CORPUS ARTISTIQUE ETAMPOIS
 
Bernard Gineste
Rien de nouveau sur le Tympan de Saint-Basile d’Étampes (2010)
recension d’un papier récent de M. Yves Christe (2009)
 
Portail de Saint-BAsile d'Etampes: la Résurrection finale
Tympan préroman de Saint-Basile d’Étampes (Xe ou XIe siècle)
 
     M. Yves Christe vient de faire paraître dans le Bulletin monumental une publication relative au tympan de Saint-Basile assez décevante, puisqu’elle n’apporte rien de nouveau qui soit bien convaincant. A certains égards, par ailleurs, cette contribution est clairement de nature à déconsidérer son honnêteté scientifique. Sur le fond cependant elle marque un tournant, puisque l’auteur reconnaît la solidité de l’interprétation que j’ai proposé de donner en 2004 aux zones les plus lisibles de ce tympan, à savoir le centre et la partie gauche.
Bernard Gineste, 29 mars 2010
     Remarque (2012): Cette page est désormais dépassée. Pour connaître les dernières avancées de la recherche, consultez l’article suivant: Bernard GINESTE, «Les jugements derniers jumeaux de Saint-Basile d’Étampes et de Sainte-Croix d’Orléans», in Art Sacré. 29. L’Architecte, les Anges et les Vieillards, Orléans, Rencontre avec le Patrimoine Religieux, 2011, pp. 56-73 [30 illustrations].
B. G., décembre 2012.
     
Bernard Gineste
Une nouvelle publication relative au Tympan de Saint-Basile d’Étampes
Sur une recension de M. Yves Christe
Bulletin monumental 167 (2009), pp. 75-76.



    L’usage du monde scientifique, en cas de découverte notable, est de citer l’auteur de cette découverte et la publication princeps par laquelle il l’a fait connaître. Yves Christe ne fait ni l’un ni l’autre: il ne cite qu’une publication secondaire, publiée dans la même revue trois ans plus tard, qui a pour seul mérite de l’avoir été par une de ses bonnes amies, Madame Thierry.

     Ce qui est particulièrement odieux autant que ridicule dans ce procédé, c’est que l’auteur ne retient comme solide dans les interprétations de Mme Thierry que celles qu’elle avait repris quasiment mot pour mot de mon précédent article. Il tait les autres par amitié, sauf une à laquelle il adresse des reproches assez proches de ceux que je lui avais moi-même adressés.

     Si donc nous citons cette recension bien déplaisante, et qui n’apporte sur le fond rien de nouveau à la question, c’est pour trois raisons.

     1) L’essentiel des interprétations que j’ai proposé de donner aux scènes qui sont au centre et à la gauche du tympan sont désormais présentées par Yves Christe comme des plus solides. C’est pour moi un sujet de fierté, je l’avoue sans honte.
     Ces interprétations nouvelles et il faut bien dire révolutionnaires, proposées en 2003, sont donc désormais du domaine public, même celles que j’avais avancées avec la plus grande prudence:
     — A droite de la Pesée des âmes, la mer et la terre recrachent leurs morts (a): scènes absolument nouvelles et aujourd’hui isolées dans la statuaire du Moyen Age occidental.
     — A gauche, on a un scénario inspiré d’assez près du chapitre 20 de l’Apocalypse.
     
La bête à sept (b) têtes regurgite bien des corps nus (c).
     — Plus à gauche, l’hypothèse de l’Antéchrist devant Hadès est présentée comme vraisemblable (d).
      Tout cela, qui est absolument nouveau, et qui avait été republié sans vergogne par madame Thierry comme étant le fruit de ses propres recherches, est présenté à nouveau comme tel avec un aplomb qui passe l’entendement.

     2) L’auteur accepte même (e) la vue nouvelle que j’avais développée (notamment au sujet du jugement dernier de Torcello) selon laquelle bien des scènes de châtiments infernaux étranges représentées dans les jugements derniers médiévaux pourraient bien trouver  leur origine ultime dans des scènes de régurgitations mal comprises et réinterprétées par la tradition iconographique.
     (a) L’auteur cependant suggère qu’il pourrait s’agir, concernant les ondes dont émergent les ressucités, de boudins superposés symbolisant la terre.
     
     (b) L’auteur ne tranche pas clairement sur ce nombre et rapporte comme une simple opinion de Mme Thierry le nombre de quatre.

     (c) L’auteur n’en cite bizarrement qu’un, sans parler de celui qui se relève à gauche, ni des quatre autres en train d’être recrachés par la Bête.

     (d) Yves Christe propose d’imaginer qu’Hadès serait dans une sorte de latrine en train d’excréter un damné. A-t-il bien regardé la scène? L’a-t-il comparée avec son étroit parallèle du Beatus de Saint-Sever? On est en droit de s’interroger.

     (e) Sans me citer, naturellement.

     3) Enfin, qui se ressemble s’assemble: comme son amie, M. Yves Christe ne cite de mes recherches que  les erreurs qu’il  s’est efforcé d’y trouver, à l’image du serpent qui mord la main qui l’a nourri.

     Mais voyons ce qu’il me reproche. C’est une page web à laquelle il donne un nom ridicule et inexact, accompagné d’un (sic) qui voudrait signaler mon erreur et ne signale que la sienne (f).

     Cette page propose une interprétation nouvelle d’une fresque du XIe siècle située à Civate.

     Yves Christe allègue, sans développer davantage, que cette interprétation nouvelle de la fresque ne prend pas en compte l’inscription qui l’accompagne. Il vient pourtant d’écrire lui-même qu’on ne peut pas s’appuyer, dans le cas de la fresque disparue de Saint-Benoît-sur-Loire, sur l’interprétation qu’en avait composée son propre commanditaire, à savoir l’abbé Gauzlin (g). Voilà une curieuse incohérence méthodologique.
     (f) Il prête à cette page le titre étrange, sinon grotesque de “L’Antéchrist manipulé par le Dragon”, ce qui n’a guère de sens, alors que le titre en est “L’Antéchrist manipulé par le Démon”, comme tout le monde peut le constater depuis plusieurs années.

     (g) En effet Gauzlin n’avait pas lu les dernières publications de M. Yves Christe, et par suite n’était pas en état de comprendre ce qu’il avait fait peindre sur le mur de sa propre église. On est assez proche de certaines considérations de Mme Thierry qui sait mieux que l’auteur de la gravure de 1660 ce qu’il aurait dû graver du tympan d’Orléans.
Civate      J’ai proposé de reconnaître à Civate, dans le personnage qui est tendu vers la Bête à sept têtes, et qui la regarde en posture d’orant, l’Antéchrist, et dans la personne qui le tient, un chrétien dévoyé lui-même adorateur de la Bête.

     M. Christe croit de son côté qu’il s’agit d’une sage-femme anonyme et d
e lEnfant poursuivi par le Dragon avant d’être ravi au ciel (Apocalypse XII, 5), ciel où on le voit représenté très clairement dans la scène supérieure.

     Cependant l’interprétation du texte de l’Apocalypse que fait Christe ne s’applique pas aussi facilement à la fresque qu’on pourrait le croire, qui lui résiste bien au contraire. En effet, dans le texte source, ce n’est pas la Bête à sept têtes qui cherche à dévorer l’Enfant, mais le Dragon. Quant à la bataille entre les anges et le dit Dragon, représentée à droite  de la fresque, elle ne prend place qu’après l’ascension de l’Enfant (Apocalypse XII, 7). Enfin la Bête à sept têtes, précisément représentée sur la fresque, n’apparaît qu’au chapitre XIII, où on nous dit qu’une des sept têtes blessée à mort reprend vie et qu’on l
adore (XIII, 1-4). Or précisément notre personnage, qui nest pas un enfant, est tourné en position d’orant vers une bête à sept têtes, et précisément vers la seule de ses têtes qui soit blessée, transpercée qu’elle est de trois lances. En fait, de ce point de vue, l’interprétation traditionnelle de la fresque de Civate défendue par Christe est beaucoup moins solide que celle que je propose. Elle suppose arbitrairement d’importantes distorsions entre la fresque et son texte source, alors que la mienne les réconcilie avec un grand luxe de détails.

     A mon sens, comme je l’ai déjà écrit ailleurs, l’enfant du registre supérieur représente l’âme du bon chrétien enfantée par la sainte Église de Dieu; et l’autre celle du chrétien qui s’est laissé séduire à nouveau par les tentations de ce monde, devenant par là soi-même antichrist, au sens mystique où l’entendait saint Augustin.

     En fait l’artiste a représenté ici l’ensemble des chapitres XII et XIII, de telle manière qu’on a en haut l’ascension de l’Enfant, en bas à droite la bataille entre les anges et le Dragon, et à gauche enfin l’apparition de la Bête à sept têtes, traitée comme une émanation du Dragon.


     Peut-être ai-je tort. Et je le reconnaîtrai bien volontiers et sans difficulté dès qu’on aura répondu à ces difficultés, et aussi à ces trois autres questions, qu’il ne suffit pas, je pense, de traiter par le mépris.

Civate      Selon Christe, ce jeune homme serait le même personnage que le bébé de gauche, l’homme qui le tient serait une sage-femme, et l’artiste aurait confondu par mégarde le Dragon avec la Bête aux sept têtes.
Manche
     L’artiste savait peindre des plis sur l’épaule, il ne le sait plus sur la manche, car, selon M. Christe, nos deux vav ne sont ici que des plis.

     

     1) Dans quelle autre représentation de cet épisode céleste a-t-on jamais vu un artiste de ce temps introduire de son propre chef un personnage aussi trivial qu’une sage-femme, dont le rôle serait d’ailleurs ici particulièrement obscur (h)?

     2) Pourquoi ce prétendu enfant est-il si différent de celui qui est introduit auprès de Dieu? Pourquoi a-t-il le visage et le corps d’un jeune adulte (i), quand l’autre a les traits d’un bébé bien sympathique et bien joufflu?

     3) Enfin et surtout, pourquoi ce supposé enfant sans auréole est-il tourné en posture d’orant vers la Bête qui est censée le poursuivre, et pourquoi est-il tourné précisément vers la seule des têtes de cette bête qui soit frappée à mort?

     Voilà bien des questions auxquelles M. Christe ne paraît en mesure de répondre, et qu’il lui semble plus commode de traiter par le mépris et la dérision, du haut d’une chaire qu’il se devrait d’honorer par plus de courtoisie et de probité.
     (h) On a imaginé que c’était une sage-femme pour expliquer sa présence auprès du lit où accouche la Femme, et parce que ce personnage paraît bien brandir le prétendu Enfant (pourtant visiblement plus âgé que l’Enfant ensuite transporté auprès de Dieu). Yves Christe sent bien qu’il lui faut préciser le rôle de ce personnage tel qu’il est représenté. Il nous dit donc qu’elle est en train d’arracher ce prétendu Enfant au Dragon d’Apocalypse XII  (que l’artiste a confondu par mégarde avec la Bête à la tête blessée d’Apocalypse XIII). Admettons. Notre personnage donc l’arrache au monstre. Saluons le courage de ce sauveteur anonyme dont les mérites ont été injustement méconnus par l’auteur de l’Apocalypse, mais remarquons aussi qu’on a perdu en route toute raison de l’identifier à une sage-femme. Et pourquoi pas plutôt un bûcheron, comme dans le cas du Petit Chaperon Rouge?

     (i) C’est un jeune homme qui a l’âge de toutes les tentations.
 
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

     Bernard GINESTE, «Le Jugement dernier de l’église Saint-Basile d’Étampes», in Jacques GÉLIS (professeur émérite d’histoire à Paris-Sorbonne) [dir.], Peintres d’Étampes, Étampes, Association Étampes-Histoire [«Les Cahiers d’Étampes-Histoire» 6], 2004, pp. 54-66 [18 illustrations].

     Nicole THIERRY, «Le Jugement dernier du portail de l’église Saint-Basile d’Étampes», in Jacques GÉLIS [dir.], Être maire à Étampes, etc., Étampes, Association Étampes-Histoire [«Les Cahiers d’Étampes-Histoire» 8], 2007, pp. 61-76 [18 photographies et schémas].

 
     Bernard GINESTE, «Une nouvelle étude sur le Tympan de Saint-Basile d’Étampes (recension d’un article récent de Mme Nicole Thierry)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-21-gineste2007recension01.html, mars 2007.

     Bernard GINESTE, «Maître de Saint-Basile: L’Antéchrist manipulé par le Démon (sculpture étampoise du Xe ou XIe siècle)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-10-stbasile04antechrist.html, avril 2007.

     François JOUSSET, «Histoire de...» [page de fond sans complaisance, sur la vanité notamment de cette controverse, quand les énergies devraient se concentrer entre autres, sur le sauvetage de ces sculptures], in Stampae, http://www.stampae.org/, 2007.
  
     Yves CHRISTE,
in Bulletin monumental 167 (2009), pp. 75-76.

     Bernard GINESTE, «Rien de nouveau sur le tympan de Saint-Basile d’Étampes (sur une publication d’Yves Christe)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-21-gineste2010recension02.html, mars 2010.

     Bernard GINESTE, «Les jugements derniers jumeaux de Saint-Basile d'Étampes et de Sainte-Croix d'Orléans», in Art Sacré. 29. L'Architecte, les Anges et les Vieillards [21 cm sur 30; 232 p.], Orléans, Rencontre avec le Patrimoine Religieux [«Cahier» 29], 2011, pp. 56-73 [30 illustrations].


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