CORPUS ARTISTIQUE ÉTAMPOIS
 
Élias Robert (?)
La nymphe Louette
Vers 1860
    
La Nymphe Louette (attribuée à Elias Robert, 12 rue Louis-Moreau) La Nymphe Louette (attribuée à Elias Robert, 12 rue Louis-Moreau)
 
     Le merveilleux répertoire que vient de faire paraître le Père Gatineau, Étampes en lieux et places (janvier 2003), signale en plein centre ville, 12 rue Louis-Moreau, une étonnante statue tout à fait méconnue, qu’il propose d’attribuer au sculpteur étampois Élias Robert (1819-1874), ce qui est fort vraisemblable, sans être absolument certain.
 
  
L’esprit d’Étampes incarné par une statue

La Nymphe Louette (attribuée à Elias Robert, 12 rue Louis-Moreau)
      Il est extrêmement rare qu’une divinité féminine porte le caducée. De qui s’agit-il? Comme cette jeune fille est accompagnée du fameux Chien pêcheur d’écrevisses, et que la niche qui l’abrite est surmontée dune coquille décorée d’écrevisses, le doute n’est pas permis: c’est la Nymphe Louette, chantée au siècle précédent par le poète Charles-Hémard de Danjouan dans son fameux poème bilingue, Canis Piscator, ou Chien Pêcheur (1714). Le caducée du commerce qu’elle brandit symbolise sans aucune doute la prospérité que donnaient à la ville les très nombreux moulins actionnés par cette petite rivière qui traverse Étampes.

Gravure d'Emile Bayard (1868)      Qui a réalisé cette sculpture étonnante? Personne ne semble le savoir à l’heure qu’il est, et nous espérons que quelque internaute saura nous renseigner: un document surgira bien un jour ou l’autre qui puisse lui attribuer enfin une date et un auteur certain.

     La Louette a subi apparemment plusieurs accidents au travers des décennies, et une épaisse couche de peinture cache mal de légers rafistolages çà et là.

     En commentaire à cette œuvre énigmatique et isolée, qui devrait être chère à tous les Étampois comme une incarnation de leur patrimoine culturel le plus spécifique, nous renvoyons d’une part à la gravure sur bois qu’inspirée le même poème au célèbre Émile Bayard (l’illustrateur officiel de Victor Hugo). Nous y ajoutons ce que l’historien local Léon Marquis a écrit sur la Louette en 1881, puis les extraits du Chien pêcheur qui sont les plus nécessaires à la compréhension du symbolisme de cette statue originale, toute étampoise dans son inspiration.

B.G., mars 2004

Léon Marquis
LA LOUETTE
[Les rues d’Étampes, 1881, pp. 231-232] 
    
 
     La Louette. — La Louette, en latin Loa, n’a qu’un cours de 8 kilomètres. Elle prend sa source à Obterre, près de la tour de Cenive, commune de Saint-Hilaire, arrose les communes de Châlo-Saint-Mard et Étampes, et se jette dans la Chalouette aux Portereaux, dans les anciennes fortifications de la ville d’Étampes, au bout de la rue du Filoir.
     Comme la Chalouette, la source de la Louette était autrefois un peu plus haut, à un kilomètre environ de sa source actuelle, du côté de Boutervilliers.
     D’après les érudits, la Louette et la Chalouette ne formaient d’abord qu’une seule rivière et se réunissaient au-dessous du moulin de La Ferté, commune de Châlo-Saint-Mard.
     Sur les bords de cette rivière, de la voie ferrée à Valnay, on trouve des fossiles végétaux provenant de dépôts calcaires des eaux sur les roseaux des anciens marais. Appelé ostéocole par Guettard, ce fossile est composé de tuyaux cylindriques et prismatiques, généralement verticaux, pressés les uns contre les autres, formant une couche compacte qui arrête le développement des racines des [p.232] arbres, lesquels finissent par dépérir lorsqu’ils arrivent à une certaine grosseur.
     Lorsqu’on détourna le lit de cette rivière, en 1840, on trouva beaucoup de bois pétrifié vers le pont de Chaufour.
     La Louette subit une crue extraordinaire le 2 février 1753, par suite de la fonte des neiges. Cette crue dura de neuf heures du matin à neuf heures du soir, et l’eau monta à 5 ou 6 pieds de haut. Les moulins situés sur la Louette furent endommagés [Guettard, Mém. de l’Académie des Sciences de 1754, p. 257.].
     Cette rivière a été fortement détournée de son cours en 1842, depuis le moulin à tan jusqu’à celui de Chaufour, pour faire passer le chemin de fer d’Orléans, car la rencontre ayant lieu suivant un angles très-aigu, on dut faire en cet endroit des travaux d’art considérables. Des personnes dignes de foi nous ont assuré qu’en faisant le grand remblai, plusieurs chevaux ont été enterrés vivants par suite d’un éboulement.
     Depuis que la rivière artificielle existe, c’est-à-dire depuis neuf siècles, on en fait tous les trois ans le curage dans son parcours à travers la ville, et on en profite pour réparer les moulins et les murs des riverains. On lève à cet effet les trois vannes des Portereaux, en sorte que les eaux de la Louette et de la Chalouette se précipitent en quelques instants dans la rivière des Prés, pour aller ensuite au Port dans celle d’Étampes, à l’endroit où elle est grossie du Juineteau. La dernière opération de cette nature se fit du 9 au 19 mai 1880.
     Quand la rivière est mise à clos, — c’est ainsi qu’on appelle cet antique usage, — les habitants peuvent prendre à la main les poissons surpris dans la vase. C’est ce qu’un poète étampois, Hémard de Danjouan, a immortalisé dans le passage suivant de son charmant poème Le Chien pêcheur:
                        Trois hyvers écoulés, on lève la barrière,
                        Qui dans un lit forcé captive la rivière.
                        Le fleuve impétueux s’échappe en un moment,
                        Et laisse les poissons hors de leur élément
       
LE CHIEN AUX ECREVISSES,
ET LA NYMPHE LOUETTE
[Le Chien Pêcheur, 1714] 
 
    Hygie étampoise attribuée à Elias Robert (12 rue Louis-Moreau)

     Nous donnons ici quelques extraits du Chien Pêcheur, composé en 1714 par Claude-Charles Hémard de Danjouan, et dont s’inspire très évidemment l’artiste, probablement Elias Robert. 



Dans ce charmant vallon où Loëte et sa soeur  (=Louette et Chalouette) 
Unissent deux ruisseaux d’inégale grosseur,     
S’élève un bâtiment d’architecture antique,     
De tout temps habité par l’Ordre Séraphique.      (=les Cordeliers)
5
Un verger le couronne et des arbres épais     
Y donnent à qui veut le couvert et le frais.     
Par mille autres endroits ce séjour est aimable,     
Mais un Barbet surtout le rend considérable.     
Issu d’illustre race, il porte dans ses yeux
10
Le beau feu qu’y jetta le sang de ses ayeux.    
Des flots de ses longs poils l’élégante frisure    
Imite du lion la vaste chevelure.


La nature, il est vrai, par une heureuse erreur,    
Le revêtit d’un corps bien moindre que son cœur.


[...]  
C’étoit ce jour heureux où la Nymphe captive,     
Pour quelque temps retourne à son aimable rive,
45
Rive qu’elle forma, qu’elle chérit toujours,    
Où malgré tous nos vœux l’entraîneroit son cours,    
Si de nos citoyens l’audacieuse ligue    
N’opposoit à ses flots une puissante digue. 
Après combien d’efforts! que de rudes combats!
50
Mortels, de ce succès de vous élevez pas.    
Vous sentirez le poids de toute sa vengeance:     
Elle entrera chez vous malgré sa répugnance;    
Mais si vous profitez du fruit de son séjour,     
Vous ne pourrez jamais mériter son amour.
55
Le don qu’elle vous fait vous déclare la guerre.    
L’Écrevice est terrible et sur l’onde et sur terre;    
Quoique cet ennemi recule quelquefois,    
Ne vous y fiez pas, prenez garde à vos doigts.    
Il n’est en tout son air rien qui ne vous menace;
60
Il a le casque en tête, il porte la cuirasse,     
Et comme Gérion, par six bras défendu,    
Il perce jusqu’au sang le pêcheur éperdu.    
On voit l’onde rougir, et la Nymphe outragée    
S’applaudit en secret d’être si bien vengée.


Astacus astacus Linnaei    
 
65
Elle boit à longs traits la sanglante liqueur,    
Et pour comble de rage en nourrit le vainqueur.   
Pour lui, par un bienfait à nul autre semblable,    
Comme un nouvel Achille, il est invulnérable.    
Ainsi lors quelquefois, dans ses affreux combats,  
70
Que pour sauver le corps il abandonne un bras,    
Un autre bras succède et bientôt le remplace.    
De là cette valeur, de là vient cette audace    
Qui lui fait prodiguer ces membres étonnants,    
Mille fois emportés, mille fois renaissants.
75
Bien plus, son corps entier souvent se renouvelle,    
Il quitte son écaille, en prend une plus belle,    
Et tel que le Phénix, reproduit tout nouveau,    
Dans son sépulchre même il trouve son berceau.   
Tel étoit le présent de la Nymphe hautaine,
80
Si l’on en profitoit, ce n’étoit pas sans peine.    
Et la peine toujours surpassoit le profit.    
L’Hydre trouva l’Hercule enfin qui le défit.    
Trois hyvers écoulés, on lève la barrière,    
Qui dans un lit forcé captive la rivière.
85
Le fleuve impétueux s’échappe en un moment,    
Et laisse les poissons hors de leur élément.    
Comme un autre Tantale on y voit sur les rives    
L’Écrevice cherchant les ondes fugitives.    
Alors chacun s’empresse à prendre part au gain,
90
Et les poissons, ce jour, se pêchent à la main.    
Tous profitent du temps, il n’est pas jusqu’au Frère    
Qui, les bras retroussés, en tunique légère,    
Ne cherche l’Écrevice en ses antres profonds.    
Barbet le suit aussi, Barbet fait mille bonds;
95
Et sans crainte foulant le bourbeux marécage,    
Va flairant dans les trous qui sont sous le rivage,    
L’Écrevice aussi-tôt le prend pour un appas,    
Et de sa double serre entr’ouvrant le compas    
Par ses crins le saisit; un autre vient ensuite.
100
Le Barbet vers son maître à l’instant prend la fuite.    
[...]
115
Lorsque dans son canal la Nymphe est revenue,    
Toujours avec succès la pêche continue.    
On le voit enhardi, méprisant le danger,    
Se jetter dans les eaux, sous les flots se plonger.    
[...]


L’ennemi le croit mort, saisit son appanage.    
Le Barbet ressuscite et revient à la nage.    
Tel qu’on voit quelquefois du milieu d’un buisson
130
Le dos armé de traits sortir un hérisson,    
Tel on voit le Barbet reparoître avec gloire    
Chargé de toutes parts du fruit de sa victoire.    
[...]
181
Qui jamais l’eût pensé, que dans ces mêmes lieux    
Qui furent les témoins de ses faits glorieux,    
Le vainqueur succombant sous les traits de l’envie,    
Pour toute récompense, y dût perdre la vie?
185

Son audace, il est vrai, lui procura la mort.    
(Le Frère étoit absent,) il veut prendre l’essort,    
Sans ce guide fidèle et sans sa muselière,    
Téméraire il se lance au fond de la rivière.    
La Nymphe cette fois saisit l’occasion,
190

Et satisfait enfin sa longue aversion.    
Elle anime ses flots, excite une tempête.    
En vain le Barbet nage, en vain lève la tête,    
Il fallut succomber. O ciel! il ne vit plus!    
Pour le chercher, hélas! que de soins superflus!
195

Chacun est attentif si le Barbet abboye.    
L’Écrevice à son tour en avoit fait sa proye.    
  
 
BIBLIOGRAPHIE
 

     [Claude-Charles HÉMARD DE DANJOUAN], Le Chien pêcheur ou le Barbet des Cordeliers d’Estampes, poëme héroï-comique en latin et en françois [in-8°; 15 p.], sans lieu ni date, vers 1720 [non vidi].  

     Révérend Père Pierre-Nicolas DESMOLETS [continuateur], A.-H. de SALLENGRE [†], Continuation des mémoires de littérature et d’histoire [11 vol. in-8°], Paris, 1726-1731 [aliter: (11 vol. in-12), Paris, 1730-1732, t. X, pp. ?-? [non vidi].  

     Michel de CUBIÈRES-PALMÉZEAUX [pseudonyme de Jean Antoine LEBRUN-TOSSA (1760-1837), alias Père Ignace de CASTEL-VADRA, DORAT-CUBIÈRES, ENÉGISTE-PALMÉZEAUX, Monsieur de MARIBAROU, MÉTROPHILE, C. de PALMÉZEAUX, C.-D. TAVEL, chevalier de MORTON], Épître à Gresset, au sujet de la reprise du ‘Méchant’ par les Comédiens français qui a eu lieu... en 1811. Suivie de deux ouvrages de ce poète célèbre qui ne sont dans aucune édition de ses œuvres, et d’une épître à un jeune provincial intitulée: ‘l’Art de travailler aux journaux’, par l’ex-R. P. Ignace de Castelvadra [Par J.-A. Lebrun-Tossa.] [in-8°; 93 p.; les deux poèmes attribués ici à Jean-Baptiste-Louis GRESSET, le Chien pêcheur et La Musique, poème ne sont en fait pas de cet auteur], Paris, Moronval, 1812. [non vidi].  

     Maxime de MONTROND, «Note XI (Chap. XII, p. 176). Le Chien Pêcheur ou Le Barbet des Cordeliers d’Étampes. Poème héroï-comique en latin et en français» [édition en fait partielle], in ID., Essais historiques sur la ville d’Etampes. Tome 1, Etampes, Fortin (& Paris, Debécourt), 1836, pp. 221-235.  

     Ernest MENAULT (1830-1903), L’intelligence des animaux [in-16, XVI+351 p.; dédié à Paul Boudet, ancien ministre de l’intérieur, avec une brève lettre de celui-ci acceptant cette dédicace; nous ne savons pas avec certitude si les gravures étaient déjà insérées dans les deux premières éditions], Paris, Hachette [«Bibliothèque des merveilles»], 1868 [au moins douze éditions française de 1868 et quatre anglo-saxonnes de 1869 à 1885; petite partie du texte français: pp. 217-219 de l’édition de 1913; gravure de Bayard p. 217].

     Paul PINSON, Le Chien Pêcheur ou le Barbet des Cordeliers d’Estampes, poëme héroï-comique en latin et en françois, suivi de trois hymnes sur SS. Can, Cantien et Cantianille et d’une hymne grecque inédite sur S. Basile reproduite en fac-simile, par Claude-Charles Hémard de Danjouan, précédés d’une notice biographique et généalogique sur l’auteur [72 p.], Paris, Léon Willem, 1875. 
       
     Paul PINSON, Essai de bibliographie étampoise [in-8°; 55 p.], Paris, Wilhem, 1873 [non vidi]. 
  
     Bernard GINESTE [éd.], «Claude-Charles Hémard de Danjouan: Le Chien Pêcheur (1714)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-18-hemard-chienpecheur.html, 2003.  
   
     Bernard GINESTE [éd.], «Claudius-Carolus Hemarida Danjuanus Stempanus: Canis Piscator (1714)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-18-hemarida-canis.html, 2003.  
 
     Bernard GINESTE [éd.], «Élias Robert, La nymphe Louette (vers 1860)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-robert-louette.html, mars 2003.
 
     Bernard GINESTE [éd.], «Claudius-Carolus Hemarida Danjuanus Stempanus: Canis Piscator (1714)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-18-hemarida-canis.html2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «Émile Bayard et Ettling: Le Chien Pêcheur (gravure sur bois, 1868)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-bayard-chienpecheur.html, 2004. 
 

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