CORPUS HISTORIQUE ETAMPOIS
 
 Dom Basile Fleureau 
De Saint Julien & de Saint Phalier.
Antiquitez d’Estampes I, 10
1668
 
Tour de Brunehaut et chapelle Saint-Julien (gravure du 18e siècle)
Détail d’une gravure de Sarrazin (18e siècle): la tour de Brunehaut et la chapelle de Saint-Julien
A gauche, la base de la tour aujourd’hui disparue, était probablement gallo-romaine.
   
     La saisie des textes anciens est une tâche fastidieuse et méritoire. Merci de ne pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer.
     
Les Antiquitez de la Ville et du Duché d’Estampes
Paris, Coignard, 1683
Première Partie, Chapitre X,
pp. 17-18.
De S. Iulien & de S. Phalier.
 
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PREMIÈRE PARTIE, CHAPITRE X.
De S. Iulien & de S. Phalier.

LA Cronique de l’Abbaye de Morigny* nous aprend qu’il y avoit anciennement, assez prés de la tour dont je viens de parler, une petite Abbaye de Religieuses, de laquelle il ne reste plus aujourd’huy que la Chapelle de Saint Julien Martir d’Antioche, dont la structure fait voir son antiquité: & ce que Aimoine, l’un des plus Anciens Historiens de France, a laissé par écrit de Brunehaut, que cette Reine avoit fait bâtir tant d’Eglises, & fondé un si grand nombre de Monasteres, que c’étoit une chose merveilleuse, & presque incroyable, rend probable la pensée de ceux, qui ont crû qu’elle avoit fait bâtir & fondé cette Abbaye. Mais la découverte de certaines Reliques trouvées l’an 1648. dans le principal Autel de cette Chapelle, la rend indubitable; parce qu’il est remarqué qu’elles y avoient esté apportées d’Antioche, du temps de cette Reine. Et c’estoit la coûtume de nos Princes, lorsqu’ils fondoient quelque Eglise, de l’enrichir aussi de Reliques; qu’ils y faisoient soigneusement apporter d’ailleurs.

     Le Seigneur du Roussay proche d’Etrechy, voulant signaler sa pieté par l’embelissement de cette Chapelle; comme les Ouvriers travailloient au maître Autel, pour y poser un Retable, ils decouvrirent dans une petite voute sur le derriere, au dessus du lieu où étoit posée l’Image de Saint Julien, un coffret de plomb: ce qui les obligeant à suspendre leur travail, ils s’en allerent en diligence à l’Abbaye de Morigny, d’où cette Chapelle dépend, avertir le Prieur & les Religieux de ce qui se passoit. Les Religieux pour faire les choses dans l’ordre de l’Eglise, s’adresserent aussi-tôt à Jean Hochereau, Doyen de la Chrêtienté d’Estampes, & Curé de la Paroisse de Nôtre-Dame, lequel assisté de Nicolas Tyroüin, Prêtre Curé de l’Eglise Paroissiale de Saint Basile de la même Ville, & Notaire Apostolique, se transporta en cette Chapelle, où étoient plusieurs Habitans du Hameau, & d’autres personnes de toutes conditions, qui y étoient accourus au bruit de cette decouverte. Le Coffret ayant esté tiré par l’ordre du Doyen du lieu où il étoit, & mesuré, on le trouva long de douze pouces, haut de six, & d’autant de largeur: Il le fit ouvrir, & à l’ouverture on trouva la partie posterieure d’un Crasne, un os de bras en trois pieces, une vertebre, & plusieurs poudres d’os, avec une piece antique, sur [p.18] laquelle les mots suivans sont gravez. †Hic jacet caput S. Iuliani Martiris, quod Severinus attulit de Antiochia civitate, temporibus Brunegildis Reginæ, & au revers est  écrit. De oßibus S. Christophori. Brachium S. Gamalielis.

* Lib. 4, c. 13.



Tour de Brunehaut et Chapelle Saint-Julien au loin (lithographie de Sarrazin, 18e siècle, carte postale de Paul Allorge Ee7 n°104)
      Toutes ces Reliques furent remises dans le même coffret, & transportées par l’ordre du Doyen, dans l’Abbaye de Morigny, pour y étre & plus décemment, & plus seurement conservées; à cause que cette Chapelle est dans les champs, & sur un grand chemin; jusques à ce que l’Archevêque de Sens en eût esté averti, & eût ordonné du lieu où on les pouroit mettre. Frere Pierre Assadé Religieux de la même Abbaye, accompagné du Prieur, suivis de tous ceux qui avoient assisté à cette ouverture, les emporta: tous les Religieux les reçûrent avec beaucoup d’honneur & de veneration, & les deposerent en leur Sacristie, où elles ont esté depuis toûjours gardées. C’est ce que contient le procez verbal, que ledit Sieur Doyen en fit dresser le neuviéme jour d’Avril de la même année 1628. dont j’ay extrait, ce que je viens de dire.

     Saint Julien souffrit le martyre à Antioche, ville de sa naissance, le neufviéme jour de Janvier, l’an 303. sous les Empereurs Diocletien & Maximien: encore que l’on en fasse la Fête dans cette Chapelle un autre jour, qui est vray-semblablement le jour, auquel ses Reliques y ont esté apportées du lieu de sa naissance, & de son martire. Sa vie pleine de merveilles, est décrite au premier volume des Fleurs des Vies des Saints, où le pieux Lecteur la poura voir au neuviéme de Janvier; & par Pierre de Natalibus, au même jour. Le Martyrologe Romain en fait aussi une honnorable mention.

     On revere à un autre Autel de la même Chapelle Saint Phallier Confesseur & Hermite, que l’on reclame ordinairement pour les personnes étiques, ou qui sont, comme l’on dit, en chartre. Le Hameau a pris le nom de ce Saint, dont la vie pleine de merveilles  n’estant pas connuë de plusieurs personnes, on ne trouvêra pas mauvais que j’en fasse icy l’abbregé, que j’ay tiré du Martyrologe des Saints de France. [p.19]

Apparition de Saint Gamaliel lors de la découverte des reliques de Saint Etienne (Bernard Dadi, vers 1345, pinacothèque du Vatican)
Apparition de saint Gamaliel lors de la découverte des reliques de saint Etienne (Bernard Dadi, vers 1345, pinacothèque du Vatican)
   
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NOTES (B. G.)

     1. Sur les reliques de Gamaliel trouvées dans la Chapelle Saint-Julien: †Hic jacet caput S. Iuliani Martiris, quod Severinus attulit de Antiochia civitate, temporibus Brunegildis Reginæ : «Ici repose la tête de saint Julien martyr, que Séverin a apporté de la ville d’Antioche à l’époque de la reine Brunehaut.»; & au revers est  écrit. De oßibus S. Christophori. Brachium S. Gamalielis: «[Une partie] des os de saint Christophe [saint dont lhistoricité est très contestée]; bras de saint Gamaliel. [personnage du premier siècle mentionné tant par le Talmud que par les Actes des apôtres, rabbin qui fut maître de saint Paul et que revendiquent autant le judaïsme que le christianisme]».
     
Selon une tradition encore répercutée par la Légende Dorée de Jacques de Voragine, Gamaliel, maître de Saint Paul, apparut en songe à saint Lucien le 3 août 415, aux temps de l’empereur Honorius, pour lui indiquer où avait été enterrés Étienne, Nicodème ainsi que lui-même et son fils Abido. La découverte de ces reliques était fêtée ce jour-là à Jérusalem. On voit ici cette scène représentée par Bernardo Dodo vers 1345, dans un fragment de polyptique conservé par la Pinacothèque du Vatican (Voyez la page http://mv.vatican.va/5_FR/pages/PIN/PIN_Sala01_04.html) et dans de nombreux cycles iconographiques consacrés à Saint Étienne (comme par exemple cette tapisserie du 16e siècle, autrefois conservée à la cathédrale d’Auxerre et probablement due à lentourage de Coter Colijn). Tout cela est connu des premiers lecteurs de Fleureau, qui le passe sous silence et ne sintéresse quà saint Phalier, moins connu.

Apparition de Saint Gamaliel lors de la découverte des reliques de Saint Etienne (tapisserie du 16e siècle, entourage de Coter Colijn)
Apparition de saint Gamaliel à saint Lucien et découverte de ses reliques en 415 (16e siècle)

     2. Fleureau se trompe en écrivant: «Antioche, ville de sa naissance», car saint Julien, s’il a été martyrisé à Antioche de Syrie, était originaire d’Anazarbe (Anazarbos), ville de Cilicie. Sans doute a-t-il mal compris un passage qui disait que le saint avait connu sa véritable naissance (à la vie céleste) dans la ville dAntioche.

     3. Sur les Sources hagiographiques de Fleureau, voyez notre Bibliographie.

     4. Sur le monastère mérovingien et la Chronique de Morigny, voyez notre Bibliographie.



Bernard Gineste
Source: Basile Fleureau, Les Antiquitez de la ville et du Duché d’Estampes, pp. 17-18. Saisie: Bernard Gineste, juillet 2001.
   
 
ANNEXE
SAINT JEAN CHRYSOSTOME
(mort en 407)
HOMÉLIE SUR SAINT JULIEN

prononcée à Antioche




AVERTISSEMENT ET ANALYSE
par l’abbé Jean-Baptiste Jeannin (1867)
 
     Il est parlé, dans le martyrologe romain, d’un Julien, martyr, né à Anazarbe, en Cilicie. Son père était sénateur, et sa mère chrétienne. Ayant été élevé par sa mère dans la foi de Jésus-Christ, et ayant étudié les lettres sacrées, il fut dénoncé à l’âge de dix-huit ans au gouverneur Martian. Comme il refusait de sacrifier aux idoles, il fut tourmenté et déchiré dans différentes parties du corps. Jeté en prison , et animé par les exhortations de sa mère, il déclara qu’il confesserait Jésus-Christ jusqu’au dernier soupir. Le gouverneur, le voyant inflexible, le fit enfermer dans un sac rempli de sable et d’animaux venimeux, et le fit jeter dans la mer. Ce fut ainsi que Julien obtint la couronne du martyre. C’est lui, ajoute-t-on, que le grand Chrysostome a célébré dans un éloge.
 
     Après avoir exposé les grands honneurs que Dieu réserve aux saints martyrs, pourquoi il ne les récompense pas dès cette vie, et le courage que leur inspire la perspective d’une félicité future, l’orateur parle de la fermeté de Julien, qui, promené avec outrage par toute la Cilicie, ne faisait que montrer partout un athlète généreux, et qu’annoncer avec éclat dans sa personne la gloire du Très-Haut. — Ici un lieu commun sur la splendeur dont brillent les martyrs. En vain on tourmente Julien, en vain on le déchire dans toutes les parties du corps, on ne peut lui ravir les trésors de la foi; on ne peut lui arracher que cette parole, et c’est la dernière qu’il prononce: Je suis chrétien. Le gouverneur est obligé de s’avouer vaincu; il fait enfermer le saint dans un sac rempli de sable et d’animaux venimeux, et le fait jeter dans la mer. — Saint Jean Chrysostome compare Julien enfermé dans ce sac, avec Daniel enfermé dans la fosse aux lions, et avec Noé enfermé dans l’arche. — Ce discours est terminé par une très-longue et fort belle exhortation de l’orateur aux fidèles d’Antioche qui l’écoutaient, de ne pas se rendre le lendemain à un faubourg de la ville, nommé Daphné, où il y avait des divertissements peu conformes à l’esprit du christianisme, de ne pas se rendre, dis-je, à ce faubourg, et d’empêcher que leurs frères ne s’y trouvent, de les en détourner même de force pour les ramener au tombeau du martyr, bien préférable au faubourg de Daphné. Cette exhortation prouve que le discours a été prononcé à Antioche , mais on ne sait en quelle année.
 


     1. Si les martyrs obtiennent de tels honneurs sur la terre, de quelles couronnes, après leur départ de cette vie, ne seront pas décorées leurs têtes vénérables? s’ils jouissent d’une telle gloire avant la résurrection, de quelle splendeur ne seront-ils pas revêtus après la résurrection? si de simples hommes les honorent d’un tel culte, quelles marques de bienveillance ne recevront-ils pas de leur divin Maître? si nous, qui sommes méchants, nous accordons de pareils témoignages d’estime et d’admiration aux vertus de nos semblables, parce qu’ils ont combattu pour Jésus-Christ, combien plus notre Père céleste prodiguera-t-il ses faveurs à ceux qui se sont épuisés pour lui de peines et de travaux! Ce n’est pas parce qu’il est libéral et magnifique dans ses dons, qu’il leur réserve de grandes récompenses, mais parce qu’il est leur débiteur. Les martyrs ne se sont pas immolés pour nous, et nous nous empressons d’honorer leur cendre. Mais si nous, pour lesquels ils ne se sont pas sacrifiés, nous courons à leur tombeau, que ne fera point Jésus-Christ, pour lequel ils ont dévoué leurs têtes! Si Dieu a comblé de telles grâces des hommes auxquels il ne devait rien, de quels dons ne gratifiera-t-il pas ceux dont il est le débiteur! Dieu ne devait rien auparavant à la terre: Tous ont péché, dit saint Paul, tous ont besoin de la gloire de Dieu (Rom. III, 23); ou plutôt il ne nous devait que des peines et des supplices. Toutefois, quoiqu’il ne nous dût que des peines et des supplices, il nous a accordé la vie éternelle. Si donc il a donné son royaume à des hommes auxquels il ne devait que des punitions, que ne donnera-t-il pas à ceux auxquels il doit la vie éternelle! s’il a expiré sur la croix , s’il a répandu son sang pour ceux qui le haïssaient, que ne fera-t-il pas pour ceux qui ont répandu leur sang pour confesser son nom! s’il a aimé des ennemis et des rebelles [408] , jusqu’à mourir pour eux, quelles marques de bienveillance et de distinction ne réserve-t-il pas pour des hommes qui lui ont donné la plus forte preuve d’amour, puisqu’on ne peut prouver plus fortement à ses amis qu’on les aime qu’en leur sacrifiant sa vie! (Jean, XIII, 15.)

     Les athlètes des jeux profanes sont proclamés et couronnés dans la même lice où ils ont combattu et vaincu. Il n’en est pas de même des athlètes de la foi: ils ont combattu dans la vie présente, ils sont couronnés dans le siècle futur; ils ont lutté sur la terre contre le démon, dont ils out triomphé, ils sont proclamés dans le ciel. Et afin que vous soyez convaincus de cette vérité, que ce n’est pis sur la terre que les saints reçoivent leurs couronnes, mais que c’est dans le ciel que les plus magnifiques récompenses les attendent, écoutez saint Paul qui dit: J’ai bien combattu, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi: il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice (pour quel lieu et pour quel temps?) que le Seigneur, comme un juste juge, me rendra en ce grand jour. (II Tim. IV, 7 et 8). Il a couru sur la terre, il est couronné dans le ciel; il a vaincu sur la terre, il est proclamé dans le ciel. Vous avez encore entendu aujourd’hui le même apôtre s’écrier: Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant pas reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant et les saluant de loin. (Héb. II, 13.) D’où vient donc que pour les athlètes profanes, les couronnes suivent de près les victoires, tandis que pour les athlètes de la foi, les victoires sont séparées des couronnes par un long intervalle de temps? Les saints ont éprouvé ici-bas des peines et des fatigues, ils ont reçu mille blessures, et ils n’ont pas été couronnés à l’instant même! Non, sans doute; parce que la nature de la vie présente ne comporte pas la grandeur de la récompense future. La vie présente est courte et fragile; la récompense future est immense, infinie, éternelle. Si donc Dieu a enfermé les peines dans le court espace d’une vie passagère, s’il a réservé les couronnes pour une vie incorruptible et inaltérable, c’est afin que le fardeau des peines soit allégé par la brièveté du temps qui les termine, et que la jouissance des couronnes, sans être bornée par aucun terme, se prolonge dans l’éternité des siècles. C’est donc parce qu’il voulait les récompenser plus abondamment qu’il a différé la récompense; c’est aussi afin qu’ils goûtent, par la suite, une joie plus pure. En effet, comme celui qui doit éprouver des afflictions, après avoir vécu dans les plaisirs et dans les délices, ne sent pas les charmes de l’abondance où il vit maintenant, par l’attente des maux dont il est menacé: de même celui qui doit obtenir des couronnes après les plus rudes combats, et des peines sans nombre, ne sent pas les maux présents, animé par l’espoir des biens futurs. Et ce n’est pas seulement par de espérances dans l’avenir que Dieu allège à ses saints les peines de la vie présente, mais c’est encore en plaçant la tribulation avant le plaisir, afin que la perspective d’une félicité future empêche qu’ils ne soient accablés par les maux présent. C’est ainsi que les athlètes reçoivent des blessures avec courage, considérant moins les peines qu’ils éprouvent, que ta couronne qu’ils espèrent. C’est ainsi que les nautoniers, en butte aux périls et aux tempêtes, exposés aux guerres les plus cruelles contre les monstres de la mer et les brigands qui l’infestent, ne pensent à rien de cela, mais ne voient que les ports, et le commerce qui doit les enrichir. C’est ainsi que les martyrs, qui souffraient une infinité de maux, dont le corps était déchiré par mille tourments divers, ne voyaient rien de cela, mais ne soupiraient qu’après le ciel, après le bonheur d’une autre vie. Et afin que vous sachiez que ce qui est difficile et accablant par soi-même devient facile et léger par l’espoir des biens à venir, écoutez le Docteur par excellence , qui nous dit: Le moment si court et si léger des afflictions de cette vie produit en nous le poids éternel d’une souveraine et incomparable gloire (et comment, je vous le demande?), si nous ne considérons point les choses visibles, mais les invisibles. (II Cor. IV, 17 et 18.) Ce n’est pas au hasard que je vous prêche ces vérités: c’est pour votre instruction, c’est afin que, quand vous verrez le méchant, qui doit être puni dans un autre monde, jouir de toutes les délices, de tous les plaisirs de cette vie, ces plaisirs et ces délices ne vous le fassent pas trouver heureux, mais que plutôt vous le trouviez malheureux, en considérant les supplices qui l’attendent; et aussi afin que, quand vous verrez dans l’affliction, dans la détresse, environné de tous les maux d’une vie passagère, un de ces hommes qui dans le ciel doivent être comblés de gloire et de bonheur, vous ne déploriez pas son sort à la vue des maux [409] qu’il souffre actuellement, mais que les couronnes qui lui sont réservées dans les siècles éternels vous fassent regarder sa condition comme heureuse et digne d’envie.

     2. Le saint martyr dont nous célébrons la mémoire naquit en Cilicie, où était né saint Paul; il était compatriote de cet apôtre, et tous deux, sortis de cette région, se sont montrés de dignes ministres de l’Eglise. Loi sue la carrière de la foi fut ouverte, et qu’il fallut soutenir des combats, il tomba entre les mains d’un gouverneur cruel et barbare. Et considérez les ruses qu’employa ce méchant homme: Comme il apercevait dans notre saint une volonté ferme, une âme courageuse, dont il était impossible de triompher par la violence des tourments, il diffère de jour en jour son supplice, il le fait paraître et retirer sans cesse. Il ne lui fait pas trancher la tête dès qu’il est instruit de ses dispositions, de peur que la promptitude de sa mort ne rende sa course plus facile; mais il le fait amener devant lui à plusieurs reprises, lui fait subir de fréquents interrogatoires, le menace de mille tourments, cherche à le gagner par des paroles flatteuses, en un mot, emploie tous les moyens pour ébranler ce rocher inébranlable. Il le promena même durant une année entière par toute la Cilicie, comme pour lui faire affront; mais il ne faisait que manifester la gloire de ce généreux martyr, qui s’écriait avec saint Paul: Je rends grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand par nous en tout lieu l’odeur de la connaissance de son nom. (II Cor. II, 14.) Un parfum renfermé dans un espace étroit n’embaume de son odeur que l’air dont il est environné; mais s’il est porté dans plusieurs lieux, il les remplit tous d’une odeur suave: c’est ce qu’on vit alors dans notre bienheureux martyr. Il était transporté de pays en. pays pour être couvert de confusion; et par toutes ces courses répétées, devenu un athlète plus illustre, il faisait admirer sa vertu à tous les habitants de la Cilicie. Il était transporté partout, afin que les Ciliciens n’apprissent pas seulement par ouï-dire ses combats, mais qu’ils vissent de leurs propres yeux l’athlète couronné. Plus le gouverneur multipliait les courses de Julien, plus il augmentait sa gloire; plus il lui ouvrait de lices, plus il lui fournissait occasion de se signaler par des combats admirables; plus il prolongeait ses souffrances, plus il mettait sa patience à l’épreuve. Plus l’or reste dans la fournaise, plus il devient pur; plus l’âme du saint était éprouvée, plus elle brillait avec éclat. En faisant conduire partout le martyr, le gouverneur ne faisait que montrer partout un trophée contre lui-même et contre le démon, une preuve de la cruauté des gentils, un témoignage de la piété des chrétiens, un signe frappant de la puissance de Jésus-Christ, une exhortation aux fidèles pour les engager à soutenir courageusement les mêmes combats, un héraut de la gloire divine, un maître dans la science de pareils assauts. Le saint excitait tous les hommes à imiter son zèle, moins par ses paroles que par ses actions, dont la voix retentissait partout avec éclat. Et comme les cieux annoncent la gloire du Très-Haut aux mortels qui les contemplent; comme ils nous invitent à admirer le Créateur, non parles paroles qu’ils font retentir à notre oreille, mais par l’éclat dont ils frappent nos regards: de même le martyr annonçait la gloire du Très-Haut, étant lui-même un ciel, et un ciel plus éclatant que le ciel visible. Non, les chœurs des astres ne rendent pas aussi brillant le firmament qu’ils embellissent, que le sang qui sortait des blessures du martyr rendait son corps resplendissant; et voyez comment les blessures du martyr brillaient avec plus de splendeur que les astres placés dans les cieux! Les hommes et les démons envisagent le ciel et les astres qu’il renferme; mais lus blessures de Julien, que les fidèles peuvent envisager, les démons n’osent les regarder en face, et s’ils entreprennent d’y jeter la vue , leurs yeux éblouis ne peuvent supporter l’éclat qu’elles renvoient. C’est ce que je vais prouver par des faits dont nous sommes les témoins, sans recourir aux anciens prodiges. Prenez un homme furieux, tourmenté par le démon, amenez-le au tombeau respectable où sont déposés les restes du martyr, et vous verrez l’esprit impur abandonner le corps qu’il tyrannise, et prendre honteusement la fuite. Dès le seuil de la chapelle où le martyr est honoré, il s’enfuit comme s’il allait marcher sur des charbons, sans oser même regarder la châsse qui renferme ses reliques. Mais si aujourd’hui, que le saint n’est plus que cendre et poussière, les démons n’osent regarder en face le monument où reposent ses os dépouillés, il est clair que, lorsqu’ils le voyaient revêtu de son [410] sang comme d’une pourpre royale, et brillant par ses blessures plus que le soleil par ses rayons, ils se sont retirés frappés de cette vue, les yeux éblouis. Voyez-vous comme les blessures des martyrs sont plus brillantes, plus admirables, et ont plus de pouvoir que les astres du firmament?

     3. Le saint est amené devant le tribunal; il ne voit de toute part que tourments et supplices affreux, il ne voit que peines et douleurs dans le moment et pour la suite. Les bourreaux environnent son corps comme des bêtes féroces; ils déchirent ses flancs, découpent ses chairs, mettent ses os à nu, pénètrent jusqu’aux entrailles. Mais malgré leurs recherches cruelles, ils ne peuvent lui ravir le trésor de la foi. Dans les palais des princes , dans les lieux où est déposé leur or et d’autres richesses immenses, si on perce les murs, si on ouvre les portes, on aperçoit . aussitôt le trésor qu’ils renferment. Mais c’était tout le contraire pour notre saint, pour ce temple vivant de Jésus-Christ. Les bourreaux perçaient les murs; ils ouvraient la poitrine sans pouvoir découvrir ni prendre les richesses cachées au dedans; et de même que les habitants de Sodome, quoique à la porte de la maison de Lot, ne pouvaient en trouver l’entrée: ainsi, quoique les bourreaux ouvrissent de tous côtés le corps de Julien, ils ne pouvaient ni saisir ni ravir le trésor précieux de la foi qu’il tenait en réserve. Telles sont les vertus qui décorent l’âme des saints, qu’elles ne peuvent être ni saisies ni enlevées; placées dans le courage et la constance, comme dans un asile sacré, ni les yeux des tyrans ne peuvent les découvrir, ni les mains des bourreaux ne peuvent les ravir; mais quand ils perceraient le cœur, qui est le siège du courage, quand ils le couperaient par morceaux, loin d’épuiser les richesses de la grâce que possèdent les saints, ils ne feraient même que les augmenter. La raison de ce prodige, c’est que, Dieu habite dans leurs âmes, et que, quand on fait la guerre à Dieu, il est impossible de triompher, il faut absolument qu’on se retire vaincu, couvert de honte et de confusion. C’est pour cela que, quoique les paroles ordinairement soient si faibles, et qu’elles aient si peu d’effet contre les attaques de la puissance, elles eurent alors une efficacité nouvelle, et triomphèrent de tous les efforts de la cruauté. Le tyran et les bourreaux employaient les fouets; le fer, le feu, en un mot, tous les instruments des plus affreux supplices; ils déchiraient de tout côté les flancs du martyr, qui ne prononçait qu’une parole , et cette parole seule triomphait de toutes les machines dressées contre lui. Une parole sainte sortie de sa bouche répandait une lumière plus éclatante que les rayons du soleil. Les rayons du soleil ne parcourent que l’espace qui est entre le ciel et la terre; ou plutôt ils ne peuvent parcourir tout cet intervalle, lorsqu’interceptés et arrêtés par un toit, par un mur, par un nuage, ou par quelqu’autre corps, ils sont rompus par ces obstacles et ne peuvent aller plus avant. La dernière parole du martyr, sortie de sa bouche sainte, s’élance jusqu’au ciel, elle pénètre jusqu’aux cieux supérieurs; les anges, les archanges, les chérubins, toutes les puissances célestes, se retirent pour la laisser passer; et pénétrés pour elle de respect, ils la portent humblement au trône du Roi suprême.

     4. Lorsque Julien eut prononcé sa dernière parole, le gouverneur voyant. que tous ses moyens et toutes ses ruses étaient inutiles, qu’attaquer le saint c’était regimber contre l’aiguillon, c’était vouloir entamer un diamant, que fait-il? il prend dès lors le parti d’avouer sa défaite, de terminer les jours du martyr; car la mort des martyrs est un aveu public que les tyrans font de leur défaite, et une victoire éclatante que les martyrs remportent sur ceux qui leur ôtent la vie. Voyez comme il imagine un genre de mort cruel, également propre à manifester la barbarie du tyran et la fermeté du martyr. Quel est donc ce genre de supplice? Il fait apporter un sac, qu’il remplit de sable, de scorpions, de serpents, de vipères et de dragons; il yfait mettre le saint, et le fait jeter à la mer. Un juste se trouva de nouveau enfermé avec des bêtes féroces; je dis de nouveau, afin que vous vous rappeliez l’ancienne histoire de Daniel. L’un a été jeté dans une fosse, dont les ministres du prince avaient fermé l’entrée avec une pierre; un sac a été la prison de l’autre, prison étroite où un gouverneur cruel l’a fait enfermer. Dans l’une et l’autre circonstance, les bêtes féroces respectent les corps des saints, pour condamner et confondre des êtres qui sont doués d’une nature humaine et raisonnable, et dont la férocité surpasse de beaucoup celle des brutes: tel était, sans doute, le tyran dont nous parlons. On vit alors un prodige aussi extraordinaire que du temps de Daniel. Les Babyloniens furent étonnés de voir, après plusieurs [411] jours, le prophète sortir plein de vie de la fosse aux lions; les anges furent surpris de voir l’âme de Julien sortir du milieu des flots et du sac qui la renfermait, pour s’élever jusqu’aux cieux. Daniel a combattu et vaincu deux lions, mais matériels: Julien a combattu et vaincu un seul lion, mais spirituel. Le démon, notre ennemi, dit saint Pierre, tourne sans cesse autour de nous, comme un lion rugissant, et cherche qui il pourra dévorer (I Pierre, V, 8); mais il a été vaincu par le courage du martyr. Le martyr avait déposé le venin du péché; aussi n’a-t-il pas été dévoré par l’esprit impur, et n’a-t-il craint ni la cruauté du lion, ni la fureur des bêtes féroces. Voulez-vous que je vous rapporte une autre histoire encore plus ancienne, où un juste s’est trouvé avec des bêtes féroces? rappelez-vous le déluge arrivé du temps de Noé, et l’arche qu’il avait construite un juste, alors, et des bêtes féroces se trouvèrent ensemble. Mais Noé entra homme dans l’arche et en sortit homme; Julien entra homme dans la tuer et en sortit ange. L’un entra de la terre dans l’arche et retourna sur la terre; l’autre entra de la terre dans la mer, et de la mer s’éleva dans le ciel. La mer l’a reçu, non pour lui donner la mort, mais pour lui accorder la couronne; et après qu’il a été couronné, elle nous a rendu cette arche sainte, je veux dire le corps du martyr. Nous avons conservé jusqu’à ce jour ce trésor précieux, la source d’une infinité de biens; car le Seigneur a partagé, en quelque sorte, avec nous les martyrs; il a pris leurs âmes et nous a laissé leurs corps, afin que nous ayons, dans leurs saintes reliques, un monument qui nous rappelle sans cesse leurs vertus. En effet, si en voyant les armes ensanglantées d’un guerrier, son bouclier, sa pique, sa cuirasse, l’homme le plus lâche est animé et enflammé, s’il soupire après la guerre, si la seule vue de ces armes l’excite à tenter les mêmes entreprises; nous qui voyons, non les armes, mais le corps d’un saint qui a mérité d’être ensanglanté pour avoir confessé le nom de Jésus-Christ, quand nous serions les plus timides des hommes, comment ne concevrions-nous point la plus grande ardeur? comment cette vue n’embraserait-elle point notre âme, ne nous porterait-elle point à soutenir les mêmes combats? Dieu nous a abandonné les corps des saints jusqu’au temps de là résurrection, afin qu’ils nous donnent de grandes leçons de philosophie chrétienne. Mais craignons de diminuer, par la faiblesse de nos discours, les louanges dues à un martyr, laissons au souverain Juge de ses combats à le louer: Celui qui couronne les martyrs les louera lui-même; leur louange ne vient pas des hommes, mais de Dieu; et tout ce que nous avons dit de Julien, ce n’est pas pour illustrer davantage un martyr, mais pour enflammer de plus en plus votre ardeur.

     Nous allons donc laisser son éloge pour vous adresser la parole; ou plutôt parler dans l’église d’objets instructifs, c’est faire l’éloge des martyrs. Ecoutez-moi avec attention: je veux détruire aujourd’hui un ancien abus, afin que nous imitions les martyrs, sans nous contenter d’honorer leurs tombeaux. Oui , l’honneur rendu aux martyrs ne consiste pas seulement à venir à leurs tombeaux, mais plus que cela encore, à s’efforcer d’imiter leur courage. Il faut dire, d’abord, quel est l’abus que j’attaque, parce que la maladie étant inconnue, il n’est pas facile d’appliquer le remède: je découvre d’abord la plaie, pour mettre ensuite l’appareil. Quel est donc l’abus dont je parle?

     5. Quelques-uns de ceux qui sont ici présents (car à Dieu ne plaise que mes reproches s’adressent à toute l’assemblée!) nous abandonneront demain par lâcheté et par faiblesse, ils courront au faubourg de Daphné pour dissiper demain ce que nous avons recueilli aujourd’hui, pour détruire ce que nous avons édifié. Afin donc qu’ils ne- soient pas venus ici inutilement, nous finirons par dire quelques mots sur cet objet: Pourquoi, je vous prie, courez-vous au faubourg d’Antioche? c’est ici le faubourg de la Jérusalem d’en-haut, c’est ici le Daphné spirituel. Là-bas sont des fontaines d’eau, ici sont les sources des martyrs; là-bas sont des cyprès, arbres stériles; ici sont des arbres qui ont leurs racines en terre, et qui étendent leurs branches jusqu’au ciel. Voulez-vous voir le fruit de ces branches? ouvrez les yeux de la foi, et vous apercevrez aussitôt une espèce de fruit merveilleux. Non, le fruit de ces branches n’est pas corruptible et périssable, il ne ressemble à aucun de ceux que produit la terre: c’est la guérison des corps mutilés et des âmes malades, la rémission des péchés, l’abolition du vice, la prière continuelle, la confiance dans le Seigneur; tout ici est spirituel, tout est rempli de biens célestes. Ces fruits sans cesse cueillis repoussent sans cesse, et ne trompent jamais l’espoir du [412] cultivateur. Les arbres terrestres ne produisent qu’une fois l’année; et aux approches de l’hiver, ils perdent leur beauté propre, leurs fruits, qu’on n’a pas cueillis, se corrompant et tombant d’eux-mêmes. Les arbres dont je parle ne connaissent ni hiver, ni été, ne sont pas sujets à l’inclémence des saisons: jamais dépouillés de leurs fruits, ils conservent toujours leur beauté, sans être exposés ni à la corruption, ni à la vicissitude des temps. Combien, depuis que ce corps est planté dans la terre, les fidèles ont cueilli de ce tombeau des guérisons, sans que le fruit ait jamais manqué; ils ont moissonné les blés, et il reste encore une ample moisson; ils ont puisé aux fontaines, et les eaux jaillissent toujours. La source est intarissable, elle ne manque jamais; plus on y puise, plus on en voit couler de prodiges.

     Et le tombeau du saint n’opère pas seulement des miracles, il produit encore la sagesse. Etes-vous riche, enflé d’orgueil, rempli d’arrogance? venez ici, voyez le martyr, considérez combien votre richesse diffère de son opulence; et vous réprimerez bientôt votre fierté, vous vous en retournerez ayant déposé tout orgueil, et l’âme guérie d’une vaine enflure. Etes-vous pauvre, vous croyez-vous digne de mépris? venez ici, voyez la richesse du martyr, et dédaignant les biens de ce siècle, vous vous en retournerez plein d’une philosophie chrétienne. Oui, quand on vous aurait causé mille torts, quand on vous aurait accablé d’outrages et de coups, cette pensée, que vous n’avez pas encore souffert autant que le martyr, vous fera remporter d’ici une abondante consolation. Vous voyez quels fruits naissent de ces racines, combien ils sont inépuisables, combien ils sont spirituels, combien ils appartiennent à l’âme!

     Je n’empêche pas que vous vous rendiez au faubourg, mais je m’oppose à ce que vous y alliez demain. Pourquoi? c’est afin que votre plaisir ne soit pas répréhensible, afin que votre joie soit pure, qu’elle ne vous attire pas de condamnation; car vous pouvez, dans un autre jour, vous livrer sans crime à des divertissements honnêtes. Que si vous voulez goûter, même aujourd’hui, quelque plaisir, quoi de plus agréable que cette assemblée et ce spectacle spirituel? quoi de plus doux que la société de vos frères et de vos membres? Mais voulez-vous même participer à une table matérielle? vous pouvez, lorsque l’assemblée sera séparée, vous asseoir près de la chapelle du martyr, sons un figuier ou sous une vigne, et procurer à votre corps quelque satisfaction, sans charger votre conscience d’un crime. Le martyr qui est présent et qui assiste à votre table, ne permet pas que la joie dégénère en licence: comme un maître attentif ou un bon père aperçu des yeux de la foi, il réprime les ris immodérés, il arrête les joies excessives, il empêche toutes les révoltes de la chair, inconvénients inévitables dans le faubourg de Daphné. Pourquoi? c’est qu’il y aura demain des danses dans tout le faubourg. Or, la seule vue de ces danses entraîne le plus sage à imiter les mouvements indécents dont il est le témoin surtout lorsque le démon est de la partie; et il est présent, appelé par les chants des prostituées, par les discours obscènes, par les pompes diaboliques qu’on y étale. Or, vous avez renoncé à toutes ces pompes, vous vous êtes attachés au culte de Jésus-Christ, du jour où vous avez été admis aux sacrés mystères. Rappelez-vous donc les paroles que vous avez prononcées, les engagements que vous avez pris, et craignez de violer vos promesses.

     Mais je vais m’adresser à ceux qui ne se rendront pas à Daphné, et leur recommander le salut de leurs frères. Lorsqu’un médecin visite un malade, il dit peu de chose au malheureux gisant dans son lit: il s’adresse à ses proches, leur parle des remèdes, de la. nourriture, et leur recommande les autres parties du traitement. Pourquoi? c’est que le malade n’est point en état, pour l’heure, de recevoir des conseils, au lieu que celui qui est en santé, écoute, avec la plus grande attention toutes les ordonnances du médecin. Voilà pourquoi je veux m’adresser aussi à vous. Saisissons-nous demain des portes, assiégeons les chemins, que les hommes fassent revenir malgré eux les hommes, que les femmes ramènent malgré elles les femmes. N’ayons pas de honte, il n’y a pas de honte à avoir lorsqu’il s’agit du salut de notre prochain. Si nos frères ne rougissent pas de se rendre à une fête profane et criminelle, ne rougissons pas de les ramener à une solennité sacrée; ne négligeons rien, lorsqu’il est question du salut de nos frères. Si Jésus-Christ est mort pour nous, nous devons tout supporter pour eux. Quand ils vous accableraient de coups et d’invectives, retenez-les, ne les quittez pas que vous ne les ayez ramenés au saint martyr. Quand il vous faudrait [413] prendre les passants pour juges, dites à ceux qui voudront l’entendre: Je veux sauver mon frère, je vois qu’il perd son âme, je ne puis négliger celui auquel je tiens de si près. Que celui qui le voudra m’accuse, que celui qui le voudra me condamne. Ou plutôt personne ne me blâmera, tous me loueront, tous me chériront, puisque ce n’est ni pour un vil intérêt, ni pour contenter un ressentiment personnel, ni pour aucun autre motif profane, que je dispute, mais pour le salut de mon frère. Qui n’approuvera pas ma conduite? qui ne l’admirera pas? Quoique nous n’ayons ensemble aucune liaison de parenté charnelle, la parenté spirituelle nous rend plus chers les uns aux autres, que des enfants ne le sont à leurs parents. Si vous voulez même, prenons avec nous le martyr; il ne rougira point de nous accompagner, et de sauver ses frères. Montrez-le à leurs yeux; qu’ils craignent sa présence, qu’ils respectent ses prières et ses exhortations. Si Dieu exhorte ses créatures: Nous faisons la charge d’ambassadeurs pour Jésus-Christ, dit saint Paul, et c’est Dieu même qui vous exhorte, par notre bouche, à vous réconcilier avec lui (II Cor. V, 20), à plus forte raison un serviteur de Dieu exhortera-t-il ses frères. La seule chose qui l’afflige, c’est notre perte, la seule chose qui le réjouisse, c’est notre salut; aussi ne se refusera-t-il à rien pour nous sauver. N’ayons donc pas de honte de nous-mêmes, et ne croyons pas en pouvoir trop faire. Si des chasseurs parcourent les montagnes, les précipices, les gouffres et les abîmes, pour prendre quelques animaux terrestres, ou même des oiseaux sauvages; vous qui devez ramener de la perdition, non un vil animal, mais votre frère spirituel, pour lequel Jésus-Christ est mort, vous rougissez, vous hésitez, je ne dis pas de franchir des forêts et des montagnes, mais de sortir simplement des portes de la ville! quelle excuse, je vous prie, vous restera-t-il? n’entendez-vous pas l’avertissement d’un sage qui vous dit: Il y a une honte qui conduit au péché? (Ecclés. IV, 25.) Mais vous craignez qu’on ne vous blâme; rejetez toute la faute sur moi, qui vous ai donné le conseil; dites que c’est votre maître qui vous l’a ordonné. Je suis prêt à me justifier devant ceux qui m’accuseront , et à rendre compte de ma conduite; ou plutôt, aucun homme, quelque impudent qu’on le suppose, ne vous blâmera ni vous ni moi, mais tous nous approuveront, et applaudiront à nos soins. Tous les habitants d’Antioche, ceux même des villes voisines admireront la force impérieuse de notre charité et l’ardeur de notre zèle. Mais que parlé-je des hommes? le Maître des anges lui-même nous donnera son approbation. Puis donc que nous savons quelle sera la récompense de nos peines, ne négligeons pas cette chasse spirituelle; ne revenons pas seuls demain, mais présentons-nous chacun avec notre proie. Pourvu que nous nous rendions à l’heure où notre frère sortira de sa maison pour se mettre en chemin, et que nous l’engagions à visiter ce lieu, il n’y aura plus dès lors de difficulté. Lui-même vous en saura gré par la suite, tous les autres vous loueront, vous admireront, et, ce qu’il y a de plus essentiel, le Maître des cieux vous en récompensera abondamment, il vous comblera de biens et de louanges. Considérant donc l’avantage qui résulte pour nous d’une telle conduite, rendons-nous tous en foule aux portes de la ville, saisissons-nous de nos frères, ramenons-les ici, afin que demain l’église soit pleine, et que la solennité soit parfaite; afin que le bienheureux martyr, pour prix de notre zèle , nous reçoive avec confiance dans les tabernacles éternels. Poissions-nous obtenir cette faveur par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soit la gloire au Père et à l’Esprit saint et vivifiant, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.
Une relique de saint Jean Chrysostome autrefois conservée à Étampes
     Rappelons à titre de curiosité que la collégiale Notre-Dame d’Étampes conservait autrefois une relique étonnante, au témoignage du père Guibourgé: «A côté de ces groupes, voici des reliquaires, également en bois doré, et de la même époque. D’après un vieux manuscrit, «le bras de M. Jean Chrysostome est une châsse en forme de bras portée par un ange». Et, lui faisant pendant, une statuette de Saint Roch. Ces deux statuettes ont perdu leurs reliques.»
     Léon GUIBOURGÉ, Étampes, ville royale, Étampes, chez l’auteur (imprimerie de la Semeuse), 1957, p. 55 [dont une réédition électronique par notre Corpus:.http://www.corpusetampois.com/che-20-guibourge1957etampes301notredame.html, 2004].
B. G.
Source: Le site de l’Abbaye Saint-Benoît de Port-Valais, http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/homt3/julien.htm (saisie ici légèrement corrigée).
   
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

 
     Édition princeps, posthume: Dom Basile FLEUREAU (religieux barnabite, 1612-1674), Les Antiquitez de la ville, et du Duché d’Estampes avec lhistoire de labbaye de Morigny et plusieurs remarques considerables, qui regardent l’Histoire generale de France [in-4°; XIV+622+VIII p. (N.B: les pages 121-128 sont numérotées par erreur 127-134); publication posthume par Dom Remy de Montmeslier d’un texte rédigé en réalité vers 1668], Paris, J.-B. Coignard, 1683.

     
Réédition en fac-similé: Dom Basile FLEUREAU, Les Antiquitez de la ville, et du Duché d’Estampes avec lhistoire de labbaye de Morigny et plusieurs remarques considerables, qui regardent l’Histoire generale de France [23 cm sur 16], Marseille, Lafittes reprints, 1997.

     
Réédition numérique en ligne (en cours depuis 2001): Bernard GINESTE [éd.], «Dom Fleureau: Les Antiquitez d’Estampes (1668)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-fleureau.html, 2001-2010.

     Pour ce chapitre: Bernard GINESTE [éd.], «Dom Fleureau: De saint Julien et de saint Phalier (Antiquitez d’Estampes I, 10, 1668)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b10.html, 2001.

Sources

Petrus de Ribadeneira (1527-1611), auteur de la Flos Sanctorum 1) Fleurs des Vies des Saint (Flos Sanctorum) de Ribadeneira

     Original: Petrus [Pedro] de RIBADENEIRA (1527-1611), Flos Sanctorum [2 vol.], Madrid, 1599-1601.

     Versions françaises: Pedro de RIBADENEIRA (1527-1611)
[jésuite espagnol, auteur principal], René GAUTIER [traducteur], André DU VAL [2e auteur], Thomas FRIARD [3e auteur], Les Fleurs des vies des saints et fêtes de toute l’année, suivant l’usage du calendrier romain réformé, recueillies par le R. P. Ribadeneira,... auxquelles ont été ajoutées les vies de plusieurs saints de France par M. André Du Val,... avec les vies des saints de la Compagnie de Jésus… revues... et remises en état de perfection selon la traduction d’espagnol en français de M. René Gautier,... et augmentées... de 365 autres vies... par... T. Friard [2 volumes in-4°], Rouen, 1645-1646.
     On notera une édition française antérieure non conservée par la BNF: Les Fleurs Des Vies Des Saints Et Festes De Toute L’annee: Suiuant L’vsage Du Calendrier Romain Ref / recueillies Par Le R.P. Ribadeneira; Ausquelles Ont Eté Adjoutées Les Vies De Plusieurs Saints De France, 1632Par ailleurs, plusieurs réimpressions & remaniements dont: 1664 (troisiesme édition), 1667 (nouvellement revues, corrigées et mises dans la pureté de notre langue par M. Baudouin), 1675 (augmentées en cette nouvelle édition d’un grand nombre de divers saints et saintes... et de plusieurs vies exemplaires de quelques grands personnages qui sont morts en opinion de sainteté), 1678, 1686, 1704, 1721 (ensemble les vies des fondateurs et fondatrices des ordres religieux... revues et augmentées, dans cette nouvelle édition, des vies des saints nouvellement canonisés et d’autres personnes de piété... par le R. P. Amable Bonnefons), 1745-1746, etc.

     Francis VAN ORTROY, «Pedro de Ribadeneira», in The Catholic Encyclopedia, Volume XIII, New York, Robert Appleton, 1912. Dont une réédition numérique en mode texte par K. Knight, in New Advent, http://www.newadvent.org/cathen/13029a.htm, 2003.

Edition princeps du Catalogus Sanctorum de Petrus de Natalibus (Venise, 1493) 2) Répertoire des Saints de Pierre de Natalibus

    Petrus de NATALIBUS [évêque d’Equilio mort entre 1400 & 1406], Catalogus Sanctorum et Gestorum eorum [«Répertoire des Saints et de leurs vies», d’après un manuscrit des environs de 1380], Vicenza, Henricus de Sancto Ursion, 1493 [édition princeps de 8 éditions dont la dernière à Venise en 1616].

     J.P. KIRSCH, «Petrus de Natalibus», in The Catholic Encyclopedia, Volume XI, New York, Robert Appleton, 1911. Dont une réédition numérique en mode texte par K. Knight, in New Advent, http://www.newadvent.org/cathen/11784a.htm, 2003.

3) Le Martyrologe Romain (Martyrologium Romanum)

     Le Martyrologe romain (Martyrologium Romanum), répertoire toujours en évolution des Saints reconnus comme tels par l’Église romaine, a un noyau fort ancien et une histoire complexe. Notons ici seulement que son édition princeps, romaine, est de 1583, sous le titre: Martyrologium romanum ad novam kalendarii rationem et ecclesiasticæ historiæ veritatem restitutum, Gregorii XIII pont. max. iussu editum [«Martyrologe romain conformé à la nouvelle réforme du calendrier, édité sous l’autorité du pape Grégoire XIII»]. Non approuvé, il fut réédité la même année, mais c’est seulement l’édition de 1584 qui fut approuvée et imposée à toute l’Église par Grégoire XIII. Le cardinal Baronius en donna une nouvelle édition corrigée et annotée en 1586, avec des Notationes [«Notes»] et une Tractatio de Martyrologio Romano [
«Traité du Martyrologe Romain»]. L’édition d’Anvers de 1589 porte de nouvelles corrections de Baronius. Une nouvelle édition du texte et des notes eut lieu sous Urbain VIII et fut publiée en 1630. C’est sans doute celle dont disposait Dom Fleureau dans les années 1667-1668. Les remaniements ultérieurs de ce Martyrologe (jusqu’à l’époque contemporaine où on l’a expurgé de plusieurs saints dont l’existence était plus que douteuse, et augmenté des nouveaux saints) ne nous intéressent pas ici.

     Hippolyte DELEHAYE, «Martyrology», in The Catholic Encyclopedia, Volume IX, New York, Robert Appleton, 1910. Dont une réédition numérique en mode texte par K. Knight, in New Advent,  http://www.newadvent.org/cathen/09741a.htm, 2003.


Sur le monastère mérovingien Saint-Julien de Morigny

     René de SAINT-PÉRIER, «Une découverte dans le passé de Morigny», in Bulletin de la Société des Amis d’Étampes 6 (avril 1950), pp. 98-99 [Selon M. Masai, conservateur des manuscrits de la Bibliothèque de Belgique, le manuscrit latin BNF latin 9724, lectionnaire enluminé du VIIe siècle originaire de Luxueuil avait peut-être été exécuté pour l’abbaye mérovingienne du site de Brunehaut].

     Sur la Chronique de Morigny, nous donnerons
ultérieurement ici plus de précisions.

Sur l’homélie de saint Jean Chryostome que nous donnons en annexe

     Abbé Jean-Baptiste JEANNIN [dir.] & alii (prêtres de l’Immaculée Conception de Saint-Dizier) [collaborateurs], «Saint Jean Chrysostome: Homélie sur saint Julien d’Antioche», in Saint Jean Chrysostome. Œuvres complètes traduites pour la première fois sous la direction de M. Jeannin, licencié ès-lettres professeur de rhétorique au collège de l’Immaculée-Conception de Saint-Dizier [11 volumes in-4°; portrait gravé; le tome 1 est une Histoire de saint Jean Chrysostôme, par l’abbé Étienne MARTIN, d’Agde (1800-1868)], Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1863-1867 [dont une saisie numérique presque intégrale en mode texte par l’Abbaye Saint-Benoît de Port-Valais (Suisse), http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome, 2003, en ligne en 2004], [dont une réédition: Arras, Sueur-Charruey, 1887-1888], tome III, pp. ?-? [http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/homt3/julien.htm, en ligne en 2004],
 

Toute critique, correction ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome. 
   
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