CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
 
Noël Valois
Le Privilège de Chalo-Saint-Mard
1886 et 1896
 
   
Ex-voto de l'église Saint-Pierre d'Etampes, du XVIe siècle, selon une gravure de Montfaucon  

     On voit par cette étude déjà ancienne de Noël Valois, qu’à travers les siècles les Étampois aisés n’ont jamais manqué d’ingéniosité ni d’entregent pour éluder l’impôt, et pour en laisser tout le poids à d’autres, moins fortunés, et moins habiles. Rien de nouveau sous le soleil.
B.G., décembre 2007
 
 
Noël Valois, Annuaire Bulletin de la Société de l’Histoire de France 23/2 (1886), pp. 185-226. Le privilège de Chalo Saint Mard
Noël Valois, Annuaire Bulletin de la Société de l’Histoire de France 33/2 (1896), pp. 182-205.
Note complémentaire
sur le privilège de Chalo Saint Mard.

1. Le privilège de Chalo Saint Mard
par Noël Valois (1886)

LE PRIVILÈGE DE CHALO-SAINT-MARD


     Il est permis aujourd’hui d’ignorer le nom d’un privilège auquel la plupart des dictionnaires et des encyclopédies historiques ont refusé les honneurs d’un article spécial. Si cependant le récit d’une grande mystification, dont l’origine remonte au moyen âge et dont les suites ont été plusieurs fois envisagées avec inquiétude par la royauté elle-même, mérite de fixer l’attention, nous n’aurons point lieu de regretter le temps employé à faire connaitre et  replacer dans son vrai jour le privilège de Chalo-Saint-Mard (1).

     (1) Nous ne nous proposons pas ici d’épuiser un sujet qui, par plus d’un point, côtoie l’histoire générale, et sur lequel d’ailleurs notre confrère M. Gabriel Richou apportera bientôt, nous l’espérons, de nouveaux renseignements, puisés dans des archives privées.
     Ce n’était rien de moins qu’une exemption totale des impôts, tailles, aides, subsides et droits quelconques perçus dans le royaume pour le compte du roi et de ses vassaux: faveur singulièrement utile, et qui comportait même le privilège de noblesse suivant une opinion fort répandue, principalement, il est vrai, parmi les intéressés. Jouissaient de ces avantages tous les descendants d’«Eudes le Maire, dit Chalo-Saint-Mard,» personnage sur lequel nous reviendront bientôt. Nous disons: tous les descendants, tant par les femmes que par les hommes; c’est-à-dire que, dans cette famille, suivant l’expression consacrée, [p.186] «le ventre annoblissait,» ou tout au moins affranchissait des impôts. Le nombre de ceux qui avaient prouvé ou cru prouver que quelques gouttes du sang d’Eudes le Maire coulaient encore dans leurs veines est assez difficile à préciser. Il s’élevait, en 1602, à trois cent cinquante environ, suivant une déclaration officielle des «gardes de la Franchise» (1), estimation qui parait bien faible auprès des renseignements fournis d’ailleurs. Nous ne parlons pas d’une plaidoirie dont l’exagération égale la malveillance: «De present, disait le 9 mars 1507 un avocat au Parlement, il en y a nombre infiny qui se disent de ladicte lignée, et y sont receuz tous en baillant deux escus.» (2) Mais, en 1540, François Ier entrevoyait déjà le moment où la plupart des marchands du royaume seraient des rejetons d’Eudes la Maire (3). En 1578, Henri III qualifiait d’«excessif» le nombre des prétendus descendants d’Eudes le Maire, commerçants pour la plupart (4). Henri IV en 1596, n’estimait pas à moins de sept ou huit mille personnes la lignée actuellement vivante d’Eudes de Chalo Saint-Mard (5), et il ajoutait un peu plus tard: «Ceulx qui s’en disent estre yssus... sont pour la plupart les plus riches et aysez des villes, bourgs, villages, et y ont le plus d’auctorité.» (6) Dans la seule ville de Paris; les descendants d’Eudes le Maire, organisés en communauté, élisaient annuellement un syndic, dont ils faisaient l’agent comptable de leur association et le dépositaire de leurs titres (7). Dès 1528, un recueil officiel publié [p.187] par l’échevinage de Paris porte à rois mille au moins le nombre des descendants de Chalo-Saint-Mard, sans qu’il soit possible de dire si cette évaluation s’applique à l’ensemble de la lignée, ou seulement aux membres de la famille établis à Paris (1). Il va sans dire que certains historiens ont démesurément grossi ces chiffres: Favyn, par exemple, en vient à parler de vingt ou trente mille personnes issues de Chalo-Saint-Mard et répandues de son temps dans toutes les parties du royaume, particulèrement dans les villes frontières et maritimes. «Telles exemptions, dit-il, ont un fort long temps faict rechercher l’alliance de ceux de ceste ancienne franchise, voire des villes frontières de ce royaume, les plus riches marchants desquelles, pour jouyr des advantages d’icelle, venoient prendre femme à Estampes et aux environs (le village de Chalo-Saint-Mard, berceau de la famille, est situé à dix kilomètres d’Etampes), afin de pouvoir en toute liberté trafficquer francs et quittes de tous droicts et passages. Et ces filles, par ce moyen, richement mariées sans bource deslier,
«Numerabant in dite triumphos.» (2)
     (1) Arch. nat., X.1a 1782, fol. 178 v°.

     (2) Bibl. de la Chambre des Députés, collection Lenain, Registres du Parlement, t. CLXXI, fol. 34 r

     (3) Arch. nat., X.1a 8613, fol. 257 r°.— D. Basile Fleureau, Les antiquités de la ville et du duché d’Étampes, Paris, 1683, in-4°, p. 84.

     (4) Arch. nat., X.1a 8634, fol. 168 r°.

     (5) Lettres patentes du 24 mai 1596. (Arch. nat. Z.1a 533.)

     (6) Pièces justificatives, III.

     (7) Cette élection avait eu lieu à l’issue d’une messe pour la communauté en l’église du Saint-Sépulcre. Le Musée d’Étampes possède encore une pièce manuscrite intitulée: «Compte que rend le sire Charles Gaultier, bourgeois de Paris, en qualité de scindicq pour la communauté des privilleges de la franchise de Challo-Sainct-Mas pour ceste ville et fauxbourg de Paris seulement, et pour la recepte que le dit Gaultier [p.187] a faite de son année; a comencé après Pasques quatre vingts quinze et fini à Pasques quatre vingts saixze, etc.» (Communication de M. Lenoir, conservateur du musée d’Étampes.)

     (1) Ordonnances royaulx de la jurisdiction de la prevosté des marchans et eschevinaiges de la ville de Paris, édition gothique de 1528, Adicions. — Les ordonnances royaux sur le faict et jurisdiction de la prévosté des marchands et eschevinage de la ville de Paris, Paris, 1556, in-4°, fol. 142 v°; 1582, in-4°, 192 v°, et 1644, in-f°, p. 256.

     (2) André Favyn, Histoire de Navarre, Paris, 1612, in-fol., p. 1146.
     Au nombre les plus connus parmi les privilégiés de Chalo-Saint-Mard, nous citerons le jurisconsulte René Choppin (3), le [p.188] conseiller au Parlement Mathieu Chartier et son petit-fils, l’illustre Mathieu Molé. Cette famille Chartier, à laquelle il suffisait de se rattacher pour participer à la franchise (1), faisait remonter son origine jusqu’à un certain Alain Chartier, qui avait, disait-on, épousé Tiphaine Le Maire, une des filles du fameux Eudes, dit Chalo Saint Mard. (2)

     On connaît trop l’érudition des jurisconsultes du XVIème siècle pour s’étonner des rapprochements que leur suggérait cette immunité. Ils ne savaient mieux comparer le privilège de Chalo Saint Mard qu’à l’exemption accordée par les Athéniens aux descendants d’Harmodius et d’Aristogiton. (3)

     Quel était donc l’important personnage dont le souvenir se trouvait ainsi lié à celui des meurtriers d’Hipparque? Quel service éminement rendu à la couronne avait pu donner lieu à une aussi éclatante faveur?
     (3) Ayant épousé, en la personne de Marie Baron, une descendante d’Eudes Le Maire, il fit vérifier ses droits, ceux de sa femme et de ses enfants, le 22 avril 1597, et obtint des Requêtes de l’Hôtel, le 13 mau suivant, des lettres de garde gardienne qui les déclaraient tous privilégiés (Commentaires sur la coustume d’Anjou, liv. I, art. 8, dans Les œuvres de Me René Choppin, Paris, 1635, in-fol., p. 323.— B. Hauréau, Histoire littéraire du Maine, Paris, 1871, in-8°, t. III, p.22.)
     (1) A. Favyn, loc. cit.
      (2) Abrégé cronologique de la fondation et histoire du collège de Boissy, avec la généalogie de la famille de ses fondateurs, 1724, in-fol., dans le carton M 103 (n°4) des Archives. — M. le marquis de Beaucourt a prouvé que, contrairement à une tradition répandue, il ne fallait pas confondre cette famille avec celle du poète Alain Chartier. (Recherches sur Guillaume, Alain et Jean Chartier, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. XXVIII, 1869, p. 33.)
     (3) R. Choppin, Trois livres de la police ecclésiastique, loc. cit.Les Œuvres de M. Julien Peleus, Paris, 1638, in-fol., t. II, p. 454. — Recueil d’aucuns plaidoyes faicts en la Cour des aides par M. C. le Bret, Paris, 1597, in-8°, fol. 65 r°.
     A vrai dire, il existe un certain désaccord au sujet de l’époque à laquelle vivait notre héros. Une opinion qui avait cours à Etampes vers l’année 1514 (4), et que consacrent deux lettres patentes et un arrêt du Parlement (5), rapporte son aventure au règne de Philippe le Bel. Suivant une seconde version, Philippe-Auguste aurait compté Eudes le Maire parmi ses compagnons [p.189] d’armes lors de la troisième croirade de 1191 (1). Mais la tradition de beaucoup la plus accréditée est celle dont MM. Menault (2), Fourcheux de Montrond (3), et Guizot lui-même (4) se sont faits les échos, d’après les historiens du XVIe siècle: «Le roi Philippe Ier, disent-ils, avait fait vœu d’aller, armé de toutes pièces, visiter le tombeau du Christ à Jérusalem, se suspendre ses armes dans le temple et de l’enrichir de ses dons... Les prélats et les seigneurs du royaume, prévoyant les maux qu’occasionnerait son absence, s’efforcèrent vivement de le retenir. Alors un de ses fidèles serviteurs, Eudes le Maire, dit Challo Saint Mard, né à Etampes, offrit d’entreprendre lui-même  le voyage à la place du roi. Il partit à pied, armé comme dans un jour de bataille et portant dans sa main un cierge qu’il allumait à divers intervalles. Il employa, dit-on, deux années à faire ce pélerinage. Arrivé enfin au terme de sa course, il déposa ses armes dans le temple du Saint-Sépulcre, où plusieurs années après les voyait-on encore, ainsi qu’un tableau d’airain, mémorial de son vœu. Le noble pélerin avait laissé son fils Ansolde et ses cinq filles sous le patronage de son roi. Son retour dans sa patrie fut le signal des honneurs dont ce prince se plut à le combler. En témoignage d’estime et de satisfaction, il lui accorda l’exemption de tous péages, tributs et autres droits pour lui et toute sa race.» (5) [p.190]

Dessin de Montfaucon
     (4) L’ordre observé à l’enterrement de la royne Anne, duchesse de Bretaigne..., par Bretagne, roi d’armes, dans Le cérémonial de France de Th. Godefroy (Paris, 1619, in-4°), p. 115.
     (5) Lettres patentes du 19 janvier 1541 (D. Fleureau, loc. cit.) et du 27 août 1585 (Pièces justificatives, II); arrêt du Parlement du 9 décembre 1594 (Girard et Joly, Offices de France, t. I, p. 674).
     (1) B. Hauréau, Histoire littéraire du Maine, t. III, p. 22.
     (2) Morigny, son abbaye, sa chronique et son cartulaire, suivi de l’histoire du doyenné d’Etampes, Paris, 1867, in-8°, p. 10.
     (3) Essais historiques sur la ville d’Etampes, Étampes, 1836, in-8°, t.I, p.75.
     (4) Histoire de la civilisation en France, Paris, 1872, in-8°, t. IV, p. 333.
     (5) Cette histoire a inspiré un peintre du XVIe siècle, dont l’ouvrage est reproduit en gravure dans Les monumens de la monarchie françoise de D. Bernard de Montfaucon (t.. II, p. 216). On y voit le roi, sur un trône, tenant de la main droite son sceptre, et donnant de la main gauche des lettres scellées à un chevalier armé de toutes pièces, qui n’est autre que Chalo-Saint-Mard; derrière lui, sa femme, tenant par la main un fils en bas âge; au dernier plan, ses cinq filles, tontes à peu près de même taille et agenouillées sur un seul rang. — A propos de cette reproduction et de la courte notice qui l’accompagne, d’Hozier reproche à Montfaucon de n’avoir pas pris parti pour l’un des deux systèmes qui attribuent la donation soit à Philippe Ier, soit à Philippe le [p.190] Bel: «il a partagé, dit-il, le différend en deux, en racontant l’histoire comme si elle était arrivée sous le premier de ces deux rois, et en renvoyant au règne du second le tableau qui la représente.» (Armorial général ou registres de la noblesse de France, Paris, 1752, in-fol., reg. III, 2e partie, ORLÉANS, fol. 20 v°.)
     Eudes Le Maire appartiendrait donc au XIème siècle, l’âge de la première croisade, et son histoire se rattacherait à l’un de traits les plus surprenants du règne de Philippe Ier (1). Ce prince, que l’on était habitué à se représenter bravant les anathèmes de l’Eglise, nous apparaît cette fois comme un pélerin impatient de se prosterner devant le temple de Jérusalem. Le service que lui rend Eudes Le Maire ne semble pas payé trop cher par une exemption perpétuelle d’impôts: le généreux serviteurs acquitte la dette de son maître, calme les scrupules de la conscience royale, en même temps qu’il permet au prince de poursuivre sans interruption l’œuvre de consolidation de la monarchie capétienne.
     (1) Les frère Scévole et Louis de Sainte-Marthe ne manquent pas de citer ce trait à la gloire de Philippe Ier: «[Le roy] ayant fait vœu d’aller visiter le S. Sepulchre et ne le pouvant faire, Eudes Le Maire, chastelain, entreprit pour lui ce voyage à pied et armé, ce qu’il exécuta. Mais la splendeur des actes de piété de ce roy fut ternie de ce que, forlignant de la vertu de ses ancestres il se laissa tellement posséder par Bertrade...» (Histoire généalogique de la maison de France, Paris, 1647, in-fol., t. I, p. 459.) — Parmi les auteurs qui ont reproduit sans objection le récit du vœu de Philippe Ier, citons encore Pardessus (Ordonnances, t.XXI, p. 113).
    Telle est, non pas la légende (nous craindrions de manquer de respect aux auteurs graves qui l’ont reproduites), mais l’histoire poétique d’Eudes Le Maire. Occupons-nous à présent de reconstituer son histoire vraie. 

     Nous commencerons ce travail par deux éliminations. Il s’agit de textes invoqués pour prouver l’ancienneté des droits reconnus par la couronne aux héritiers d’Eudes Le Maire. L’un de ces textes est une note soi-disant insérée «dans les registres de la Chambre des comptes sous le règne de Philippe le Bel.» (2) Or, [p.191] non seulement les mémoriaux reconstitués après l’incendie de 1737 ne fournissent aucune indication semblable; mais les mémoriaux anciens, dont le contenu est analysé feuille par feuille dans nos inventaires, ne présentaient, vers l’époque de Philippe le Bel, aucune mention relative à la lignée d’Eudes Le Maire. (1)
     (2) G.-A. de La Roque, Traité de la noblesse, Rouen, 1734, in-4°, chapitre intitulé De la noblesse d’Eudes le Maire, dit Chalo-Saint-Mars, p. 158. — La Chenaye des Bois, Dictionnaire de la noblesse, v° CHALO ou CHAILLOU DE SAINT-MARS.

     (1) Voy. les tables de Le Marié d’Aubigny (Arch. nat., PP. 135).
     Le second texte, cité pour la première fois par dom Fleureau, est un passage d’une prétendue ordonnance de saint Louis déclarant exempte du guet de la ville de Paris «toutes les personnes étans de la lignée de Challo-Saint-Mard, dont la femme affranchit le mary, qui sont plus de trois mil.» (2) Que pouvait être cette ordonnance? Cette question semblait destinée à rester toujours sans réponse (3). Voici ce que nous avons trouvé. Il existe un recueil de pièces et de dissertations historiques publié, en 1501, par ordre du parlement et plusieurs fois réimprimé sous les auspices de la ville de Paris (4). Dans toutes les éditions, sauf la première, figure l’ordonnance de 1254 sur les jeux, l’usure, les juifs, etc.; un peu plus loin, commence une dissertation sur le guet de la ville de Paris, rédigée apparemment par l’éditeur de 1528, et qui contient textuellement ces mots: «Sont francs et exempts dudit guet... toutes les personnes estans de la ligne de Charlot-Sainct-Mas, dont la femme affranchist le mary, qui sont plus de trois mil.» Telle est la prétendue ordonnance de saint Louis. Dom Fleureau a confondu la prose d’un éditeur contemporain de François Ier avec le texte de l’ordonnance de 1254 (5). Sa méprise est d’autant plus certaine qu’elle lui est commune avec l’auteur [p.192] du Traité de la police, Nicolas de La Mare (1). C’en est assez pour écarter l’ordonnance de saint Louis au même titre que la note inscrite dans les mémoriaux du temps de Philippe le Bel.
     (2) C’est ce texte qui a inspiré la phrase suivante de M. Guizot (Histoire de la civilisation en France, t. IV, p. 335): «Et, moins de deux cents ans après, saint Louis, en déclarant les descendants d’Eudes de Challou-Saint-Mard exempts du guet de la ville de Paris, dit qu’ils sont au nombre de trois mille.»

     (3) Cf. d’Hozier, Armorial général, reg. III, 2e partie, fol. 21 v°.

     (4) Voy. plus haut, p. 187, note 1.

     (5) L’exemption dont parle l’éditeur de 1528 ne paraît pas avoir longtemps duré: il n’en est plus question dans l’édit de janvier 1540 sur le guet de Paris. (R. de Lespinasse, Les métiers et corporations de la ville de Paris, Paris, 1886, in-fol., t. I, p. 68.)

     (1) Celui-ci suppose (tome I, p. 256) l’existence d’une ordonnance de saint Louis sur le guet; et tous les renseignements qu’il fournit au sujet de cette prétendue ordonnance sont tirés du chapitre en question, c’est ce qu’a fort bien fait remarquer le commissaire au Châtelet Dupré, dans son Répertoire général des réglemens de police par ordre cronologique, conservé aux Archives nationales (H 1880.2, fol. 12 v°). Il va sans dire que l’erreur s’est perpétuée dans les ouvrages qui ont disserté sur le guet d’après N. de La Mare. (D. Félibien, Histoire de la ville de Paris, t. I, p. 345, etc.)
     Passons à des faits plus certains. L’an 1336, diverses personnes s’intitulant «hoirs ou aiens cause de feu Eude de Chalo» présentent requête à Philippe VI à l’effet d’obtenir la reconstitution d’une charte scellée du grand sceau, en cire verte, sur lacs de soie, qui leur a été octroyée, disent-ils, par le même roi, c’est-à-dire dans les huit années qui précèdent, mais qui, placée dans l’excavation d’un vieux mur, s’est trouvée entièrement détruite par l’action de l’humidité: il n’en reste plus que le sceau. L’affaire est renvoyée aux gens des requêtes de l’Hôtel. En même temps, l’on produite deux vidimus de la charte détruite passés sous le sceau du Châtelet; onze témoins attestent sous serment la conformité de ces copies avec l’original détruit, qu’ils affirment avoir vu. Philippe VI se rend à ces preuves multiples: il reconstitue la charte par lettres datées du Louvre au mois de décembre 1336 (2).
     (2) Pièees justificatives, I.
Dessin de Montfaucon

    Ces lettres que les hoirs de Chalo obtenaient ainsi, par deux fois, de la chancellerie de Philippe VI, n’étaient qu’une confirmation: elles ratifiaient les dispositions contenues dans un diplôme de Philippe Ier. Ce qu’il y a de très singulier, c’est que le texte même de ce diplôme n’a jamais passé sous les yeux ni de Philippe VI, ni de ses gens: ils n’en n’ont point vu l’original, ils n’en ont point vu de copie. On s’est borné à leur montré une sorte de notice anonyme (3), rédigée on ne sait par [p.192] qui, et certifiée conforme au texte du diplôme par trois abbés parisiens. Du reste, point de date dans la formule d’attestation. Il faut savoir l’époque et la durée du gouvernement de ces trois abbés, André, abbé de Saint-Magloire, Ascelin, abbé de Saint-Victor, Thibaud, abbé de Sainte-Geneviève (1), pour reconnaître qu’ils ont dû fourni leur triple certificat vers le milieu du règne de saint Louis, entre les années 1244 et 1254 (2).
     (3) Cette notice, qui se trouve reproduite dans la première de nos Pièces justificatives, a déjà été imprimée plusieurs fois, toujours d’une façon incomplète ou fautive. (R. Choppin, Trois livres de la police [p.193] ecclésiastique, p. 322. — A. Favyn, Histoire de Navarre, p. 1143. — Ph. Labbe, Novæ bibliothecæ manuscriptorum librorum tomus primus. Paris, 1657, in-fol., p. 655. — D. Fleureau, loc. cit.— La Roque, Traité de la noblesse, p. 157. — D’Hozier, Armorial général, reg. III, 2e partie, fol. 21 r°. — Ordonnances, t. XV, p. 316. — Menault, Morigny, son abbaye, etc., pièces justificatives, p. 4, etc.) — Elle a été traduite par M. Guizot (Histoire de la civitisation en France, t. I, p 333).

     (1) Gallia christiana, t. VII, col. 316, 677 et 740. — B. Guérard, Cartulaire de Notre-Dame de Paris, t. III, p. 395. — A. Teulet, Layettes du trésor des chartes, t. II, p. 268. — Arch. nat. L 499, n°21; L 893, n° 25; LL 1450, fol. 35 v°, etc.

     (2) C’est un raisoùnement que n’a pas fait du Boulay (Historia Universitatis Parisiensis, t. II, page 39). Il se figure que les attestations des trois abbés sont contemporaines du diplôme, et croit pouvoir se servir de ce document pour prouver que les doyens de Sainte-Geneviève prenaient déjà le titre d’abbés dans les dernières années du XIe siècle.
     C’est là un procédé bien étrange. Si l’original du diplôme de Philippe Ier existait encore vers le milieu du XIIIème siècle, ainsi que nous l’affirme les trois abbés (3), comment les hoirs Chalo n’ont-ils pas cherché à en obtenir un vidimus en forme, soit à la chancellerie royale, soi à la prévôté de Paris ? Au lieu de s’adresser à l’autorité la seule compétente en pareille matière, ils s’en vont recourir trois abbés qui n’ont point qualité pour apprécier l’authenticité d’une charte royale. Remarquons qu’ils ne leur demandent pas de vidimer le diplôme: ils leur présentent à sceller une notice informe, rédigée sans doute par eux, et s’écartant visiblement, au moins par la tournure des phrases, du texte de l’original (4). En d’autres termes, ils s’efforcent [p.193] de les rendre complices d’un véritable travail de remaniement et d’interprétation. Ils les invitent, non pas à collationner deux textes d’apparences identiques, mais à juger si les différences existant entre les diplômes et la notice sont de nature à altérer le sens de la concession de Philippe Ier. Nous ignorons jusqu’à quel point les trois abbés André, Thibaud et Ascelin possédaient les qualités nécessaires pour bien s’acquitter de cette tâche. Mais, ce que nous savons fort bien, c’est que, pour désirer et opérer ainsi la substitution d’une notice à un diplôme en forme, les hoirs Chalo devaient avoir quelque intérêt puissant à faire disparaître ce diplôme. Et, de fait, il a disparu. Depuis le jour où les abbés de Saint-Magloire, de Saint-Victor et de Sainte-Geneviève l’ont eu entre leurs mains, jamais plus personne ne l’a revu. Les hoirs Chalo n’ont cessé de produire à l’appui de leurs prétentions la notice accompagnée de l’attestation des trois abbés, et nous avons vu comment, sous Philippe de Valois, ils ont réussi à la faire revêtir de l’approbation royale (1).
     (3) «Testificor me vidisse privilegium illustrissimi regis Philippi, et verbo ad verbum legisse prout continetur in presenti rescripto (Pièces justificatives, I.)

     (4) Ainsi, dans cette notice, le nom de Philippe Ier est toujours mis à la troisième personne.

     (1) D’Hozier, frappé de la forme étrange que revêt l’attestation des trois abbés, émet l’opinion que cette attestation elle-même pourrait bien être supposée (Armorial général, reg. III, 2e partie, fol. 23 v°). Nous ne nous arrêterons pas à cette hypothèse: l’irrégularité même de ce certificat nous est un sûr garant de son authenticité. Un faussaire aurait fabriqué une pièce de forme moins étrange, surtout ayant le désir de la faire ratifier par le roi; il ne se serait point exposé de gaîté de cœur aux objections qu’a dû soulever, à la chancellerie royale, la vue d’un document de forme aussi suspecte.
     Nous avons donc de fortes raisons de soupçonner la notice de n’être qu’une traduction libre du diplôme, traduction tout à l’avantage des héritiers Chalo. 

    Mais nous ne arrêterons pas là: nous pousserons l’indiscrétion jusqu’à rechercher si le diplôme qui fut montré aux trois abbés, puis disparut aussitôt, présentait, lui du moins, les caractères d’un acte authentique (2). Les souscriptions et la date [p.195] de ce diplôme ont dû passer textuellement dans le corps de la notice; elles sont ainsi conçues: «Signum Hugonis, tunc temporis  dapiferi. Signum Gascionis de Pisciaco, constabularii. Signum Pagani Aurelianensis, buticularii. Signum Guidonis, fratris Galeranni, camerarii. Actum Stampis, mense martii, in palatio, anno ab incarnatione millesimo quater vigesimo quinto, anno vero regni ejus vigesimo quinto...». Cette date ne présente aucune difficulté; elle peut correspondre au mois de mars 1085 ou 1086, suivant la manière de fixer le commencement de l’année et le commencement du règne: les habitudes irrégulières de la chancellerie de Philippe Ier autorisent cette double supposition (1). Restent les souscriptions. Hugues de Rochefort, sénéchal, Gace de Chaumont, connétable, Payen d’Orléans, bouteiller et Guy, non pas frère, mais fils de Galeran, chambrier, ont en effet rempli leurs charges simultanément, mais à une époque bien postérieure à 1085: c’est seulement en 1106 que leurs souscriptions apparaissent au bas des diplômes de Philippe Ier (2). Donc les données chronologiques résultant de la présence des grands officiers ne concordent pas avec la date exprimée dans la pièce, mars 1085-1086. Il est vrai que certains auteurs se sont efforcés d’atténuer, sinon de faire disparaître, cette contradiction. Pour justifier la présence d’un sénéchal du nom de Hugues en l’année 1085, ils ont intercalé Hugues le Grand, troisième fils de Henri Ier, sur la liste des sénéchaux, entre Robert et Gervais; mais cette hypothèse ne repose que sur la charte de Chalo (3), et elle est inconciliable avec plusieurs [p.196] circonstances de la vie de Hugues le Grand. Le «Hugo tunc temporis dapifer» ne peut-être que Hugues de Rochefort, et, encore une fois, il y a une contradiction entre les indications fournies par les souscriptions et par la date du diplôme de Chalo Saint Mard (1).
     (2) Antoine-Marie d’Hozier (Armorial général, reg. III, 2e partie, fol. 21 r°) a déjà entretrepris de prouver la fausseté de ce diplôme; mais, comme il n’en connaît le texte que par les éditions fautives de Choppin, de Favyn, du P. Labbe, de Fleureau, de La Roque, il embarrasse sa démonstration d’une foule de remarques oiseuses; une grande partie de ses arguments tombe à faux.

     (1) Œuvres de l’avocat Henri Cochin, Paris, 1790, in-4°, t. VI, p. 260-262. — Nouveau traité de diplomatique, t. V, p. 786. — Art de vérifier les dates, t. I, p. 572.   

     (2) P. Anselme, t. VI, p. 29 et 41; t. VIII, p. 395 et 515. — Ach. Luchaire, Histoire des institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens, t. I, p. 169 et 177.

     (3) Voy. l’Histoire généalogique de la maison de France par les frères de Sainte-Marthe (t. II, p. 668): «Aucuns historiens sont d’avis que [Hugues de France] avoit esté seneschal ou grand maistre de France regnant Philippes, son frère, et qu’en cette qualité il soussigna la charte contenant la franchise de Chalo-Saint-Maard que le mesme roi octroya à Eudes le Maire... Ils adjousteut qu’Eudes (pour Hugues) obtint cette grande charge par la disgrace du roy qu’encourut le comte d’Anjou, qui [p.196] la possédoit avant luy.» Le P. Anselme (t. I, p. 532, et t. VI, p. 29) se contente de dire que le fait «n’est pas certain.»

     (1) Avant d’être signalée par M. Luchaire (op. cit., t. II, p. 117), cette contradiction avait été constatée, par A.-M. d’Hozier (loc. cit.).
    Cet argument, suffisant pour faire douter de l’authenticité du diplôme, emprunte encore une nouvelle force à l’observation qui suit. Les principales concessions faites par Philippe Ier aux églises et aux monastères d’Etampes datent précisément des années 1106 et 1107, sont rédigées avec les mêmes formules, sont suivies des mêmes souscriptions que le diplôme des héritiers Chalo (2). Pour faire valoir à quel point la ressemblance est grande, nous metrons en regard, par exemple, les dernières phrases du diplôme de Chalo Saint Mard et de celui qui fut octroyé, en l’année 1106, aux serfs et colliberts de la Sainte-Trinité d’Etampes (3).
     (2) D. Mabillon, De Re diplomatica, p. 593. — Gallia christiana, t. XII, instr., col. 16.

     (3) Fleureau, op. cit., p. 482. — Labbe, Alliance chron., t. II, p. 585.
Diplôme de la Sainte-Trinité d’Etampes

Diplôme de Chalo-Saint-Mard
     Et ut hec libertas firma et inconvulsa permaneat in servis Sancte Trinitatis,

     Et ut hec libertas et hec  pacta firma et inconvulsa permaneant,
     memoriale istud inde fieri et nostri nominis charactere et sigillo signari et corroborari precepimus.

     memoriale istud inde fieri et nominis [nostri] karactere et sigillo signari ex presente et propria manu [nostra] cruce facta corrobari precepi[mus].



Adstantibus de palatio nostro quorum nomina subtitulata sunt et signa:
Adstantibus de palatio [nostro] quorum nomina subtitulata [sunt] et signa:
Signum Hugonis de Creceio, dapiferi nostri.

Signum Hugonis, tunc temporis dapiferi [nostri].
Signum Gascionis de Pissiaco, constabularii nostri.

Signum Gascionis de Pissiaco, constabularii [nostri]
Signum Pagani Aurelianensis, buticularii nostri. [p.197]

Signum Pagani Aurenlianensis, buticularii [nostri]. [p.197]
Signum Guidonis, tunc temporis, camerarii nostri.

Signum Guidonis, fratris Galeranni, camerarii [nostri].
Actum Pissiaci, in Palatio, anno ab Incarnatione Domini MCVI, anno vero regni nostri XLV.
Actum Stampis, mense martii, in Palatio, anno ab Incarnatione MLXXXV, anno vero regni nostri XXV.
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614 à l'église parisienne de Saint-Etienne-du-mont (1614)
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont)

      Il n’est point téméraire de supposer que cette partie du diplôme de Chalo Saint Mard a été copiée presque mot pour mot sur l’un des diplômes conservés par les églises ou les abbayes d’Etampes. Voici ce qui se sera passé. Les héritiers Chalo possédaient un acte de Philippe Ier daté de mars 1085, mais rédigé sous la forme la plus simple, et notamment dépourvu des souscriptions des grands officiers. La vue des diplômes du même roi conservés dans leur pays natal leur aura suggéré la pensée de revêtir leur charte des formules solennelles usitées pour les concessions les plus importantes; ils ont donc emprunté aux diplômes de Saint-Martin ou à celui de la Sainte-Trinité les formules finales et les souscriptions des grands officiers, persuadés qu’ils ajoutaient ainsi à la valeur de leur charte, et bien éloignés de croire qu’ils amalgamaient, en réalité, des éléments contradictoires et fournissaient de la sorte aux historiens futurs le moyen d’attaquer leur franchise (1).
     (1) A.-M. d’Hozier croit voir surtout, dans la charte de Chalo-$aint-Mard, la trace d’emprunts faits au cartulaire et à la chronique de Morigny. Il va même jusqu’à supposer que les hoirs Chalo sont responsables de la destruction d’une partie de cette chronique, parce que le silence qu’elle gardait au sujet des exploits d’Eudes Le Maire, constituait une forte présomption contre l’authenticité de la légende (Armorial général, reg. III, 2e partie, folios 20 v° et 23 v°). C’est une hypothèse bien hasardée, mais que l’on pouvait s’attendre à voir examiner dans un ouvrage spécialement consacré à Morigny, à son cartulaire et à sa chronique [p.198] (Morigny, son abbaye, sa chronique et son cartulaire, suivi de l’histoire du doyenné d’Étampes). L’omission de M. Menault est assez regrettable.
     De toute ces observations, que conclure? Que les prétentions des hoirs de Chalo doivent inspirer une singulière défiance:

     1° Parce qu’on attendit jusqu’au règne de Philippe VI pour les faire valoir devant la chancellerie royale;

     2° Parce qu’elles s’appuient sur un acte dont les termes et la [p.198] forme furent modifiés dans l’intérêt des hoirs Chalo vers le milieu du XIIIe siècle;

     3° Parce qu’avant même ce remaniement, elles n’étaient fondées que sur un diplôme fabriqué par les hoirs Chalo, ou tout au moins «refait»

     Voyons pourtant le contenu de cette notice qui nous est donnée comme la reproduction de la charte de Philippe Ier: reproduction faite assurément tout à l’avantage des héritiers Chalo. Que nous apprend ce document sur l’auteur de la lignée, sur l’origine et sur l’étendue de la franchise de Chalo-Saint-Mard?

     Nous traduisons textuellement:
     «Savoir faisons à tous présents et à venir que Eudes, maire de Chalo, suivant l’impulsion divine, et du consentement du Philippe, roi de France, dont il était le serviteur, ou serf (famulus), est parti pour le Sépulcre du Seigneur, et a laissé dans la main et sous la garde dudit roi son fils, Ansould, et ses cinq filles. Et ledit roi a retenu ces enfants en sa main et sous sa garde. Et il a concédé aussi à Ansould et à ses cinq sœurs dessusdites, filles d’Eudes, pour l’amour de Dieu et par sa seule charité, et par respect pour le Saint-Sépulcre, que, si des hoirs mâles descendant d’eux venaient à épouser des femmes soumises au roi par le joug du servage, il les affranchissait par avance et les dégageait du lien du servage; si au contraire des serfs du roi épousaient des femmes issues des hoirs d’Eudes, celles-ci seraient, ainsi que leurs hoirs, dans le servage du roi (1). Et le roi a concédé en fief aux hoirs d’Eudes et à leurs hoirs sa marche de Chalo et ses hommes de corps à garder; de telle sorte qu’ils ne soient tenus de comparaître en justice devant aucun des serviteurs du roi, mais seulement devant le roi lui-même, et que, dans toute la terre du roi, ils ne paient aucune coutume. Le roi a ordonné, en outre, à ses serviteurs (ou à ses serfs), d’Etampes [p.199] de garder à Chalo sa chambre, parce que Chalo doit garder Etampes et veiller soigneusement à la conservation d’Etampes.
»
     (1) «De servitute regis essent,» ce que M. Guizot traduit fort inexactement (op. cit., p. 334): «Elles seront, ainsi que leurs descendants, de la maison et domesticité du roi.»
     Certes, nous voilà bien loin des prétentions affichées par les derniers rejetons d’Eudes de Chalo Saint Mard. Et, pour commencer par l’auteur de cette nombreuse lignée, son fameux nom de Le Maire n’est, suivant toute vraisemblance, que le titre de son office: il était maire de Chalo-Saint-Mard, près d’Etampes, c’est-à-dire préposé à l’administration et à la garde d’une petite communauté rurale sans importance. Que penser dès lors de cette habitant de Gaillefontaine au XVIIe siècle, dont parle La Roque, qui fondait sur son nom de Le Maire des prétentions à la noblesse (1)? Le soi-disant chevalier ou chambellan du roi Philippe est quelque chose comme un huissier, un percepteur et un garde-champêtre (2). Quant au service éminent qu’il passe pour avoir rendu à Philippe Ier, quant au vœu de ceui-ci, aux instances de ses barons, quant aux circonstances merveilleuses de ce voyage à pied accompli haubert au dos et cierge en main, quant au tableau votif, aux armes suspendues dans l’église du Saint-Sépulcre, ce sont autant d’inventions qui font honneur peut-être à l’imagination des hoirs de Chalo, mais qui sont en pleine contradiction avec les termes de la notice: Eudes est parti pour la terre sainte, mû par un sentiment de piété, trop heureux que le roi consentît à son voyagen et, comme il n’est plus question de lui dans le reste de la pièce, tout porte à croire qu’il n’en est pas revenu (3). Aussi est-ce par pur acte de «charité,» cette concession de Philippe Ier: le roi veut assurer le sort de six orphelins. Il leur accorde non pas la noblesse (c’est bien de [p.200] noblesse qu’il s’agit), mais des faveurs proportionnées à leur humble condition: si leurs descendants mâles épousent des serves du roi, ils ne tomberont pas, par cela même, comme le veut la coutume, dans la conditon servile; leurs descendantes, au contraire, si elle épousent des serfs du roi, ne manqueront pas de perdre la liberté, elles et leurs hoirs. La garde de la marche de Chalo, la surveillance des fiscalins du roi, c’est-à-dire probablement les fonctions attachées à l’office de maire que remplissait Eudes, sont concédées en fief à ses descendants; mais que ce mot de fief de nous trompe pas: on sait que les plus petits offices, les fonctions les plus viles pouvaient être l’objet d’une tenure féodale, et rien de plus fréquent au XIe siècle que la tendance des petites fonctionnaires, en particulier des maires ruraux, à rendre leurs charges héréditaires (1). Les descendants d’Eudes seront exempts de la juridiction, souvent odieuse, des prévôts et des autres officiers subalternes; ils ne comparaîtront en justice que devant la Cour du roi: c’est encore là un privilège accordé au XIe siècle à une multitude d’églises, de communautés, de villes et même de simples particuliers (2).
     (1) Ce privilège, semblable aux rivières qui grossissent à mesure qu’elles s’éloignent de leur source, s’est enfin étendu jusques au titre de noblesse en faveur de l’un et l’autre sexe; et plusieurs familles qui s’en disent venues se sont maintenues dans la qualité de noble. La plupart même de ceux qui s’appeloient le Maire, qui est un nom d’office en la famille dont il s’agit, ont aussi aspiré à cette qualité; cela se voit par la tentative qu’en fit autrefois un habitant de Gaillefontaine qui portoit ce nom.»  (Traité de la noblesse, p. 157.)

     (2) Voy. Du Cange, aux mots MAJORES REGII, MAJORES VILLARUM.

     (3) M. Luchaire lui-même parait croire qu’il est question dans la notice d’un «Eudes Lemaire» ayant fait «à la place du roi» le voyage de Terre sainte (op. cit., t. II, p. 117).

     (1) Luchaire, op. cit., t. I, p. 232. — Cf. le. texte suivant de Suger, cité par Du Cange: «In villis porro seu privatorum, vel nobilium, erant majoriæ, ut plurimum, hereditariæ et in feodum tenebantur.»

     (2) Luchaire, op. cit., t.I, p. 221 et 234; t.II, p.131 et 146.
     En vérité, le texte de la notice est si peu favorable aux prétentions des hoirs Chalo, qu’on se demande avec étonnement en quoi ont pu consister les deux remaniements successifs dont nous avons trouvé la trace. Tout au plus peut-on attribuer à la main d’un falsificateur un certain nombre de coupures intelligentes ou de modifications à peine sensibles.

     Ici nous sommes, bien entendu, réduits à des conjectures. Par exemple, il n’est pas impossible que le pieux maire de Chalo fût tout simplement serf du roi: le mot famulus s’entend très souvent en ce sens, et le soin avec lequel on prévoit le cas d’un mariage contracté par les descendants d’Eudes dans la classe des serfs tendrait à confirmer cette hypothèse. S’il en était ainsi, la charte devait contenir une clause d’affranchissement, [p.201] qui aurait été supprimée, comme prouvant la basse extraction de la famille. En outre, il se pourrait bien faire que la concession de fief et même l’exemption de redevances fussent limitées, dans la charte originale, à une ou deux générations. Le sens des mots «dans toute la terre du roi» pouvait aussi être précisé de telle sorte que l’exemption ne s’appliquât qu’aux coutumes levées dans le territoire d’Etampes. Enfin la phrase relative aux devoirs réciproques des habitants d’Etampes et de Chalo Saint Mard a dû être altérée de façon ou d’une autre: il est certain qu’elle est devenue à peu près inintelligible (1). Telles sont vraisemblablement les quelques modifications subies par la charte de Chalo Saint Mard. Elles ont suffi à donne le change pendant plusieurs siècles, à la chancellerie, aux tribunaux, à tous les officiers du roi.
     (1) «Rex vero tunc temporis precepit famulis suis de Stampis ut custodirent Chalo cameram, quia Chalo debet custodire Stampas et earum curam servandarum vigilanter habere.» Favyn en conclut (loc. cit.) que la bourgade de Chalo possédait alors une chambre, c’est-à-dire une maison de plaisance appartenant au roi. Fleureau comprend le passage autrement: «Le roy Philippe, dit-il, établit à Estampes une chambre pour la conservation des titres et autres chartes concernant ce privilège.» C’est cette interprétation fantaisiste qui a réuni le plus grand nombre de suffrages (Montrond, op. cit., t, I, p. 206; Guizot, op. cit., t.IV, p. 334, etc.).
   Nous pouvons maintenant assister à ce curieux spectacle d’une famille échafaudant les prétentions les plus élevées sur la base branlante que l’on sait. Réfection de la charte originale, rédaction de la notice, attestation des trois abbés, nous passons rapidement sur cette première période qui aboutit enfin, comme nous l’avons vu, à l’homologation du privilège par la chancellerie de Philippe VI. A partir de cet heureux jour, tous les rois qui se succèdent en France ne sont pas plus tôt montés sur le trône, qu’ils se voient saisis d’une demande tendant à la ratification du privilège de Chalo Saint Mard. Les hoirs Chalo sont entrés dans la période de jouissance, ils cherchent à la faire durer. Ainsi Jean le Bon donne ses lettres de confirmation à la charte de son père dès le mois de novembre 1350 (2). Charles V [p.202] vidime et ratifie les lettres de ses prédécesseurs au mois d’avril 1366 (1). Charles VI en fait autant, une première fois au mois de juillet 1384 (2), une seconde fois au mois d’août 1394: exemple suivi par Charles VII en 1436, par Louis XI au mois de janvier 1462 (3), par Charles VIII au mois d’octobre 1483 (4), par Louis XII au mois d’août 1498 (5), et même par François Ier, quelques jours après son avènement, au mois de janvier 1515.
     (2) Arch. nat., JJ 80, n°228.

     (1) Arch. nat., JJ 97, n°17.

     (2) Arch. nat., JJ 125, n°64.

     (3) Arch. nat., JJ 198, n°88. Cf. Ordonnances, t. XV, p. 316.

     (4) Arch. nat., JJ 214, n°34.

     (5) Ordonnances, t. XXI, p. 113.
Dessin de Montfaucon

     La clause accordant remise des «coutumes» dans «toute la terre du roi» est décidément interprétée comme une exemption de toutes les taxes, en quelque partie du royaume qu’elles se lèvent et à quelque époque qu’elles soient établies (7). Nous voyons les hoirs de Chalo refuser de payer les aides, les vingtièmes (8), les huitièmes, les tailles, tous impôts dont pas un n’existait, bien entendu, au temps de Philippe Ier.

     (6) Vidimus donné le 2 juillet 1522 par Guillaume Audren, garde de la prévôté d’Étampes. (Bibl. nat., ms. Dupuy n° 761, fol. 53 r°.

     (7) Sentence des Requêtes de l’Hôtel du 4 juillet 1522. (Bibl. nat., ms. Dupuy n°761, fol. 59 v°.)

     (8) Cf. un arrêt du Parlement du 12 décembre 1483: «... et aussi sur certaine requeste bailliée à la Court par Jehan Bruyere, l’aisné, et ses consors descenduz de la lignée de feu Eudes de Chalou Saint Mas, touchant leurs franchises à eulx données, par laquelle ilz requieroient l’enterinement de certaines autres lettres d’evoeation de la cause pendant entre lesdictz supplians et les fermiers de la costume du XXe denier du vin vendu en gros...» (Arch. nat., X.1a 1491, fol. 30 r°).
Dessin de Montfaucon

     Autre point capital: les hoirs Chalo ont intéressé à leur cause les maîtres des requêtes de l’Hôtel, et ils parviennent à faire porter devant cette juridiction favorable tous leurs démêlés avec les agents du fisc ou avec les fermiers d’impôts. Vainement la Cour des aides fait observer qu’elle a été instituée, postérieurement, à la concession du privilège de Chalo Saint Mard, pour connaître de toutes les questions relatives aux aides (9). Vainement le Parlement, sur la conclusion du ministère [p.203] public, rend parfois des arrêts favorables à la juridiction des élus (1). Vainement un édit de février 1544 défend aux membres de la lignée de se soustraire à la juridiction de la Chambre du trésor (2). Des lettres de François Ier du 22 février 1515 (3), des arrêts du Parlement du 4 juillet 1531 (4), du 16 juillet 1573 (5) et du 5 mars 1577 (6), des lettres patentes de François II du 31 août 1560 (7), des arrêts du Grand Conseil du 11 août 1587, du 8 mars 1588 et du 10 novembre 1594 (8) désignent les maîtres des requêtes comme gardes, conservateurs et juges, à l’exclusion de tous autres, du privilège de Chalo Saint Mard (9). En cas d’appel interjetés contre les sentences des Requêtes de l’Hôtel, les affaires sont déférées, non pas à la Cour des aides, juridiction favorable aux intérêts du fisc, mais au Parlement (10). [p.204]

     (9) Arrêts du Parlement du 17 janvier 1505 et du 9 mars 1507 (Bibl. de la Chambre des députés, collection Lenain, Registres du Parlement, t. CLXXI, fol. 32 à 35).
     (1) Le 11 décembre 1531, la Cour admet la distinction suivante faite par le ministère, public: «Alligret, pour le roy, a dit qu’il y a long temps que l’on extend les privileges de ceulx de la lignée Challot Sainct Mars. Dict, quant il est question des voictures et autres droicts qui ne sont d’aydes, et ils en sont poursuivyz, croyt bien qn’ilz doyvent estre poursuivyz pardevant les maistres des requestes de l’Hostel. Mais, quant est question des droits des aydes..., que les esleuz en doyvent avoir la congnoissance.» (Arch. nat., X.1a 4891, fol. 151 r°.) Choppin a cité cet arrêt comme s’il était entièrement favorable à la juridiction des Requêtes de l’Hôtel. (Trois livres de la police ecclésiastique, p. 323.) — Voici d’autres conclusions prises par le ministère public, le 23 novembre 1518: «Supposé que l’intimé soit de la lignée de Hude le Mere, neantmoings, veu qu’il est question du fait des aides, la congnoisssnce en apartient aux eleuz privative.» (Arch. nat., X.1a 4863, fol. 19 r°.)
     (2) P. Guenois, La grande conférence des ordonnances et édits royaux, Paris, 1678, in-fol., t. III p. 19. — Fontanon, t. II, p. 250.
     (3) Vidimus donné, le 2 juillet 1522, par Guillaume Audren, garde de la. prévôté d’Étampes. (Bibl. nat., ms. Dupuy n°761, fol. 52 r°.)
     (4) Arch. nat., X.1a 4891, fol. 150 r°.
     (5) Arch. nat., X.1a 1640, fol. 95 r°.
     (6) Girard et Joly, Offices de France, t. I, p. 674.
     (7) Arch. nat., X.1a 8628, fol. 165 v°.
     (8) Arch. nat., V.5 143; V.5 147; V.5 1091.
     (9) Choppin et Lenain donnent à entendre que le titre de gardes du privilège de Chalo-Saint-Mard fut conféré aux maîtres des requêtes par les lettres de Charles VII, ou tout au moins par celles de Charles VIII que nous avons citées, ce qui est inexact. Ces lettres sont une confirmation pure et simple de la charte de Philippe VI.
     (10) Lettres patentes du 11 mars 1587 (Arch. nat., X.1a 8638, fol. 502 r°). [p.204] Arrêt du Parlement du 17 juillet 1597 (Bibl. de la Chambre des députés, Coll. Lenain, Registre des Requêtes de l’Hôtel, fol. 40 r°).
    Puis, comme il faut qu’un si rare privilège ait pour point de départ une action d’éclat, la légende du dévouement d’Eudes de Chalo pénètre dans le style officiel. On lit dans le préambule d’une sentence du 4 juillet 1522: «Comme des long temps Philippe, roy de France lors regnant, pour amour et charité et en reverance et honneur de Sainct Sepulchre de Oultre mer, ouquel il s’estoit voué, eust donné charge et envoyé pour faire ledict voyaige ung nomé Eude le Maire, son serviteur et familier (1)...».
     (1) Bibl. nat., ms. Dupuy n°761, fol. 59 v°. — Favyn, Histoire de Navarre, p. 1146.
   Il est vrai que les membres de la lignée s’imposent de hautes obligations: ils escortent et veillent les corps des rois et des reines en passage à Etampes. Voici comment le roi d’armes Bretagne raconte l’arrivée dans cette ville du convoi d’Anne de Bretagne: «Et estoient six cens (2) habitans vestus en deuil, qui portoient chascun ung flambeau blanc armorié d’ung escu escartelé, le premier de Jerusalem, et le second de sinople à un escu de gueules soustenu d’or sur une feuille de chesne d’argent. Je m’enquis pourquoi ils portoient ce quartier des armes de Jerusalem; l’on me répondit qu’ils estoient yssus d’un noble home nommé Hue la Maire, seigneur de Chaillou, lequel, estant averty que le roi Philippe le Bel devoit un voiage en Jerusalem à pied, armé, portant ung cierge, ce que le bon roi ne peult pour quelque maladie qui lui survint: et entreprint ledit seigneur de Chaillou le voyage, ce qu’il fist et accomplit. Et, pour partie de sa remuneration, iceluy roy luy octroya ung quartier des armes de Jerusalem; et franchit et exempta de tous subsides et tailles luy, ses successeurs et heritiers et ceulx qui d’eux viendront. Ainsi ils sont peuplés depuis un grand nombre. Pour ce sont-ils tenus de venir au devant du coprs des rois et reynes à leur entrée à Estampes; [p.205] et, sy ils y reposent morts, sont tenus de garder et veiller le corps: ce qu’ils ont fait ce voiage à ladite raine. Et s’appellent la Franchise.» On remarquera ces armoiries concédées aux descendants d’Eudes de Chalo Saint Mard par un roi de France du XIe siècle. Elles figuraient au bas du tableau que reproduit Montfaucon, dans l’église Saint André des Arts (1), dans l’église Saint Etienne du Mont, etc., et sont soigneusement décrites par Favyn, La Roque, La Chenaye des Bois et Fourcheux de Montrond (2). 
     (2) Th. Godefroy, dans son édition (Le cérémonial de France, p. 115), avait imprimé: «deux cent.» D. Montfaucon corrige le texte du récit d’après un manuscrit appartenant à l’évêque de Metz (Les monumens de la monarchie françoise, t. II, p. 217).

     (1) Cette église renfermait les tombeaux de Mathieu Chartier, † 18 septembre 1559, de Jeanne Brinon sa femme, de Geneviève Chartier, sa soeur; de Michel Chartier, etc. (H. Cocheris, Histoire de la ville de Paris par l’abbé Lebeuf, t. III, p. 278.)

     (2) Favyn, Histoire de Navarre, p. 1145. — La Roque, Traité de la noblesse, p. 160. — La Chenaye des Bois, Dictionnaire de la noblesse, v° CHALO ou CHAILLOU-DE-SAINT-MARS. — Montrond, Essais historiques sur la ville d’Étampes, t. I, p. 206.
     Cependant l’heure devait sonner où la paisible jouissance des héritiers de Chalo Saint Mard allait être troublée d’une façon cruelle. Le ton de certaines plaidoiries prononcées dès les premières années du XVIe siècle avait pu déjà leur faire pressentir que l’époque du libre examen s’ouvrirait bientôt pour leur franchise (3). Un terrible coup leur fut porté par des lettres de François Ier datées de Fontainebleau le 19 janvier 1541. 
     (3) Bibl. de la Chambre des députés, collection Lenain, Registres du Parlement, t. CLXXI, fol. 33 v°.
     Dans cet acte, la franchise de Chalo Saint Mard n’est plus qu’un «certain pretendu privileige de feu bonne memoire le roy Philippes le Bel.» Les privilégiés sont appelés «aucuns de noz subjectz se disans estre yssus .... de feu Eudes le Maire. Et combien dudict pretendu privilleige original il n’apparoisse par chartre auctenticque, mais seullement par une vieille attestacion de troys abbez qui ont attesté avoir autrefoys veu l’original d’icelluy privileige et deposent de la teneur et substance d’icellui, etc...». On s’aperçoit, en même temps, que la notice peut et doit être interprétée d’une façon plus étroite qu’on ne l’a fait jusqu’alors; et c’est une longue énumération des droits et des privilèges depuis longtemps [p.206] usurpés par les descendants d’Eudes de Chalo: «ils se sont voulu exempter et affranchir eulx et leurs biens de tous peages, acquetz, barrages, travers, pontenages et autres droiz et tributz quelzconques tant par eaue que par terre à nous deubz et à autres seigneurs subalternes, noz vassaulz et subjectz, ayans lesditz droitz en leurs terres...;» ils se sont établis marchands pour exploiter la franchise; ils ont fait traverser le royaume à des tonneaux de vin, de sel, de harengs, sans acquitter un sol; «et s’est trouvé marchant soy disant de la dicte lignée qui, pour ung coup, a passé douze ou treize cens muidz de vin sans riens payer». On va jusqu’à reprocher aux hoirs Chalo de vendre aux prix courants. Ce préambule pouvait faire craindre une abolition du privilège; mais le ton des lettres se radoucit dans le dispositif. Elles se bornent, en somme, à exiger des témoignages ou des documents positifs au lieu des attestations sommaires que se contentaient de fournir les privilégiés pour établir leur descendance, et elles déclarent qu’ils ne jouiront plus de l’exemption que pour les produits de leur cru, ou pour les marchandises destinées soit à leur usage personnel, soit à l’approvisionnement de leurs maisons. Le Parlement enregistra ces lettres le 8 février 1541 (1).
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614 à l'église parisienne de Saint-Etienne-du-mont (1614)
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont)





     (1) Arch. nat, X.1a 8613, fol. 257 r°. — Fleureau, op. cit., p 84.

     En présence de cette hostilité, les hoirs de Chalo suivirent le parti le plus sage: ils patientèrent. Au mois de juin 1550, personne de se souvenait déjà plus, à la chancellerie royale, des lettres de François Ier; les membres de la lignée purent obtenir de Henri II une confirmation pure et simple de leur ancien privilège (2). Sous François II, ce fut mieux encore; des lettres datées d’Amboise, au mois de mars 1560, affirmèrent positivement que la franchise de Chalo Saint Mard avait reçu la confirmation et l’approbation pleine et entière de tous les prédecesseurs du roi: «Comme les hoirs naiz et à naistre de feu Heude le Maire, dict Challo Sainct Mas, eussent dès l’an quatre vingtz cinq par feuz noz predecesseurs roys de bonne memoire esté mis en leur main et sauvegarde, et iceulx affranchiz et exemptez [p.207] de tous droitz et tributz quelzconques en nostre royaume, pays, terres et seigneuries, et ce pour les grandz et vertueux services à eulx faictz par ledict le Maire; et congnoissans nos dictz predecesseurs roys l’occasion dudict affranchissement estre très raisonnable, l’auroient continué, et confirmé et faict joyr et user lesdictz hoirs de l’effect et contenu d’icelluy affranchissement successivement jusques à présent, qu’ilz  doubtent y estre empeschez au moyen du décès de nostre dict feu pere sans avoir sur ce noz lettres de continuation et confirmation necessaires...» (1)
Le succès de la politique suivie par les héritiers Chalo eût été complet si les gens du parlement de Paris n’avaient eu la mémoire plus longue que les officiers de la Chancellerie: l’enregistrement des lettres de François II tarda tellement qu’il fallut à deux reprises obtenir de Charles IX des lettres de surannation (2); il n’eut lieu, le 6 septembre 1566, que sous les réserves stipulées par les lettre de François Ier du 19 janvier 1541: «La Court a ordonné et ordonne que lesdictes lettres seront enregistrées pour en jouyr par lesdictz impétrans selon et conformement à l’edict faict par le feu roy Françoys premier de ce nom l’am M Vc XL, et aux modifications faictes par ladicte Court sur icelluy le VIIIe jour de febvrier oudict an.» (3)


     La royauté continuait de se montrer favorable aux interêts de la lignée; de nouvelles confirmations furent onbtenue le 26 juin 1571, et, après l’avènement de Henri III, au mois de mars 1575 (4).
     (2) Bibl. de la Chambre des députés, collection Lenain, Registre des Requêtes de l’Hôtel, fol. 55 r°.

     (1) Arch. nat., X.1a 8628, fol. 164 v°.

     (2) Lettres du 19 mai 1561 (Arch. nat., X.1a 8628, fol. 165 v°) et du 20 juillet 1566 (ibid., fol. 166 v°).

     (3) Arch. nat., X.1a 1619, fol. 324 v°.

     (4) Bibl. de la Chambre des députés, collection Lenain, Registre des Requêtes de I’Hôtel, fol. 68 v° et 71 r°. —D. Fleurean prétend qu’en 1575, le président Brisson fit révoquer le privilège de Chalo-Saint-Mard parce qu’il était irrité contre les habitants d’Étampes, qui, l’étant venus visiter en sa maison de Gravelle, ne lui avaient pas rendu tous les honneurs dus à son rang. Peut-être veut-il parler des lettres du 29 janvier 1578, qui ne sont pas une révocation, mais une restriction de la franchise. M. Guizot a reproduit cette anecdote, en la reportant par mégarde à l’année 1598, c’est-à-dire environ au septième anniversaire de [p.208] la mort du président Brisson (Histoire de la civilisation en France, t. IV, p. 335). Au nombre des historiens qui ont brouillé toutes les dates, il faut aussi compter R. Choppin (voy. ses Commentaires sur la Coustume d’Anjou, dans les Œuvres de Me René Choppin, t. III, p. 94).
     En 1578, le vent avait encore une fois tourné: des lettres du 29 janvier déclarèrent que les hériters de Chalo Saint Mard, dont le «prétendu privilège» avait été dûment examiné par le Conseil privé, payeraient les taxes du huitième et du vingtième, même pour le vin provenant de leur ru ou destiné à leur approvisionnement, attendu que ces taxes n’étaient point expressément visées dans l’exemption originale (1). Le Parlemnt enregistra ces lettres le 31 juillet, en stipulant qu’elles n’auraient point d’effet rétroactif (2). le 6 mars 1585, de nouvelles lettres condamnèrent les descendants de Chalo Saint Mard demeurant à Orléans à contribuer aux subsides levés dans cette ville, emprunts, solde des cinquante mille hommes, droits d’entrée sur le vin, douzième de l’appétissement de la pinte, et cela même pour le vin de leur cru, attendu «que leur dict previlege ne faict mention des choses susdictes, aussy que lors d’icelluy elles ne estoyent imposées ne establyes.» (3) Il est vrai que, le 27 août de la même année, les hoirs Chalo, ayant réussi à intéresser le Conseil du roi à leur cause, obtinrent le retour au régime de 1541: ils ne devaient payer la taxe que pour le vin dont ils faisaient commerce (4). Ces lettres furent enregistrées au Parlement une première fois le 11 février 1586 (5), une seconde fois le 9 décembre 1594, et, dans l’intervalle, confirmées par Henri IV au mois de mai 1594 (6).
     (1) Arch. nat., X.1a 8634, fol. 168 r°.

     (2) Arch. nat., X.1a 1658, fol. 190 r°; X.1a 5079, fol. 338 v°. — Au mois de mars 1576, le Parlement, statuant sur nu procès pendant entre des descendants d’Eudes de Chalo et certains fermiers des huitièmes ou vingtièmes de Chartres, avait donné gain de cause aux héritiers Chalo. (Arrêt visé dans des lettres patentes du 27 août 1585. X.1a 8641, fol. 273 v°.)

     (3) Le Parlement ne voulut pas procéder à l’enregistrement avant d’avoir entendu les Chalo-Saint-Mard d’Orléans. (Arch. nat., X.1a 1690, fol. 204 r°.)

     (4) Pièces justificatives, II.

     (5) Arch. nat., X.1a 1696, f°263 r°.

     (6) Girard et Joly, Offices de France, t. I, p. 674.
     Toutefois les membres de la lignée n’étaient pas parvenus [p.209] au terme de leurs épreuves. Le 24 mai 1596, du camp devant la Fère, Henri IV dénonce «les fraudes et abus qui se sont commises et se commettent journellement souz couleur et pretexte du privilege pretendu par ceux qui ... se maintiennent estre yssus ... de feu Eude le Maire;» il en résulte «une grande surcharge à nostre pauvre peuple et un plus grand prejudice et dommage à nos droicts tant des aydes que tailles. Lorsque le dict privilege leur fut octroyé, les tailles n’estoient ordinaires en ce royaume, ou estoient si petites et modérées que l’exemption d’icelles concedées en quelques uns ne portoit que fort peu préjudice aux autres.» Bref, les hoirs Chalo payeront les huitièmes, vingtièmes et droits d’entrée du vin, même pour celui de leur cru, et, ce qui est plus grave et tout nouveau, ils contribueront aux tailles (1).

     Cette fois, les gens de Chalo Saint Mard sentent le besoin de faire appel à toute leur énergie. Ils ont pour eux les maîtres des requêtes, conservateurs de leur privilège; ils sont biens vus au Parlement, qui compte ou a compté déjà plusieurs d’entre eux parmi ses membres (2); les lettres n’ont été enregistrés qu’en la Cour des aides, après un plaidoyer insinuant de l’avocat général Cardin Le Bret (3). Les tribunaux n’appliqueront par une ordonnance qu’ils n’ont point reçue: le roi ne sera point obéi. Effectivement, un membre de la lignée, Alexandre du Quesnel, procureur du roi à Creil, refuse de payer la taille; [p.210] il gagne son procès aux Requêtes de l’Hôtel, le perd au Conseil d’Etat (1), et obtient, quinze jours après, un arrêt du Parlement qui défend aux collecteurs des tailles d’invoquer l’arrêt du Conseil, sous peine de 500 livres d’amende, et  tous les huissiers de l’exécuter, sous peine de destitution (2).
     (1) Arch. nat., Z.1a 533.

     (2) Mathieu Chartier, sieur d’Allainville, Christophe Bouguier, Jean Bouguier, sieur d’Écharcon, Édouard Molé, etc.

     (3) Ce discours nous a été conservé (Recueil d’aucuns plaidoyez faicts en la Cour des aides par M. C. le Bret. Paris, 1597, in-8°, fol. 64 à 70. — Laurens Bouchel, La bibliothèque ou thresor du droict français, v° CHALO-SAINCT-MAS). Il contient des paroles rassurantes à l’adresse des héritiers Chalo: leur privilège est une pyramide chargée de perpetuer le souvenir de l’insigne pieté de ce bon roy Philippes,» et qui rappelles aussi «le service, vraiment devotieux de ce defunct Eude le Maire qui, pour acquitter son maistre du vœu qu’il avoit faict..., entreprit ce voyage à pied et armé de toutes pieces...;» ce privilège est unique en France depuis l’extinction de celui d’Yvetot. L’enregistrement eut lieu, non pas au mois de mars, comme on le lit dans ce Recueil d’aucuns plaidoyez, mais le 26 juin. (Arch. nat., Z.1a 533.)

     (1) Arrêt du 10 mars 1597. (N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d’État, t. I, n°3603.)

     (2) Arrêt du 27 mars 1597. (Arch. nat., X.1a 1749, fol. 57 r°.)
     Cette résistance excita-t-elle le ressentiment de Henri IV? ou bien le mécontentement jaloux qu’inspirait aux contribuables la vue d’une exemption d’impôt trouva-t-elle un écho parmi les Notables qui se réunirent à Rouen vers la fin de l’année 1596? Cette seconde hypothèse est contredite par dom Basile Fleureau, suivant lequel la seule question soulevée par les Notables fut de savoir si les descendants d’Eudes prendraient rang parmi les nobles, parmi les exempts de tailles ou parmi les commensaux du roi. Toujours est-il que l’édit du mois de janvier 1598, dressé conformément aux vœux de l’assemblée de Rouen, révoqua une foule de privilèges, parmi lesquels la franchise «de ceulz qui se disent estre descenduz de la lignée de feu Eude le Maire, dit Chalo Saint Mas» (3). La Cour des aide enregistra, le 27 janvier 1598, l’édit de suppression d’un privilège au sujet duquel, dix neuf mois auparavant, elle avait entendu l’avocat du roi s’exprimer en ces termes: «Nous ne doutons point qu’il ne dure bien avant dans l’eternité des siècles à venir.» (4)
     (3) Arch.nat., Z.1a 535. — Fontanon, t. II, p. 877.

     (4) Recueil d’aucuns plaidoyez faicts en la Cour des aides par M. C. le Bret, fol. 69 v°.
     Croire que la franchise de Chalo Saint Mard fut anéantie du coup serait singulièrement s’exagérer la puissance de la royauté et méconnaître les ressources qu’une lignée bourgeoise pouvait trouver en elle et autour d’elle. Chaque fois que, durant les années 1598 et 1599, des membres de cette famille non commerçants, non fermiers, eurent maille à partir avec les collecteurs de tailles, à Montlhéry comme à Nemours, à Chartres comme à Toury, ils eurent gain de cause devant le Parlement (5). [p.211] Que leur importaient ensuite des arrêts rendus en sens contraire par le Conseil d’Etat (1), s’ils ne pouvaient recevoir aucune exécution?
     (5) R. Choppin, Trois livres de la police ecclésiastique, p. 322.

     (1) Arrêts de juillet 1598 (N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d’État, t. I, n°4803) et du 7 juillet 1601 (ibid., t. II [sous presse], n°6322).
     La lutte prenait, comme on le voit, d’étranges proportions. Pour abattre les prétentions des descendants d’Eudes de Chalo, Henri IV devait d’abord mettre à la raison le Parlement. C’est dans ce dessein sans doute qu’il fit dresser, au mois de mars 1601, un édit spécialement dirigé contre le privilège de Chalo Saint Mard. L’obstination toujours croissante des héritiers Chalo avait paralysé l’effet de l’édit de 1598, le nombre excessif et l’avidité des membres de la lignée rendant plus que jamais nécessaire une réforme radicale, le privilère était aboli: les hoirs Chalo devaient désormais contribuer aux tailles proportionnellement à leurs biens, payer les huitièmes et vingtièmes, les entrées du vin, les péages, tous les impôts. Il n’y avait plus de différence entre eux et les autres sujets du roi (2).
     (2) Pièces justificatives, III. — Les héritiers Chalo ne laissèrent pas d’actionner, en 1601, devant les Requêtes de l’Hôtel te fermier du sol pour livre en la ville de Paris (Inventaire des arrêts du Conseil d’État, t. II [ presse], n°6767).


     Cette fois, l’édit fut adressé directement au Parlement. Mais on sait de quelle patience devait s’armer le roi pour triompher de l’entêtement et des lenteurs parlementaires. Résister le plus longtemps possible, défendre le terrain pied à pied, et lorsque sonne l’heure de la capitulation, bien stipuler que l’on cède à la violence, telle est la règle invariable suivie par le Parlement dans toutes ses grandes luttes, contre la royauté: il ne dédaigna pas de la mettre en pratique dans l’affaire de Chalo Saint Mard. Un premier arrêt du 23 mai 1601 maintient le privilège en faveur des membres de la lignée qui ne sont ni marchands, ni fermiers (3). Le 6 juillet, en réponse à des lettres de jussion, les chambres annoncent l’intention de s’informer plus particulièrement «s’il y a quelques preuves du [p.212] nombre de ceux qui se veullent prevalloyr dudict previllege par dessus le nombre contenu en leurs causes d’oppositon, et sy ceux qui ont faict trafict et tenu fermes ont payé les tailles et autres subsides du roy». (1) Sur un mandemement itératif des plus pressants, la Cour ordonne, le 18 février 1602, que les gardes de la Franchise établis à Etampes aient à lui apporter leurs registres (2). On met sous ses yeux les noms et domiciles de tous les membres vivants de la lignée. Les gardes de la Franchise déclarent «estre prestz d’affermer que depuis cent ans ne s’est treuvé et ne se treuve encores à present que trois cens cinquante ou environ approuvez de la dicte posterité, desquelz la plus part sont demeurant ès villes franches et les aultres fermiers, qui payent à raison de leur trafficq et marchandise, suivant plusieurs arrestz cy devant donnez;» ils s’engagent même à renoncer à la jouissance du privilège si l’on découvre un plus grand nombre de descendants d’Eudes de Chalo. Le 15 mars 1602, la Cour décide que les cent membres les plus anciens de la lignée seront maintenus en leurs franchises, sauf à l’exemption des tailles (3). Nouvelle jussion du roi: par arrêt du 8 mai, le Parlemnt persiste dans sa résolution (4). La royauté tenant bon, le Parlement, le 5 juin, lui concède le droit de faire contribuer les cent plus anciens privilégiés, non seulement aux tailles, mais aussi aux impositions ordinaires levées dans les villes et bourgs de leur résidence (5). Enfin une dernière jussion obtient, le 3 juillet 1602, après seize mois de résistance, la vérification pure et simple de l’édit de mars 1601; mais il esr bien spécifié que la Cour cède seulement au très exprès commandement du roi, plusiseurs fois réitéré (6).

     Cette fois, l’édit fut adressé directement au Parlement. Mais on sait de quelle patience devait s’armer le roi pour triompher de l’entêtement et des lenteurs parlementaires. Résister le plus longtemps possible, défendre le terrain pied à pied, et lorsque sonne l’heure de la capitulation, bien stipuler que l’on cède à la violence, telle est la règle invariable suivie par le Parlement dans toutes ses grandes luttes, contre la royauté: il ne dédaigna pas de la mettre en pratique dans l’affaire de Chalo Saint Mard. Un premier arrêt du 23 mai 1601 maintient le privilège en faveur des membres de la lignée qui ne sont ni marchands, ni fermiers (3). Le 6 juillet, en réponse à des lettres de jussion, les chambres annoncent l’intention de s’informer plus particulièrement «s’il y a quelques preuves du [p.212] nombre de ceux qui se veullent prevalloyr dudict previllege par dessus le nombre contenu en leurs causes d’oppositon, et sy ceux qui ont faict trafict et tenu fermes ont payé les tailles et autres subsides du roy». (1) Sur un mandemement itératif des plus pressants, la Cour ordonne, le 18 février 1602, que les gardes de la Franchise établis à Etampes aient à lui apporter leurs registres (2). On met sous ses yeux les noms et domiciles de tous les membres vivants de la lignée. Les gardes de la Franchise déclarent «estre prestz d’affermer que depuis cent ans ne s’est treuvé et ne se treuve encores à present que trois cens cinquante ou environ approuvez de la dicte posterité, desquelz la plus part sont demeurant ès villes franches et les aultres fermiers, qui payent à raison de leur trafficq et marchandise, suivant plusieurs arrestz cy devant donnez;» ils s’engagent même à renoncer à la jouissance du privilège si l’on découvre un plus grand nombre de descendants d’Eudes de Chalo. Le 15 mars 1602, la Cour décide que les cent membres les plus anciens de la lignée seront maintenus en leurs franchises, sauf à l’exemption des tailles (3). Nouvelle jussion du roi: par arrêt du 8 mai, le Parlemnt persiste dans sa résolution (4). La royauté tenant bon, le Parlement, le 5 juin, lui concède le droit de faire contribuer les cent plus anciens privilégiés, non seulement aux tailles, mais aussi aux impositions ordinaires levées dans les villes et bourgs de leur résidence (5). Enfin une dernière jussion obtient, le 3 juillet 1602, après seize mois de résistance, la vérification pure et simple de l’édit de mars 1601; mais il esr bien spécifié que la Cour cède seulement au très exprès commandement du roi, plusiseurs fois réitéré (6).




Eudes le Maire sur un vitrail de 1614 à l'église parisienne de Saint-Etienne-du-mont (1614)
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont)












     (3) Arch. nat., X.1a 1775, fol. 204 v°. — Cet arrêt est imprimé dans le recueil de Girard et Joly (t. I, p. 675) sous la date fausse du 23 mai 1602.

     (1) Arch. nat., X.1a 1776, fol. 175 v°.

     (2) Arch. nat., X.1a 1781, fol. 343 r°.

     (3) Arch. nat., X.1a 1782, fol. 178 r°.

     (4) Arch. nat., X.1a 1783, fol. 345 v°.

     (5) Arch. nat., X.1a 1784, fol. 246 v°.

     (6) Arch. nat., X.1a 1785, fol. 9 r°.
     Tous les historiens considèrent cet arrêt d’enregistrement comme la suppression définitive du privilège de Chalo Saint Mard.

     Mais alors comment se fait-il que René Choppin, écrivant peu après, exprime l’espoir de transmettre la franchise à ses enfants [p.213] et à ses petits-enfants, lesquels, dit-il, en jouiront «si longtemps que les cours de France voudront conserver et maintenir ledit privilege?» (1) Comment se fait-il que, le 5 juin 1618, les membres de la lignée, après avoir fait célébrer, en l’église Notre-Dame d’Etampes, un service «pour le remede de l’ame de deffunct Eude Lemaire» et de «ceulx de sa posteritté,» procèdent au remplacement de trois des gardes de leur prétendue franchise? Comment ces trois gardes nouvellement élus prêtent-ils serment aux Requêtes de l’Hôtel le 16 juin suivant (2)? Comment le dimanche 2 juin 1624, Pierre Legendre et Ferry Boutet sont-ils élus aux mêmes fonctions de gardes de la Franchise (3)? Comment se fait-il que cette cérémonie se renouvelle encore le 10 janvier 1627, après des publications faites aux prônes de toutes les paroisses de la ville et des fauxbourgs d’Etampes? et comment le nouvel élu, Me Pierre Baron, sieur de Lumery, docteur en médecine, est-il reçu solennellement, le 29 juillet suivant, par les maîtres des Requêtes de l’Hôtel (4)? Nous possédons un procès-verbal d’une réception de ce genre antérieure à la révocation du privilège (5): en apparence, l’édit de 1601 n’a rien changé aux habitudes des héritiers de Chalo Saint Mard, non plus qu’au style des Requêtes de l’Hôtel.
     (1) Trois livres de la police ecclésiastique, p. 323.

     (2) Arch. nat., V.4 1497, fol. 32 v° et 33 v°.

     (3) Arch. nat., V.4 1498, fol. 2 r°.

     (4) Pièces justificatives, V.

     (5) Réception du 29 novembre 1582. (Bibl. de la Chambre des députés, collection Lenain, Registre des Requêtes de l’Hôtel, fol. 78 r°.)

     Cette apparence est bien conforme à la réalité des faits. Lisons la sentence rendue le 31 mars 1622 par les maîtres des requêtes de l’Hôtel en faveur d’un membre de la lignée, Guillaume de Verdun, avocat au Parlement. Après avoir rappelé la légende du vœu de Philippe Ier, elle énumère tous les impôts dont les descendants d’Eudes sont exempts, tailles, taillons et crues, huitièmes, douzièmes, vingtièmes, emprunts, etc. Les derniers rois, ce dont nous ne nous doutions guère, ont confirmé le privilège et l’ont «entretenu sans enfraindre»; les maîtres des requêtes se font forts de protéger ceux de la lignée contre les fermiers, péagers, collecteurs de tailles, et même contre ceux qui tenteraient de les «charger de tutelle et curatelle, [p.214] commissions et aultres charges prejudiciables à leursdictz previleges.» (1)
     (1) Pièces justificatives, IV.
     D’ailleurs, si l’édit de 1601 a reçu complète exécution, comment se fait-il que l’ordonnance du 18 janvier 1634 contienne un article 13 ainsi conçu: «Ne jouiront d’aucune exemption ... les descendans de Eude le Maire, dit Chaslot Saint Mas, dont l’exemption a esté revoquée par edit du mois de janvier 1598» (2)?
     (2) Néron et Girard, Les édits et ordonnances des très chrestiens roys, Paris, 1685, in-fol., p. 609. — Cette ordonnance pourrait bien être celle que La Roque cite sous la date de 1635 (Traité de ta noblesse, p. 158), et que nous avons vainement cherchée dans les registres du Parlement et dans ceux de la Cour des aides.
     Il faut se rendre à l’évidence: dans la lutte entreprise par le roi contre les descendants d’Eudes de Chalo, le plus fort n’a pas été le roi. Si le privilège a subi une éclipse, il n’a pas tardé à reparaitre.

     On peut même se demander si cette dernière période, en apparence fatale aux franchises des héritiers Chalo, n’a pas vu croître, en réalité, leurs prétentions et leurs exigences. Cette sentence des Requêtes de l’Hôtel de 1622, que nous donnons en appendice, est le premier document qui inscrive parmi leurs prérogatives le droit d’être exempté des tutelles. Il ne suffit plus maintenant que la femme transmette la franchise à ses enfants, elle la communique à son mari (3). Les privilégiés ne se contentent plus des exemptions d’impôts, il leur faut la noblesse. Ainsi André Favyn va nous raconter gravement, dans son Histoire de Navarre, publié en 1612, comment le fils d’Eudes et ses descendants ont été faits seigneurs et châtelains de la marche de Chalo, et comment les filles issues de la lignée partagent avec les «demoiselles de Champagne» le privilège d’anoblir leurs enfants et mari. Dom Basile Fleureau dissertera à son tour pour établir que, dans la charte de Philippe Ier, le mot servitus ne signifie ni servitude, ni servage. Son raisonnement, [p.215] fort long, peut se réduire à ceci: Philippe Ier avait le désir de conférer aux «femelles issues de la famille d’Eudes un privilège considérable»; il a donc dû leur octroyer le droit d’affranchir et d’annoblir leurs maris (1). Puis, comme il est plus facile de corriger que de torturer un texte, on va mettre en circulation une nouvelle version du diplôme: l’épithète famulus regis, appliquées à Eudes, disparaitra; les mots ipse cum heredibus suis de servitute regis essent seront remplacés par ceux-ci: ipse cum heredibus suis non sit amodo de servitute regis (2), et le savant Bréquigny, qui se laisse prendre à cette imposture, pourra cataloguer dans sa Table chronologique des diplômes un nouvel acte de Philippe Ier encore plus favorable que le précédent aux prétentions des hoirs Chalo (3). Le diplôme ainsi transformé passera aux yeux de bien des gens pour un vrai titre de noblesse, et M. Anatole de Barthélémy pourra faire à ce propos cette curieuse remarque: «Il se trouva des gens [p.216] qui se prétendaient nobles parce qu’ils descendaient de roturiers affranchis.» (1) Si nous ignorons dans quelle mesure le privilège subsista sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, nous pouvons du moins fixer vers 1752 la date du dernier coup qui lui fut porté. La charge du juge d’armes, créée par édit de juin 1615, était alors aux mains de Louis-Pierre d’Hozier, qui, concevant des doutes sur l’authenticité de la charte de Chalo-Saint-Mard, dont il ne connaissait que les textes imprimés, voulut obtenir communication de la copie conservée, suivant Fleureau, dans les archives de l’hôtel de ville d’Etampes. Il écrivit une première fois au maire sans obtenir de réponse, une seconde fois à un chanoine de la ville, qui garda le même silence; sa conviction fut faite. «Que craignent donc ces Messieurs? s’écriait son fils, Antoine-Marie d’Hozier. Que des yeux plus clair-voyans que ceux du tems passé ne s’aperçoivent que leur privilège n’etoit appuyé que sur un fondement ruineux? Eh! qui en doute aujourd’hui ? Il n’est pas besoin de consulter le vidimus original pour ne s’y pas méprendre: le juge d’armes le prouvera suffisamment sans cela.» (2) Il l’a effectivement prouvé. Sa démonstration atteint son but, bien qu’elle pèche par plus d’un point; nous en avons signalé chemin faisant les défauts. Toutefois, signée d’Hozier, insérée dans l’Armoirial général de France, elle devait porter un coup mortel au privilège de Chalo-Saint-Mard.
     (3) Le meilleur exemple que nous puissions citer est celui de René Choppin, reconnu privilégié par sentence du 13 mai 1597, comme ayant épousé une descendante d’Eudes de Chalo. (Commentaires sur la coutume d’Anjou, loc. cit.)

     (1) La noblesse des hoirs Chalo est contestée par Étienne Pasquier (Recherches de la France, édition de 1621, p. 466).

     (2) Favyn, Histoire de Navarre. — Fourcheux de Montrond, en reproduisant le môme texte (Essais historiques sur la ville d’Étampes, t. I, p. 202-205), affirme qu’il est conforme à une copie tirée des archives de Chalo-Saint-Mard, lesquelles ont été longtemps conservées dans l’hôtel de ville d’Étampes. Aujourd’hui, la ville d’Étampes ne possède plus qu’un vidimus de la notice expédiée aux Requêtes de l’Hôtel le 30 avril 1485, texte d’ailleurs parfaitement conforme à celui que nous donnons d’après les registres du Trésor des chartes. Cette pièce est, avec le compte que nous avons signalé plus haut, le seul débris des archives de la Franchise qui soit resté jusqu’à présent dans le dépôts publics d’Étampes. Nous devons ces renseignements à l’obligeance de MM. Lenoir, conservateur du musée, et Gagé, secrétaire de la mairie d’Étampes. D’autres recherches faites, sur notre demande, dans les archives de Seine-et-Oise n’ont produit aucun résultat.

     (3) Table chronologique des diplômes, t. II, p. 210 et 270. — Ce nouvel acte est daté de mars 1095, date adoptée par Guyot (Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, t. XII, p. 72) et par Bourquelot (Cantique latin à la gloire d’Anne Musnier, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, 1re série, t. I, p. 292). — Eusèbe de Laurière, également convaincu que la charte de Philippe I devait contenir une dis position favorable aux descendants d’Eudes de Chalo, propose de lire dans la notice «Ipse cum heredibus suis de servitute regis non essent.» (Glossaire du droit français, Paris, 1704, in-4°, t. II, p. 103.)

     (1) Recherches sur la noblesse maternelle, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, 5e série, t. II, p. 152.

     (2) Armorial général ou registres de la noblesse de France, reg. III, 2e partie, fol. 21 v°.
     Nous prononcions, en commençant, le mot de mystification: il semble assez bien justifié par le récit qui précède. Cependant nous n’aurions peut-être pas insisté si longuement sur la crédulité du prince et de son entourage, si nous n’avions vu quelque intérêt à montrer, en même temps, l’impuissance de la royauté à faire exécuter ses ordres, même les plus sages, quand elle se heurtait aux intérêts d’une famille ou à l’obstination d’une cour.
N. VALOIS [p.217]

PIÈCES JUSTIFICATIVES

I.

     1336, décembre, château du Louvres.
Lettres de Philippe VI confirmant les privilèges accordés aux hoirs d’Eudes de Chalo par une charte fausse de Philippe Ier, datée du mois de mars 1085-1086.

     Philippes, par la grace de Dieu roys de France. Savoir faisons à touz presens et à venir que, comme nos, à la requeste et supplication des hoirs ou aiens cause de feu Eude de Chalo, jadis eussiens certaines lettres dont la teneur est cy dessouz escripte confermées et faites seeler de nostre grant seel en cyre vert et en laz de soye, disans que ycelles lettres avoient esté si mal gardées que elles estoient pourries dedens un mur où elles avoient esté mises, que il n’y avoit demoré fors nostre seel: nous, à plus grant confirmation de savoir la verité, commeismes à noz amez et fealz gens des requestes de nostre Hostel à enquerre la verité sus ce, les quels, veuz deux vidimus sus nostre confirmation seelez du seel de Chastellet, et d’abondant examinez et fait jureir pluseurs tesmoings, c’est assavoir Jehan de Mercenson, Colin Buiset, Ernoul Bete, Johannin de Mercenson, Noëlet de la Fosse, Guillaume Moriau, Pierre Potin, Andry Sorgue, Jehan de la Fosse, Jehan Brocant et Guillaume Tube, qui tuit, chascun par soy, à eux exposé tout le fait et monstré les principaux lettres et vidimus dessus diz, jurerent aus saintes euvangiles touchées par eulz et chascun de eulz, et tesmoignerent eulz avoir veue la chartre de ladicte confirmation seellée de nostre grant seel en cyre vers et en laz de soye sainne et entière faite sur ce, contenant la fourme et la teneur des dictes lettres entiennes seellées des seels ès abbés jadis de Saint Magloire, de Saint Vitor et de Sainte Genevieve de Paris, et contenue ès diz vidimus de. Chastellet estraiz de nostre dicte confirmation perdue ou pourrie si comme dit est; la teneur des quelles lettres est telle:

     Notum fieri volumus universis tam presentibus quam futuris quod Odo, major de Chalo, nutu divino, concessu Philippi, Francie regis, cujus famulus erat, ad sepulcrum Domini perrexit; qui Ansoldum, filium suum, et quinque suas filias in manu et custodia [p.218] ipsius Regis dimisit; et ipse rex pueros illos in manu et custodia recepit et retinuit; concessit quoque Ansoldo et quinque prefatis sororibus suis, Odonis filiabus, pro Dei amore et sola caritatis gratia et Sancti Sepulcri reverentia, quod, si heredes masculi ex ipsis exeuntes feminas jugo servitutis regis detentas matrimonio ducerent, liberabat et a vinculo servitutis absolvebat; si vero servi regis feminas de genere heredum Odonis maritali lege duxissent, ipse cum heredibus suis de servitute regis essent; rex autem heredibus Odonis et eorum heredibus marchiam suam de Chalo et homines suos custodiendos in feodo concessit; ita quod pro nullo famulorum regis, nisi pro solo rege justitiam facerent, et quod in tota terra regis nullam consuetudinem darent. Rex vero tunc temporis precepit famulis suis de Stampis ut custodirent Chalo cameram suam, quia Chalo debet custodire Stampas et earum curam servandarum vigilanter habere. Et ut hec libertas et hec pacta firma et inconvulsa permaneant, memoriale istud inde fieri et nominis sui karactere et sigillo signari ex presente et propria manu sua cruce facta corroborari precepit, adstentibus [sic] de Palatio ejus quorum nomina subtitulata et signa. Signum Hugonis, tunc temporis dapiferi. Signum Gascionis de Pisciaco, constabularii. Signum Pagani Aurelianensis, buticularii. Signum Guidonis, fratris Galeranni, camerarii. Actum Stampis, mense martii, in Palatio, anno ab incarnatione millesimo quater vigesimo quinto, anno vero regni ejus vigesimo quinto. Interfuerunt prefate libertati in testimonio veritatis Anselmus, filius Aramberti, Arnulphus Brunum latus, Gesnierus, sacerdos de Chalo, Gerardus, decanus, Petrus, filius Erardi, Tendo [sic, lisez: Teudo (B.G.)] et Haimo, fillus ejus. Ego, frater Andreas. B. Maglorii Parisiensis humilis abbas, testificor me vidisse privilegium illustrissimi regis Philippi et verbo ad verbum legisse, prout continetur in presenti rescripto. Ego, frater Acelinus, Sancti Vigoris Parisiensis humilis abbas, testificor me vidisse privilegium illustrissimi regis Philippi et verbo ad verbum legisse, prout continetur in presenti rescripto. Ego, frater Theobaldus, Sancte Genovefe Parisiensis humilis abbas, testificor me vidisse privilegium illustrissimi regis Philippi et verbo ad verbum legisse, prout continetur in presenti rescripto.

     Et nous adecertes, oye la relation de nos dictes gens des Requestes, la franchise et concession dessus dictes et toutes les autres choses, si comme elles sunt cy dessus escriptes, ayans ferme et agrables celles, voulons, loons et approvons, et desdiz hoirs, en tant comme jusque cy il en ont usé pasiblement, par [p.219] la teneur de ces presentes lettres de grace especial et de nostre auctorité royal confermons, sauf en toutes choses nostre droit et l’autrui. En tesmoing de laquelle chose avons fait metre nostre seel en ces presentes lettres. Donné au Louvre lès Paris, l’an de grace mil CCC trente et six, ou mois de decembre.

     Par le roy, à la relation Jehan des Prez et F. de Pinquigny.
SAVIG[NY].

     (Arch. nat., JJ 70, n°124; JJ 97, n°17.)

II.

     1585, 27 août, Paris. —
Lettres patentes de Henri III, déclarant que les descendants d’Eudes de Chalo-Saint-Mard ne sont point tenus de payer les droits de huitième et de vingtième pour le vin de leur cru ni pour celui qui est destiné à l’approvisionnement de leurs maisons.

     Henry, par la grace de Dieu roy de France et de Polongne, à noz amez et feaulx conseillers tenans nostre court de parlement de Paris, court des aydes et tresoriers de France, esleuz sur le faict de noz aydes et tailles et chascun d’eulx, salut. Comme noz chers et bien amez les hoirs de feu Eude le Maire de Challo Sainct Mars nous ont faict dire et remonstrer en nostre Conseil qu’ayant feu [de] louable memoire le roy Philippes le Bel faict ung veu solempnel de visiter ou envoyer au Sainct Sepulchre de Nostre Seigneur en Jerusalem, et aurait commandé au dict Edme [sic] le Maire, l’un de ses domesticques, faire ledict voiage en toutte devotion, ce qu’ayant esté accomply par ledict le Maire, pour recompance d’un service, ledict Philippes le Bel, nostre predecesseur, aurait, par ses lettres d’eedict perpetuel du mois de mars mil (1) quatre vingt cinq, donné et octroié audict Eude [sic] le Maire, et à ung filz et cinq filles qu’il avoit, et aux dessendans d’eux à perpetuitté, privilege general et exemption de touttes coustumes, barrages et autres impositions et aydes tant par eaue que par terre, sans exception aulcune; duquel privilege et exemption, avec confirmation continuée de regne en regne, lesdictz supplians auroient jouy tousjours paisiblement et leurs predecesseurs sans contredict, tant pour leur creu et usage que pour leur trafficq, ayant à ces fins pour juges et conservateurs dudict privilege [p.220] noz amez et feaulx conseillers les maistres des requestes ordinaires de nostre Hostel, jusques à ce que feu nostre tres honnoré sieur et ayeul, le roy François premier, par ses lettres de declaration du mois de janvier mil cinq cens quarante, restraignant ledict previlege à ce qui seroit de leur creu et qu’ilz feroient voicturer par eaue ou par terre pour leur usage, vivres et provision de leurs maisons sans fraulde; et auroient touttes les confirmations, mesmes celles de nous obtenues au moys de mars mil Vc soixante quinze, esté veriffiées et enregistrées en nostre court de parlement de Paris sans restrinction ou modiffication quelzconques; toutesfois, au mois de janvier mil Vc soixante dix huict, aulcuns fermiers des impositions du huictiesme et vingtiesme du vin, pour leur proffict particulier, auroient trouvé moyen d’avoir lettres contraires audict privilege, et par icelles faire declarer que lesdictz exposans ne seroient exemptz du huictiesme et vingtiesme du vin tant pour le passé que pour l’advenir, et sur icelles obtenu arrest de veriffication, lesdictz exposans ouyz contre nostre procureur general, le XVIIe jour de mars oudict an (1), combien que peu auparavant et au mois de mars mil cinq cens soixante seize, ilz eussent obtenu autre arrest en nostredicte court contre aulcuns fermiers de Chartres confirmatif dudict privilege; ce qui auroit meu lesdictz exposans recourir à nous et nous requerir que, sans avoir esgard à nosdictes lettres du mois de janvier mil cinq cens soixante dix huict, il nous pleust ordonner que lesdictz exposans et leurs successeurs seroient maintenuz et gardez en la jouyssance de leurdict privilege et exemption, tout ainsy qu’ilz estoient auparavant nosdictes lettres et selon toutesfois la veriffication portée par ladicte declaration du roy François, nostre àyeul, et mander ausdictz maistres des requestes de nostre Hostel congnoistre de tous les debatz, dffierendz et procès qui se pouroient mouvoir à cause et pour raison dudict previlege, comme ilz ont faict par le passé: sur quoy, le tout proposé en nostre Conseil et meurement deliberé, auroit esté resolu et arresté faire jouyr lesdictz exposans de l’effect dudict privilege soubz ladicte modiffication et restrinction. Nous, à ces causes, apres avoir faict veoir en nostre Conseil les coppies deuement collationnées desdictes lettres patantes contenant lesdictz privileges et exemption d’icelles avec leurs veriffications faictes en nostredicte court de Parlement, ensemble les coppies [p.221] collationnées de nosdictes lettres patantes du mois de janvier mil Vc soixante dix huict, et arrest de veriffication en nostredicte court de Parlement donné sur icelles, parties oyes, le dix septiesme mars ensuyvant, et autres pieces cy attachées soubz le contreseel de nostre chancellerie, de l’advis de nostredict Conseil et de nostre certaine science, plaine puissance et auctorité royal, avons dict, declaré et ordonné, disons, declarons et ordonnons, voulons et nous plaist que lesdictz hoirs de feu Eude Le Maire et leurs successeurs jouyssent entierement de leursdictz privileges et exemptions, sans qu’ores, pour le passé ne pour l’advenir, ilz puissent estre contrainctz au paiement des huictiesme et vingtiesme imposez sur le vin, pour le regard de ce qui sera de leur creu ou qu’ilz feront voicturer par eaue ou par terre pour leur usage, vivres et provision de leur maisons seulement, conformement à la declaration de nostredict sieur ayeul, et sans que noz fermiers desdictz subcides ne aultres les puissent faire contraindre à païer aulcune chose pour raison de ce... Donné à Paris le vingt septiesme jour d’aoust l’an de grace mil cinq cens quatre vingtz cinq, et de nostre reigne le douziesme.














     (1) Une main du XVIIe siècle a ajouté ici, au-dessus de la ligne, les mots «deux cens,» En effet, le rédacteur de ces lettres patentes paraît avoir été peu versé dans ta chronologie des rois de France.






















     (1) La véritable date est le 15 mars 1578. (Arch. nat., X.1a 1658, fol. 190 r°.)
    Ainsy signé: Par le roy en son Conseil, Brulart. Et scellées sur simple queue, en cyre jaulne, du grand sceel.

     Registrées, oy le procureur general du roy, pour jouyr par les impetrans du contenu en icelles comme ilz en ont cy devant bien et deuement jouy et usé, jouyssent et usent encores a present, à Paris, en Parlement, le neufiesme jour de decembre l’an mil cinq cens quatre vingtz quatorze. Signé: Du Tillet.

     Collation a esté faicte avec l’original, rendu à Pierre de Ponville, l’un des gardes des privilleges dudict Challo Sainct Mas, poursuivant. (Signé:) Du Tillet.

     (Arch. nat., X.1a 8641, fol. 273 v°).

III.

     1601, mars, Paris. —
Édit de Henri IV abrogeant le privilège de Chalo-Saint-Mard.

     Henry, par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, à tous presens et à venir, salut. L’abuz introduict depuis plusieurs années ença et qui continue encores journellement soubz pretexte du previlleige pretendu par ceulx qui se disent estre descenduz de feu Eude le Mayre de Chalo Sainct Mas, qui sont [p.222] acreuz en tres grand nombre en cestuy nostre royaulme, a cy devant meu plusieurs de noz subjectz contribuables à noz tailles de nous faire plaincte de la grande surcharge qu’ilz reçoivent ès taxes et cottizations de noz deniers; laquelle ayant esté jugée par nous tres juste et raisonnable, nous a donné subject de declarer par nostre eedict du moys de janvier M Vc IIIIxx XVIII, lesdictz descenduz d’Eude Le Mayre estre contribuables aux deniers de noz tailles. Neantmoings, estans bien informez que ledict abuz continue encores et que ceulx de la posterité dudict Le Mayre s’esforcent tousjours d’estendre ledict privilleige et s’exempter desdictes tailles, huictiesme, vingtiesme, peages et aultres droictz domaniaux, au grand prejudice et diminution de nosdictz droictz et foulle de nostre peuple, pour le nombre excessif de ceulx qui s’en disent estre yssus, qui sont pour la pluspart les plus riches et aysez des villes, bourgs, villages et y ont le plus d’auctorité: à ces causes, voulans oster du tout lesditz abuz et le pretexte de les continuer, sçavoir faisons qu’après avoir de ce meurement delliberé en nostre Conseil, de l’advis d’icelluy et de nostre plaine puissance et authorité royal, avons revocqué et revocquons par ces presentes tous et chacuns les privilleiges octroyez par les roys noz predecesseurs à ceux qui sont ou se disent yssuz dudict Eude Le Mayre de Chalo Sainct Mas. Voulons et nous plaist que, sans avoir esgard à iceulx, ilz soient imposez à la taille et cottizez à proportion de leurs moyens et facultez et payant les droictz du huictiesme, vingtiesme et entrée du vin et toutes aultres impositions mises et à mettre sus, peages et aultres droictz quelzconques, et qu’ilz soient à ce contrainctz par toutes veoyes deues et raisonnables, comme noz autres subjectz, sans aulcune distinction, nonobstant quelzconques lettres, possession ou tollerance qu’ilz pourroient alleguer, lettres de declaration, arrestz, sentences et jugemens à ce contraires, que nous avons aussy revocquez et revocquons par cesdictes presentes, sans qu’ilz s’en puissent ayder ny prevalloir à l’advenir, deffendans à toutes noz cours et juges d’y avoir aulcun esgard. Si donnons en mandement... Car tel est... Donné à Paris, au moys de mars l’an de grace mil six cens ung et de nostre regne le douziesme. Signé: Henry. Et sur le reply: Par le roy, Potier. A costé: Viza. Et scellées, sur laz de soyes rouge et vert, du grand scel de cire vert.

     Registrées, oy le procureur general du roy, du très exprès commandement du roy plusieurs fois reyteré, à Paris, en Parlement, le troisiesme juillet M VIc deux. Signé: Du Tillet. 

     (Arch. nat., X.1a 8644, fol. 425 r°.) [p.223]

IV.

     1622, 31 mars, Paris. —
Sentence donnée aux Requêtes de l’Hôtel en faveur de Guillaume de Verdun, avocat au Parlement, descendant d’Eudes de Chalo-Saint-Mard.

     Les maistres des requestes ordinaires de l’Hostel du roy, commissaires en ceste partie, au premier huissier desdites Requestes de l’Hostel, ou sergent royal sur ce requis, salut. Comme dès longtemps Phillipes, roy de France lors regnant, pour amour, charitté, en reverence et honneur du Saint Sepulcre d’oultremer, auquel il c’estoit voué, eust donné, chargé et envoyé, pour faire ledit voiage ung nommé Eude le Maire, son serviteur et domesticque, et pour la charge qu’il avoit tant de mesnage que de femme et cinq petitz enffans, lesquelz il prist en sa garde; et pour le recompencer, eust leissé et liberallement octroyé audict Eude le Maire et sadicte femme et ceux de leur postérité naiz et à naistre previlege qu’ilz feussent tenuz [quittes] et exemptz de tous peages, passages, portz, barrage, huictiesme, douziesme, vingtiesme et entrée de vin, tailles, taillon, creue, emprunctz, traver, coustume et aultres charges et subventions quelzconques; aussy les auroit affranchy et mis hors de touttes servitudes et subvention; et ledict previlege par plusieurs roys de France confermé depuis, ratiffié et approuvé, mesmement par les derniers roys continué et entretenu sans enfraindre; et, pour ce qu’aulcunes personnes, depuis ledict previlege, les auroient voullu travailler et les travaillent tant en leur biens, denrée et marchandises que aultrement, et affin que iceux enffans qui desendroient de leur lignée, quant empeschement y auroit, [sceussent] à qui avoir recours, nous eussions lors esté depputez et ordonnés pour commissaires, gardiens et conservateurs desdictz privileges et juges pour congnoistre, juger, discutter et terminer de touttes questions, procès et debatz qui pourroient sourdre au moien et pour raison d’iceux, ainsy que de tout temps il nous est apparu à plain et au vray par les lettres de chartres et aultres qui sont enregistrées ès registres et ordonnances de ladicte cour; et pour ce plusieurs peagers, fermiers, collecteurs des tailles et aultres (qui) leur donnent souventefois empeschement en leursdict previlleges et aultres personnes (qui) les veullent asubjettir et charger de tutelle et curatelle, commissions et aultres charges prejudiciables à leursdictz previleges: Guillaume de Verdun, advocat en Parlement, filz naturel et legitime de Jacques de Verdun, naguere [p.224] sergent au Chastellet de Paris, et de Denise Vuacquier, l’esnée, sa femme, laquelle Denise Vuacquier est seur germaine de feu Jehanne Vuacquier, vivante femme de Me Alexandre Duquenel, receveur du roy à Creil, pere et mere de Me Alexandre Duquenel, procureur du roy audit Creil, qui ont esté recongneus et approuvez estre yssus et descendus de la lignée et posteritté dudict Eude Le Maire, dict Challo Sainct Mas, par acte d’icelle aprobation passée par devant Jutet, nottaire à Estampes, le XVIe jour de septembre M VIc XXI, et pour ce capable et ses enffans naiz et à naistre en loyal mariage jouir et user plainement et paisiblement desdictz droictz, franchises, libertez donnés et octroyés par les roys de France audict Eude le Maire et à toutte sa posteritté et lignée, se seroit retiré pardevers nous et requis, attendu que nous sommes juges, commis, gardiens et delleguez par lesdictz previlleges, luy voulloir sur ce pourvoir de remede convenable. Pour ce est il que nous vous mandons, après qu’il nous est apparu desdictz privilleges, confirmation et commission à nous sur ce octroyée pour la discution des procès, et expressement enjoignons qu’à la requeste dudict Guillaume de Verdun, issue de ladicte lignée, vous aiez à faire inhibitions et deffences, de par le roy et nous, à tous peagers, fermiers, collecteurs et aultres qu’il appartiendra, qu’ilz ne facent traicter ny convenir pour le faict desdictz previleges ailleurs que pardevant nous, et le maintenir et garder en iceux, l’en faisant jouir et user plainement et paisiblement, scelon leur forme et teneur, et les y contraignant à ce faire et souffrir, et aussy à leur restituer leurs biens et gaiges, sy aulcuns en ont esté pris ou arrestez sur eux ou aultre de par eux, contre la teneur desdictz previleges... Et, en cas d’opposition, reffus ou delay, adjourne les opposans, reffuzans ou dellayans à ester et comparoir à certain et competant jour pardeyant nous en nostre auditoire du Pallais à Paris pour dire les causes de leur opposition, reffus ou delay, et pour en oultre procedder comme de raison; en faisant commandement, de par le roy nostre sire et nous, à tous juges qu’il appartiendra et dont tu seras requis, que touttes les causes pendantes et introduictes pardevant eux par quelque personne que se soict allencontre dudict de Verdun, issue, de ladicte lignée, touschant lesdictz previlleges, sy elles sont entieres et non contestées, il les renvoyent pardevant nous en nostredict auditoire, pour procedder comme il appartiendra par raison. Et, au cas que lesdietz juges ou aulcuns d’iceux soient de ce faire reffuzans ou contredisans, vous, en leursdictz reffus ou contredictz, faictes lesdictz renvoys et adjournemens, en la maniere [p.225] que dit est, en nous certiffiant suffizamment de ce que faict en aurez. De ce faire vous donnons pouvoir, et commandons à tous les justiciers, officiers et subjectz du roy nostredict seigneur qu’à vous, ce faisant, soict obéy.

     Donné à Paris, soubz le scel de la cour desdictes Requestes de l’Hostel du roy, le dernier jour de mars mil six cens vingt deux.

     (Arch. nat., V.4 1497, fol. 139 v°.)

V.

     [
1627, 10 janvier, Étampes.] Acte de nomination de Me Pierre Baron pour estre garde des privileges de la franchise de Chaalo Sainct Mas.

     Aujourd’huy, dimanche, dixiesme jour de janvier mil six cens vingt sept, heure d’une attendant deulx de rellevée, suivant les publications ce jour d’huy faictes ès prosnes des messes parroichialle dicte ès eglises des parroisses de la ville et faulx bourgs d’Estempes, se sont presentez en la maison de ville de ceste ville noble homme maistre Pierre Legendre, advocat en Parlement, demeurant à Estampes, François Prieux et Ferry Boutet, bourgeois, trois des gardes de la franchise conceddée à feu Eude Le Maire de Challo Sainct Marc; où sont aussi comparuz nobles hommes maistres Pierre Baron, docteur en medecine, Robert Danjou, conseiller pour le roy nostre sire en l’eslection dudict Estampes, Jehan Ollivier, Gabriel Ollivier, Cautien [sic, lisez Cantien (B.G.)] Hemard, Jehan Hemard, Marin Gauldracher (?), Estienne Mallet, Pierre Cault, Jean Canyvet, Louys Septier, Jehan Legendre et Nicollas Chevrier; ausquelz susditz, tous rellevez de ladicte franchise, lesdicts gardes ont requis de faire eslection de l’un d’entre eulx tel qu’ilz jugeoient capable pour estre garde, avecq lesdictz sieurs Legendre, Prieur et Boutet, au lieu de deffunct Hierosme Savisard [Lisez peut-être: Sainsard (B.G.)], en son vivant garde avec les susdictz de ladicte franchise. Tous lesquelz dessusdictz ont tous, d’une mesme voix et commung accord, fors et excepté lesdictz sieur Baron, Danjou et Septiet, nommé et esleu de la personne dudict Me Pierre Baron; et pour faire faire le serment audict Baron par devant Messieurs des Requestes de l’Hostel ou ailleurs que besoing sera, ont les dessusdictz faict et constitué leur procureur le porteur des presentes, auquel ils [ont] donné pouvoir et puissance de ce faire. Dont et de ce que dessus a esté octroyé lettre ausdictz Legendre, Prieur et Boutet pour leur servir, ensemble de ce que ledict Baron a accepté ladicte charge. Signé: Dupret. [p.226]
     [1627, 27 juillet, Paris.] Requeste, presente par Pierre Baron pour estre receu garde des privileges de la franchise de Chaalo Sainct Marz.

     A nosseigneurs les maistres des requestes ordinaires de l’Hostel du roy.

     Supplie humblement Pierre Baron, docteur en medecine, sieur de Lumery, demeurant à Estampes, disant que par acte du dixiesme jour de janvier il a esté nommé et esleu pour garde des privileges de la franchise de Challo Sainct Mars concedez à deffunct Eude Le Maire et à ceux de sa posterité naiz et à naistre au lieu de Hierosme Savixard, cy devant l’un des gardes desdictz privileges; et d’aultant que vous, Messieurs, estes conservateurs desdictz previlleges, il a esté enjoinct au suppliant se pourveoir pardevant vous pour faire le serment de garde: ce considéré, nosseigneurs, il vous plaise commettre tel de vous qu’il vous plaira pour recevoir du suppliant le serment de bien et fidellement faire ladicte charge de garde desdictz privilleges d’Eude Le Maire Challo Sainct Mars, ainsy que son predecesseur a faict, et ordonner que ledict acte de nomination y attaché, ensemble l’acte du serment qu’il prestera pardevant celuy de vous qu’il vous aura pleu commettre, seront enregistrez en vostre greffe, et autant à luy dellivré, et vous ferez bien. Signé: Baron et Targas.

     Soit monstré au procureur du roy. Faict ce vingt sept juillet M VIc vingt sept.

     Veu la nomination du suppliant, je ne l’empesche. Pour le roy, signé: Rousselet.

     [1627, 29 juillet, Paris.] Sentence de reception de Me Pierre Baron.

     Veu par la Cour la requeste à elle presentée par Pierre Baron. docteur en medecine, sieur de Lumery....., ledict acte de nomination de la personne du suppliant....., conclusions du procureur du roy en ladicte cour, auquel le tout a esté communicqué, tout consideré, et après que ledict Baron a esté mandé en la chambre, et de luy pris et receu le serment de bien et fidellement exercer ladicte charge de garde des previlleges de Eude Lemaire Challo Sainct Mas: la Cour a donné acte audict Baron de sa prestation de serment, et ordonne que son acte de nomination, ensemble le present jugement, seront enregistrez au greffe de ladicte cour, pour luy servir ce que de raison. Faict à Paris, èsdictes Requestes de l’Hostel, le vingt neufiesme juillé M VIc vingt sept.

     (Arch. nat., V.4 1498, folios 94r°-95 r°.) 

 
Note complémentaire sur le privilège de Chalo Saint Mard
par Noël Valois (1896)

     Il a été longuement question ici-même (1) d’une mystification dont la durée a dépassé les bornes ordinaires. Pendant plus de trois cent ans, les Français descendants, tant par les hommes que par les femmes, d’un certain Eudes le Maire, dit de Chalo Saint-Mard, ont prétendu jouir d’une exemption totale des tailles et impôts, qui s’est même transformée, à partir de certaine date, en un privilège de noblesse. Les membres de plus en plus nombreux de cette lignée fortunée faisaient passer quittes de tout droit leurs marchandises, quand ils trafiquaient (et la plupart effectivement se livrèrent au négoce), par tous les ports et péages du royaume. Une telle franchise faisait rechercher leurs filles en mariage. Originaires du pays d’Etampes, ils pullulèrent en Ile-de-France, et sans admettre le chiffre exagéré de 20 ou de 30,000 personnes répandues à l’époque de Favyn (2) dans toutes les parties du royaume, on peut remarquer que la lignée d’Eudes de Chalo-Saint-Mard compta au XVIIème siècle, entre autres illustrations, le jurisconsulte René Choppin, le conseiller au Parlement Mathieu Chartier et son petit-fils le fameux premier président et garde des sceaux Mathieu Molé.
     (1) Annnuaire-Bulletin, t. XII[I], 1886, p. 185-226.

     (2) André Favyn, Histoire de Navarre, Paris, 1612, in-fol., p. 1146.
     En fin de compte, ce privilège, aussi remarquable par sa durée qu’insolite dans sa forme, repose tout simplement sur une [p.183] charte du roi Philippe Ier, qui, prenant en pitié six orphelins laissé par un de ses serviteurs, ou plutôt un de ses serfs, Eudes, maire de Chalo, mort vraisemblablement au cours d’un pélerinage en terre sainte, leur octroya, vers 1085, la liberté, puis le privilège suivant: leurs descendants mâles, s’ils venaient à épouser les serves du roi, ne tomberaient pas par cela même, comme le voulait la coutume, dans la condition servile.
     Ce privilège, même amplifié par certaines clauses dont il y a lieu de suspecter l’authenticité, n’aurait rien qui excédât la mesure de beaucoup de libéralités consenties par des souverains du XIe et XIIe siècle. Il n’a rien non plus qui justifie les prétentions exorbitantes affichées, du XIVe au XVIIè siècle, par les héritiers d’Eudes de Chalo.

     C’est pourtant de cette unique source que la supercherie ou l’adresse des uns, aidées par l’aveuglement des autres, ont su faire découler les plus abondantes faveurs. J’ai raconté déjà ce curieux travail de dérivation et d’exploitation. La charte originale, sans doute rédigée sous la forme la plus simple, fut remplacée par un diplôme; on alla emprunter à des actes conservés dans les archives du voisinage leurs formules solennelles, leurs souscriptions de grands officiers. Au diplôme ainsi fabriqué, l’on ne tarda pas à substituer une notice, un acte impersonnel, dont le texte, au moyen de quelques coupures adroites, de quelques discrets remaniements, offrit un sens déjà plus favorables aux prétentions des héritiers; cependant, il présentait avec le texte du diplôme une telle conformité, au moins apparente, qu’elle fut attestée par trois abbés dans le courant du XIIIe siècle. Fort de cette attestation, les intéressés firent disparaitre et la charte originale et le diplôme falsifié; ils ne produisirent plus que la notice, revêtue du sceau des trois abbés, et, à deux reprises, ils eurent l’adresse de faire homologuer cet acte par la chancellerie de Philippe VI. A partir de ce moment, les rois qui se succédèrent en France ne manquèrent pas de renouveller, sur la demande des héritiers de Chalo-Saint-Mard, la ratification déjà faite par Philippe de Valois, et par là même, ils semblèrent consacrer les concessions imaginaires qu’on attribuait [p.184] à Philippe Ier. Ce résultat considérable ne suffit pas à l’ambition des membres de la lignée. Ils interprétèrent de telle sorte le texte déjà amplifié de leur privilège, et la royauté, au moins pendant un temps, eut la faiblesse d’admettre si bien leur interpétation, qu’ils en vinrent à afficher et à défendre avec succès des prétentions inouïes. Le plus étrange, c’est que, quand les rois, non encore désabusés, mais choqués néanmoins de l’importance excessive qu’avait prise, en se développant, le privilège de Chalo-Saint-Mard, firent mine ou de le restreindre ou de l’abolir, les représentants de la lignée tinrent tête à la royauté, trouvèrent des appuis dans la cour, et malgré des édits, des ordonnances formelles, parvinrent à sauvegarder durant de longues années leur immunité scandaleuse.

     J’ai eu récemment sous les yeux d’importants documents relatifs à cette franchise, qui m’avaient échappé lors de mes premières recherches. C’est, d’une part, un recueil d’actes formés, vers le commencement du XVIe siècle, par un membre de la lignée; d’autre part, un factum, composé en 1600, pour empêcher l’enregistrement de lettres royales attentatoires aux franchises de la lignée. Ces documents ne seront pas, je le crains, de grande utilité aux défenseurs (s’il en existe encore) du privilège de Chalo-Saint-Mard; mais ils permettront de compléter et de préciser sur quelques points l’histoire d’un abus mémorable.

     Une des principales causes qui contribuèrent à perpétuer la franchise des héritiers de Chalo, c’est qu’ils avaient intéressé à leur cause le grand maître des requêtes de l’Hôtel, et qu’ils portaient devant cette juridiction, éminemment favorable, tous leurs différents avec les agents du fisc ou avec les fermiers d’impôts. J’avais relevé effectivement, au XVIe siècle, une longue série d’arrêts ou de lettres patentes désignant les maîtres des requêtes comme gardes, conservateurs et juges, à l’exclusion de tous autres, du privilège de Chalo-Saint-Mard. Mais j’ignorais sur quel fondement s’appuyait cette attribution de compétence, et à quelle date elle remontait. Or, le recueil manuscrit que je crois devoir signaler, véritable cartulaire de la lignée d’Eudes de Chalo, contient des lettres de committimus parfaitement en [p.185] règle, délivrées aux descendants d’Eudes de Chalo, à Blois, par Charles VII, le 22 septembre 1438 (1). C’était l’époque de l’aveuglement complet de la royauté à l’égard des prétentions de la lignée d’Eudes de Chalo. Le roi s’apitoie, dans cet acte, sur les vexations que les hoirs de Chalo souffrent de la part des représentants du fisc, et, afin de couper court à ces persécutions, il nomme comme juge de leurs procès et comme gardien de leurs franchises les maîtres des requêtes de l’Hôtel. Détail bon à noter: ces lettres sont rendues sur la demande de Jean Godin, de Guillaume Aloire, demeurant à Etampes, et de Jean Papillon, demeurant à Chalo-Saint-Mard, «ordonnez et establiz à la garde desits privilèges.» L’institution des «gardes de la franchise», qui fonctionnait encore sous Louis XIII, remonte donc au XVe siècle.
     (1) Pièces justificatives, I.
     Pour se rendre compte des proportions qu’avaient déjà atteintes, au commencement du XVIe siècle, les prétentions de la lignée, il suffit d’ailleurs de feuilleter le recueil manuscrit qui, entré avec les livres de Colbert dans la Bibliothèque du Roi, est conservé aujourd’hui sous le n°5029 du fonds français à la Bibliothèque Nationale. En faisant abstraction: 1° des onze premiers feuillets, qui contiennent un traité, rajouté après coup, de Instabilitate principum; 2° d’un cahier, de format plus petit, sur lequel je reviendrai bientôt, et qui a dû être intercalé, au XVIIe siècle, entre le feuillet 12 et le feuillet 13 du manuscrit original (ancien foliotage), il est aisé de reconnaître que le recueil en question dut être formé, pour un nommé Jourdain Valton, entre les années 1499 et 1515. La plupart des actes transcrits dans ce recueil se rapportent, en effet, aux procès et affaires de ce Valton. De plus, quelques uns des actes qui l’intéressent directement y sont précédés d’une rubrique où il parle à la première personne: «Double des lettres de mon aprobamus de ma franchize...» (fol. 78 r°). «Double de ma commission de MM. des Requestes de l’Ostel...» (fol. 79 r°). «Double de ma lettre de hausse de l’Ostel de ceste ville de Paris...,» (fol. 84 r°), etc. Enfin, en ce qui concerne la date, [p.186] on lit au fol. 35 r°: «Comment le roy Louis XIIme de ce nom, en ce present an IIIIxx XIX, conferma lesditz previlleiges...» Et au fol. 36 r°: «Comment le roy Françoys premier de ce nom, en ce present an mil cinq cens et quinze, conferma lesditz privileges.» D’où l’on doit conclure que ces lignes furent écrites les unes en 1499, les autres en 1515, et l’inspection générale du volume prouve que ces deux années peuvent être considérées comme les dates extrêmes de la composition du recueil (1).
     Qui était donc ce Jourdain Valton ? — Un «ferron» comme on disait alors; un simple marchand de fer, bourgeois de Paris, qui n’avait même dans ses veines aucune goutte du sang d’Eudes de Chalo, mais qui, en la personne de Catherine Aleaume, avait épousé une fille issue de la fameuse lignée, et qui, pour ce seul motif, se proclamait exempt de toutes les tailles, impôts et droits de péage quelconques qui eussent pu entraver son commerce. Nous assistons ici à l’éclosion d’un système ingénieux qui prétend que la femme, dans la lignée de Chalo, non seulement transmet son privilège à ses enfants, mais le communique à son mari. Cette prétention, directement contraire au texte de la charte de Philippe Ier, même dans sa forme altérée, nous la voyons admise sans conteste dès le XVe siècle. Jourdain Valton ne semble avoir aucune peine à faire triompher son système (2). Les nommés Jean Dantelu et Michel Péronille, «jurés, commis et ordonnés par justice à régir, garder et gouverner les droictz, franchises et libertez, jadis donnés par les roy de France à feu Eude le Maire,» témoignent devant notaire qu’il peut jouir de la franchise à cause de Catherine sa femme, [p.187] et leur déclaration est aussitôt constatée dans des lettres du prévôt d’Etampes du 4 décembre 1496 (1). Les maîtres des requêtes de l’Hôtel s’inclinent, à leur tour, devant les «droits» de Jourdain Valton le 5 janvier 1499 (2). Le 14 décembre 1500, Louis XII mande au prévôt de Paris et aux élus de faire respecter ces «droits» par les fermiers des impôts, «sur certaines et grans peines;» (3) après quoi Jourdain Valton se fait délivrer des lettres exécutoires du prévôt de Paris en date du 30 décembre (4). Et le voilà qui tient tête à tous les collecteurs d’impôts. L’extension de son commerce le met en rapports journaliers avec une foule de fermier de péages; aucun ne voit jamais la couleur de son argent. Ils regimbent cependant, saisissent sa marchandise, rédigent des mémoires:
     (1) Il est à remarquer en effet que, dans l’énumération des confirmations royales, seules les confirmations de Louis XII (1499) et de François Ier (1515) sont mentionnées comme s’étant accomplies en l’année «présente;» que, d’autre part, le recueil ne comprend pas de document postérieur à l’année 1515. D’ailleurs, la plupart des actes ont dû être transcrits dans ce volume durant les années 1500 et suivantes, comme il résulte des formules de collation mises au bas des pages par des notaires.

     (2) Peut-être avait-il déjà obtenu de Charles VIII confirmation de sa franchise (voy. Le même ms., fol. 34 v°, et la légende ci-dessous reproduite).

     (1) Fol. 78 r°.

     (2) Fol. 79 r°.

     (3) Fol. 38 r°, 40 v°.

     (4) Fol. 41 r° et v°.

     «... Et avons nostre papier extraict de la Chambre des comptes; auquel papier sont nommés tous les francs et exemps dudict acquict (5): entre lesquelz n’est faicte mencion aulcune de ceulx de ladicte lignée de Challo Sainct Mas. Et plusieurs qui  s’en sont nommez de ladicte lignée ont plusieurs foys passé par ledict acquit denrées et marchandises, mais tousjours ont payé. Et nous sembleroit fort estrange, et bien prejudiciable pour le droict du roy, que ung marchant publicque qui se dira de ladicte lignée puisse faire passer et mener par lesdicts acquitz pour .XX. ou .XXXm. frans de marchandise par chascun an sans riens paier: où le roy seroit fit interessé, car c’est son vray domaine...»


     (5) Il s’agit de «l’acquit et travers par eau» de Meulan. Les fermiers s’adressent à l’avocat et au procureur du roi au parlement, en 1499 (fol. 199 v°)
     Mais ils n’ont pas le dernier mot. Jourdain Valton plaide et l’emporte devant les Requêtes de l’Hôtel, ou devant le Parlement, contre les fermiers de Melun et de Corbeil, contre ceux de Moret, de Saint-Mammès et de Villeneuve-le-Roi, contre ceux de Lagny et d’Etampes, contre  ceux de Saint-Denis, de Maison-sur-Seine, de Conflans, de Mantes et de Meulan, contre ceux [p.188] de Vernon et d’Andely, contre les péagers de Nemours et de Sens, etc., etc. Les proportions du recueil qu’il a fait rédiger attestent le nombre de ses victoires.

     Là ne se bornent pas, à l’époque de Louis XII, les prétentions d’un marchand marié à une descendante d’Eudes de Chalo. Il se déclare noble; et, bien que les actes royaux gardent le silence sur ce point délicat, le manuscrit de Jourdain Valton fournit, à cet égard, la matière d’observations instructives.

     Tout d’abord, il s’agissait d’effacer le souvenir gênant de la condition servile dans laquelle avait sans doute appartenu l’auteur de la lignée. Eudes, maire de Chalo, n’est plus un serf de Philippe Ier obtenant de la bienveillance royale l’autorisation de visiter les lieux saint; c’est un dévoué serviteur du roi qui rend à la monarchie le plus signalé service, en accomplissant un vœu fait par Philippe Ier lui-même. Le monarque capétien aurait promis à Dieu de se rendre au saint sépulcre; mais les soins du gouvernement le retenaient en France. Par bonheur, Eudes de Chalo, son serviteur, son familier, dégage sa parole royale et acquitte sa dette envers Dieu (1). Tel est le premier état d’une légende qui n’a fait que s’embellir ensuite.
     (1) «Comme dès longtemps Philippe, roy de France lors regnant, pour amour et charité et en reverence et honneur du Sainct Sepulcre pour faire ledict voyage ung nomé Eude le Maire, son serviteur et familier…» Cette phrase, que j’avais déjà signalé dans une sentence de 1522 (Annuaire-Bulletin, t.XXII[I], p.204), se retrouve textuellement dans une commission des Requêtes de l’Hôtel du 5 janvier 1499 (ms. français, n°5029, fol. 79 r°).
     Dans un factum de 1600, sur lequel je reviendrai tout à l’heure, on lit bien cet étonnant récit, dont se retrouve l’écho chez plus d’un historien moderne:

     «Philippe  Ier, pressé par des grandes factions et divisions et telles qu’estants reduicts aux dernieres apprehensions de l’extremité, eust recours à Dieu, comme au seul protecteur du debris de ses affaires, feit ung veu solennel d’aller à pied, armé de touttes pieces, le casque en teste, la visiere baissée, l’espée ceinte au costé, chargé de sa cotte d’armes, et habillé de mesmes qu’il se trouvoit ès batailles, visiter le sainct sepulchre de Nostre Sauveur [p.189] en Hierusalem, où il se rendroict ses vœux et aspendroict ses armes à ce sainct temple, qu’il enrichiroit de beaux et grandz presens. Ayant receu le secours qu’il avoict plus tost desiré qu’esperé pour l’accomplissement de ce vœu solennel en promesse, singulier en sa forme et miraculeux en ces effets, et luy estant impossible de faire ce long et penible voyage, mesmes ce royaume n’estant ancores bien afermez par un esmotion sy recente, Eudes le Maire, l’un des domesticques du roy, entreprit ce voyage et le paracheva à pied, en deux ans entiers, armé des propres armes de Sa Majesté, qu’il laissa au sainct temple, où elles demeurerent longues années après, avecq ung tableau gravé en airain, auquel fut representé le discours du vœu et du voyage, comme ung aultre Vejanius, après avoir attaché ses armes à la porte du temple d’Hercules (1). Peu de temps après son retour, ayant enduré mille fatigues et incommoditez, il decedda.» (2)
     (1) Horace, Ep. I,1,4.

     (2) Pièces justificatives, II.
     Si, à l’époque de Jourdain Valton, l’imagination des héritiers de Chalo n’avait pas encore inventé tous ces détails attendrissants, déjà l’on se faisait une idée élevée de la personnalité d’Eudes le Maire; et, le Parlement, dans une ordonnance du 24 juillet 1500, ayant par mégarde qualifié l’auteur de la lignée de «charbonnier de Challo Sainct Mas,» le compilateur du ms. français 4029 n’eut garde de laisser passer cette allégation inconvenante; en marge de l’ordonnance, il écrivit: «Il n’a pas, de vray, de charbonnier: car il estoit vray gentilhomme et noble.» (3)
     (3) Fol. 285 v°.
Dessin de Montfaucon

     C’est bien effectivement sous les traits d’un chevalier que l’auteur de la lignée est représenté dans le feuillet 29 du manuscrit de Jourdain Valton, et, au dessous du portrait, on voit ses armes: de sinople bordé d’or à l’écu en cœur de gueules bordé d’or et chargé d’une feuille de chêne d’argent (4). Dans cette peinture, un roi de France, assis, couronne [p.190] en tête, sceptre en main, remet une charte à un chevalier tout bardé de fer, qui fléchit le genou. Derrière lui, une femme, la tête couverte d’un voile noir, conduit par la main son jeune fils et est suivie de ses cinq filles (1). C’est exactement le sujet traité dans un tableau sur bois du XVIe siècle qu’à reproduit Montfaucon (2).


Eudes le Maire sur un vitrail de 1614 à l'église parisienne de Saint-Etienne-du-mont (1614)
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont) 

     C’est aussi, à part quelques variantes, la même composition qui se retrouve dans treize autres peintures du même manuscrit. Elles représentent les confirmations de privilèges accordés successivement aux descendants d’Eudes de Chalo par tous les rois de France, de Louis X à François Ier (3): les rejetons du serf d’Eudes y sont figurés sous les traits des personnages revêtus d’une cotte et d’un manteau; tous ont près d’eux leurs armoiries (4). Enfin le chevalier superbe qui figure [p.191] au fol. 72 v°, armé de pied en cap, et tout reluisant d’or sur ses genouillères, sur ses solerets, sur son haubert de mailles, sur sa cotte d’armes, sur le pommeau de sa longue épée et jusque sur le cimier de son casque, ce guerrier, tenant en main un parchemin roulé, n’est autre que le marchand de fer Jourdain Valton lui-même, ainsi qu’on le voit par l’écusson peint au-dessous de la figure; on y reconnaît, avec les armes d’Eudes de Chalo-Saint-Mard, celles que s’était attribuées l’époux de Catherine Aleaume (1).

*
Dessin de Montfaucon
     (4) Ces armes n’ont pas tardé à être écartelées ou parties de Jérusalem: d’argent à la croix potencées d’or, accompagnée de quatre croisette de même (voy. le même ms., fol. 30 r° et v°; cf. le récit de l’arrivée à Étampes du convoi d’Anne de Bretagne; j’ai cité ce morceau dans l’Annuaire-Bulletin de 1886, p. 204.)

     (1) Au-dessus de cette peinture, on lit la légende suivante, écrite à l’encre rouge: «Comment Phelippes le Bel, roy de France, filz du roy Phelippe III, qui fut filz M. sainct Loys, lors regnant, pour amour et charité en reverence et honneur du Sainct Sepulcre d’oultre mer, ouquel il c’estoit voué, eust donné charge et envoyé pour faire ledit voyaige à pies, tout armé, ung nommé Eude Lemaire, son serviteur et famillier, et pour la charge qu’il avoit tant de mesnaige que de femme, quatre filles et ung filz, lesquelz il princt en sa garde, et, pour le rescompencer, eust laissé, donné et liberallement octroyé ausditz Eude la Maire et sadicte femme et ceulx de leur postérité, consanguinité et ligne nés et à naistre, tant masles que femelles, previlleges qu’ilz feussent francs et exemps de leurs denrées et marchandises de toutes coustumes, imposicions, travers de pontz, passaiges, peaiges, aides, huitiesmes, quatriesmes et autres subventions quelzconques par tout son royaume de France, ainsi comme on pourra veoir plus à plain par les chartres qui sont dedens ou Palais et au[x] Requestes de l’Ostel. Et regna ledit Phelippes le Bel trente huit ans. Et ont esté depuis confermez lesditz privelleiges par tous les roys de France, qui depuis ont esté, comme il appert cy-après.» — On le voit, le compilateur du ms. 5029 accepte la tradition dont j’avais signalé l’existence dès 1514 (voy. Annuaire-Bulletin, t. XXII[I], p. 188), suivant laquelle le privilège de Chalo-Saint-Mard ne remonterait qu’à Philippe IV.

     (2) Les Monumens de la monarchie françoise, t.II (éd. de 1730), p. 216.

     (3) Je n’ai pas besoin de dire qu’en réalité les confirmations de Louis Hutin, de Philippe le Long et de Charles le Bel sont purement imaginaires.

     (4) Voici la série des légendes qui figurent au dessous de ces treize peintures. Fol. 30 r°: «Comment Loys le Long, aisné filz du roy Phelippes le Bel, roy de France et de Naverre, conferma lesditz previlleges.» [p.191] — Fol. 30 v°: «Comment Phelippe le Long, frere du roy Loys le Long, conte de Poictiers, conferma les ditz previlleiges.» — Fol. 31 r°: «Comment Charles de Bel, leur frere, conte de la Marche, confirma lesdits previlleiges à Anselin, fils dudit Eude le Maire.» — Fol. 31 v°: «Comment Phelipe de Valoys, roys de France, conferma lesdicts previlleges audit Anselin, duquel, entre autres enfans, yssit sa fille, qui fut conjoincte par mariage à Simon Charretier, demeurant à Estampes, duquel yssit Michel Charretier, d’Orléans» (Ici apparaissent pour la première fois les armoiries de la famille Chartier: d’argent à un tronc d’arbre noueux en fasce de sable, surmonté de deux perdrix au naturel et accompagné en pointe de deux rinceaux d’olivier de sinople mouvant de la pointe de l’écu.)— Fol. 32 v°: «Comment Charles le Saige, roy de France, cinquiesme de ce nom, aisné du roy Jehan, conferma lesdits previlleiges.» — Fol. 33 r°: «Comment le roy Charles sixiesme de ce nom conferma lesdicts previlleiges.» — lesditz previlleiges. s — Fol. 33 v°: «Comment le roy Charles septiesme de ce nom conferma lesditz previlleiges à Jehan Aleaume, de Eynville en Beausse, et Ysabeau Hue, sa femme, fille de Pierre Charrettier, demeurant à Monnarville en Beausse, et leur delegua pour conservateurs et juges les maistres des requestes de l’Ostel.» — Fol. 34 r°: «Comment le roy Loys XIe de ce nom confirma lesdictz previlleiges à Ferry, filz dudit Jehan, et à Perrine, sa femme, yssue desditz Charretiers.» — Fol. 34 r°: «Comment le roy Chales VIII° confirma les ditz previlleiges à Jordain Valton, de Paris, à cause de Katherine, sa femme, fille desditz Ferry et Perine.» (Au-dessous est représenté un amour enlaçant les deux chiffres de Jourdain et de Catherine.) — Fol. 35 r°: «Comment le roy Loy XIIme de ce nom, en ce present an IIIxx XIX, conferma lesditz previlleiges audit Valton et Katherine, comme il appert par les chartres qui sont de present au Tresor et au registre des Requestes de l’Ostel.» — Fol. 36 r° (au-dessous d’une peinture d’une facture moins grossière): «Comment le roy Françoys premier de ce nom, en ce present an mil cinq cens et quinze, conferma lesditz privileges à Jourdain Vallon, bourgoys de Paris, et à Katherine Aleaume, sa femme, comme il appert par les chartres qui sont de present au Tresor du Palais et au registre des Requestes de l’Ostel.» — Fol. 73 r°: la légende qui figure au fol. 35 r° est ici transcrite de nouveau et figure au-dessous d’une peinture analogue à celle du fol. 36 r°; au bas de la page, on trouve le même motif qu’au fol. 34 v°, mais beaucoup mieux traité: un amour enlaçant les deux chiffres de Jourdain Vallon et de Catherine Aleaume.

     (1) Cf. l’écusson peint au fol. 36 r°. Jourdain Valton a d’ailleurs varié ses armoiries. Ailleurs (fol. 34 v°, 35 r°, 73 r°), il adopte un écu d’azur au monogramme d’or surmonté d’une voile de sable.

     En passant du recueil de Jean Valton au factum de l’an 1600, reproduit ci-dessous (2), nous quittons le temps de la grande prospérité des hériters de Chalos-Saint-Mard, pour nous transporter à une époque où leur franchise, battue en brèche, ne résiste plus que grâce à de puissantes protections. Déjà, sans parler des lettres de François Ier (3), de Henri III et de Henri IV que j’ai signalées ailleurs (4), des déclarations royales avaient été obtenues contre les hoirs Chalo, en 1587, par les habitants d’Orléans, en 1588 par ceux de Melun, en 1597 par ceux de Puiseaux. Enfin, les habitants de Chartres venaient, en mars 1600, d’obtenir des nouvelles lettres de Henri IV, obligeant les héritiers d’Eudes le Maire à contribuer aux impôts: c’est pour empêcher l’enregistrement de ces dernières lettres au Parlement que les gardes du privilège de Chalo-Saint-Mard firent rédiger, au mois de juillet 1600, le curieux factum dont j’ai cru devoir placer le texte ci-après sous les yeux du lecteur.
     (2) Je connais, de ce factum, deux exemplaires manuscrits, contemporains, qui ne sont point tout à fait conformes l’un à l’autre: l’un occupe les feuillets 767-777 du ms. français 20152; l’autre remplit un cahier intercalé dans le manuscrit de Jourdain Valton; il y occupe les feuillets 55-68. Au dos seulement de ce dernier cahier figure la date du factum, juillet 1600.

     (3) Voy. le t. XXII[I] de l’Annuaire-Bulletin,, p. 205.

     (4) Ibid., p. 208-209.
     Si les temps sont plus durs, l’assurance des membres de la lignée est toujours la même. Ils n’ont pas voulu démordre d’aucune de leurs prétentions. Ils célèbrent plus que jamais le service rendu par leur ancêtre à Philippe Ier. Pour mieux déguiser l’humble origine d’Eudes le Maire, ils substituent dans la charte primitive aux expressions cujus famulus erat les mots de familia regia, qui leur semblent impliquer quelque emploi [p.193] dans la domesticité royale (1). Ils affirment que ce privilège est «un pacte d’annoblissement». Ils vont jusqu’à écrire cette phrase étonnante: «Il y a peu de nobles qui aient de plus grandes preuves et confirmation de leur noblesse que ceux de ladite lignée». On ne sait, d’ailleurs, qu’admirer le plus de leur naïveté ou de l’ignorance des gens auxquels ils s’adressent, quand, en regard d’un texte latin qu’ils ne se donnent même pas la peine de falsifier, ils mettent une traduction signifiant exactement le contraire: Si vero servi regis feminas de genere heredum Odonis maritali lege duxissent, ipse cum heredibus suis de servitute regis essent. Si un serf, traduisent-ils épouse une descendante d’Eudes le Maire, le serf et ses héritiers seront affranchis de la servitude du roi. Un peu plus loin, ils déclarent que les femmes issues d’Eudes de Chalo «affranchissent et annoblissent leurs maris».


     (1) En réalité, le mot familia lui-même désignait, à l’époque de Philippe Ier, l’ensemble des serfs et serves du roi (voy. Luchaire, Institutions des premiers Capétiens, t. II, p. 114, note 2).
     Je dois dire que leurs adversaires leur donnaient beau jeu, faute d’employer des arguments vraiment toniques. Ils ignoraient la fausseté du diplôme de 1085; ils ne semblaient pas s’apercevoir de la contradiction existant entre les termes de la concession et la prétention des concessionnaires. Toute leur argumentation était fondé sur la date du privilège, comme s’il n’eût eu d’autre défaut que son extrême ancienneté, et sur le nombre excessif des membres de la lignée. Les interessés répondaient à ce dernier reproche que leur nombre n’était alors que de deux cent cinquante trois: ils entraient dans le détail et donnaient pour chaque ville le nombre exact des membres de la lignée. Ils se faisaient fort de justifier ce dénombrement par leurs registres où l’on inscrivait, disaient-ils, exactement les noms, qualités, âges et demeures de tous les descendants d’Eudes le Maire. Ces registres avaient été compulsés, paraît-il, en 1587 et 1596, en exécution d’arrêts du Parlement. Enfin, en 1598, les commissaires envoyés par les provinces pour la révocation des exemptions indues n’avaient trouvé, dans tout le royaume, que quinze personnes jouissant, en vertu du privilège [p.194] de Chalo-Saint-Mard, d’une exemption totale d’impôts. Il nous est difficile de contrôler l’exactitude de ces renseignements, alors qu’au même moment les adversaires du privilège évaluaient à 7 ou 8,000 le nombre des membres de la lignée. Je ferai seulement observer que, deux ans plus tard, en 1602, les gardes de la franchises eux-mêmes accusaient trois cent cinquante membres environ, soit une centaine de plus qu’en 1600.
     De fait, la fiction triompha, une fois de plus, dans la pratique. Henri IV, par son édit de mars 1601 crut porter un coup définitif au privilège de Chalo-Saint-Mard; mais celui-ci survécut, et, longtemps encore, les victoires financières remportées par les héritiers d’Eudes de Chalo prouvèrent la vitalité d’une tradition fondée sur l’ignorance et le mensonge.
N. Valois

PIÈCES JUSTIFICATIVES

I.

     
Blois, 22 septembre 1438. — Lettres de committimus aux Requêtes de l’Hôtel accordées par Charles VII aux descendants d’Eudes le Maire, dit de Chalo Saint Mard.

    Charles, par la grace de Dieu roy de France, à noz amez et feaulx conseilliers les maistres des requestes de nostre Hostel, salut et dilection.

     Comme, par noz autres lettres scellées en latz de soye et cire vert, nou, ou moys de juing l’an mil CCCC XXXVI, aions confermé aux hoirs de feu Eudes le Maire, et leur postérité venue et descendue, et qui chascun jour en vient et descent, certains previleiges, franchises et libertez à eulx donnez et octroyez et confermez par noz predeccesseurs roys de France, comme par lesdictes lettres, desquelles la teneur s’ensuit, peult plus à plain aparoir... (Suivent les textes des privilèges octroyés par Philippe Ier, au mois de mars 1085-1086, par Philippe VI, au mois de décembre 1336 (1), [p.195] par Jean le Bon, au mois de novembre 1350 (1), par Charles V, au mois d’avril 1366 (2), et enfin par Charles VI, au mois d’août 1394.) Et, combien que iceulx hoirs et leur postérité, qui chascun jour en descend, aient tous jours joy et usé desditz privilleiges, franchises et libertez, et que en ce aucun ne les doye ou puisse empescher; neantmoins, plusieurs peageurs, fermiers de travers, de coustumes et autres, se sont efforcez et efforcent souvent de troubler et empescher plusieurs personnes, marchans et autres, joyssans et qui doivent joyr desditz previlleges, franchises et libertez, et iceulx arrestent et font arrester avecques leurs chevaulx et denrées, et les contregnent et veullent contraindre de bailler gaiges et. plaiges et de respondre et de plaider pardevant eulx ou pardevant les juges, où iceulx peageurs, traversiers et coustumiers sont demourans, où l’en ne peult demourer seurement ne y trouver ou mener conseil pour les dangers de noz ennemys. Par quoy, pour doubte dudit travail et perte de leurs corps et marchandises, leur convient payer ce de quoy ilz ne sont en riens tenuz, ou prejudice d’eulx et de leursditz privilleiges. En quoy ilz ont esté et sont grandement vexez, travaillez et dommaigez; obstant ce que, de par nous, n’a aucun juge commis pour discuter des debatz qui peuvent naistre et naissent chascun jour à cause desditz previleiges, franchises et libertez entre eulz, qui d’ilceulx usent et doivent user, et lesditz peageurs et autres empescheurs, et aussi que, de par nous, n’a aucun commis à la garde d’iceulx previleiges avec les gardiens qui, d’ancienneté, y ont acoustumé d’estre; qui est et redonde ou grant grief, prejudice et dommaige de tous ceulx qui desditz previleiges ont acoustumé et doivent joyr et user; ausquelz, par ce moyen, nosdictes lettres pourroient estre inutiles, et leursditz privileiges du tout mys au neant, se par nous ne leur estoit sur ce pourveu de nostre gracieux et convenable remede. Si nous ont humblement supplié et requis Jehan Godin, Guillaume Alaire, demourans à Estampes, et Jehan Papillon, demourant à Chalo Sainct Mars, ou nom et comme ordonnez et establiz à la garde desditz previleges, franchises et libertez, que sur ce leur vueillons pourvoir de remede convenable. Pour quoy nous, les choses dessusdites considerées, volans noz lettres de confirmation dessus transcriptes avoir et sortir leur plain eftect, et lesdictz commis avec tous ceulx à qui lesdictz previlleiges, franchises et libertez touchent, et leurs successeurs, de ce [p.196] joyr et user plainement et paisiblement, et relever de telz paines, dangers, dommaiges et travaulx, mesmement que à vous, et non à autres, appartient la cognoissance desdictz previleiges, vous avons commys et commettons, de grace especial, par ces presentes, gardiens de par nous d’iceulx privileges, franchises et libertez et juges des procès et debatz qui, à cause de ce, sont meuz ou pourroient mouvoir ou temps advenir, pour d’iceulx debatz et procès, parties presentes ou appellées et icelles oyes, discuter, juger, sentencier, ou autrement appoincter, ainsi que raison devrra, sans ce que autres en puissent ou doyve (sic) retenir ne avoir congnoissance. Et, affin que aucun de ce ne puisse pre[te]ndre ignorance, nous voulons ces presentes estre publiées, par cry solempnel et à son de trompe, par tous les lieux où il appartiendra, où les establiz cy dessus nommez les vouldront faire publier, à leurs despens. Et, oultre, pour ce que iceulx establiz et plusieurs autres auront à faire en plusieurs et divers lieux tant de ces presentes comme de noz autres lettres dedens incorporées, nous volons que foy soit adjoustée au vidimus de cestes faict soubz seel royal, comme à l’original. Car ainsi nous plaist il estre faict, nonobstant quelzconques lettres subrectices (sic) impetrés on à impetrer au contraire.










     (1) J’ai publié dans l’Annuaire-Bulletin de 1886 (p. 217-219) ces lettres de Philippe VI, qui, elles-mêmes, contiennent le texte de l’acte attribué à Philippe Ier.

     (1) Arch. nat., JJ 80, n°228.

     (2) Arch. nat., JJ 97, n°17.

     Donné à Bloiz, le ving deuxiesme jour de septembre, l’an de grace mil IIIIc trente huit, et de nostre regne le seziesme, soubz nostre seel ordonné en l’abscence du grant.

    Ainsi signé: Par le roy en son conseil, ouquel l’archevesque de Tholouse, les evesques de Poictiers, de Magalonne et de Maillezois et autres estoient.
H. CHALIGAULT.

    (Copie collationnée par un notaire, le 7 septembre 1500, sur un extrait des registres des Requêtes de l’Hôtel. Bibl. nat., ms. fr. 5029, fol. 43-49.)

II.

     
Juillet 1600. — Factum composé pour les gardes du privilège de Chalo-Saint-Mard qui faisaient opposition à l’enregistrement au Parlement de lettres royaux du mois de mars 1600 délivrées à la requête des habitants de Chartres.

      Factum pour les gardes de la franchise de la ligne d’Eude le Maire de Challo Sainct Mas, opposant à la veriffication des lettres patantes.

     Contre M. le procureur general du roy, demandeur. [p.197]

     Les anciens ont dict que l’esperance du loier et la craincte de la peyne sont les fondemens de la vertu, et elle l’unicque fondement des Estatz; et ont très soigneusement observé de contynuer la grace sur plusieurs en faveur d’un homme vertueulx, aultant que d’estendre la rigueur en hayne d’un meschant, ayans rendu le pris de la vertu comme hereditaire à la posterité de ceulx qui avoient servy le public.

     Lez rois, sur ses (sic) deux colomnes, ont rendu cet Estat le plus florissant et le plus ancien de la terre habitable. Et, sans parcourir leur histoire, où il se rencontre ung nombre infiny d’exemples, cela se remarque en l’origine et en la cause du privillege accordé par le roy Phelippes ler, dès l’an mil quatre vingts cinq, à Eude le Maire, son domesticque, natif de Chalo Sainct Mars, près Estampes, et confirmé, depuis, par tous les successeurs. Duquel l’antiquité est ung tesmoignage insigne de la pieté de noz rois. La singularité mesmes le rend fort recommandable, estant l’unicque que nous avons en France de ceste sorte; lequel fera revivre à l’eternité des siècles advenir, par le cours de sa durée, la devotion d’un prince relligieulx et le service vrayement devotieux d’un subject vers son prince.

     Philippes Ier, pressé par des grandes factions et divisions, et telles qu’estans reduict aux dernieres apprehentions de l’extremité, eust recours à Dieu, comme au seul protecteur du debris de ses affaires, feit ung veu solemnel d’aller à pied, armé de touttes pieces, le casque en teste, la visiere baissée, l’espée ceinte au costé, chargé de sa cotte d’armes et habillé de mesmes qu’il se trouvoit ès batailles, visiter le sainct sepulchre de Nostre Sauveur en Hierusalem, où il rendroict ses vœux et aspendroict ses armes à ce sainct temple, qu’il enrichiroit de beaux et grandz presens.

      Ayant receu le secours qu’il avoit plus tost desiré qu’esperé pour l’accomplissement de ce vœu solemnel en promesse, singullier en sa forme et miraculeux en ses effectz, et luy estant impossible de faire ce long et penible voyage, mesmes ce royaume n’estant encores bien afermez par une esmotion sy recente, Eude le Maire, l’un des domesticques du roy (la chartre dict: Odo Major, de familia regia), entreprit ce voyage et le paracheva, à pied, en deux ans entiers, armé des propres armes de Sa Majesté, qu’il laissa au sainct temple, où elles demeurerent longues années après, avecq ung tableau gravé en airain, auquel fut representé le discours du vœu et du voyage, tanquam alter Vejanius armis Herculis ad postem fixis, comme ung aultre Vejanius, après avoir attaché ses [p.198] armes à la porte du temple d’Hercules (1). Peu de temps après son retour, ayant enduré mille fatigues et incommoditez, il decedda.
     (1) Horace, Ep. I,1,4.
     Or, Eude le Maire, estant domesticque du roy, il est bien certain qu’il estoit homme franc et noble. Mais, pource qu’il n’avoict qu’un filz et cinq filles, lesquelles passans en la famille d’aultruy, leurs enffans pouvoient perdre la quallité de noblesse et franchise, le roy luy octroya, par pact et privillege perpetuel, que la posterité de son filz et de ses filles jouiroict de touttes exemptions; de quoy fut faict ung pact par ce prince, affin qu’il fust irrevocable. Et est convenu en ces termes, par les lettres de chartres, que, sy les heritiers masles venant d’eux espouzoient femmes subjectes au roy par le joug de servitude, les rendroict franches et exemptes du lien et joug de servitude; mais, sy les serfz du roy eussent espouzé femmes estans yssues d’Eude le Maire, icelluy, ensemble ses heritiers, seroient hors de la servitude du roy. Et puis est dict qu’ilz ne feraient justice pour aulcuns des serviteurs du roy, sinon pour le roy seul, et, qu’en touttes les terres du roy, ilz introduiraient aulcunes coustumes, et en fin, affin que ceste franchize et liberté comme aussy par les pactz demourassent establiz, asseurez et perpetuelz, il a voullu et commandé de faire de là ung memorial et registre pour servir à la memoire, l’ayant signé de son nom mesmes et ayant apposé son sel et faict une croix de sa main propre.
    Quod, sy heredes masculi ex ipsis exeuntes feminas jugo servitutis regie detentas matrimonio ducerent, liberabat et a vinculo servitutis absolvebat; sy vero servi regis feminas de genere heredum Odonis maritali lege duxissent, ipse cum haeredibus suis de servitute regis essent. Puis est dict: Quod pro nulla famulorum regis, nisi pro solo rege, justitiam facerent et quod in tota terra regis nullam consuetudinem darent. Et en fin: Ut haec libertas et haec pacta firma, inconvulsa permaneant, memoriale istud inde fleri et nominis sui caractere seu sigillo signari et  presente propria manu cruce facta corroborari precepit.

    Ainsy ce privillege est ung pact d’annoblissement donné tant aux masles que femelles d’une lignée, pource que lors il y avoict en France des servitudes sur les personnes, comme nous les voyons en plusieurs coustumes de ce royaulme: en celle de Paris, où il est parlé de l’homme franc; en celle de Meaulx, où, par exprès, est dict l’homme serf; en celle de Bourgongne et aultres, où ceste condition de personnes serves au roy est encores jusques à present aulcunement en ceux que l’on appelle de condition roturiere, subjectz [p.199] de paier taille à la difference des personnes franches et nobles.

    Depuis cinq cens quinze ans en ça, la posterité dudict Le Maire a jouy plainement et paisiblement de ce privillege par grace des roys successeurs dudict Philippes ler, qui l’ont ratiffié et confirmé, ayant esté octroyé pour le regart de la religion et pieté, intuitu religionis et pietatis. Il leur a esté pium et sacro sanctum jus, quy represente, comme une grande et eslevée pyramide, deux functions que Trayen recommandoict le plus aux princes, sanctitatem domi et in armis fortitudinem.

    Toutesfois, en ceste longue suitte d’années et de siècles, le privillege et franchise n’ont peu s’affranchir des atteinctes de l’envye, qui a essayé de ravaller l’honneur deu à la vertu et d’oster le loyer d’une sy genereuse action, comme il se trouve beaucoup plus de gens qui mouchent les lampes que non pas qui y mettent de l’huile pour y nourrir la lumiere. Et veluti cantarides etiam florentibus rozis sepe innascuntur, sie et calumniae ne quidem a pietate abstinent, imo etiam probris et maledictis frequenter exagitent (sic).

     Et, de faict, en l’an mil cinq cens quarente, le roy François ler, qui cassa et revocqua infiniz privilleges, comme entre autres celluy de vicomte de Turayne, de l’evesque de Meaulx, de Cahors, de Embrun, d’Agen (1), quelques ennemys de ce privillege essayerent de le luy faire revocquer par mesme moien: il se trouva sy justement et relligieusement acquis qu’il ordonna seullement que ceulx de la famille dudict Le Maire qui feroient trafficq de marchandise ne pourroient estandre leur affranchissement que pour ce qui seroict de leur creu, et que de ce qu’ilz feroient voicturer par terre ou par eaue pour leur usage, combien qu’ilz eussent tousjours auparavant jouy d’une immunité generalle, mesmes en leurs trafficqs. (2)
     (1) Aucune de ces révocations n’est mentionnée dans le Catalogue des actes de François Ier.

     (2) Lettres datées de Fontainebleau, le 19 janvier 1541 (n. st.). Voy. l’Annuaire-Bulletin de 1886, p. 205.
    Depuis, en l’an mil cinq cens quatre vingts sept, les habitans d’Orleans (3), en mil cinq cens quatre vingts huict ceulx de Melun, en mil cinq cens quatre vingts dix sept ceulx de Puiseaulx, auroient obtenu de semblables declarations du feu roy et du roy à present regnant, comme ceulx de Chartres au mois de mars dernier, de la veriffication desquelles il s’agist à present, subreptissement [p.200] et soubz faulx donné à entendre, ausquelles la Cour n’auroict eu aulcun esgard.

     (3) J’ai cité (ibid., p. 208) des lettres obtenues contre les héritiers de Chalo-Saint-Mard par les habitants d’Orléans le 6 mars 1585.
    Et, en l’an mil cinq cens quatre vingtz dix huict, MM. des Aydes, voulans ampliffier leur jurisdiction, et jaloux de ce que MM. les maistres des requestes congnoissent dudict privillege en premiere instance, et la Cour par appel, praticquerent ung eedict portant revocquation dudict privillege (1). Et, depuis, le roy ayant envoyé l’eedit general pour le reiglement des tailles et aultres subsides ausdictz seigneurs des Aydes, suivant ce qui avoict este arresté en l’assemblée generalle tenue à Rouen, en laquelle assemblée la posterité dudict Le Maire de Challo Sainct Mas fut mise au nombre des exemptz des tailles et aultres subsides, au rapport de M. le procureur general, leurs ennemys, voyans qu’ilz n’estoient compris audict eedict, lequel ayant esté depuis refformé pour quelque occasion, ilz firent adjouster ce mot: «et par exprès ceulx de la lignée de Challo Sainct Mas,»  contre ce qui avoict esté resolu en ladicte assemblée de Rouen (2).
     (1) Édit de janvier 1598 (voy. l’Annuaire-Bulletin de 1886, p. 210).

     (2) Je n’ai vu ce fait relaté chez aucun des contemporains qui renseignent sur les délibérations de l’assemblée de Rouen.
     IIz fondent la revocation de ce privillege sur le pretexte du bien public, et disent que le trop grand nombre de personnes qui se pretendent yssuz dudict Le Maire est de sept à huict mille en ce royaulme, que leur exemption des tailles va à la surcharge des aultres subjectz du roy, qu’il s’y commet beaucoup d’abuz, et qu’il est sy vieil et ancien que les hoirs dudict Le Maire se doibvent contanter d’en avoir jouy depuis ung sy long temps sans en demander une plus longue contynuation. Voilà le sommaire des plus fortz moiens contre eulx.

    Pour paier de raison les plus desraisonnables, quant au premier moien fondé sur le grand nombre de sept à huict mille, sauf la reverence de la Cour, c’est imposer, et cornicum oculos configere velle, et voulloir perser les yeulx des corneilles, c’est à dire voulloir obscurcir de quelque nouvelle invention ce que l’antiquité a approuvée.

    Car en toutte l’estendue de ce royaulme ilz ne sont que deux cens cinquante trois, assçavoir à Paris soixante, à Rouen ung, à Orleans dix neuf, à Tours et Blois douze, à Chastres (3) unze, à Melun neuf, à Puiseaulx, Boiscommung, Montargis et Nemours [p.201] quatorze, [à Chartres deux, à Cretz (1) deux, à Soissons ung] (2), à Estempes, leur origine, dites environs cent quatre payant taillon à cause de leur trafficq et fermes; à Pithiviers deux, à Neufville deux, à Loudun ung, à Cerny (3) ung, à Rozay (4) ung, à Sainct Maixant ung, à Pommereul ung, à Rouvray Sainct Denis (5) ung, et à Estrechy (6) trois.
     (3) Arpajon, ch.-l. de cant. de l’arr. de Corbeil.
     (1) Sans doute Gretz, Seine-et-Marne, arrondissement de Melun, canton de Tournan.
     (2) Ces mots ne se trouvent que dans le ms. français 20152.
     (3) Arr. d’Étampes, cant. de la Ferté-Alais.
     (4) Rozoy-en-Brie, Seine-et-Marne, arr. de Coulommiers.
     (5) Rouvray-Saint-Denis, Eure-et-Loir, cant. de Janville.
     (6) Étréchy, Seine-et-Oise, cant. d’Étampes.
    Leur nombre se justifie par les archives et registres des gardes d’Estampes, où leurs noms, les quallitez, aages et demeures sont inscriptz et gardez soigneusement. Et, de faict, en l’an mil cinq cens quatre vingtz sept, et plus recentement en l’an mil cinq cens quatre vingtz seize, en execution des arrestz de la Cour, lesdictz registres furent compulsez et representez; dont on fict deux procès verbaulx. Il ne s’en trouva plus grand nombre.

     En l’an mil cinq cens quatre vingtz dix huict, les commissaires que Sa Majesté envoya par les provinces pour la revocation des exemptions n’en trouverent que quinze de ladicte lignée qui jouissent de l’immunité des tailles, parce que la plus part demeurent ès villes franches, et les aultres trafficquent, ou bien tiennent des fermes: leurs procès verbaulx en peuvent faire foy. De sorte que leur nombre ne va pas à la surcharge du peuple, puisque le contraire se justiffie par preuves sy autanthicques. Ilz n’ont garde d’arriver au nombre infiny du temps de sainct Loïs, auquel dans Paris seul il s’en trouvoict trois mille, comme il se void ès ordonnances particullieres de la ville qu’il feist, ou au chappistre de ceulx qu’il declare exemptz de la garde du guet de la ville, il comprend ceulx de ladicte lignée en ces mots: «Touttes les personnes estans de la lignée de Challo Sainct Mas, dont la femme affranchist le mary, qui sont plus de trois mille.» (7) [p.202] Or, aujourd’huy, comme dict est, ilz ne sont en toutte la France que deux cens cinquante trois.
     (7) J’ai montré ailleurs (Annuaire-Bulletin de 1886, p. 191) comment on avait confondu avec une ordonnance de saint Louis une dissertation rédigée vers 1528. J’avais trouvé pour la première fois dans l’ouvrage de dom Fleureau (les Antiquités de la ville et du duché d’Étampes, Paris, 1683, in-4°) la trace de cette confusion: on voit qu’elle remonte au moins à l’an 1600.
     De là l’on peult remarquer trois choses, la premiere que leur exemption ou franchise n’estoict pas seullement pour les charges patrimonialles et celles qui vont aux biens et facultez, chose dont on ne doubtoict poinct en ce temps là, quelques droictz et subcides qu’on levast sur le peuple, comme tailles, emprunctz et telz aultres; la seconde que leur exemption estoict aussy pour les charges personneles qui regardoient les personnes de ceulx qui estoyent de ladicte famille et lignée; la troisiesme que les femmes affranchissoient et annoblissoient leurs mariz, nonobstant qu’ilz feussent dans Paris lors trois mille.

      Pour ung second moïen, on dict qu’il y a de l’abbuz, et de là l’on tire une consequance qu’il le fault revocquer. C’est faire à la façon de ceulx qui demandent l’abolition du ministere à cause des abuz des ministres.

    S’il y a des abbuz en quelques particulliers d’une famille, il fault condampner d’un corps. On ne peult pas empescher qu’avecq le cours des plus clairs ruisseaulx il ne s’ecoule tous jours quelque ordure qui suict et accompagne le fil de l’eaue. Quand l’abbuz sera decouvert, sy aulcun il y a, les voyes de la justice sont ouvertes pour procedder contre les delinquans. Mais tous crymes sont personnelz. Delicta suos tenent auctores; nec vulterius progrediatur metus quam delictum, propinquos, notos, famliares procul submoveamus a calumnia, quos reos sceleris societas non facit, disoient les empereurs (1).
     (1) L. 22, C. J., IX, 47.
     Pour un troisyesme moïen, on condampne le privillege pour estre trop vieil et ancien, et qu’il y a trop long temps qu’on en jouist.

    Ces raisons sont fort foibles. Au contraire, la posterité dudict Le Maire prend pour ung des princippaulx fondemens de ses deffences sa longue et immemorialle possession, assistée de tant de tiltres sy authenticques, de chartres, confirmation, declarations et arrestz.

     Philippes de Valloys ratiffia et confirma ce privillege en decembre 1336, Jean II en novembre 1350, Charles V en avril 1365, Charles VI en juillet 1394 (2), Charles VII 1436, Loïs XI en janvier 1461 (3), Charles VIII en novembre 1463 (4) (sic) Loïs XII en [p.203] septembre 1498 (1), François Ier en febvrier 1540 (2), Henry II en juing 1550, François II, Charles IX en juing 1571, Henry III en mars 1575 (3), Henry IIII, à present regnant, en decembre 1594 (4).

    Touttes les lettres de confirmations et chartres ont esté veriffiées en la Cour, laquelle a depuis, conformement à icelles, maintenu ceulx de la lignée dudict Le Maire en la jouissance dudit privillege, et a donné plus de cinq cens arrestz, dont ilz sont porteurs, aultant de fois qu’on les a voulu troubler: il seroict supertlu et ennuyeulx de les voulloir cotter et produire.
     (2) Les lettres de Charles VI sont en réalité du mois d’août 1394.
     (3) Arch. nat., JJ 198, n°88.
     (4) Il s’agit de lettres patentes d’octobre 1483 (Arch. nat., JJ 214, n°34).
     (1) Lettres d’août 1398 (Ordonnances, t. XXI, p. 113).
     (2) La confirmation de François Ier est du mois de janvier 1515.
     (3) Bibl. de la Chambre des députés, collection Lenain, Registre des Requêtes de l’hôtel, fol. 68 v° et 71 r°.
     (4) Il s’agit sans doute des lettres du mois de mai 1594 (Girard et Joly, Offices de France, t. I, p. 674).
     Les rides de ceste antiquité sont des traictz d’une parfaite beauté. Ses blancz cheveux sont marquez d’une venerable vieillesse. Cani et rugae afferunt authoritatem. C’est le propre des choses vertueuses d’estre tousjours tenues d’aultant plus religieuses et venerables qu’elles sont plus vieilles et plus anciennes.
Moribus antiquis stat res romana virisque. (5)
     (5) Ennius, ap. Cic., de Rep., V.
     Theodoric, dans Cassiodore, escripvoict à Felix, qui vouloict abolir quelques anciens droictz octroiez de longue main aux plus vilz qui feussent dans Millan: «Il convient à ta grandeur d’ansuivre l’antiquité, laquelle par ung sien privillege demande comme chose deue ce qu’on luy a octroyé et donné. Sublimitatem tuam consequi vetustatem quae suo quodam privilegio, velut debita, quae donantur exposcit.»(6)
     (6) Cassiodore, Variarum lib. III, ep. XXXIX.
     Quand à ce que l’on dict: cinq cens ans que le privillege dure, et que l’on s’en doibt contanter, il est certain que immunitates generaliter tribute ad posteros transmittuntur et in perpetuum succedentibus (7), Cela s’en va in infinitum, nati natorum et que nascuntur ab illis. C’est comme sy l’on disoit qu’un homme ayant jouy d’un heritage par cinq cens ans, il luy fault oster, et qu’il y [a] tant d’années que les successeurs d’un tel ont jouy des droictz de noblesse, et qu’il les fault rendre roturiers. Car ledit Le Maire [p.204] et ceulx de sa famille n’ont eu aultre bienfaict des rois que ce privillege et affranchissement, lequel leur est vray patrymoine.
Tantum(ne) aevi longingua valet mutare vetustas! (1)



     (7) L. 5, D. De jure immunitatis, L. 6. Le texte porte en réalité: «Immunitates generaliter tributæ eo jure ut ad posteros transmitterentur in perpetuum succedentibus durant.»

     (1) Virg., Æn., III, 415.
     Il ne fault point desnier à la posterité dudict Le Maire, qui estoict homme franc et de la maison et famille du roy, l’exemption des tailles et aultres subsides, non plus qu’aux aultres nobles du royaulme, car la noblesse ne tient ses prerogatives que par le don et liberalité des rois. Il y a parité de raisons aux ungs et aux aultres, et l’on peult dire qu’il y a peu de nobles qui ayent de plus grandes preuves et confirmations de leur noblesse que ceulx de ladicte lignée. On peult aussy bien abolir et revocquer les privilleges de ungs que des aultres.

     Pour les femmes, en ce qu’elles affranchissent leurs maris, ce n’est rien de nouveau, veu que en Champaigne la femme noble annoblist son mary et ses enffans.

     Les opposans supplient très humblement la Cour de considerer que la chartre du privillege est ung pact, et non pas ung privillege pur, gratuict; pact legitime, puisqu’il est fondé sur ung faict de pieté et de recompense de service, partant irrevocable.

     Secundo, que c’est ung annoblissement d’une famille tant en ligne masculine que fœminine, et qu’en cela il n’y a rien contre le droict des gens et [loys (2)] du royaulme.
     (2) Ms. fr. 5029: gens.
     Tertio, que cest annoblissement est reiglé et limité par eedict et par les arrestz de la Cour pour n’avoir l’exemption des tailles lieu en ceulx qui trafficquent et tiennent fermes.

     Quarto, par ceste restrinction, il est pourveu à la foulle du publicq, en sorte qu’il n’en reçoict aulcun prejudice.

     Quinto, en ce que l’on n’a jamais veu en France revocquer les annoblissemens des familles, sinon pour grande ingratitude et crime de leze majesté.

     Sexto, pour ce que l’eedict et lettres, de l’entherinement desquelles est question, ayant esté expediées soubz faulx donné à entendre au prince que sept à huict mille de ceste famille jouissent de l’exemption des tailles, avecq reticence de la verité que le privillege est limité en sorte qu’il n’y en a pas quinze de ladicte famille jouissans de l’exemption des tailles et subcides, l’eedict et les lettres sont nulles et de nul effect.

     Puisque doncq les opposans se trouvent fondez en une possession de cinq cens tant [sic] d’années, porteurs de chartres, lettres patentes et confirmations de tant de roys, d’aultant de verifications faictes à la Cour, d’un nombre infiny d’arrestz confirmatifz de leurs privilleges, que, l’an 1594, le roy le leur a sy solemnellement confirmé, qu’il leur tient lieu de patrimoine, que mesmes, en l’assemblée derniere tenue à Rouen, on le leur a confirmé au rapport de M. le procureur genéral, comme dict est, present M. le premier president et M. le president Seguyer, et en presence de tous les deputez, que leur petit nombre se justifie, et qu’il ne va à la surcharge des finances du roy ny du peuple; ilz concluent à fin de bonne opposition et à ce que, sans avoir esgard ausdictes lettres, il soict dict (s’il plaise à la Cour) que les opposans jouiront de leur privillege, ainsy qu’ils ont bien et deuement faict par le passé, suivant le reiglement et arrestz de la Cour.

Eudes le Maire sur un vitrail de 1614 à l'église parisienne de Saint-Etienne-du-mont (1614)
Eudes le Maire sur un vitrail de 1614
(Paris, Saint-Étienne-du-Mont)
     (Bibl. nat., ms. fr. 5029, fol. 55-68; ms. fr. 20152, fol. 767-777.)

   
Source: l’édition numérique en mode image de la BNF, saisie en mode texte par B.G, décembre 2007.
   
BIBLIOGRAPHIE PROVISOIRE
      
Éditions

Dessin de Montfaucon Article de 1886
     1) Noël VALOIS (archiviste aux Archives nationales, 1855-1915
), «Le Privilège de Chalo-Saint-Mard», in Annuaire-Bulletin de la Société de l’histoire de France 23/2 (1886), pp. 185-226.
     2) Réédition numérique en mode image par la BNF sur son site Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k12247v, en ligne en 2007.
     3) Première réédition numérique en mode texte (très méritoire malgré de nombreuses coquilles et l’abandon des notes de bas de page) par
un généalogiste, sur le site Généalogie de la famille Lenain-Castéra, http://www.persogeneal.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=78, en ligne en 2007.
     4) Deuxième réédition numérique en mode texte par Bernard GINESTE, pour le Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-noelvalois1886privilegedechalo.html, 2007.

Article de 1896
     1) Noël VALOIS (archiviste aux Archives nationales), «Note complémentaire sur le privilège de Chalo Saint Mard», in Annuaire-Bulletin de la Société de l’histoire de France 33/2 (1896), pp. 182-205.
     2) Réédition numérique en mode image par la BNF sur son site Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k122664
, en ligne en 2007.
     3) Première réédition numérique en mode texte (très méritoire malgré de nombreuses coquilles et l’abandon des notes de bas de page) par un généalogiste, sur le site Généalogie de la famille Lenain-Castéra, http://www.persogeneal.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=80
, en ligne en 2007.
     4) Deuxième réédition numérique en mode texte par Bernard GINESTE, pour le Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-noelvalois1886privilegedechalo.html#1896, 2007.

Sur ce privilège

     Bernard GINESTE [éd.], «Dom Fleureau: La franchise de Challo saint Mard (1668)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b24a.html, 2005.

     Voyez spécialement notre bibliographie en cours: http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b24a.html#bibliographie, 2006.

     Une fantaisie romanesque: Bernard GINESTE [rééd.], «Madame Piet: Comme quoi un pauvre sire dota richement sa lignée (Journal des Demoiselles, 1834)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-19-piet1834commequoi.html, 2010.


Toute correction, critique ou contribution sera la bienvenue. Any criticism or contribution welcome.
   
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