CORPUS LITTÉRAIRE ÉTAMPOIS
 
 
Gédéon Tallemant des Réaux
Madame Lévesque et madame Compain
vers 1659
 
   
Tallemant des Réaux

     Gédéon Tallemant des Réaux nous raconte ici les aventures sentimentales de certains de ses contemporains qui n’étaient ni rois ni princes, ni libertins ni dévots: ils vivaient leurs vies, tout simplement; l’une de ces intrigues eut sa conclusion à l’auberge étampoise des Trois-Maures, rue des Cordeliers.
                      
Gédéon Tallemant des Réaux
Madame Lévesque et madame Compain
vers 1659



Tallemant des Réaux      Gédéon Tallemant des Réaux (1619-1692), comme historien, n’a pas toujours eu bonne presse, et on lui a reproché tantôt de colporter des ragots infondés, tantôt de ne voir l’histoire que par le petit bout de la lorgnette. Et pourtant toutes les études qui ont été faites de son œuvre en confirment l’exactitude autant que la probité.

     De plus, il nous donne du Grand Siècle une image moins idéalisée et hiératique que celle qu’en voudraient donner tant de ses contemporains.
Il y s’agit simplement de gens qui vivent leur vie, en proie à leurs appétits et à leurs passions, en marge de la grande histoire, comme des grandes tendances idéologiques: car nous ne voyons pas que ces gens soient spécialement des libertins, non plus que d’intransigeants dévots. On pèche, par un effet de la fragilité humaine, puis on va se confesser, entre deux écarts. Quant au clergé lui-même, il est en proie aux même passions, et aux mêmes accès de remords, comme tel abbé qui fait faire ses excuses à l’un de rivaux, une fois qu’il est entré en religion, pour avoir soudoyé des voyoux qui devaient l’asperger d’acide.

      Nous avons déjà mis en ligne le portrait par Tallemant de la reine Margot, duchesse d’Étampes de 1582 à 1598. Voici maintenant une anecdote dont l’un des épisodes, quelque peu scabreux (cliquez ici), se déroula à l’auberge étampoise des Trois Maures, en 1625 ou peu après.
     
     Nous donnons par ailleurs une page sur cette même auberge des Trois-Maures.


MADAME LÉVESQUE  ET MADAME COMPAIN

     Un procureur au Châtelet, nommé Turpin, avoit une des plus belles filles de Paris. Elle étoit blonde et blanche, de la plus jolie taille du monde, et pouvoit avoir environ quinze ans. Un jeune avocat, nommé Patru (1) (c’est celui qui est aujourd’hui de l’Académie, et qui a fait de si belles choses en prose), la vit à la procession du grand Jubilé de 1625 (2). Sa beauté le surprit, et il ne fut pas le seul, car toute la procession s’arrêtoit pour la regarder. Le monsieur étoit beau si la demoiselle [p.279] étoit belle, et on pouvoit dire que c’étoit un aussi beau couple qu’on en pût trouver. Quoiqu’elle lui semblât admirable, et qu’il en fût touché, il ne voulut point l’aller voir; car, quoiqu’il fût extrêmement jeune, il voyoit bien déjà que c’étoit une sottise que de se jouer à des filles. Aux Carmes (3), car ils étoient tous deux de ce quartier-là, il la rencontra à la messe; il en fut ébloui, et il dit qu’en sa vie il n’a rien vu de si beau. Elle le salua le plus gracieusement du monde. Il se contentoit de passer quelquefois devant sa porte, où elle se tenoit assez souvent; s’il la regardoit d’un œil amoureux, elle ne le regardoit pas d’un œil indifférent. Comme il souhaitoit avec passion qu’elle fût mariée, un avocat au Parlement, nommé Lévesque, l’épousa quelque temps après. C’étoit un petit homme mal fait et d’ailleurs assez ridicule. Voilà notre galant bien aise: il se met à aller au Châtelet (4), parce que le mari avoit pris cette route à cause de son beau-père; le prétexte fut qu’un jeune homme doit commencer par là. Il se place bien loin de Lévesque, et fut assez longtemps sans le rechercher: il y fut bientôt en quelque réputation; et un matin, s’étant trouvé avec quelques avocats, parmi lesquels étoit Lévesque, on proposa de faire une débauche pour voir ce que ce nouveau-venu d’Italie sauroit faire: Patru ne faisoit que d’en revenir. Lévesque dit qu’il vouloit que ce fût le jour même, et chez lui. Ils y furent; on fit carrousse (1) jusqu’à onze heures du soir: la femme y fut toujours présente, et ne quitta pas d’un moment la compagnie. [p.280]
     (1) Olivier Patru (1604-1681), avocat admis à l’Académie Française le 3 septembre 1640.


     (2)
Décrétée année jubilaire par Urbain VIII, l’année 1625 voyait aussi la réunion de la grande assemblée décennale du clergé de France. Le Légat du Pape Francesco Barberini  fit son entrée solennelle à Paris le 21 mai 1625. (B.G.)


     (3) Les Carmes se trouvaient rue Cassette, tout près du Palais du Luxembourg. (B.G.)








     (4) Le Châtelet était le siège du Tribunal de police de Paris.
(B.G.)







     (1) Carrouse, bonne chère qu’on fait en buvant et en se réjouissant. (Dict. De Trévoux.) (note de Montmerqué)
     Notre amoureux étoit ravi d’avoir eu entrée chez la belle; toutefois il n’osoit y aller sans quelque semblable occasion, car cette femme étoit entourée de cent sots, la plupart des adolescents d’avocats qui dirent bien des sottises dès qu’ils virent que Patru y avoit accès; car il leur faisoit ombrage. Cependant on lui rapportoit qu’elle disoit mille biens de lui. Enfin il la rencontra tête pour tête sous le Cloître des Mathurins (5), et il fut obligé de lui dire qu’il n’avoit osé prendre encore la hardiesse de l’aller voir en son particulier; elle voir en son particulier; elle, l’interrompant, lui dit «qu’il pouvoit venir quand il voudroit. Il y fut donc, et plus d’une fois; mais les petits avocats mirent bientôt l’alarme au camp: le mari témoigna qu’il n’y trouvoit pas plaisir; elle en avertit Patru, car il avoit fait bien du progrès en peu de temps. Lui, pour faire une contre-batterie (6), se met à rendre bien des devoirs à la mère qui logeoit porte à porte. Cette mère, aussi étourdie qu’une autre, prit ce garçon, prit ce garçon en telle amitié, qu’elle ne juroit que par lui. Cependant les jaloux firent tant de bruit que le père se réveilla, et fit comprendre à sa femme qu’elle n’étoit qu’une bête. Notre galant a encore avis de cette infortune: il se résout à rechercher le mari, qu’il avoit fui tant qu’il avoit pu, parce que c’étoit un fort impertinent petit homme. Lévesque se piquoit de lettres, et savoit la réputation de notre avocat : il se laisse bientôt prendre, et à tel point, qu’il en étoit incommode, car il ne pouvoit plus vivre sans Patru. Lui, pour s’en décharger un peu et avoir un peu plus de liberté en ses amourettes, pria d’Ablancour, son meilleur ami, d’avoir la charité d’entretenir quelquefois cet impertinent. Ils lièrent une société; [p.281] ils mangeoient trois fois la semaine ensemble, tantôt chez d’Ablancour, tantôt chez quelque traiteur. Il arriva en ce temps-là que l’abbé Le Normand, ce fripon qui a fait quelque temps des catéchismes au bout du Pont-Neuf, et qui depuis a fait l’espion du cardinal Mazarin (7), étant parent de la belle, la prétendoit b…..; mais il le vouloit faire d’autorité; elle se moqua de lui. Enragé de cela contre Patru, il y mena un jeune abbé qu’on appeloit l’abbé de La Terrière, qui s’éprit aussitôt: celui-là n’y réussit pas mieux que lui. Tous deux, pour savoir la vérité de l’affaire, s’avisent de gagner un des prêtres qui, certains jours de la semaine sainte, sous l’orgue des Quinze-Vingts (8), donnent l’absolution des cas réservés à l’évêque. Le galant avoit accoutumé de se confesser. Ce prêtre gagné s’y trouva seul. L’avocat se confesse à lui de coucher avec une femme mariée; et après cela le prêtre dit assez haut: «Je m’en vais, je n’ai plus que faire ici; j’ai su ce que je voulois savoir.» A quelque temps de là, je ne sais quel traîneur d’épée le vint trouver; Patru l’avoit vu plusieurs fois aux Carmes: «Monsieur, lui dit-il, «un tel abbé s’est adressé à moi pour vous faire jeter une bouteille d’eau-forte (9) et vous faire donner quelques balafres sur le visage; mais je n’ai garde de le faire. Comme vous voyez, je vous en avertis; ne faites semblant de rien, laissez-nous le plumer: il a encore quelque argent de reste de son bénéfice qu’il a vendu à l’abbé Le Normand.» Ce jeune abbé se fit Minime ensuite (10), et fit faire des excuses à Patru.

     Cet abbé Le Normand étoit le fils d’un maître des requêtes et petit-fils d’un commissaire du Châtelet. Lévesque étoit tout fier qu’un fils de maître des requêtes [p.282] fût parent de sa femme. Enfin il vit bien que ce n’étoit qu’un impertinent.

     Bois-Robert (11) appelle l’abbé Le Normand Dom Scélérat.
     (5) Le couvent des Mathurins (c’est-à-dre de l’ordre de la sainte Trinité et Rédemption des Captifs) se trouvait à Paris rue Saint-Jacques. (B.G.)

     (6) Au sens propre, qui est militaire,  il s’agit selon Littré une “batterie destinée à la protection d’une batterie de brèche”, et au sens figuré, de “ce qu’on fait pour rompre des menées hostiles”. (“Faire une contre-batterie pour déjouer une intrigue”).

     (7) Jules Mazarin  (1602-1661), d’abord au service du Pape et nonce à Paris de 1634 à 1636, naturalisé français en 1639, passe en 1640 au service de Richelieu à qui il succède comme Principal Ministre de l’État de 1642 à sa mort survenue en 1662. On voit par cette parenthèse que notre récit d’evénements survenus en 1625 ou peu après, est au moins postérieur à 1642.


     (8) Dans l’église Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, face à l’hôpital du même nom.

     (9) Autrement lui jeter au visage, pour le défigurer, une bouteille d’acide nitrique, produit extrêmement corrosif utilisé par les graveurs.
      Le même procédé est signalé en 1639 par les Mémoires de Bassonpierre (éd. Michaud et Poujalat, 1837, p.361): «Il arriva eu ce même mois une chose fort extraordinaire, qui est que madame la duchesse de Chaulnes étant allée aux Carmélites de Saint-Denis, dans un carrosse à six chevaux, le mardi saint, ayant avec elle trois femmes et un gentilhomme et deux laquais et ses cochers, fut à son retour attaquée par cinq cavaliers, portant cinq fausses barbes, qui firent arrêter son carrosse, tuèrent un des laquais qui se vouloit écrier, et un d’eux lui vint jeter une bouteille pleine d’eau-forte au visage. Elle, qui vit venir le coup, mit son manchon, qu’elle avoit en ses mains, devant son visage, qui fut cause qu’elle ne fut poi
nt offensée, et s’écriant qu’elle étoit perdue, ces cavaliers le crurent, et se retirèrent vers cinq autres hommes à cheval qui les attendoient; et on n’a su depuis qui a fait ou fait faire cette méchanceté.» (B.G.)

     (10) L’ordre religieux des Minimes, créé en 1493 par Saint François de Paule, ajoute aux trois vœux franciscains celui du jeûne perpétuel. (B.G.)

     (11) François Le Métel de Boisrobert (1592-1662), poète et dramaturge français, de l’Académie Française. Il doit s’agir d’un personnage de l’une de ses pièces, qui aura été interprété, selon le goût du temps, comme un personnage à clé.
(B.G.)
     Madame Lévesque et Patru furent assez long-temps sans traverses, jusqu’à ce qu’un jour qu’ils étoient ensemble dans la chambre de la belle, le mari passe pour aller dans un cabinet, sans faire semblant de les voir; le galant dit à la belle: «On nous l’a débauché tout-à-fait; il y a long-temps que je prévois qu’il faudra rompre avec lui pour le faire revenir, car il me recherchera sans doute; je m’en vais: dites-lui que je suis parti très-mal satisfait, et que je ne veux plus rentrer céans; il ne manquera pas de dire que c’est ce qu’il demande, mais ne vous en épouvantez point.» Cela arrive comme il l’avoit dit: Lévesque venoit de boire avec des jeunes gens qui lui avoient brouillé la cervelle. Au bout de quelques jours Patru trouve Lévesque aux Carmes, et lui tourne le dos tout franc. L’autre, qui avoit mis de l’eau dans son vin, en fut un peu surpris, et dit le jour même à sa femme: «Vraiment M . Patru est tout de bon en colère; il m’a aujourd’hui tourné le dos aux Carmes. — Je vous avois bien dit, répondit-elle, qu’il partit de céans très-mal satisfait.» Ce ressentiment que Patru avoit témoigné fit l’effet qu’il espéroit; voilà Lévesque à courir après lui. Comme ils étoient sur le point de renouer, Lévesque meurt en fort peu de jours; et il étoit si bien revenu qu’il dit en mourant à sa femme qu’elle se fiât à lui en toutes choses, et qu’il n’avoit qu’un seul regret, c’est de n’avoir pas renoué avec lui. I1 déclara aussi qu’il lui devoit quelque argent, dont Patru [p.283] n’avoit pas de promesse, qu’il ne savoit pas au juste combien il y avoit, mais qu’on s’en rapportât à ce que Patru diroit. La veuve envoya quelques jours après demander au galant combien son mari lui pouvoit devoir. Il lui manda qu’elle se moquoit, et qu’il ne lui étoit rien dû. Elle lui écrivit que cela étoit venu à la connoissance de son père, et qu’il falloit absolument le dire, et qu’elle le prioit de lui envoyer un exploit: il répondit qu’il s’en garderoit bien, et que, puisqu’il falloit nécessairement qu’elle payât, il y avoit tant; qu’elle en fit comme elle le trouveroit à propos; mais qu’il ne pouvoit se résoudre à lui envoyer un exploit, quoiqu’il sût bien que sans cela elle ne pouvoit payer sûrement, Le père, voyant cela, envoya l’argent, et fit faire un exploit à sa fantaisie. Cette mort ruina toutes leurs amours: Patru ne trouvoit pas plus de sûreté à une veuve qu’à une fille. Elle le pressoit de la venir voir: lui s’en excusa un temps, sur la bienséance qui ne permettoit pas qu’il retournât si promptement chez la veuve d’un homme avec qui tout le monde savoit qu’il étoit mal. Après, il lui parla franchement, et lui dit «qu’il ne pouvoit pas la voir sans lui faire tort; car s’il l’épousoit, il la mettoit mal à son aise, et s’il ne l’épousoit pas, il la perdoit en l’empêchant de se remarier.» La voilà au désespoir. Elle crut que si elle se lassoit cajoler par d’autres elle le feroit revenir; elle alloit à l’église avec une foule de petits galants.

     Il m’a avoué que cela lui brûloit les yeux, et qu’il n’a de sa vie si mal passé son temps que de voir qu’une des plus [p.284] belles personnes du monde, et dont il étoit aussi amoureux qu’on pouvoit être, le souhaitoit si ardemment, et de ne pouvoir jouir d’un si grand bonheur. Il en eut la fièvre: sa raison fut pourtant la maîtresse, et il ne vit jamais depuis madame Lévesque chez elle. La belle, qui s’étoit laissé approcher par tant de galants, s’accoutuma insensiblement à cette coquetterie, et on ne sait si Chandenier, depuis capitaine des gardes-du-corps, le feu président de Mesmes  (12) et le président Tambonneau (13), ne succédèrent point à Patru pour quelques nuits; car, durant qu’il la voyoit, ces gens-là et bien d’autres n’y firent que de l’eau toute claire, et elle lui faisoit confidence de tout ce qu’ils lui faisoient dire et de tout ce qu’ils lui faisoient offrir. La Barre, payeur des rentes, garçon de plaisir et riche, mais fort écervelé et assez matériel, s’en éprit et n’en eut rien qu’avec une promesse de mariage; il y eut même un contrat de mariage ensuite et un acte de célébration. Durant six mois et davantage, la mère de La Barre la traita comme sa belle-fille, et si Pucelle eût plaidé comme il faut, elle auroit gagné sa cause; mais il ne dit point cette particularité, on ne sait pourquoi. Si Patru eût osé plaider pour elle, la chose eût été autrement. La cause fut appointée, et il fut dit qu’il l’épouseroit, ou lui donneroit cinq mille écus pour elle, et vingt mille livres pour le fils qu’elle avoit eu. Ce procès fut quatre ou cinq ans à juger.








     (12) Il s’agit sans doute de Henri de Mesme (1575-1650), sire de Roissy, marquis de Mongneville et Everly, conseiller du Parlement en 1608 et son Président à partir de 1627, plutôt que de son frère et successeur Jean-Antoine (1598-1673), conseiller en 1621, maître des requêtes en 1627, conseillier d’État en 1643 et président à mortier de 1651 à 1672. (B.G.)

     (13) Jean Tambonneau, président de la Cour des Comptes de 1634 à sa mort en 1684. (B.G.)


.
     Avant madame Lévesque, La Barre avoit été amoureux de la Dalesseau, fameuse courtisane, et l’avoit entretenue; cette femme avoit été à un quart d’écu: jusqu’à trente ans elle ne fut point estimée. M. de [p.285] Retz (14), le bonhomme, s’étant mis à l’entretenir, elle devint aussitôt fameuse. Saint-Prueil (15) l’eut ensuite, et puis La Barre, qui y dépensoit mille livres par mois. Le comte d’Harcourt (16) couchoit avec elle par-dessus le marché; mais quand La Barre venoit, il falloit gagner le grenier au foin, car il n’avoit point d’argent à donner. Une fois il passa toute la nuit sur des fagots. Elle fut toujours entretenue jusqu’à ce qu’elle quittât le métier; alors, car elle avoit amassé du bien, elle vivoit en honnête femme , et il y alloit beaucoup de gens de qualité qui vivoient fort civilement avec elle. Le petit Guenault m’a dit qu’en une grande maladie qu’elle eut, comme elle se porta mieux, et qu’il lui eut demandé comment elle se trouvoit: «Hé! dit-elle, le crucifix s’éloigne peu à peu.» Patru, qui a vu de ses lettres, dit qu’elle écrit fort raisonnablement. Enfin un conseiller mal aisé, conseiller à la cour des Aides, nommé Le Roux, l’épousa. Je trouve qu’elle fit une sottise: depuis, je n’ai pas ouï parler d’elle.
     (14) Il s’agit sans doute d’Henri de Gondi, duc de Retz (1590-1659). (B.G.)

     (15) François de Jussac d’Ambleville (1599-1641), seigneur de Saint-Prueil, maréchal-de-camp, gouverneur d’Arras, que Richelieu fit décapiter. (B.G.)

     (16) Henri de Lorraine, dit Cadet la Perle (1601-1666), comte d’Harcourt, d’Armagnac, de Brionne et vicomte de Marsan, fils cadet de Charles Ier de Guise-Lorraine, duc d’Elbeuf.
(B.G.)


    Cependant La Barre devint amoureux de la femme d’un nommé Compain de Tours, petit partisan (17), qui étoit venue à Paris avec son mari; c’étoit une jolie personne, coquette, rieuse, gaie, qui contrefaisoit tout le monde, et qui concluoit assez facilement, pourvu qu’on payât bien. La Barre et elle ne purent pourtant mettre l’aventure à fin à Paris, car le mari ne la quittoit point: mais ils s’avisèrent d’une assez plaisante invention. Compain part de Paris avec sa femme; La Barre les laisse aller. Trois ou quatre heures après il prend la poste avec un nommé La Salle, son barbier: ils descendent aux Trois-Mores à [p.286] Etampes (18), où la belle étoit logée. Elle, qui avoit le mot, se coucha dès qu’elle fut arrivée, feignant de se trouver mal. La Barre ne se laisse point voir au mari, et la va trouver, tandis que Compain soupoit à table d’hôte. Apres souper La Salle l’engage au jeu, de sorte que le galant eut tout le loisir de faire ce pourquoi il étoit venu. Le lendemain il demande à La Salle s’il n’avoit point d’argent: La Salle lui donne sept ou huit pistoles qu’il va vite porter à la servante de la dame. Quand elle fut partie, et qu’il fallut payer leur couchée, La Barre dit à La Salle que la Compain ne lui avoit pas laissé un sou. «Vraiment, dit le barbier, si je n’avois eu l’esprit de garder deux ou trois pistoles, nous en tiendrions. — J’eusse laissé mon épée, répond La Barre; et puis les officiers d’ici me connoissent apparemment (19).» Ils retournèrent à Paris. Depuis, La Barre continua, à envoyer des présents à la Compain; mais elle ne lui fut pas trop fidèle. Il eut avis qu’un conseiller de Tours (20), nommé Milon, étoit le beau, et qu’ils se réjouissoient tous deux à ses dépens: il en voulut savoir la vérité. Pour cela, il envoie son valet-de-chambre, qui fit si bien qu’il gagna la servante de la donzelle, et eut des lettres du conseiller à elle. Cette intelligence fut découverte, et le conseiller présenta requête, disant que cet homme étoit venu pour l’assassiner. Il avoit fait une information sous main, et, ayant eu permission d’informer, il fit arrêter cet homme et le fit fouiller: ainsi ses lettres furent recouvrées. La Barre, confirmé dans son soupçon, en fut si irrité qu’il jura de se venger. En ce noble dessein il achète quatre estocades (21) de même longueur, et s’en va à Tours avec [p.287] un brave, nommé Vieuville, qui lui devoit servir de second. Il fit faire un appel au conseiller, qui se moqua de lui, et ne se voulut jamais battre. J’ai oublié que la Compain se décria si fort à Paris qu’on en fit un vaudeville que voici:
Je suis la belle Tourangelle
Qui viens me montrer à la cour.
Qui sait acheter mon amour
Ne me trouva jamais cruelle;
Et l’on m’appelle la Compain,
Car mon... est mon gagne-pain (22).
     (17) Selon le Dictionnaire de Furetière de 1690, le mot partisan peut alors désigner un “financier, un homme qui fait des traités et des partis avec le Roi, qui prend ses revenus à ferme, le recouvrement des impôts...” (B.G.)



     (18) Étampes (Essonne), l’une des étapes obligée sur la route de Paris à Tours, est pleine d’auberges. L’enseigne des Trois-Maures, alors très fréquente, est portée à Étampes par un établissement situé rue des Cordeliers, qui disparaîtra en 1648, racheté par les Religieuses de la Congrégation qui voulaient agrandir leur propre établissement. (B.G.)






     (19) Manifestement. (B.G.)

     (20) Il doit s’agir d’un membre du tribunal de cette ville, comme le donne à entendre la suite. (B.G.)







     (21) Ce terme d’escrime qui désigne au départ un grand coup de pointe, est parfois pris alors tout simplement au sens d’épée, comme dans cette lettre de la Fontaine, du 12 septembre 1663: Vénus a le casque en tête et une longue estocade. Il s’agit ici d’armer de manière équitable les deux duellistes et chacun de leurs seconds. (B.G.)



     (22) Mon con. Mot censuré par les dictionnaires classiques et encore par le Littré et le Robert, en réalité très ancien et très vivace, du latin cunnus, “sexe de la femme”(B.G.)
    Elle étoit plaisante. Une fois à Paris, je ne sais quel godelureau lui donna une sérénade. Le lendemain elle lui dit: «Monsieur, en vous remerciant; vos violons ont réveillé mon mari, et il m’a croquée.»

     L’affaire de la Lévesque fut jugée ensuite comme je l’ai dit, et La Barre se retira à l’hôtel de Chevreuse, fort embarrassé, car il ne la vouloit pas épouser, et après toutes les dépenses qu’il avoit faites, il lui étoit impossible de payer une si grosse somme sans se ruiner. Comme il étoit en cette peine, un secrétaire du Roi, nommé Bois-Triquet, qui avoit été autrefois petit commis chez son père, lui vint offrir sa fille; elle étoit assez jolie, et son bien au compte du père étoit assez considérable. La Barre l’épousa; mais, par la suite, on a trouvé qu’ils s’étoient trompés tous deux; car la Lévesque a eu bien de la peine à être payée pour ses quinze mille livres et pour les vingt mille livres applicables à l’enfant. Il obtint arrêt par lequel il fut dit que ce petit garçon seroit mis entre ses mains, attendu la mauvaise vie de la mère. Elle s’étoit fort décriée
(23) depuis [p.288] qu’elle eut perdu son procès. Durant tout ce tripotage, elle se remaria à un avocat du Châtelet, nommé Taupinard, qui, au lieu de se mettre bien avec les procureurs, s’amusa à faire le plaidoyer de la cause grasse pour les clercs (24) sur le mariage d’un procureur du Châtelet, qui avoit été contraint de prendre la vache et le veau (25). On sut que c’étoit lui, et au carnaval suivant les procureurs, pour se venger, firent faire le plaidoyer sur l’affaire de la Lévesque; mais on le sut, et le lieutenant civil, s’y trouvant un peu piqué, y mit si bon ordre que la cause ne fut point plaidée: même il y eut quelques clercs qui furent mis en prison. La pauvre femme, pour se dépayser, fit résoudre son mari à aller demeurer à Chinon, et à y acheter une charge d’avocat du Roi, qu’on leur avoit dit être à vendre. En ce dessein, ils vendent tous leurs meubles; mais deux mois avant qu’ils y arrivassent, tout le monde à Chinon, qui est le pays de Rabelais (26), étoit informé de leur vie. Ils y furent joués et ne trouvèrent point de charge à vendre, et ils se virent contraints de demeurer à Orléans quelque temps pour avoir le loisir de se rétablir à Paris.
    (23) Se décrier: S’attirer le décri, se discréditer. (B.G.)

    (24) Selon le Dictionnaire de l’Académie française (8e édition), la cause grasse était  une “cause que les clercs du Palais choisissaient ou inventaient pour plaider entre eux, aux jours gras (comprenez: au Carnaval), et dont le sujet était plaisant.” (B.G.)

    (25) L’expression est alors traditionnelle pour parler de quelqu’un qui épouse une femme enceinte d’un autre homme. (B.G.)




    (26) Il semble qu’il faille entendre: pays où on ne recule pas devant la grivoiserie, comme l’auteur de Pantagruel et de Gargantua.

             
Source: texte de l’édition de Monmerqué, saisi en mode texte par Bernard Gineste, 2008.
 
       
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
 
Éditions


     Gédéon TALLEMANT DES RÉAUX (1619-1692), «Madame Lévesque et Madame Compain», in Louis Jean Nicolas MONMERQUÉ (membre de l’Institut, 1780-1860), Hippolyte de CHÂTEAUGIRON (1774-1848) & Jules-Antoine TASCHEREAU (1801-1874) [éd.], Les Historiettes de Tallemant des Réaux. Mémoires pour servir à l’histoire du XVIIe siècle, publiés sur le manuscrit inédit et autographe, avec des éclaircissements et des notes. Tome troisième [21 cm; 6 volumes], Paris, Alphonse Levavasseur, 1834-1835, tome troisième (1834, 455 p.) [dont une édition numérique en mode image par la BNF sur son site Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31570c, en ligne en 2008], pp. 278-288.

     Bernard GINESTE [éd.], «Gédéon Tallemand des Réaux: Madame Lévesque et madame Compain (vers 1659)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-tallemant1659compain.html, 2008.

Sur Tallemand des Réaux dans le Corpus Étampois

     Bernard GINESTE [éd.], «Gédéon Tallemant des Réaux: La reine Marguerite (vers 1659)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-tallemant1659marguerite.html, 2005.

Sur l’auberge des Trois Maures

     Bernard GINESTE [éd.], «L’auberge étampoise des Trois-Maures (XVIe et XVIIe siècles)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cee-troismaures.html, 2008.
 
 
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