CORPUS HISTORIQUE ETAMPOIS
 
 Maxime de Montrond
Étampes de 1411 à 1512
Essais historiques sur la ville d’Étampes, chapitre XIV
1837
 
Sceau de Charles VII
Sceau de Louis XII  
Sceau de Charles VII, roi de France Sceau de Louis XII, roi de France et de Naples

   Maxime de Montrond traite ici de l’histoire d’Étampes à la fin du Moyen Age, de 1411 à 1512, depuis l’épopée de Jeanne d’Arc jusqu’à l’aventure italienne de Gaston de Foix, comte d’Étampes.

      La saisie des textes anciens est une tâche fastidieuse et méritoire. Merci de ne pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer.
     
Essais historiques sur la ville d’Étampes
Étampes, Fortin, 1837, tome 2
Chapitre XIV, pp. 17-45.
Étampes de 1411 à 1512
 
CHAPITRE PRÉCÉDENT
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE SUIVANT


CHAPITRE QUATORZIÈME
ÉTAMPES DE 1411 à 1512



     Courte digression sur Jeanne d’Arc.  Suite des Comtes d’Étampes.  Louis XI.  Messire Jean Hüe, docteur en Sorbonne.  Jean de Foix et Gaston de Foix.  Quelques détails sur l’établissement d’un port à Étampes.  Épisodes des faits et gestes de Gaston.


     En cette même année (1411) où se livrait dans la vallée d’Étampes le siège que je viens de décrire, une autre vallée en Lorraine était, à son insu, le témoin d’un grand événement. Dans le hameau de Domrémy, près Vaucouleurs, de simples villageois donnaient la naissance à une pauvre fille qui devait un jour, quittant pour l’épée du guerrier sa houlette de bergère, combattre [p.18] aussi pour son pays. C’était Jeanne d’Arc, jeune héroïne, dont le nom se rattache à de si glorieux souvenirs.

     Ce serait sans doute m’écarter de mon sujet que de rappeler ici les exploits de cette fille illustre. Mais lorsque ses plus brillans faits d’armes eurent pour théâtre des contrées si voisines de celles dont nous redisons l’histoire, comment se défendre de jeter en passant un regard de noble joie sur ses jours de triomphe, et un regard de pitié sur ses jours de malheurs? Le nom d’Étampes figure d’ailleurs dans le récit des combats de la jeune guerrière.

     Après des sollicitations sans nombre et toutes les épreuves auxquelles l’avait soumise un excès de défiance et d’incrédulité, Jeanne d’Arc à peine âgée de vingt ans était parvenue à faire agréer ses secours au roi. Déjà la première partie de sa mission était remplie: Orléans venait d’être délivré par son bras puissant; et la jeune fille poursuivant son œuvre, s’avançait de victoire en victoire jusqu’à la cité de Reims. Après la prise de Jargeau et de Meung-sur-Loire, elle avait formé le siège de Beaugency, que défendait lord Talbot. Ce guerrier, désespérant de se pouvoir défendre, s’enfuit honteusement et se retira vers Janville, bourgade de la Beauce, pour y attendre le renfort qu’amenait sir Faslstoff. Celui-ci venait pour secourir Jargeau: mais à la nouvelle de la prise de cette place, il avait changé sa marche, et laissant dans les murs d’Étampes les vivres et munitions qu’il était [p.19] chargé de conduire, il vint à Janville, rejoindre lord Talbot (1).
Sceau de Charles VII
Sceau de Charles VII
     (1) Voy. Hist. De Jeanne d’Arc.
     Les historiens en racontant le récit des glorieux combats à quelques lieues à peine de la ville d’Étampes, n’ont point fait connaître si cette ville était tombée elle-même au pouvoir des Anglais, comme tant d’autres qui eurent à subir à cette époque la dure loi d’un ennemi vainqueur. Mais on peut facilement conclure des lignes précédentes qu’elle n’était pas alors en la possession du roi de France, puisqu’on la voit servir d’entrepôt aux vivres et munitions de troupes étrangères, dirigées contre l’armée royale. On doit se rappeler en outre qu’au nombre des puissans seigneurs ligués avec le duc de Bedford contre l’infortuné Charles VII, le duc de Bourgogne, alors comte d’Étampes, occupait l’un des premiers rangs.

     Ce suzerain était Philippe dit le Bon, comte de Charolais, fils de Jean sans Peur. Il avait succédé à son père, assassiné à Montereau par les gens du dauphin (10 septembre 1419). Le désir de venger sa mort lui avait mis les armes à la main et l’avait fait entrer dans le parti des Anglais. Par le traité d’Amiens, conclu vers cette époque (avril 1423), il s’était ligué avec le duc de Bedford, se disant régent de France, durant la minorité de son neveu Henri VI; ainsi ce vassal infidèle combattait contre son roi, et s’efforçant de faire prévaloir les droits injustes d’un prince étranger, il contribuait pour [p.20] une large part aux troubles et aux malheurs qui désolaient le royaume.

     Plus fidèle à son prince, Jeanne d’Arc poursuivait son œuvre et arrachait chaque jour quelque nouvelle place aux ennemis. Mais après avoir conduit, à travers les plaines de Champagne, Charles VII jusqu’à Reims, l’infortunée, victime de sa valeur, devint la triste prisonnière des Anglais qu’elle avait tant de fois vaincus. Étampes vit vers ce temps passer non loin de ses remparts un preux chevalier, son digne compagnon d’armes, qui allait payer de sa liberté son noble dévouement. C’était le sire Étienne de Vignoles, plus connu dans les camps sous le nom de la Hire. Il s’était avancé jusqu’aux portes de Rouen, pour délivrer Jeanne d’Arc du supplice ou mourir avec elle. Mais surpris par les Anglais, il fut conduit sous bonne escorte au châtel de Dourdan, où il expia par une dure prison son généreux dessein, et ses trop inutiles efforts (1).


Philippe le Bon
Philippe le Bon


     (1) Voy. Vie de la Hire.  Journal de Paris.
     Mais revenons aux années qui suivirent le siège d’Étampes, et que cette courte digression nous a fait dépasser.

     Ce comté resté en la puissance de la maison de Bourgogne, tant par la conquête après la prise de la ville, que par la mort du duc de Berri, était passé de Jean sans Peur à son fils Philippe de Bourgogne, dit le Bon.


     Le dauphin Charles avait cependant fait quelques tentatives pour l’enlever d’entre ses mains; il avait même [p.21] disposé de ce territoire en faveur de Richard, frère de Jean VI, duc de Bretagne, comme récompense du secours qu’il lui avait accordé pour retirer Marie d’Anjou, sa femme, des mains des Anglais (1421). Dans la suite étant devenu roi, il avait confirmé cette donation (1425). Mais le duc de Bourgogne, jaloux de retenir la possession de son domaine, avait eu recours aux armes; et dans cette lutte il était toujours demeuré vainqueur. Quelques années plus tard, ce même prince céda le comté d’Étampes avec celui d’Auxerre à Jean de Bourgogne, comte de Never, son cousin, à la place d’une rente de 5 000 livres, dont il lui avait promis la jouissance (1434).

     Cependant après la mort de Richard, duc de Bretagne, Marguerite d’Orléans, sa veuve, n’eut garde d’oublier que par un titre de donation royale, le comté d’Étampes avait appartenu à son époux. Elle fit valoir ses droits en faveur de François son jeune fils, dont elle était tutrice; et à force d’instances elle parvint à obtenir du roi la confirmation du don fait au duc de Bretagne (1442). Ce nouvel acte de la munificence royale ne reçut point une facile exécution. Deux oppositions se formèrent aussitôt contre lui. L’une vint de Philippe de Bourgogne, défenseur de son cousin Jean de Nevers; l’autre, du procureur-général du parlement. Ce dernier soutenait que le comté d’Étampes avait été donné en apanage à Louis d’Évreux, fils du roi Philippe-le-Hardi; et que la postérité de ce prince étant éteinte, son comté devait être réuni au domaine de, la couronne. Le duc de Bourgogne prétendait à son tour que le comté d’Étampes lui appartenait [p.22] de plein droit en vertu de la donation du duc de Berri. Un long procès résulta de ce différend; trente années s’écoulèrent avant qu’un jugement définitif fût prononcé. Il intervint pourtant après bien des contestations: par un arrêt du parlement, le comté d’Étampes fut réuni à la couronne, et le roi Louis XI devint possesseur d’un fief dont nous le verrons tout à l’heure un den ses fidèles vassaux (1).
     (1) Cet acte du parlement est du 18 mars de l’année 1478. (Voir aux registres du parlement.)
     L’histoire d’Étampes à l’époque où nous sommes arrivés, est mêlée d’obscurités et de confusion. Vainement essaierions-nous de l’éclaircir. Le temps n’a point épargné les titres et les monumens qui auraient pu nous guider ici dans nos études. On sait, du reste, comme nous l’avons dit ailleurs, que les annales de cette ville ne présentent point pour chaque siècle une série d’événemens liés et non interrompus. Quelques faits isolés, pris de loin en loin, ont fourni la matière du premier volume de cet ouvrage. Dans cette seconde partie les faits sont quelquefois plus rares encore. Quelques sièges, quelques combats, le passage de plusieurs souverains, ou le récit des belles actions des suzerains d’Étampes; voilà ce que l’on trouve le plus souvent dans cette nouvelle période de son histoire. Pour lier entre eux ces événemens, ou les rendre plus clairs, quelques digressions nous ont paru nécessaires. Mais elles ne seront pas tout-à-fait inutiles, si, en atteignant leur but, elles rappellent en même temps [p.23] à la mémoire du lecteur quelques faits importans des annales de la France.

     «Lorsque la retraite des Anglais, dit un éloquent historien, permit à la France de se reconnaître, les laboureurs descendant des châteaux et des villes fortes où la guerre les avait enfermés, retrouvaient leurs champs en friches et leurs villages en ruines. Les compagnies licenciées continuaient d’infester les routes et de rançonner le paysan. Les seigneurs féodaux, qui venaient d’aider Charles VII à chasser les Anglais, étaient rois sur leurs terres, et ne reconnaissaient aucune loi divine ni humaine (1).» Ce fut dans ces momens critiques que commença le règne de Louis XI (1461). Le pauvre peuple tournait vers le roi toutes ses espérances, attendant de lui seul quelque soulagement à sa misère. Le système féodal semblait reprendre son ancienne force. Les maisons de Bretagne, de Bourgogne et d’Anjou le disputaient à la maison royale de splendeur et de puissance; et les comtes d’Albret, de Foix, d’Armagnac et autres seigneurs, marchant sur les traces de ces fiers suzerains, s’efforçaient de se maintenir aussi dans une entière indépendance.

     (1) Michelet, Précis de l’histoire de France, p. 138.





     Louis XI, fils du roi Charles VII, saisit d’une main ferme les rênes de l’empire. Ce prince, ombrageux, dissimulé, parfois cruel, mais toujours politique habile, entreprit d’abaisser les grands du royaume; et pour parvenir à ses fins, il ne recula devant aucun des moyens qui se présentèrent [p.24] à son esprit. Ceux-ci redoutant les desseins du monarque, résolurent de résister de tout leur pouvoir. Le mécontentement commun les unit, et rassemblant leurs forces respectives, ils coururent aux armes, en colorant leur révolte du titre spécieux de ligue du bien public. À sa tête était Charles, comte de Charolais, depuis surnommé le Téméraire, et fils de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, que nous avons déjà vu figurer parmi les comtes d’Étampes. Ce puissant seigneur partit de la Flandre avec une puissante armée de quinze mille hommes, et s’avança vers Paris, où les princes ligué devaient se réunir. Le roi qui se trouvait alors en Touraine au château de Plessis-lès-Tours, s’empressa de se rendre dans sa capitale afin de la maintenir dans l’obéissance. Il traversa rapidement la vallée d’Étampes avec un corps de troupes, et vint se reposer à Châtres sous Montlhéry (1465) (1).


    Le comte de Charolais ayant eu avis que les ducs de Berri et de Bretagne se dirigeaient sur Étampes avec leurs troupes, résolut de les aller joindre. Ayant passé la Seine à Saint-Cloud, il vint camper avec son armée à Longjumeau; et son avant-garde, commandée par le comte de Saint-Pol, s’avança jusqu’à Montlhéry, où se trouvait Louis XI avec l’avant-garde de l’armée royale.
Un combat devenait alors inévitable; des deux côtés on s’apprêta à une vive attaque. Les troupes du roi débouchant de la forêt de Torfou, s’avancèrent bientôt à la file sur les hauteurs de Montlhéry. Le choc s’engagea entre les deux armées. De part et d’autre on montra [p.25] beaucoup de bravoure. Les deux partis rivaux eurent tour à tour l’avantage et furent ensuite repoussés. Mais à la fin le comte de Charolais ralliant ses Bourguignons qui prenaient la fuite, tomba sur les troupes royales avec une vigueur nouvelle; la mêlée devint alors très sanglante; le comte blessé lui-même, rentra dans son champ, mais il n’en demeura pas moins victorieux et maître du champ de bataille. Le roi se retira à Corbeil avec les débris de son armée; et le vainqueur poursuivant sa marche vint faire halte à Étampes (1) (juillet 1465).


Louis XI
Louis XI

     (1) Voyez Mémoires de Philippe de Comines.







     (1) On peut voir dans les curieux Mémoires de Philippe de Comines, tous les détails de cette bataille et de quelques autres événemens qui en furent la suite. (t. I, ch. IV et V)
     On voyait en même temps arriver dans cette ville les ducs de Berri et de Bretagne, avec les comtes de Dunois et de Dampmartin, et plusieurs autres seigneurs qui avaient pris les armes contre le roi. Leurs troupes se composaient de huit cents hommes de guerre bien équipés, d’environ cinq mille archers, et de quatre mille gens de pied; en tout, près de dix mille combattans, entretenus aux frais du duc de Bretagne. Les chefs de l’armée logèrent dans l’enceinte de la ville ou dans les faubourgs, avec les malades dont le nombre était alors fort considérable. Une grande partie de troupes fut dispersée dans les villages environnans. De son côté le comte de Charolais avait aussi fait conduire à Étampes tous les blessés de son armée, au nombre de près de huit cents.

     Il est resté peu de souvenirs du séjour dans cette [p.26] contrée de ces armées liguées contre leur souverain. Le chroniqueur Philippe de Comines rapporte cependant à cette occasion une anecdote qui doit trouver place dans ces récits. Un soir, dit-il, après souper, et pendant que les seigneurs de l’armée se promenaient dans les rues, le duc de Berri et le comte de Charolais conversaient ensemble appuyés contre le panneau d’une fenêtre. Tout-à-coup on vit partir d’une lucarne voisine deux ou trois fusées brillantes, dont l’une vint raser cette même croisée auprès de laquelle devisaient joyeusement les nobles princes. Effrayés de cette lueur soudaine, ils se retirent aussitôt, et donnent des ordres. Bientôt l’alarme est générale. On redoute une conspiration. Trois cents archers sont rangés en bataille devant le logis des seigneurs; et la place où était située leur demeure se trouve bientôt remplie d’hommes d’armes et d’un peuple nombreux. Cependant on cherchait avec empressement l’auteur de cette alarme, quand tout-à-coup un pauvre homme, nommé Jean, accourt en tremblant, fend la foule, et vient se jeter aux pieds du comte de Charolais, en sollicitant son pardon pour un accident arrivé contre sa volonté. C’était un soldat breton, l’auteur de cette découverte, dont l’essai avait répandu l’effroi dans la ville. Il assura que c’était par simple amusement qu’il avait jeté ces feux roulans du haut d’une maison voisine. Pour justifier son innocence, il offrit de renouveler en présence des princes la même expérience; et son offre étant acceptée, il lança aussitôt dans les airs trois ou quatre fusées non moins brillantes que les précédentes. Tout soupçon fut alors dissipé, et la compagnie joyeuse [p.27] s’égaya d’un divertissement dont la première tentative avait porté l’épouvante au sein de la cité (1).


     Le séjour des princes ligués et de leurs armées dans la ville ou dans les environs d’Étampes ne fut point de longue durée. Après quinze jours d’un repos nécessaire, tous ces gens de guerre délogèrent de son enceinte, se remirent en campagne, et dirigèrent leur marche vers Paris. Mais un bon nombre de leurs compagnons arrivés malades ou blessés avaient succombé durant cette halte. Ils furent ensevelis sur la colline qui domine le quartier de Saint-Pierre, un peu au dessus du chemin qui conduit d’Étampes à Morigny; et ce terrain, nommé encore de nos jours le cimetière des Bretons, rappelle le souvenir des guerres intestines et des divisions sanglantes dont les premières années du règne de Louis XI furent les tristes témoins (2). [p.28]


     Ces divisions furent terminées par un traité conclu à Conflans, qui dissipa la ligue des seigneurs confédérés (août 1465). Chacun d’eux se retira sur ses terres; et le monarque habile profita du loisir de la paix, pour aviser aux moyens de réduire tour à tour sous son obéissance les grands dont la puissance faisait ombrage à sa suprême autorité.

Charles le Téméraire
Charles le Téméraire


     (1) Voyez Mémoires de Philippe de Comines, liv. I, chap. V. D’après ce que cet historien rapporte de la frayeur et de la surprise que causa le jet de ces fusées, il est permis de croire que l’apparition de ces feux aériens, aujourd’hui si souvent en usage dans les réjouissances publiques, était alors nouvelle en France. Un soldat breton en serait donc l’inventeur, et la ville d’Étampes aurait joui l’une des premières de ce spectacle singulier. Ajoutons que cet ingénieux soldat figurant dans l’histoire sous le nom de Jean Boutefeu ou des Serpens, on ne peut guère douter qu’il ne soit en effet l’auteur de cette découverte.



     (2) Une grande partie de la plaine qui est au dessous de Montlhéry, et où un grand nombre de bourguignons de l’armée du comte de Charolais avaient été ensevelis, a retenu également le nom de cimetière des Bourguignons Au dessus du faubourg Saint-Pierre d’Étampes se trouve le hameau dit la petite Bretagne, dont le nom dérive peut-être aussi de la même source.



     Dans la série des actes de justice sévère ou de cruelle vengeance dont le règne de Louis XI a laissé tant d’exemples, se mêle indirectement le nom d’un illustre et savant personnage auquel la ville d’Étampes s’honore d’avoir donné le jour. Cet homme insigne par sa science et par ses vertus, est messire Jean Hüe, qui fut à la fois docteur en Sorbonne, doyen de la faculté de théologie, chanoine de Paris et de Reims, grand-doyen de l’église de Sens, et curé de Saint-André des arcs à Paris. Il naquit à Étampes dans la première période du quinzième siècle, et son nom n’apparaît dans l’histoire qu’au milieu de pieuses fonctions, ou mêlé aux travaux d’une grande assemblée. Un vil assassin, nommé Jean Hardy, convaincu d’avoir tenté d’empoisonner le roi, venait d’être condamné à mort par un arrêt de la cour du parlement; Messire Jean Hüe fut désigné pour accompagner ce malheureux au supplice (30 mars 1474). Il remplit ainsi presque un des premiers ce touchant et courageux ministère de consolation et de paix que la justice humaine n’accordait que depuis peu de temps aux criminels (1).
[p.29]
     (1) Voy. dans les Mémoires de Philippe de Comines, les horribles [p.29] détails de ce supplice, qui montre avec quelle rigueur la loi punissait alors de pareils attentats.
     Voy. le recueil des ordonnances royales du commencement du 15e siècle.
     L’année suivante nous retrouvons Messire Jean Hüe sur cette même place de Grève, qui naguère encore avait conservé sa triste destination. Mais cette fois ce n’est plus un vil et obscur assassin qu’il exhorte à la mort, c’est un noble et puissant seigneur: c’est Louis de Luxembourg, connétable de France. Le monarque ombrageux avait conçu contre ce preux chevalier, une jalouse défiance. Arrêté et conduit à Péronne, le connétable fut livré aux envoyés du roi qui l’amenèrent à Paris, ou par arrêt de la cour du parlement il fut condamné à être décapité (19 décembre 1475). Or c’était cet infortuné, triste victime d’une politique sombre et cruelle, que messire Jean Hüe était encore chargé d’accompagner au supplice et de consoler par de saintes paroles au moment du suprême adieu.

     Mais détournons nos regards de ces scènes sanglantes pour retrouver ce docte personnage au milieu des fonctions plus douces que ses diverses charges l’obligeaient à remplir. Soit qu’en qualité de pasteur il donne un soin tout paternel au gouvernement de son église; soit que doyen de Sorbonne, il préside cette grave assemblée et y prononce des arrêts importans, nous le voyons toujours consacrant ses talens et ses veilles à d’utiles labeurs. Louis XI ayant secouru les Florentins qui étaient en querelle avec le pape Sixte IV, se trouva compromis avec la cour de Rome (1478). Par suite de ces démêlés, le roi [p.30] convoqua à Orléans une assemblée des prélats de France pour y discuter certaines prétentions du souverain pontife. Messire Jean Hüe fut député par la Sorbonne et l’université à cette assemblée, et l’histoire remarque qu’il s’y distingua par la force et la hardiesse de son éloquence.

     Ce savant docteur, cet homme de bien, au milieu de ses nombreux travaux, n’avait point oublié la ville d’Étampes ou il reçut le jour. N’ayant pu vivre dans son sein, il voulut du moins y reposer après sa mort. D’après son désir, son corps fut enseveli dans le chœur de Notre-Dame, devant le grand autel de cette antique église qu’il avait aimée, et que sa générosité avait enrichie de quelques pieuses fondations. Une inscription qui les rappelle se lisait autrefois sur un marbre: cet humble monument, dont il subsiste à peine quelques traces aujourd’hui, est le seul souvenir qui reste à Étampes du passage de l’un de ses plus doctes enfans (1).

     Nous avons vu plus haut qu’à la suite des démêlés entre le duc de Bourgogne et le roi Louis XI, sur la possession du comté d’Étampes, un arrêt du parlement était intervenu, et avait réuni ce domaine à la couronne (2). Mais avant même cette sentence, le roi par quelques actes d’autorité relatifs à ce territoire, avait assez fait comprendre qu’il s’en regardait déjà comme possesseur. [p.31] L’un de ces actes présente quelques points curieux, et ne doit point passer tout-à-fait inaperçu.
     (1) Quelques fragments de ce marbre se trouvent encore sur les marches qui sont à l’entrée du chœur de l’église. On y découvre après bien des efforts, les noms et les titres de l’homme illustre dont nous venons de parler.

     (2) Voy. même ch., p. 22.


     Le roi se trouvait à Milly, dans le Gâtinois. Il avait découvert aux environs de cette petite ville un lieu nommé anciennement Puyvernier, qui lui avait paru singulièrement propice et convenable pour faire la curée de sa chasse, et pour prendre son esbat et déduit à la chasse des cerfs et autres bêtes (1): il désira dès lors se rendre maître de cette propriété. Elle dépendait de la commanderie d’Étampes et Châlou-la-Reine, et appartenait à Pierre Louffart, commandeur de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Le monarque le mande vers lui et lui fait connaître son dessein. Un acte d’échange est alors conclu entre Louis XI et le dit commandeur. Le roi devient possesseur du domaine de Puyvernier, et et concède à Pierre Louffart, en dédommagement de cette cession, une rente annuelle de cinquante livres parisis, à prendre sur les revenus de trois moulins sis sur la rivière d’Étampes et appelés les moulins de Derneteau, du Sablon et de Chauffour (2).

     Plus d’un lecteur remarquera sans doute que ces trois [p.32] moulins existent encore aujourd’hui à Étampes, sous les mêmes noms. Le premier seulement a vu changer son nom de Derneteau en celui de Darnatal. Déjà plus d’une fois, dans la première partie de cet ouvrage, nous avons eu de semblables occasions de constater l’ancienneté de quelques autres de ces établissements utiles (1). Celle-ci s’étant présentée à son tour, nous avons dû appeler de nouveau l’attention sur ce fait intéressant.
     (1) Voir les paroles consignées dans l’acte ou lettres-patentes.




     (2) Les lettres-patentes données par le roi en cette occasion, se terminent ainsi: donné à Milly en Gatinois, le seizième jour d’octobre, l’an de grâce, mil cccc soixante et quatorze, et de notre règne le quatorzième.
     Il existe au trésor des Chartes (Archives du royaume) une belle et grande charte sur parchemin, qui contient en son entier l’acte de cet échange et relate en même temps les lettres-patentes du roi. Elle nous a servi de guide dans le récit de cet événement.

     (1) Voy. tome I, p. 73-126, etc.


     Le roi Louis XI, devenu par arrêt du parlement possesseur du comté d’Étampes (1478), ne le retint pas longtemps entre ses mains. Ce domaine venait à peine d’être réuni à la couronne, que le monarque en fit don à Jean de Foix, vicomte de Narbonne, en fief et inféodation perpétuelle, se réservant seulement foi, hommage et souveraineté (2). Jean était fils puîné de Gaston IV, comte de Foix, que Charles VII avait armé chevalier au siège de Tartas (1442), et de la princesse Éléonore, fille de Jean, roi d’Aragon et de Jeanne, reine de Navarre.

     (2) Les lettres-patentes de cette donation furent données à Arras, au mois d’avril 1478, la 17e année du règne de Louis XI.

     C’est au temps de la possession de la ville d’Étampes par Jean de Foix, qu’il faut placer l’établissement du port, que la tradition non moins que diverses pièces écrites attestent avoir existé à Étampes. Il servait à l’embarquement des blés nombreux venant de la Beauce, et à leur transport vers Corbeil et Paris, sur un canal formé des rivières qui arrosent la vallée d’Étampes (3). [p.33]
     (3) Les lettres que Jean de Foix accorda pour l’établissement [p.33] de ce port, sont datées de Tours, le 27 juillet 1490. Ces lettres font mention expresse de l’existence d’un ancien port appartenant à la commanderie de Saint-Jacques de l’Épée.
     Un ancien port existait déjà, mais très imparfait sans doute et situé d’ailleurs loin de la ville, dans un lieu peu convenable au déchargement des voitures et à l’embarquement des blés qu’elles apportaient. Il était placé derrière la commanderie de Saint-Jacques-de-l’Épée, située elle-même à l’extrémité du faubourg qui borde la route actuelle de Paris, à l’endroit dit encore les Capucins. Ce port appartenait au commandeur de Saint-Jacques, qui en touchait les droits et revenus, mais sans titres authentiques qui lui en eussent donné la possession. Or les lettres de Jean de Foix ordonnent que le port qui par notre souffrance, dit le texte, a existé depuis aucunes années, joignant l’hôpital Saint-Jacques-de-l’Épée, sera approché et mis dedans notre dite ville, ou jusques au fossé et rées des murs d’icelle, suivant le cours d’eau tracé par les habitans, dans le lieu le plus convenable. Il est fait défense aux bateliers et voituriers de charger et décharger ailleurs que dans ce port les blés et vins qu’ils pourraient apporter à Étampes, à peine de confiscation et d’amende; et il est établi pour les droits à percevoir au profit du comte, un tarif semblable à celui qui était en usage au port de Saint-Jacques-de-l’Épée (1).
     (1) Tous ces détails sont extraits des lettres de Jean de Foix de l’an 1490.
     Mais le commandeur, dont les droits étaient froissés par cette disposition, s’opposa vivement à l’enregistrement de ces lettres, soutenant que le droit de port lui [p.34] appartenait et qu’il ne devait pas être conféré à d’autres à son préjudice. Les habitans d’Étampes alléguaient au contraire que ces prétendus droits étaient sans titres (pure souffrance disaient les lettres), et ne pouvaient rivaliser avec la concession que leur avait faite Jean de Foix, de sa pleine autorité.

     Cependant le bailli d’Étampes avait maintenu par une sentence le commandeur dans ses prétentions (1514). Mais plus tard le roi François Ier ayant accordé aux habitans des lettres confirmatives de celles de Jean de Foix (décembre 1521), le parlement de Paris, juge de la contestation, laissa au commandeur la jouissance de son port, mais en concurrence avec celui qui était accordé aux habitans, et qui dut alors être établi, d’après le texte de l’arrêt, depuis les fossés de la ville jusqu’à une petite ruelle descendant de l’extrémité du faubourg Évezard dans les prairies. Le même arrêt permet aux habitans d’amener les eaux de la Juine dans leur port, et de faire naviguer et stationner librement leurs bateaux sur la rivière, jusqu’à divers lieux désignés, tels que le Quai des Sarrasins proche Brunehaut, le pont de la Barre, le moulin de Pierre Broust, etc.

     Il ne reste plus aujourd’hui aucune trace de port ni de canalisation; quelques barques de pêcheurs sillonnent seules le lit des eaux qui fertilisent la vallée. Il est à croire que le commerce et la mouture des grains ayant pris de jour en jour plus d’importance dans cette contrée, on trouva plus avantageux d’employer les eaux qui rendaient le canal navigable, à faire mouvoir de nombreux et utiles moulins. [p.35]

     Mais l’emplacement où se trouvait le port d’Étampes, le long des remparts de la porte Évezard, a conservé le même nom de port, quoique transformé aujourd’hui en de gracieuses promenades qui présentent des ombrages délicieux. C’est sous leur abri que se tient annuellement la célèbre foire de Saint-Michel, dont nous avons mentionné l’origine dans le premier volume de cet ouvrage (1)
[p.36]

     Jean de Foix, comte d’Étampes, était un brave et généreux guerrier dont le nom brille avec honneur dans les fastes militaires de la France. Il vit trois monarques, Louis XI, Charles VIII et Louis XII, s’asseoir tour à tour sur le trône: il leur demeura toujours fidèle, et plus d’une fois son bras puissant sut les défendre contre leurs ennemis. Il assista au mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne, cette belle et illustre princesse que nous verrons bientôt, devenue comtesse d’Étampes, entrer en souveraine dans cette ville, fière de la recevoir dans son sein. Jean de Foix s’attachant à la fortune de son souverain le seconda vaillamment dans  cette expédition chevaleresque de Naples, où la jeune noblesse de France rivalisa de bravoure et se couvrit de lauriers. Il combattit avec elle à la bataille de Fornoüe, et fut l’un des principaux héros de cette glorieuse journée (1495). Sous le règne de Louis XII, nous retrouvons Jean de Foix aux postes d’honneur que ses talens et sa valeur, non moins qiue sa naissance, surent toujours lui assigner. Au sacre de ce prince, il se tient debout à ses côtés dans la basilique de Reims, et représente l’un des six pairs laïques qu’une antique coutume plaçait auprès du roi dans ce jour solennel. Quelques années plus tard il est encore près de lui à la bataille de Novare, livrée par ce monarque contre Ludovic Sforzi, duc de Milan, et sa bravoure et ses exploits aident puissamment à la victoire (1499).
[p.37]
     (1) Voir tome I, page 9.   Quelques rue voisines du quartier Évezard dont nous venons de parler, présentent quelques singularités. La rue Rocheplate qui forme le prolongement de la rue Évezard, tire son nom d’une grande roche plate que l’on voit encore dans les caves de l’une de ses maisons.  Vers le milieu de la rue Darnatal, une maison, jadis auberge, qui a retenu le nom de son enseigne, l’Arche de Noé, présente quelques traces d’anciennes constructions. Mais un autre objet de curiosité rend cette maison intéressante. Dans l’angle qu’elle forme avec la rue et l’un de se murs, on aperçoit dans une niche une petite madone très finement sculptée en pierre: au dessus on lit cette singulière inscription:
L’original de cette image
Est un chef-d’œuvre si parfait,
Que l’ouvrier qui l’a fait
S’est renfermé dans son ouvrage.

     Cette inscription est un peu énigmatique. Quelques habitans du quartier ont cru me l’expliquer en m’assurant que l’ouvrier de cette madone avait été selon son désir enterré dans ce mur. S’il est permis d’attribuer à ces vers ambigus un autre sens, profondément mystique et religieux, ne peut-on pas croire qu’ils rappellent le mystère de l’Incarnation de l’Homme-Dieu, ouvrier  divin qui a voulu se renfermer et prendre naissance dans le sein de la vierge  Marie, chef-d’œuvre de ses mains , et son plus parfait ouvrage?
     Dans cette même rue Darnatal on voit encore une maison dite la Sorbonne: on croit qu’elle a appartenu anciennement [p.36] à Robert Sorbon, fondateur de la Sorbonne et confesseur de saint Louis.
     Jean de Foix, épuisé de fatigues et de travaux, revint en France, jouir des honneurs qu’il avait mérités. Mais, dès l’année suivante, il fut atteint d’une maladie grave qui mit bientôt ses jours en danger. Il se fit alors transporter dans sa ville d’Étampes qu’il voulait revoir une fois encore; il y arriva presque mourant (5 novembre 1500), et quelques jours après il y rendit le dernier soupir. Ses obsèques furent célébrées avec beaucoup de pompe et de magnificence. Les échevins, les officiers de justice y assistèrent en longs habits de deuil, suivis d’une grande multitude de peuple de la ville et des lieux voisins. Lorsque le corps de ce digne seigneur fut, selon son désir, déposé dans un caveau du chœur de l’église Notre-Dame, les soupirs et les pleurs de l’assemblée montrèrent combien il était cher aux habitans de son comté, qui avaient admiré en lui l’heureux accord de la bonté et de la vaillance.

     Jean de Foix ne laissait qu’un fils, mais ce fils était Gaston V, duc de Nemours! C’était ce jeune héros qui, par ses brillans exploits au-delà des Alpes, allait acquérir à vingt ans une gloire immortelle! Il hérita des titres de son père, et le surpassa en talens et en valeur. Il fut comme lui comte d’Étampes: comme lui aussi il vint dans cette ville et paya de plusieurs bienfaits la vive affection que lui témoignèrent ses habitans. À ces titres, il a droit de notre part à un spécial hommage. On me permettra donc de redire avec quelques détails les hauts faits de l’illustre Gaston. Sa carrière fut courte; mais il eut le beau destin du héros d’Homère, et comme lui sans doute il n’eut point balancé, si le génie de la France lui eût offert à son tour: [p.38]
….. Ou beaucoup d’ans sans gloire,
Ou peu de jours suivis d’une longue mémoire.
                                      (Racine, Iphigénie).

     Gaston, fils de Jean de Foix et de Marie d’Orléans, sœur du roi Louis XII, était à peine âgé de onze ans lorsque la mort de son père le rendit orphelin. Il fut élevé à la cour du roi son oncle, et on ne tarda pas à découvrir en lui le germe des vertus précoces dont il devait bientôt des marques si éclatantes. Déjà il était venu une fois à Étampes, en se rendant à la cour (1501). Mais son passage avait été rapide, et les habitans avaient remis à une autre époque la réception brillante qu’ils se proposaient de faire à leur nouveau seigneur. Ce moment arriva quelques années après. À peine le jeune prince eut-il atteint l’âge de quinze ans, qu’il revint dans sa ville d’Étampes, comme pour prendre possession cette fois de l’héritage paternel (1506). Les anciens historiens nous ont transmis quelques détails sur cette entrée solennelle, dans laquelle les habitans déployèrent une grande magnificence. Deux cents d’entre eux montés sur de beaux coursiers, allèrent au devant de Gaston, précédés de trompettes, et de bannières aux armes de la ville. Derrière eux marchaient six cents petits garçons, portant tous à la main des banderolles revêtues des armes du comte, en or et argent. Les échevins le reçurent à la porte de la couronne (1), sous un pavillon orné d’écussons aux mêmes armes, au milieu des fanfares [p.39], des trompes, des violes, des hautbois, et des cris joyeux de la foule accourue sur son passage. Le cortège se remit en marche, entouré d’une multitude innombrable de personnes qui suivirent le prince jusqu’au logis disposé pour le recevoir. Devant ce logis se trouvait placée une sorte de merveille qui dut étonner et réjouir à la fois les nombreux témoins de cette fête splendide. C’était, dit-on, une vache dorée, dont les cornes laissaient jaillir du vin en si grande abondance, que tous les assistans purent chacun à leur tour venir y étancher leur soif. À peine le comte fut-il arrivé dans ses appartements, que l’on vit s’avancer vers lui les principaux personnages de la ville d’Étampes. Ils venaient respectueusement offrir à leur nouveau seigneur plusieurs pièces d’orfévrerie, telles que des bassins, des coupes, des salières et d’autres ouvrages de vermeil, dont le prix était alors considérable. Par ces riches présens, ils voulaient témoigner au prince leur affection et captiver sa bienveillance pour les habitans de la contrée.
     (1) Aujourd’hui la porte Évezard.
Armes du Béarn
1483-1516
Armes du Béarn sur un écu d’or
de François-Phébus (vers 1480)
     Le jeune Gaston fut vivement touché de l’accueil brillant qu’il venait de recevoir. Il conçut dès lors un vif amour pour ses vassaux d’Étampes; et appuyant leurs intérêts dans toutes les occasions, il n’épargnait rien pour s’en faire chérir à son tour. Il demeura quelque temps au milieu d’eux: mais bientôt une voix puissante l’appela et leur ravit sa présence. C’était celle de la gloire que n’entend jamais en vain un noble cœur. Le bruit des armes vient de retentir aux oreilles du jeune comte. Il n’a point vingt ans encore; mais il brûle déjà de signaler sa valeur. Il s’arrache donc à des contrées qui lui [p.40] sont devenues chères, et vole sur les champs de bataille où de belles actions vont signaler chacun de ses pas.

     Louis XII avait à se plaindre des Vénitiens qu’il venait de secourir dans une guerre périlleuse, et qui, pour prix de sa protection, avaient été infidèles à leurs sermens. Il signa donc contre eux la ligue de Cambrai, où l’on vit entrer l’empereur Maximillien, le pape Jules II et Ferdinand, roi de Castille et d’Aragon (décembre 1508); la république de Venise, menacée par tant de forces, se vit sur le point de succomber et de perdre sans retour sa gloire et sa puissance.

     Le monarque français se mit le premier en campagne et força l’armée vénitienne d’en venir aux mains près d’Aignadel. Brave et intrépide, il n’hésita point à se jeter lui-même dans la mêlée, et lorsqu’on lui représentait le danger où il exposait sa personne: «Que ceux qui ont peur, disait-il en riant, se mettent derrière moi. Cependant un jeune guerrier se trouvait auprès du roi, à l’avant-garde; et l’exemple de sa valeur enflammait aussi l’ardeur des combattans. C’était Gaston , comte d’Étampes! Il seconda puissamment, durant cette campagne, les efforts des troupes françaises. Il se distingua surtout par des prodiges de bravoure, dans cette même bataille d’Aignadel, où dix mille ennemis restèrent sur la place, tandis que leur défaite coûtait moins de trois cents hommes à nos soldats vainqueurs (1509).

     Le fruit de cette victoire fut la prise de Crémone, de Padoue, de Trente, et de presque toutes les possessions des Vénitiens en terre ferme. Mais les prétentions des princes ligués prolongèrent la guerre et fournirent au [p.41] jeune Gaston des occasions nouvelles de déployer une brillante valeur.

     Louis XII, en généreux vainqueur, avait partagé avec ses alliés les villes et les provinces conquises. Mais à peine Jules et Ferdinand eurent-ils reçus leur part de la conquête, qu’ils se liguèrent à leur tour avec les Vénitiens pour enlever au roi de France la terre d’Italie. On dirige aussitôt contre eux des forces considérables, et un jeune homme de vingt deux ans est chargé du commandement général des armées françaises. Tous les regards se portaient sur lui, et l’on, aimait à reconnaître dans cet intrépide chef, le héros d’Aignadel, Gaston, neveu du roi, duc de Nemours, comte d’Étampes; celui à qui enfin la grandeur et la rapidité de ses exploits méritèrent le surnom de foudre d’Italie.

Sceau de Louis XII
Sceau de Louis XII, roi de France et de Naples
     La carrière que fournit Gaston de Foix sur la terre italique fut courte, mais dignement remplie. Le destin fatal qui devait sitôt en trancher le cours, lui laissa quelques mois à peine pour remplir les œuvres promises à sa valeur. Durant ce rapide intervalle, que de victoires cependant couronnèrent ses généreux efforts! Il repoussa vigoureusement l’armée des Suisses, que le pape avait fait entrer en Italie; il délivra Bologne assiégée par les princes confédérés, et emporta d’assaut la ville de Bresse, qui était retombée au pouvoir des Vénitiens. Enfin, il dissipa deux des trois armées qu’il avait en tête; et lorsque la victoire s’attachait ainsi à chacun de ses pas, c’était toujours avec des forces peu considérables qu’il mettait en fuite ses nombreux ennemis.

     Mais le plus brillant fait d’armes du jeune Gaston, [p.42] pendant cette mémorable campagne, fut la bataille et le siège de Ravenne. Le duc de Nemours n’avait attaqué cette place que pour obliger les ennemis d’en venir aux mains: après quelques jours de vigoureux assauts, il voyait les assiégés sur le point de capituler, lorsque Raymond de Cordonne, vice-roi de Naples, et général de l’armée confédérée, parut à la vue des assiégeants et s’arrêta à quelque distance de la ville. Gaston brûlant d’ardeur d’engager le combat, s’empresse d’aller assaillir cette armée ennemie jusque dans son camp. L’action fut vive et opiniâtre; des deux côtés on déploya longtemps la plus grande vaillance. Les confédérés, jaloux de réparer leurs pertes, n’avaient rien épargné pour repousser les assiégeans. Ils avaient fortifié de leur mieux leurs retranchemens, et la disposition de leurs troupes était réglée de telle sorte, qu’elles formaient comme une phalange hérissée de piques. Il paraissait impossible de rompre ce mur de fer; lorsqu’un officier allemand, au service de la France, parvint à le briser par un de ces traits de dévouement héroïque dont plus d’un exemple honore nos annales. Ce fier guerrier, nommé Fabien, était l’un des hommes les plus hauts et les plus robustes de l’Europe; saisissant en travers une longue pique il s’élance de toutes ses forces sur celles des ennemis, les fait baisser, et ouvre ainsi une brèche dans ce rempart impénétrable. Il en coûta la vie à cet homme généreux; mais sa belle action décida du sort de la bataille. Les Français se précipitant dans la brèche qu’il venait d’ouvrir, font un horrible carnage de la redoutable phalange, et la victoire ne tarde pas à se déclarer en leur faveur (1512). [p.43] Or cette bataille se livrait sous les murs de Ravenne, le jour même de Pâques de l’an 1512. Gaston, l’intrépide chef de l’armée française venait de s’y signaler par des actes magnanimes de courage. Auprès de lui s’était trouvé au moment du combat, un illustre guerrier, plus digne que tout autre d’apprécier l’éclatant mérite du jeune héros; un preux chevalier vieilli dans les camps, qui lui prêta cette fois l’appui de sa valeur et de sa longue expérience. C’était Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche! Ce brave guerrier l’avait surtout aidé à repousser la cavalerie espagnole qui était venue fondre sur la compagnie française où se trouvait le duc de Nemours; et pendant que ce prince tout couvert de sang ralliait ses hommes d’armes, il s’était attaché lui-même à la poursuite des fuyards.

     Cependant la victoire paraissait complète: restait seulement un gros d’ennemis espagnols, qui se retiraient en bon ordre vers Ravenne. Gaston s’élance sur eux suivi seulement d’une quinzaine de soldats; et se postant sur leur passage, il entreprend de les arrêter. Cette bouillante ardeur lui devint fatale: assailli à son tour par les espagnols, il se défend vaillamment l’épée à la main; mais percé de quatorze coups de lance, il chancèle, tombe, et rend le dernier soupir sur le théâtre même de sa victoire. Ainsi mourut à vingt trois ans Gaston de Foix, duc de Nemours et comte d’Étampes. Avec ce jeune héros expira la fortune de la France: avant la fin de la campagne, l’armée française avait perdu toutes ses conquêtes, et la terre d’Italie lui échappa sans retour.


     Le corps de Gaston enlevé par ses hommes d’armes [p.44] fut apporté dans Ravenne, et de là conduit comme en triomphe par l’armée victorieuse jusqu’à Milan, sur un char étincelant de mille flambeaux. Plus de dix mille cavaliers vêtus de deuil, entrèrent à sa suite dans cette ville. Il fut enseveli avec une grande pompe dans l’église du
; quelques années plus tard un superbe tombeau de marbre blanc fut construit pour le recevoir, dans une autre église de la même cité. C’est là que reposèrent ses restes précieux; diverses parties des belles sculptures qui décoraient ce riche mausolée, se voit aujourd’hui encore dans la bibliothèque ambroisienne de Milan.

François-Séraphin Delpech: Gaston de Foix (lithographie, 1820)
Lithographie de Delpech: Gaston de Foix (lithographie, 1820)
     La double nouvelle du gain de la bataille de Ravenne et de la mort de Gaston de Foix, remplit à la fois l’âme du roi Louis XII, d’une vive joie et d’une profonde douleur. «Je voudrais,» s’écria-t-il, en déplorant la perte de Gaston, réputé dès lors le plus grand capitaine de toute la chrétienté; «je voudrais n’avoir plus un pouce de terre en Italie, et pouvoir à ce prix faire revivre mon neveu Gaston de Foix, et tous les braves gens qui ont péri avec lui. Dieu nous garde de remporter jamais de pareilles victoires!» Ainsi la ville et le comté d’Étampes perdirent le jeune héros dont l’aurore se levait si belle, et dont les brillantes qualités leur promettaient un brillant et généreux protecteur. Mais un nouvel espoir vint bientôt adoucir la douleur de cette perte: le roi avait fait don du comté d’Étampes à la reine Anne de Bretagne: or chacun savait que cette personne était l’une des plus accomplies de son temps. Les habitans d’Étampes informés de la [p.45] prochaine arrivée de leur nouvelle comtesse, firent de nombreux préparatifs pour la recevoir d’une manière conforme à son illustre rang.

     Courte digression sur Jeanne d’Arc.  Suite des Comtes d’Étampes.  Louis XI.  Messire Jean Hüe, docteur en Sorbonne.  Jean de Foix et Gaston de Foix.  Quelques détails sur l’établissement d’un port à Étampes.  Épisodes des faits et gestes de Gaston.

 
 
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Source: édition de 1837 saisie par Bernard Métivier en mars 2012 (chapitre 14)
BIBLIOGRAPHIE

Éditions
 
     Clément-Melchior-Justin-Maxime FOURCHEUX DE MONTROND (dit Maxime de MONTROND ou de MONT-ROND), «Chapitre quatrorzième», in ID., Essais historiques sur la ville d’Étampes (Seine-et-Oise), avec des notes et des pièces justificatives, par Maxime de Mont-Rond [2 tomes reliés en 1 vol. in-8°; planches], Étampes, Fortin, 1836-1837, tome 2 (1837), pp. 17-45.

     Réédition numérique illustrée en mode texte: François BESSE, Bernard MÉTIVIER & Bernard GINESTE [éd.], «Maxime de Montrond: Essais historiques sur la ville d’Étampes (1836-1837)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-montrond.html, 2012.

     
Réédition numérique de ce chapitre: Bernard MÉTIVIER & Bernard GINESTE [éd.], «Maxime de Montrond: Étampes de 1411 à 1512 (1837)» [édition numérique illustrée en mode texte], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-montrond1836chapitre14.html, 2012.

Sources alléguées par Montrond

     Jacques DELESCORNAY, Mémoires de la ville de Dourdan [in-8°; pièces liminaires; 243 p], Paris, B. Martin, 1624.

     Denys GODEFROY (1615-1681) [éd.], Jean JUVENAL DES OURSINS (1388-1473), Histoire de Charles VI, roi de France, et des choses mémorables advenues... depuis 1380 jusques à 1422. Par Jean Juvénal Des Ursins,... Augmentée en cette seconde édition de plusieurs mémoires, journaux, observations historiques et annotations contenans divers traictez, contracts, testamens et autres actes et pièces du mesme temps non encore imprimées [in-f°; 50+800+7 p.; tableaux], Paris, Sébastien Cramoisy, 1653.
     Joseph-François MICHAUD (1767-1839 ) & Jean-Joseph-François POULOULAT [éd.], JUVENAL DES OURSINS (1388-1473),
«Histoire de Charles VI, roy de France, et des choses mémorables advenues durant quarante-deux années de son règne, depuis 1380 jusqu’à 1422», in Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France 1/2 [24 cm; 699 p.], Paris, Éditions du commentaire analytique du Code civil, 1836 [Réimpression: Paris, Guyot frères, 1850], pp. 333-569.

     Dom Urbain PLANCHER (mauriste, 1667-1750) & dom Zacharie MERLE (mauriste), Histoire générale et particulière de Bourgogne, avec des notes, des dissertations et les preuves justificatives; composée sur les auteurs, les titres originaux, les régistres publics, les cartulaires... et enrichie de vignettes, de cartes géographiques, de divers plans, de plusieurs figures... par un religieux Bénédictin de l’abbaïe de S. Bénigne de Dijon et de la congrégation de S.-Maur [in-f°; 4 volumes (le 4e volume a été rédigé par Merle, d’après les recherches d’Alexis Salazard); figures; planches; notes bibliographiques; index], Dijon, A. de Fay (puis L.N. Frantin), 1739-1781.
     Réédition en fac-similé (avec une introduction du médiéviste Jean RICHARD) [28 cm; 4 volumes; pagination multiple; dépliant; illustrations], Paris, Éditions du Palais Royal, 1974.

     Jean LE LABOUREUR (1621-1675) [éd.], Histoire de Charles VI, roi de France, écrite par les ordres et sur les mémoires et les avis de Guy de Monceaux, et de Philippes de Villette, abbés de Saint-Denis, par un auteur contemporain, religieux de leur abbaye, contenant tous les secrets de l’État et du schisme de l’Église, avec les intérêts et le caractère des princes de la chrétienté, des papes, des cardinaux et des principaux seigneurs de France, traduite sur le manuscrit latin tiré de la bibliothèque de M. le président de Thou, par messire J. Le Laboureur,... et par lui-même illustrée de plusieurs commentaires, tirés de tous les originaux de ce règne, avec un discours succinct des vies et moeurs, et de la généalogie et des armes de toutes les personnes illustres de ce temps, mentionnées en cette histoire et en celle de Jean Le Fèvre, seigneur de Saint-Remy (1380-1422), pareillement contemporain, qui y est ajoutée, et qui n’avait point encore été vue [in-f°], Paris, L. Billaine, 1663.


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