la maison avec les adorables tourelles d’angle, située Place de l’Hôtel de Ville, est toujours visible aujourd’hui. Cette femme, dont les historiens disent qu’elle était «la plus belle parmi les intelligentes et la plus intelligente parmi les belles», était la favorite de François Ier. Elle avait épousé un certain Jean de Brosse, qui était si ruiné qu’il fut heureux de recevoir en échange de sa «compréhension», un titre et les bénéfices du Duché. A cette «pionnière» succède la Reine Claude, qui demeure célèbre pour ses cultures de prunes. Ensuite, en tant que propriétaires du fief d’Étampes, on trouve encore deux favorites tout d’abord Diane de Poitiers, qui était «si belle que même un cœur de pierre, à sa vue, se sentait chavirer» (sa demeure se situait à l’emplacement de l’actuelle Caisse d’Épargne). Elle était la favorite de Henri III, fils de François ter, implacable ennemi de notre Empereur Allemand Charles-Quint jusqu’à sa mort en 1547. La seconde fut Gabrielle d’Estrée, favorite du roi Henri 1V, le plus grand et le plus aimé des rois de France, dit le «bon roi Henri». Elle en eut deux fils illégitimes, et mourut à la naissance du second. Ce dernier, le bâtard César, Duc de Vendôme, fut, après la mort de son père (tué en 1610 par Ravaillac), Duc d’Étampes. Ceci se produisit alors que Louis XIII prenait la [p.12] Couronne, et qu’il appelait le Cardinal de Richelieu comme Chef du Gouvernement, et le Maréchal de Turenne comme Commandant des Armées. Mais nous rencontrerons à nouveaux ces personnages au cours de l’histoire d’Étampes, en effet c’est sous leur gouvernement, que nous entrerons dans la dernière et la plus sanglante phase des Guerres de Religion entre catholiques et calvinistes huguenots, qui, durant un siècle, ont dévasté plus particulièrement le centre de la France.

     C’est à l’époque de ces divers campagnes, sièges, attaques, pillages et incendies, que les figures du portail de Notre-Dame furent détériorées, décapitées par les protestants huguenots, opposés à toute forme d’image, comme cela se produisait un peu partout dans l’ouest, jusqu’à Anvers et Amsterdam, et même Münster en Westphalie. L’église de Notre-Dame appartient à l’ensemble des œuvres les plus intéressantes du patrimoine architectural d’Étampes qui nous soit parvenu. Non seulement elle a été construite comme presqu’aucune église occidentale, à savoir courbée et penchée, n’ayant, par exemple, aucun arc-boutant à angle droit sans oublier que les cinq arêtes du chœur ne sont ni du même style ni de même structure, mais surtout, elle a cela d’unique qu’elle est fortifiée et c’est pour cette raison qu’elle porte le nom de Notre-Dame du Fort. A l’origine entourée de murs, elle était, avec sa couronne de créneaux et sa haute tour, un élément de la défense de la porte de Paris. Elle protégeait ainsi un flanc de la porte, alors que l’autre l’était par le bastion et le chemin de ronde du château déjà très fortifié. Par ailleurs, à ce système de fortification qui devait faire barrage sur les routes de Paris et de Chartres, s’ajoutaient les murs de la ville, dont il nous reste encore quelques vestiges. Notre-Dame était utilisée comme hôpital d’urgence et comme hospice lors des grandes épidémies de peste qui faisaient rage après chaque conquête de la ville.

     Du château si célèbre sous le nom de «Chastel d’Étampes» tel que le Duc de Berry nous en a laissé une magnifique illustration dans ses «Très Riches Heures» il ne reste que les ruines des donjons, ainsi qu’une tour bâtie sur le modèle d’un trèfle à quatre feuilles (une rareté architecturale), beaucoup plus connue sous le nom de Tour Guinette. Sur la miniature, on peut voir le château tel un vaste palais de style moyenâgeux, avec fortifications, tours et créneaux. Les murs, comme dans un château fort allemand, n’ont presque pas de fenêtres. Autour du château, on peut apercevoir des faucheurs aux champs, des baigneurs dans l’étang, des dames à cheval, et des petits chiens sautillants. Il avait dû être par la suite encore plus grandiose et il résista aux sièges et pillages. Mais les habitants d’Étampes, fatigués des malheurs incessants causés par cette place forte, eurent raison d’elle en demandant l’autorisation à Henri IV de raser les fortifications du château et surtout les murs de la ville. Jusque là, le «Chastel» du Duc de Berry, qui y résidait en tant que Comte du Fief, a toujours été le point central, la charnière en quelque sorte, de toute entreprise de guerre au sud de la capitale française et a donc joué un rôle important dans l’histoire. Par delà sa valeur militaire, il devait être aussi bien une curiosité qu’un joyau architectural de la ville. On ne peut que regretter la disparition d’un monument aussi important, car la vision que l’on a de la ville ne peut qu’en souffrir. Et même s’il reste la ruine de la tour, dont la date de construction a été estimée au milieu du 12e siècle, elle est loin de combler ce manque. La destruction définitive du château est à mettre sur le compte de ta Révolution. C’est après 1790 que la tour Guinette et les bâtiments annexes furent vendus 525 Francs à un Maître Maçon d’Étampes, pour être rasés. Les travaux de démolition ont cessé seulement au moment où la tour menaça de s’écrouler. C’est sur le toit de cette même tour que les Comtes et Ducs d’Étampes venaient se détendre au milieu d’un jardin artistique, et regarder en contrebas la Beauce et ses étendues de champs de blé. De là-haut, on versait également, en temps de guerre, de la poix bouillante ainsi que de grosses pierres prévues à cet usage sur les assaillants. [p.13]

Saint-Martin d'Etampes

[p.14]
     Cette même tour fut la toile de fond d’une tragédie qui, même encore aujourd’hui, quand on la lit, n’a en rien perdu de son atrocité. En 1193 le roi Philippe Auguste Il se mariait à Amiens avec la jeune princesse Ingeborg du Danernark (Ingeborgue comme l’appellent les Français). C’était sa deuxième femme et, dès le lendemain de la nuit de noces, il la répudia, pris d’un «inexplicable dégoût». Il rejeta celle qui venait d’être la nouvelle Reine de France, et celle avec qui il s’était marié par des Liens Sacrés. Il demanda immédiatement le divorce, ce que la princesse danoise refusa. Elle erra alors de monastère en monastère en mendiant. Pendant ce temps, le roi mena à bien la procédure de divorce, qui fut alors rejeté par le Pape. Mais le Roi ignora cette condamnation, ce qui fait que lui et tout son peuple furent excommuniés et bannis de l’Église. Le Roi, pris de colère, enferma la Reine innocente dans la tour Guinette, où elle fut maintenue affamée jusqu’en 1213. Enfin, elle put de nouveau voir la lumière du jour, et eut l’autorisation de reprendre au moins le nom de «Reine de France». Elle n’a en rien connu ce que nous appelons «le bonheur», et toute cette histoire illustre l’un des aspects les plus noirs du Moyen-Age.

     Nous finirons avec des événements plus gais, dont la tour a été le théâtre. Si l’on peut prêter foi aux dires des chroniqueurs, sa plate-forme n’aurait pas seulement abrité les jardins précités, mais aussi le «berceau de l’aviation». En juillet 1772, vingt ans avant la Grande Révolution, dans le «Mercure de France», un chanoine de l’église Sainte Croix aujourd’hui disparue, un certain Deforges, affirmait avoir trouvé un moyen pour l’homme de fendre l’air «dans un cabriolet». Avec une vitesse moyenne de 30 miles à l’heure et pouvant parcourir 300 miles par jour, ainsi qu’une autonomie de vol de 4 mois, cette gondole de l’air devait réaliser les rêves de l’humanité. Il fallait au chanoine la somme de cent milles livres or pour oser la chose. L’argent fut réuni, le chanoine construisit son appareil, et le cabriolet fut hissé — sous le regard de bon nombre de curieux — en haut de la tour Quinette, d’où il devait décoller dans son élément. Cette gondole comportait un abri contre la pluie et deux ailes mobiles, actionnées par le pilote et achevées à l’aide des plus belles et des plus grosses plumes. De plus, le pilote avait la possibilité de prendre avec lui encore quinze livres de bagages. Mais le constructeur ne semblait pas être certain de la providence, car, avant le départ, il s’était équipé d’un casque qui lui couvrait la tête et le visage, ne laissant que les yeux à découvert et d’un plastron fait de carton épais; il réalisait ainsi une anticipation prophétique des conquêtes modernes. La gondole de l’air en place au sommet de la tour, Desforges y prit place; il donna le signal, «les ailes se déplièrent et se mirent en mouvement avec une grande rapidité», et la catastrophe arriva! Pourtant, cela ne coûta au chanoine que la perte de son «Appareil Emplumé», écrasé au sol, et une entorse au coude.

     Guinette, Notre-Dame, Hôtel de Pisseleu, et Caisse d’Épargne voici les monuments les plus intéressants, d’un point de vue historique et architectural, et les plus représentatifs de la ville d’Étampes proprement dite. Il nous reste encore à porter un regard sur une église, l’église Saint-Basile, qui, même si elle n’a pas été le théâtre de grands événements, reste cependant remarquable par la diversité inhabituelle, mais pourtant heureuse, des styles employés à sa construction, commençons par centre de la façade romane massive du mur du portail et poursuivons avec la vaste apparition des formes déliées des nefs latérales de style gothique rayonnant, qui ont d’ailleurs une caractéristique rare, celle d’être coupées en deux, par manque de place, et de terminer à l’arête de la voûte.

     Et pour finir, il faut parler de la Mairie, constituée d’un ensemble de constructions de style gothique flamboyant, très riche, si répandu en France, et qui entoure les fenêtres, les [p.15] balcons et les portails d’élégantes figurines décoratives. On peut trouver d’autres exemples de ce style aussi bien à Rouen et Paris (Tour Saint-Jacques), qu’à Evreux et Louviers. La Mairie n’est pas une construction de la ville, mais un ancien palais de la noblesse acquis lorsque les Ducs accordèrent une certaine autonomie administrative à la ville. En Allemagne, les villes avaient l’habitude de considérer leur mairie comme représentative de leur fière volonté, à un tel point que c’était à grands frais, qu’elles devenaient les centres artistiques de la ville on remarque qu’en France, — et encore moins à Étampes — il en a rarement été de même.

     Ainsi nous quittons la ville d’Étampes proprement dite, pour nous rendre un peu plus loin, à Étampes-la-Vieille, l’actuel Saint-Martin; c’est là que nous trouvons le plus ancien et de loin le plus remarquable des monuments qui nous restent du passé: l’église Saint-Martin, avec sa tour penchée, qui, dans la grisaille et la monotonie de la banlieue, offre un tableau original.

     La tour en elle-même, comparée à la «matérialisation du sacré» que réalise Notre-Dame, ainsi qu’à l’équilibre majestueux et aux magnifiques proportions de la tour Saint-Basile, ne peut qu’apparaître grossière et massive dans ses proportions, guindée, pesante et de surcroît, trop lourde pour le terrain incertain. Mais cette église est celle qui a été le plus richement décorée, et ceci grâce aux innombrables prébendes et revenus de toute la vallée de la Juine. Ainsi, ceux qui, bien que déçus par son aspect extérieur, sont entrés dans cette église, se réconcilient avec elle à la vue de son intérieur. Comme peu de constructions religieuses en France, elle est le symbole le plus pur et le plus parfait du passage du roman mûr au gothique hésitant, et nous offre, du fait de ce t un espace qui, par son ampleur et sa beauté, n’est égalé dans aucune autre église d’Étampes et de ses environs.

     C’est à Saint-Martin qu’Étampes est née, bien avant que la ville ne s’étende à Saint-Pierre, Saint-Basile et Notre-Dame, puis se tourne à nouveau, avec la création de Saint-Gilles, vers son lieu d’origine, qu’elle intègre enfin, à une époque récente, dans sa croissance. Au Moyen-Age, on ne trouvait entre Étampes-la-Ville et Étampes-la-Vieille que champs et prés; un pont nous faisait franchir la Chalouette au même endroit qu’aujourd’hui (sous la piscine) et nous conduisait face à la double porte de l’enceinte de la ville. Cet endroit fut célèbre par deux fois dans l’histoire:

     — une première fois, en l’an 1610, lorsqu’un fanatique religieux, nommé Ravaillac, passa le pont sur lequel se trouvait alors la statue de l’«Ecce Homo» (actuellement au musée de la ville). Ce huguenot venait de Paris, à pied où il avait voulu tuer le roi Henri IV 
le «Bon Roi
Henri» dont nous avons déjà parlé. Ayant perdu courage, il s’était mis à errer vers le sud. La vue de la douleur de l’homme sur son socle le bouleversa tant, qu’il se sentit investi d’une mission divine, affûta sa dague, rebroussa chemin, et, de retour à Paris, assassina pour de bon le monarque, le véritable roi populaire de France;

     — une deuxième fois, lors du grand siège d’Étampes qu’entreprirent le fils d’Henri IV, Louis XIII et le Maréchal de Turenne. Ceux-ci espéraient, avec la prise de cette porte, essentielle dans la conquête de la ville, écraser la fronde des nobles qui s’y étaient réfugiés. Mais ce fut un échec. Après des semaines de combats sanglants, la tentative fut abandonnée. On relate pourtant une anecdote amusante illustrant une certaine politesse cérémonieuse qui pouvait exister malgré la brutalité des rapports entre combattants : le Roi étant arrivé au campement, on envoya un certain Monsieur de Sainte-Marie pour avertir les rebelles de la présence de Sa Majesté devant la ville, et de l’endroit où il se trouvait, afin qu’on veuille bien ne pas y tirer le canon. Mais le Comte de Tavanne, qui était à la tête des rebelles, «joua les malades», et envoya à sa place un Allemand auprès de Sainte-Marie. Les historiens disent, à propos de cette rencontre «qu’ils ne se comprirent pas». Ainsi, lorsque, peu après, un boulet [p.16] tomba à cent pas à peine derrière le Roi, quel ne fut pas l’étonnement de l’Armée qui considéra avec horreur ce crime, «un crime capital, procédé honteux» que, disait-on, même les Espagnols n’avaient osé commettre lors du siège de Perpignan, cessant le feu avec galanterie, chaque fois que le Roi Louis X venait inspecter ses troupes. [p.17]

Château

III. La Région d’Étampes et ses Châteaux


     Le paysage des vallées autour d’Étampes est riche et charmant, celui des hauteurs autour d’Étampes est dénudé et étendu. Dans les vallées, la nature a semé avec prodigalité cours d’eau, forêts au bord de l’eau, marécages emplis de roseaux, entre lesquels l’homme s’est établi dans maisons et palais, avec jardins et parcs, parterres de fleurs, haies taillées, temples de l’amitié, tonnelles et figurines. Sur les hauteurs, au contraire, règne ta dure loi de l’utilitaire, car la terre lourde et fertile de la Beauce doit donner le fruit des champs aux hommes.

     Au printemps, un vert olive chaleureux s’étend tout au long des vallées, celui des premières feuilles de peupliers et de saules, dans lequel l’or et l’argent se donnent rendez-vous par delà les hauteurs, à perte de vue, s’étend le vert lumineux de la semence d’hiver, jusqu’à un horizon qui paraît infini. En été, les vallées sont emplies par la couleur profonde de la verdure des cimes, qui s’étendent le long des cours d’eau, en allées d’arbres et petits bois aérés. On y [p.18] trouve aussi la grisaille des maisons et des églises, dont se dégagent, parmi les toits majoritairement en ardoise grise, certains recouverts de tuiles rouges , sur les hauteurs, à perte de vue, s’étend une mer infinie de blé d’un jaune mat, interrompu parfois par les cimes des arbres bordant quelque chaussée ou encore par une ferme. En automne, les champs sont nus jusqu’à l’horizon, et on ne voit que des nuages, des plaines, et, par ci, par là, quelques grosses meules de paille, un énorme tapis de chaumes blondes. Par contre, dans les vallées, l’automne fait surgir une palette de couleurs des plus belles, par une lente métamorphose: on trouve le marron profond, le vert ombré et bleuté, le rouge dans toutes ses nuances, ensuite le sépia, le gris perle, l’argent flou, pour finir avec un jaune qui, jusqu’en novembre, devient toujours plus tendre, vague et subtil, cédant finalement la place, dans le ciel d’hiver, à l’enchevêtrement de branches nues, flexibles et élancées qui, même encore sous la neige, dans une pâle lueur, évoquent le vert olive.

     D’un point de vue géographique, la région d’Étampes est constituée d’un haut plateau, à peine ondulé, qui a été creusé toujours plus profondément par un système de cours d’eau s’écoulant vers la vallée de la Juine. Ce sont ces combes, qui mesurent rarement plus de 1,5 km de largeur, et dans lesquelles les hommes ont établi leurs villages afin de ne pas empiéter sur les hauts plateaux à blé, qui donnent cet aspect mouvementé au paysage. Étampes se trouve ainsi à la limite de l’Île-de-France, du Bassin Parisien qui remonte en pente légère jusqu’à l’ancien paysage de la Beauce. Les anciens noms de régions n’existent encore que de manière officieuse, mais ne sont pas oubliés. Oui! La Nouvelle France du Maréchal veut débaptiser les départements, héritages de la Grande Révolution (Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Eure-et- Loir, Loiret), et réinstaurer les noms des districts historiques des anciens Duchés et fiefs de la Couronne. D’un point de vue historique, Étampes se trouve à cheval sur trois régions:
     — les contreforts de la Beauce, grenier à grains de la France, qui va jusqu’à Chartres et Dreux;
     — le sud du Hurepoix, qui s’étire d’est en ouest au-dessous de la capitale;
     — le nord du Gâtinais, qui s’étend à peu près entre Châteaudun, Pithiviers et Montargis, limité au sud par l’Orléanais.

     De par leur emplacement vis-à-vis de la capitale, leur beauté naturelle et la clémence de leur climat, les vallées autour d’Étampes sont devenues, dès les temps les plus reculés, une région riche en châteaux. Et, même si beaucoup de ces châteaux ont disparu, par destruction, par délabrement, par vente ou revers de fortune, suivi de négligence, il nous reste quand même d’innombrables constructions représentant le style des «châteaux ruraux» très développé en France. On prendra pour exemple les plus prestigieux: Méréville, Chamarande, Morigny à la sortie nord d’Étampes, Farcheville dans la commune de Bouville sur la route de Fontainebleau, le château du Mesnil à Bouray, et le somptueux Courances dans le canton de Milly. Même une construction aussi peu célèbre que Jeurres (ou Jeurse) sur la départementale reliant Brunehaut à Étréchy, est tout à fait charmante, le charme s’épanouissant, comme partout, dans la réserve, dans la légèreté, et dans une retraite idyllique. Oui, en quelque sorte, Jeurres représente le type même du manoir français: caché derrière des murs, dissimulé par des arbres, invisible de la route en été. En hiver seulement, on aperçoit sa façade blanche et la noblesse sans faste, l’équilibre magnifique de ses proportions , alors se révèle à nos yeux un monoptère surélevé de quelques marches, comme jaillissant du sol. Petit temple circulaire à coupole entouré d’une rangée de colonnes, sans fonction plus précise que ce que le passant aperçoit en second lieu, à travers les grilles d’entrée, au bout d’une allée bordée de statues, et qui pourrait être une grotte, ou bien peut-être un petit théâtre de verdure d’époque Rococo, ou peut-être une fantaisie architecturale, ou peut-être encore rien du tout, une construction sans aucun sens précis, mais ayant pour seul mérite d’exister... [p.19]

     Choisissons quelques-uns de ces châteaux, et plus particulièrement ceux qui ont, ou ont eu, un rapport étroit avec la Wehrmacht. Il y a Brunehaut, propriété voisine de Jeurres, avec sa petite maison de g dissimulée par les arbres, et son immense parc, s’ouvrant sur la chaussée. Nous pouvons voir aussi la Maison Gravelles, dans la commune d’Auvers-Saint-Georges, à la limite est d’Étréchy. C’est une réalisation de la fin du XVIIIe siècle, noble et charmante, avec un bâtiment de taille moyenne, dont s’élancent deux ailes, le tout se reflétant dans l’eau d’un canal détourné de la Juine.

     Il y a Chamarande, œuvre intime du célèbre Mansard, construite en briques et en grès du pays, entouré d’un vaste parc dessiné, dans ses grandes lignes, par le plus grand architecte- paysagiste de France, Le Nôtre. Comme une étoile, des ruelles «visuelles» s’étendent à travers les forêts et la vallée de la Juine convergeant vers l’imposante et gracieuse bâtisse qui révèle aussi un intérieur ravissant. Chamarande fut élevé au rang de Comté en 1685, pour Gilbert d’Omaison de Chamarande, Conseiller Royal et Gouvemeur de Pfalzbourg et Saarbourg, son gendre fit construire le château actuel qui, au siècle dernier, devint la propriété du Duc de Persigny, un ministre de Napoléon III. Au Moyen Age, le village avait appartenu à un certain Jean Cocatrix, dont la petite auberge de la rue derrière Étréchy, porte le nom.

     Et enfin, il y a Méréville, au sud d’Étampes, au bord de la Juine, où, à l’époque gallo-romaine, passait la Voie Romaine, allant de Lutèce (Paris) à Genabrum (Gien), par Brunehaut et Saclas. A Brunehaut, on trouve des pièces de monnaie de l’Empire et des statuettes, à Saclas, on retrouve les antiques pavés, foulés par les légions. Méréville possédait elle-même un château fort à bastions au XIe siècle, mais qui fut détruit plusieurs fois. Les parties les plus anciennes de l’actuelle construction datent du XVe siècle. Au milieu du XVIIe siècle, il s’agissait d’un Comté, à la fin du XVIIe siècle, d’un Marquisat. Le célèbre financier de Louis XVI, Jean-Joseph de Laborde, l’acheta en 1784 et y construisit une somptueuse résidence. C’est de cette époque que datent les ailes, mais aussi, pour la somme astronomique de 16 millions de Francs-Or, l’intégralité de l’incroyable autant que magnifique décoration intérieure, ainsi que la transformation du parc, réaménagé de grottes, fontaines, maisons de plaisance, colonnes, monuments, et innombrables statues. On ne peut plus aujourd’hui se faire une véritable idée de ce qu’a pu être l’une des plus belles créations de l’Ancien Régime, car la Révolution passa par là, le Marquis fut guillotiné. Aujourd’hui le plus beau est détruit et le parc est à l’abandon. Certes, comme nous l’avons vu, il nous reste quelques échantillons, tels le temple rond, d’après un modèle de Tivoli, et le théâtre de verdure, rescapés à Jeurres, mais ils ne représentent qu’une proportion infime d’un patrimoine d’une valeur inestimable, disparu et irremplaçable. Du château, tout — les peintures, les gobelins, les parquets, les meubles et les objets de valeur — a disparu , les magnifiques cheminées ont été arrachées, les tapisseries et boiseries rococo du cabinet d’agrément ont été démontées.

     Les soldats allemands qui chantent en chœur de belles chansons de leur pays a capella entre ces murs et leur orchestre qui joue de la musique de Haendel, Bach et Mozart, emplissant le château et le parc de musique, semblent rendre un hommage chevaleresque au Marquis de Laborde. C’est le symbole que, même en temps de guerre, Art et Nature ont leur droit et leurs voix. [p.20]

 
Lavoirs
[p.21]
IV. La Chronique de guerre d’Étampes

     D’un point de vue militaire, Étampes n’est pas du tout une ville si à part. Une des grandes routes stratégiques, allant du nord au sud, la traverse. Entre Paris et la Loire, elle est au centre de la France. On lui attribua donc une place particulière. Il y a eu, autour de Paris et de la Loire, beaucoup de conflits et Étampes a été dérangée dans sa tranquillité de ville de province par chacune de ces guerres. Les armées françaises et étrangères la traversaient, quand les hommes, les pièces d’artillerie, les convois se dirigeaient vers les lieux de combat ou alors, pendant les retraites effrénées face aux ennemis à leurs trousses. A chaque fois, elles établissaient leurs quartiers dans la ville, puisant allègrement dans ses biens ainsi que dans ceux de la région, au détriment et au mécontentement des braves habitants, qui se cachaient effrayés, ou qui étaient entraînés dans le chaos d’une défaite.

     Les habitants d’Étampes avaient déjà fait connaissance, par le passé, avec les Allemands. Certains cavaliers allemands avaient servi dans l’Armée Royale, ou chez les huguenots. On leur avait attribué le nom moitié français, moitié allemand, de Reîtres (3) et c’est avec un respect, où se mêlent crainte et admiration, que les historiens contemporains les citent dans leurs ouvrages.

     La première occupation de grande envergure connue par Étampes n’est pas l’œuvre d’Allemands, mais de Russes. Elle eut lieu le 31 mars 1814, quand environ 1 000 Tartares, Cosaques et Bachkirs l’investirent, et établirent deux grands camps, l’un près des ruines du château, l’autre sur le Faubourg Saint-Pierre, situé à l’est en direction de Fontainebleau. Ils avaient suivi les Prussiens et Autrichiens qui, à l’époque, occupaient Paris de concert avec les troupes du Tzar, pour obliger Napoléon 1er à abdiquer. Pendant que le Corse, «battu» et abandonné par ses fidèles, se trouvait au château de Fontainebleau, devant renoncer à ses plans de conquête du monde, et que le pas des vainqueurs raisonnait sur la route de Paris, les Étampois avaient l’occasion d’admirer les hordes et peuples asiatiques qui, deux ans auparavant, avaient brisé l’invincibilité de l’Aigle Impérial, dans le désert hivernal des steppes russes. Ils devaient avoir un air étrange, car un historien les décrit comme étant «sans visage humain», ayant «une barbe de six pouces» leurs couvrant toute la face, et, pour vêtements, des «fourrures d’ours et de mouton noir».

     Les farouches russes ne restèrent pas longtemps, et Étampes retrouva son paisible isolement provincial. Mais, en 1870, elle fut à nouveau dérangée, par les Prussiens cette fois ceux-ci avaient battu définitivement l’armée de Napoléon III, le 2 septembre, à Sedan, et l’avaient même fait prisonnier. Ils continuèrent leur progression jusqu’à Paris, qu’ils encerclèrent par un «anneau de fer», en l’isolant du reste du pays. Pourtant, la France ne capitula [p.22] point, et, bien au contraire, une résistance s’organisa, rayonnant depuis le nord, le sud et l’ouest. La Loire devint une zone de concentration de résistants français et c’est pour cela que le Commandant de l’armée allemande décida une percée vers le sud, sous le commandement du Général von der Tann.

     Le 17 septembre, le trafic entre Paris et Étampes était déjà interrompu. Au même moment, les premières troupes d’avant-garde de l’armée de von der Tann apparaissaient à Étréchy, pour arriver ensuite devant la ville. Sous l’influence de leur maire, les Étampois, sans vraiment se rendre compte de leur situation, pensèrent pouvoir résister. Mais, lorsque les Gardes Mobiles de la ville partirent en direction d’Orléans, la résistance n’eut plus lieu d’être Étampes dut se résigner à l’occupation allemande. Ce fut un détachement de hussards prussiens qui arriva le premier; le jour suivant, un bataillon de Bavarois apparut; ils confisquèrent immédiatement toutes les armes de chaque maison. Au cours des semaines suivantes, les Étampois firent connaissance avec toute la diversité de l’Armée Allemande. Depuis les Cuirassiers et les Hussards à Tête de Mort jusqu’aux braves Bavarois-Barbus de la réserve de l’Armée Territoriale, des contingents de tous types y passèrent. Le 9 octobre, défila même un corps complet de 10 000 hommes, 120 pièces d’artillerie et du matériel du Génie pour la construction de ponts. La ville ne subit pas vraiment les feux des batailles, mais les opérations menées à Toury et Artenay, sur la route d’Étampes à Orléans, ont déréglèrent considérablement la vie des habitants et paysans de toute la région. Sur les hauteurs alentour, les Allemands installèrent des postes de couverture, et des pièces d’artillerie y furent disposées. Étampes était devenue un centre de ravitaillement et des réquisitions eurent lieu. Le bétail de la région y fut rassemblé et un jour on a pu compter jusqu’à 500 vaches et 1000 bœufs. Toute la viande et tout le fromage étaient achetés pour les troupes, tandis que tous les œufs et les bons vins étaient réquisitionnés pour l’État-major de deux princes, transférés le 7 octobre à Étampes, dont le Prince Albert de Saxe, comme le constate un historien avec un regret manifeste. Les boulangers étaient particulièrement débordés, et avaient du mal à satisfaire les besoins en pain de la population. Le sel devint une denrée rare pendant plusieurs mois.

     La population se comportait en général paisiblement envers les troupes d’occupation et, lorsque ce n’était pas le cas, des représailles sévères et énergiques étaient exercées. Ainsi, le 16 octobre, quand les fils télégraphiques furent sectionnés aux environs d’Étampes, la ville fut condamnée à une amende de 40.000 francs et le maire, ainsi que six conseillers furent pris comme otages. Ils furent tous transférés à Orléans, où le Général von der Tann abaissa l’amende à 20.000 francs.

     Bientôt commença l’hiver rigoureux de 1870/71. La région de la Loire fut le théâtre des batailles victorieuses allemandes, au cours desquelles des milliers de prisonniers furent faits; le 8 décembre, 45.000 d’entre eux traversèrent la ville, abattus et sommairement vêtus. 6.000 restèrent à Étampes, installés dans des églises et des greniers. La population leur sacrifia tout ce qui lui restait.

     Pendant les derniers mois de guerre, Étampes ne fut militairement occupée que par un petit détachement, sous commandement local, et gérée par une administration civile. Un Monsieur von Brauchitsch de Prusse est cité comme Préfet régional, assisté par le sous-préfet von Freilitsch de Bavière.

     Le 16 février 1871, l’occupation d’Étampes prit fin. Le dernier contingent à quitter Étampes venait de Poméranie. Pourtant, après cela, la paix ne s’installa pas pour autant. L’insurrection éclata à Paris. Les liaisons ferroviaires furent interrompues. D’Étampes, on ne pouvait aller que jusqu’à Brétigny; cela dura jusqu’en juin. Deux ans après, tous ces [p.23] événements étaient oubliés les Étampois festoyaient grandiosement, avec défilé de toutes les confréries, arcs de triomphe et guirlandes dans toutes les rues.

     Lors de la Guerre Mondiale de 1914/18, Étampes était loin du danger. Alors que dans le nord de la France, on luttait avec acharnement dans chaque tranchée, ici, on moissonnait dans les champs, comme si de rien n’était. La seule note étrangère dans ce tableau habituel vint des prisonniers de guerre allemands placés au travail des champs ou des jardins. Force était de constater que l’image de l’Allemand, telle que la présentait l’horrible propagande, n’était qu’une caricature mensongère, car ils étaient durs à la tâche et dignes de confiance.

     La ville subit sa plus lourde épreuve lorsque, inévitablement, après le quart de siècle de paix trompeuse découlant d’un traité imposé, la lutte des peuples européens reprit avec une force déchaînée. Personne ne s’y attendait dans tout le pays, trop confortablement assis sur ses lauriers et aveugle. On se sentait si en sécurité, derrière le bloc de béton de la ligne Maginot on avait cru sans conditions en une clique de politiciens aveuglés, sans se rendre compte qu’ils jouaient sans scrupules avec le feu. Mais soudain, le rêve se brisa. Les Allemands arrivaient. Paris commença à être sous pression, puis s’affola et entraîna tout le pays dans sa folie d’une ampleur insensée et inimaginable. Les jours noirs de juin 40 métamorphosèrent la ville calme d’Étampes en «chaudron à sorcières» de passions et de peurs car Étampes fut une des premières villes à subir le choc du flot nord-sud des masses de fuyards. Ce fut dans les premiers jours de juin que passèrent les agriculteurs avec chevaux et bétail, chariots et biens, fuyant les champs de bataille du nord de la France, puis, le chaos devint gigantesque avec les fuyards parisiens et avec l’apparition des troupes françaises battant en retraite. Les routes et places d’Étampes se transformèrent en cantonnement militaire , les automobiles et véhicules roulaient sur trois ou quatre files à travers la ville. La chaleur, la faim et la soif harcelaient les fugitifs, et il n’y eut bientôt plus une goutte d’essence. Alors, les voitures restèrent sur place et embouteillèrent les voies d’accès. Les pillards se mirent à leur sale travail. La peur des parachutistes fit s’épanouir les comportements les plus bizarres. On raconte qu’une infirmière française ne réussit à se laver de soupçons absurdes qu’en prouvant de façon indubitable son appartenance au sexe féminin.

     Mais le 14 juin vit arriver les événements les plus tragiques. La France n’avait pas encore renoncé à toute résistance. Les «politiciens séducteurs», réfugiés dans le sud, s’accrochaient à l’espoir d’un miracle qui aurait pu les débarrasser de la responsabilité de leurs errements coupables. Étampes devait expier pour cette hérésie criminelle: elle était située sur la voie stratégique de ta destruction. Les voies de chemin de fer partant vers le sud passaient juste à coté et tout près se trouvait Mondésir, l’aéroport militaire de l’Armée Française. C’était plus qu’il n’en faut pour qu’Étampes devienne la cible des bombardiers allemands. Le 3 juin déjà, ils s’étaient activés sur Mondésir. Bilan: 10 morts. Dans la nuit du 7 au 8 juin, cinq familles étampoises se trouvaient sans toit, suite à un bombardement. Au matin du 14 juin, toute l’horreur de la guerre s’abattit sur la ville envahie par les fugitifs. Le quartier de la gare et celui du village Saint-Pierre furent particulièrement durement touchés. On n’a jamais pu établir avec exactitude le nombre de victimes, mais un chroniqueur local l’a estimé à 400. Elles sont tombées à cause de ta politique de folie d’un système qui, ayant perdu tout appui et étant dépourvu de tout sens des responsabilités, avait scellé sa perte.

     Les premières troupes allemandes arrivèrent le 15 juin et ne trouvèrent plus aucune résistance. Juste quelques coups de feu furent tirés d’un train en partance. Le train mis en joue, les occupants se rendirent après avoir perdu, par leur stupidité, six des leurs. L’ordre régnait de nouveau dans la ville. Les Étampois qui étaient restés nous aidèrent à attraper les pillards et à ramener le calme dans la ville. Parmi ceux qui ont coopéré d’une manière efficace et qui se sont mis à la disposition des Allemands, il faut citer l’actuel maire, Monsieur Lejeune. [p.24]

     On se rendit vite compte que, comme le souligne un historien, les Allemands n’étaient pas des «barbares», contrairement à ce que la propagande sans scrupules avait voulu faire croire durant cette guerre aussi.

     Pour qu’il ne manque pas la touche comique à la tragédie, nous avons découvert dans un camion abandonné, bien emballées, les reliques précieuses d’une époque glorieuse: la coiffe du «Grand Corse», son sabre de parade et ses médailles. On les avait sortis du Musée des Invalides pour les mettre en sécurité. Le chauffeur du véhicule avait faussé compagnie à un bien précieux chargement! Et pour qu’il ne manque pas la satire à la tragi-comédie: nous avons découvert un jour dans une maison étampoise le testament du Comte Starhemberg, émigré de Vienne, qui, en tant qu’officier de l’Armée de l’Air Française, ne cherchait en France, d’après ses papiers, ni la célébrité, ni les honneurs, mais plutôt simplement à poursuivre ses intrigues politiques viennoises à partir d’Étampes.

     Après qu’Étampes eut été désignée comme base de l’État-major de l’Air, l’ordre reprit sa place en ce lieu. Après deux ans et demi d’occupation, l’image que donne la ville témoigne de ce que l’esprit et la discipline militaire, l’organisation du travail et de l’administration militaire sont capables de réaliser. Lorsque nous recevrons l’ordre de quitter la ville, nous lui laisserons en héritage des baraquements propres et agréables, des foyers de soldats accommodés, le cinéma réaménagé, les routes rénovées. Nous avons laissé entrer, dans beaucoup de vieilles maisons, de l’air frais et de l’hygiène.

     Nous devrons aussi laisser, et nous laisserons, comme souvenir une impression de droiture et de rigueur: déterminée dans la décision et imperturbable face aux difficultés de la vie quotidienne en commun. C’est à cela que chacun de nous doit se tenir à chaque instant. Et c’est par ces lignes que nous pourrons clore cette chronique de guerre d’Étampes, de manière définitive et satisfaisante, car c’est grâce à ces résolutions, que malgré une logique de guerre poussant deux peuples à s’opposer, ils réussirent à se connaître et à s’estimer l’un et l’autre.

NOTES DU TRADUCTEUR

     (1) Equivalent du Guide Michelin français pour l’Allemagne, de Karl Baedecker (1801-1859), libraire de son état, qui fut l’auteur du premier guide de ce genre. [Nous avons mis en ligne l’édition de 1902 de ce guide (B.G.)]

     (2) Référence à «La Pucelle d’Orléans», pièce de théâtre écrite par F. Schiller en 1802. [On me pardonnera peut-être ici une petite anecdote qui n’est pas tout à fait hors-sujet parce qu
elle illustre bien quels étaient alors les véritables héritiers spirituels du poète et dramaturge Friedrich von Schiller (1759-1805): le grand-père alsacien de ma compagne, Bernard Greiner, maire de Guémar, conservait alors dans sa bibliothèque personnelle des lettres originales de ce poète; elles ont brûlé avec sa maison, que Allemands incendièrent lors de leur retraite, parce qu’ils le soupçonnaient avec juste raison d’être un patriote (B.G.)]

     (3) Allemand francisé, venant de «Reiter», qui veut dire cavalier.

Sources: exemplaire de cette traduction appartenant à la collection Fernand Minier, saisie de BG, 2005. © Tous droits réservés
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
 
Éditions

     Hauptmann (capitaine) Dr Hans MALBERG, Unteroffizier (sergent) Wolf von NIEBELSCHÜTZ [auteurs], Unteroffizier (sergent) Gustav ROHRBACH & Obergefreiter
(caporal-chef) Franz BLEYER [illustrateurs], Stabsquartier Etampes. Ein Erimmerungsbuch [in-8° (21 cm sur 15,2); 32 p; couverture illustrée; 7 gravures; un poème de chacun des deux auteurs; préface du général Weissmann; présentation historique et touristique de la ville; récit de linvasion], Étampes, Quartier Général Allemand [imprimé à Paris par R. Séguin], noël 1942 [conservé à la BNF; en exemplaire de cet ouvrage a été vendu sur le site eBay en mai 2005 pour la somme de 13€ seulement].

     
Christian BROUZENG-LACOUSTILLE [trad. et éd.], Stabsquartier Etampes. Ein Erinnerungsbuch - État-Major Allemand d’Étampes. Un livre de souvenir [21 cm sur 29; cahier de 24 folios; fac-similés de la page de garde, de la signature de Weissmann et des 7 gravures], sans lieu ni date [d’après un exemplaire d’origine non déterminée conservé par M. Fernand Minier].

     Christian BROUZENG-LACOUSTILLE [trad. et éd.]«Hans Malberg & Wolf V. Niebelschütz: État-Major Allemand d’Étampes. Livre-souvenir (noël 1942, in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-1942stabsquartieretampes.html, 2005.

     René COLLARD, De l’Invasion à la Libération. Étampes au cours des journées tragiques de 1940 et 1944 [13,5 cm sur 21; 63 p.; 111 petites photographies assez mal reproduites; couverture illustrée], Corbeil, Drevet, sans date (vers 1945) [non conservé à la BNF; conservé aux AME].
Le Comte Starhemberg
Sur le comte Starhemberg
(fasciste autrichien qui sopposa à l’annexion de son pays par l’Allemagne)

     ANONYME, 
«Ernst Rüdiger von Starhemberg» [notice biographique en anglais], in Wikipedia, the free encyclopedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Ernst_Rudiger_von_Starhemberg, en ligne en 2005.
     Ce personnage pittoresque, après avoir dû s’exiler de son pays annexé par le chancellier Hitler, a servi dans les forces aériennes françaises libres, puis est passé en Argentine en 1942, où il est mort en 1956. Quelqu’un aurait-il des données sur son séjour à Étampes?

  
Toute critique, toute correction ou toute information seront les bienvenues.
  
Explicit
 
 
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