CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Pierre-Paul Rubens
Lettre sur César de Vendôme
27 mars 1631 
 
 
Pierre-Paul Rubens
Pierre Dupuy
Pierre-Paul Rubens
Pierre Dupuy
 
 
     Cette lettre de Rubens donne le point de vue du célèbre peintre flamand, diplomate et espion à ses heures, sur César de Bourbon, duc de Vendôme et d’Étampes, qu’il eut l'occasion de rencontre lors du passage de ce Prince à Anvers. Il l’écrit à son correspondant parisien Pierre Dupuy, dont le frère précisément appartenait à la suite du Duc de Vendôme.   
    
     Fils de Henri IV et de sa favorite Gabrielle d’Estrées, duchesse d’Étampes, César de Bourbon prenait rang dans le royaume immédiatement après les princes du sang. Après avoir épousé la fille du duc de Mercœur, et lui avoir succédé dans le gouvernement de la Bretagne, il fut mêlé à différentes conspirations des grands sous Louis XIII, au point d’être incarcéré, de 1626 à 1630. Enfin élargi, mais privé de son gouvernement, il voyagea plusieurs années à l’étranger. 
 
 
Lettre de Rubens à Pierre Dupuy
Sur le Duc de Vendôme
  
     Très cher Monsieur,  

     Je dois à V. S. [Votre Seigneurie] les réponses à deux lettres, celle du 17 janvier et celle du 10 février, que j’ai reçues des mains de Son frère, quand celui-ci m’a fait l’honneur de me rendre visite, et par Sa grande amabilité et Son exquise courtoisie, m’a montré qu’Il est réellement le frère de V. S.  

     Je crois que le Duc son maître a quitté notre pays sans beaucoup de regret. Il m’a raconté lui-même, en effet, qu’il n’a pas eu beaucoup à se louer des marquis d’Aytona et de Léganès, qui, de leur côté, ont été très indignés et très scandalisés de ses manières d’agir. Le duc de Vendôme, en effet, se faisait appeler Altesse et recevait la visite des Grands d’Espagne en les attendant de pied ferme dans son salon, et en n’esquissant même pas, à leur sortie, le geste de les reconduire. La chose a paru d’autant plus ahurissante que [p.250] le prince de Condé s’était contenté du titre d’Excellence et s’était soumis aux usages de notre Cour. Les incidents de Bruxelles ont eu des conséquences: à son arrivée et à son départ d’Anvers, il ne fut salué que par un seul coup de canon, et on lui refusa l’entrée de la citadelle. Il en fut très mortifié, et moi-même, j’ai éprouvé de très vifs regrets à le voir s’en aller avec au cœur un tel ressentiment. Il est vrai qu’il se déclarait tout à fait satisfait de la réception que lui avait faite le Sérénissime Infante.  

     Voici un de ses hauts-faits à Bruxelles; le jeune prince de Chimay étant venu le voir, le duc de Mercœur voulut, à son départ, le reconduire, mais son père le retint; ce geste fut pris ici de très mauvaise part. Pour le reste, il est parti sans  rendre la visite que les deux marquis lui avait faite, en se faisant excuser par un page, au soir, sous prétexte d’une indisposition.  

     Mais laissons ce Prince errer de par le Monde. Il ne manquera pas de recevoir les hommages dus à ses mérites et à son rang, et examinons plutôt les nouvelles de la Cour de France; elles sont, certes, très importantes, et il faut prier Dieu que la catastrophe ne soit pas irréparable. Je suis bien content que les discussions sur les dimensions des tableaux avec l’abbé de Saint-Ambroise m’ait retenu, pendant quatre mois et plus, de me mettre à l’ouvrage.  On dirait vraiment qu’un bon génie m’a empêché de m’aventurer plus avant, car je tiens tout ce que j’ai fait jusqu’à présent pour du temps perdu; j’estime qu’un personnage éminent doit finir par renoncer à ses projets, et le souvenir de ma première aventure me fera prendre désormais de telles précautions, que je ne m’embarquerai plus sur de vagues espoirs. Somme toute, les Cours sont livrées à trop de hasard, et celle de France beaucoup plus qu’une autre. Mais il est difficile de bien apprécier les choses qui se passent au loin, et c’est pourquoi je me tairai, plutôt que de juger à la légère.  

     Nous nous préparons à la guerre avec plus d’ardeur que jamais, l’Espagne nous ayant donné plus d’argent que de coutume, et toutes les provinces étant résolues de faire un surême effort pour entretenir, de leurs propres deniers, une armée imposante: aussi pouvons-nous espérer que les progrès de l’ennemi seront coupés cette année.  

     N’ayant rien d’autre à dire à V. S., je me recommande très humblement à Ses bonnes grâces et à celles de Son frère, et je baise Leurs mains à tous deux, restant toujours  

     De V. S. très illustre, le très fidèle serviteur,  

     Pierre-Paul RUBENS  

     Le Marquis de Santa-Cruz arrive de Milan pour prendre le commandement des armées royales en Flandre. On croit qu’il est déjà en route.  

     Je peux trouver ici les livres que V. S. énumère dans Sa lettre, et en particulier ceux de l’Empereur Julien et des Astrologues grecs. Il est donc inutile de me les envoyer. Je n’en reste pas moins très reconnaissant à V. S. de me les avoir offerts.  

     Anvers, 27 mars 1631. 
 

Source: Traduction de Paul Colin, 3e édition, 1926. Saisie: Bernard Gineste, juillet 2001.
 
 
 
ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
Élie Faure
 
AVANT-PROPOS DE L’ÉDITEUR
[DES LETTRES DE RUBENS]
[vol I, pp. I-II]
 
     La Correspondance de Rubens n’est pas inédite. Au cours du siècle dernier, à plusieurs reprises, on en a donné des fragments ou des recueils incomplets. Émile Gachet (1840), avec la collaboration de Gachard, William Hookham Carpenter (1845), Noël Sainsbury (1859) — ces deux derniers en anglais, — Armand Baschet (1866) dans la Gazette des Beaux-Arts, et Rosenberg, — celui-ci en allemand — ont successivement publié soit quelques-unes, soit un plus ou moins grand nombre de ses lettres. La plupart, d’ailleurs, se sont copiés les uns les autres et ont traduit des traductions, sans recourir aux textes originaux, si bien qu’au moment où Charles Ruelens entreprit (1887) de donner une édition définitive de la correspondance du Maître, on ne pouvait guère considérer les travaux précédents que comme des indications de sources. Ruelens, puis Max Rooses publièrent un énorme «Codex» en six tomes où s’entassent pêle-même un monceau de documents, dont les quatre cinquièmes ne se rapportent qu’indirectement à l’artiste. Ce travail considérable, dont le dernier volume n’a paru qu’en 1909, est un monument digne, à plus d’un égard, d’admiration. Mais il souffre d’avoir été rédigé dans un souci du mot à mot qui enlève toute simplicité et toute vie à la traduction. En outre, le classement défectueux et l’excès des commentaires d’intérêt local en rendent la lecture un peu pénible.   
     Nous avons pensé qu’une traduction nouvelle, plus libre, [p.II] de la correspondance de Rubens, s’imposait à une époque où tout ce qui touche les peintres, de près ou de loin, provoque une curiosité parfois passionnée. Cette traduction, moins servile que vivante, a été entreprise par M. Paul Colin non pas sur des textes de seconde main, mais sur les originaux eux-mêmes. Ils avaient subi, en effet, des déformations et interpolations fréquentes. Rubens et ses correspondants usaient volontiers de l’italien, c’est-à-dire d’une langue qui n’étaient pas leur langue maternelle et qu’ils maniaient, pour la plupart, assez maladroitement. La présente publication, dans son esprit entièrement nouvelle, a permis à M. Colin de redresser le sens de plusieurs textes et de corriger un nombre infini d’erreurs de détails. Ce fut une besogne longue, difficile, ingrate, qui met en valeur autant sa patience et sa volonté d’aboutir, que sa parfaite connaissance des qutre ou cinq langues qu’il était nécessaire de comprendre pour la mener à bonne fin. [...] 
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
    
    
Manuscrit

     Collection particulière (du moins en 1927).   
     

Éditions

     Voyez la notice d’Élie Faure ci-dessus reproduite.  
   
     Charles RUELENS & Max ROOSES, «Codex» [6 vol.], 1886-1909.  
   
     Paul COLIN, P.-P. Rubens. Correspondance, traduite et annotée. II. Chronique de Flandre (1625-1629). 3e édition [III+253 p.], Paris, G. Crès & Cie [«Bibliothèque dionysienne»], 1927, pp. 249-251 [Lettre à Pierre Dupuy n°72, traduite de l’italien sur le texte de ROOSES]. 
  
     Bernard GINESTE, «Lettre de Rubens à Pierre Dupuy sur le Duc César de Vendôme, 27 mars 1631» [traduction Colin 1927], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-rubens-cesar.html, 2003 
   

Sur Rubens

     Max ROOSES, Rubens [en néerlandais], 1886-1892; dont une traduction française: Rubens, sa vie et ses oeuvres [gros.in-4°; VIII+668 p., figures et planches; traduit du néerlandais par Louis Van Keymeulen], Paris, E. Flammarion, 1903.  
   
     Élie FAURE [directeur de la «Bibliothèque dionysienne»], «Avant-Propos de l’éditeur», in Paul COLIN, P.-P. Rubens. Correspondance, traduite et annotée. I. Vie publique et intellectuelle. 3e édition [XVIII+331 p.], Paris, G. Crès & Cie [«Bibliothèque dionysienne»], 1927, pp. I-XII & XIII-XVIII.   
   
     Paul COLIN, «Introductions», in ID., P.-P. Rubens. Correspondance. 3e édition [2 vol.], Paris, G. Crès & Cie [«Bibliothèque dionysienne»], 1927, t. I, pp. XIII-XVIII & t. II, pp. I-III.   
    
     Pierre DAYE, Rubens [in-8°; 248 p.; planches], Paris, Albin Michel, 1941.  
   
     Leo VAN PUYVELDE (1882-1965), Rubens [in-4°; 243 p.; 1ère édition de 3], Paris & Bruxelles, Elsevier [«Les Peintres flamands du XVIIe siècle»], 1952, réimpr. 1959; Rubens [in-16 (20 cm), 288 p., illustr. en noir et en couleur; 2e édition], Paris & Bruxelles, Meddens [«Art et savoir»], 1964. Rubens [21 cm, 178 p., illustr. en noir et en couleur; 3e édition, bibliographie p. 178], Bruxelles, Meddens, 1977.   
    
     Marie de MISEREY, Rubens [in-16 (18 cm), 128 p., planches, portrait; préface du R. P. Alphonse de Parvillez, s.j.], Paris, Caritas [«Visages et souvenirs»], 1956  
   
     Paul DIBON, «Les échanges épistolaires dans l’Europe savante du XVIIe siècle» in Revue de Synthèse, IIIe série, n° 81-82 (janvier-juin 1976), pp. ...40...  

     David JAFFÉ, Rubens’ self-portrait in focus, 13 August-30 October 1988, Australian national gallery, Canberra [30 cm; 64 p.; illustr. en noir et en couleur ; exposition],Brisbane, Boolarong Publications, 1988  
    
     David JAFFÉ, Rubens and his Friends, some New Letters, Warburg Institute [«Surveys and Textes» 22], 1992 [ou peu après]. 
 

Sur César de Vendôme
 
     Dom Basile FLEUREAU, «Sur César de Vendôme» [Brefs extraits des Antiquitez de la Ville et du Duché d’Estampes relatifs à ce Duc d’Étampes], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-cesardevendome.html, 2003. 
  
     Bernard GINESTE, «Jeton de César de Vendôme de 1601» [dessin et commentaire de Jacques de Bie de 1634, avec un exemplaire vendu par la cgb en 2000],in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cne-001-jetoncesar1.html, 2003.
 
     Bernard GINESTE, «César de Vendôme. Bibliographie dynamique», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cbe-cesardevendome.html, 2003  
  
      
 
Tout complément sera le bienvenu. Any addition welcome. 
 
 
Explicit
 
 
Sommaire généralCatalogue généralNouveautésBeaux-ArtsBibliographieHistoireLittératureTextes latinsMoyen Age NumismatiqueProsopographieSciences et techniquesDom FleureauLéon MarquisLiensRemerciementsÉcrire au RédacteurMail to the Webmaster