CORPUS HISTORIQUE ÉTAMPOIS
 
Barthélemy Durand, maire d’Étampes
Lettre au préfet de Seine-et-Oise
15 décembre 1944
 
Plan du grage du 112e régiment de transmission au sol de la Luftwaffe  
    Garage du 112e régiment de trasmission au sol de la Luftwaffe en 1943
 
     Nous devons déjà d’importantes découvertes à notre ami Bruno Renoult, spécialement le résultat de l’interrogatoire d’un soldat allemand par les services de renseignement britanniques au sujet des installations de la Luftwaffe à Étampes. Voici un document, tout à fait nouveau, et tout à fait indispensable à l’histoire d’Étampes, si cruelle qu’elle ait été. Cela doit nous rappeler d’une part que l’Histoire est toujours écrite, dans un premier temps, par les vainqueurs; d’autre part qu’il est presque impossible de faire l’histoire du temps présent. De fait, jusqu’à présent, il n’était guère que quelques témoins pour avoir évoqué, très vaguement, et très pudiquement, certains aspects de la réalité dont on avait honte de parler, et qui menaçaient même d’échapper finalement à la connaissance des historiens, et de la postérité.

Bernard Gineste, 28 février 2009
   
Barthélemy Durand, maire d’Étampes
Lettre au préfet de Seine-et-Oise
15 décembre 1944


Document découvert par Bruno Renoult,
ici édité pour la première fois,

avec des notes provisoires de Bernard Gineste

Brève introduction

Barthélémy Durand
Barthélémy Durand
     Les premiers éléments de l’armée des États-Unis d’Amérique à pénétrer dans la commune d’Étampes le firent le 22 août 1944 à 6h du matin. L’histoire de la présence américaine dans notre bonne ville reste à écrire, et ce n’est évidemment pas le propos de cette brève introduction. Cette présence dura sous diverses formes jusqu’en janvier 1946.

     Le document que nous mettons aujourd’hui en ligne, et que nous devons à l’infatigable travail de recherche de Bruno Renoult, de l’association historique du Vexin, n’est qu’un élément parmi d’autres, pour servir à l’écriture de cette histoire. Ceux qui connaissent de vieux Étampois savaient déjà, par leurs témoignages oraux, que cette présence étatsunienne n’avait pas été sans ombre. Qu’il y avait eu de nombreux viols, et une certaine insécurité d’une manière générale; des rixes interraciales extrêmement violentes; des déprédations de toutes sortes, et beaucoup de vols;  je n’avais pas encore entendu parler, pour ma part, d’assassinats de civils étampois. Tout cela cependant doit être replacé dans son contexte.

     L’armée des États-Unis d’Amérique, comme beaucoup d’autres, recrutait et recrute l’essentiel de ses troupes parmi les classes sociales les plus défavorisées, et les plus abandonnées. Cette partie de la société était et reste victime d’une violence sociale considérable, dont la ségrégation raciale n’était alors qu’un aspect parmi d’autres, comme, par exemple, l’abandon de tout véritable projet d’Éducation Nationale, et de toute forme d’assurance sociale digne de ce nom. C’est là le terreau de la violence: tant de la violence désordonnée d’individus livrés à eux-mêmes depuis l’enfance, que de la violence des gangs.

     Il y faut ajouter que ces jeunes gens, pour la plupart, en cet hiver 1944, ne faisaient que transiter par Étampes, avant de partir pour le front des Ardennes, où le régime hitlérien aux abois venait de lancer une contre-offensive dont personne ne savait ce qu’elle allait produire. Nos libérateurs étaient pour beaucoup dentre eux de pauvres gens qui allaient à la mort après une courte vie bien misérable, et lidéal glorieux quils servaient ne les effleurait pas tous.

     Il ne faut pas non plus perdre de vue que, pendant toute cette période, comme le note Clément Wingler dans l’étude qu’il a donnée sur Étampes de 1944 à 1946, et que nous venons de mettre en ligne (cliquez ici), malgré ces incidents, si graves soient-ils, «à l’égard des troupes américaines, prédomine largement un sentiment de reconnaissance pour la libération du pays et de la ville, ainsi que pour l’aide matérielle apportée au quotidien».

     La lettre de Barthélémy Durand, dailleurs, ne fut pas semble-t-il sans effet, car, ainsi que le note encore Clément Wingler d’après le Journal d’Étampes du 13 janvier 1945, dans l’étude précitée (cliquez ici), «dès janvier 1945, des renforts de police américaine sont acheminés à Étampes» et cette police disposa dès lors «d’un poste permanent dans l’aile droite de l’hôtel de ville».

Bernard Gineste, février 2009.



CABINET DU MAIRE
Ville d’Étampes

TÉLÉPHONE 41


DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-OISE


Ville d’Etampes




Étampes, le 15 Décembre 1944,

Le Maire de la Ville d’ÉTAMPES (1)

à Monsieur le Préfet de Seine et Oise (2)
VERSAILLES


Barthélémy Durand      (1) Louis-Barthélémy Durand avait été nommé maire provisoire le 23 août 1944 par un conseil municipal mis en place par les FFI (Forces françaises de l’intérieur); le 22 novembre, ce conseil municipal avait été légitimé par le nouveau préfet de Seine-et-Oise, Joseph Léonard, lui nommé commissaire de la République depuis le 25 août par le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française).
     (
2) Au moment de la Libération, le préfet de Seine-et-Oise  nommé par le régime de Vichy était un certain Revilliod; le GPRF lui donna pour successeur, le 25 août 1944, Joseph Léonard, commissaire de la République, qui exerça ces fonctions jusqu’au 27 mai 1947.
     J’ai l’honneur de vous signaler les très nombreux et graves méfaits qui se produisent ici par l’armée Américaine.

     Avant-hier encore, une femme de 70 ans, a été violée et assassinée par un soldat Américain (3). C’est le 3ème assassinat en moins d’un mois (4). Il n’est pas un jour où je n’ai [sic] à la Mairie, l’écho d’incidents plus ou moins graves qui se produisent dans notre Ville et dans ses environs immédiats.
     (3) Le 13 décembre 1944. Nous n’avons d’autre information pour l’instant sur ce sinistre fait divers.
     (
4) Nous ne sommes pas plus renseignés pour l’instant sur ces événements. Les archives municipales ne conservent la mémoire que de dégâts matériels causés par des soldats ivres, qui furent l’objet de plaintes dans l’espoir d’une indemnisation.
     J’ai rendu visite au Colonel commandant les troupes cantonnées à ÉTAMPES ou ses environs (5) pour lui signaler la gravité de la situation. Je n’ai pu obtenir de lui qu’il fasse le couvre-feu pour les troupes, à la tombée de la nuit, c’était à mon avis le seul moyen de mettre fin à ces incidents (6).
     (5) C’était le colonel Orville W. Harris, dont le QG était au château de Brunehaut.
     (
6) Un tel couvre-feu fut mis en place ultérieurement, car un témoin tel que Fernand Minier se souvient parfaitement que les soldats US avaient une heure précise le soir, pour regagner leurs casernements, et que les M.P. (Military Police) patrouillaient avec leurs matraques, dont ils faisaient grand usage pour ramasser les récalcitrants et les auteurs de rixes.
     Craignant une réaction légitime de la population et des représailles, dont je ne veux avoir la responsabilité, je me permets de m’adresser à vous pour vous demander s’il ne serait pas possible de signaler ces faits et cette situation au Commandant en chef des troupes Américaines (7) pour qu’il prescrive des mesures en conséquences (8).


Le Maire d’ÉTAMPES,
[signé:] B. Durand
[tampon:] MAIRIE D’ÉTAMPES * SEINE-ET-OISE *
     (7) Le chef suprême des armées alliées était alors le général Eisenhower. Le préfet ne contactera en fait que le général français commandant la Seine-et-Oise.
     (
8) Plusieurs soldats U.S. furent ultérieurement condamnés à mort à Étampes pour des faits similaires, selon Fernand Minier. Les exécutions auraient eu lieu au Camp de prisonniers américains qui se trouvait au niveau de la ferme de Saint-Phallier, de l’autre côté de la voie de chemin de fer, près d’un bois appartenant au comte de Saint-Léon. Les condamnés auraient, selon lui, été pendus sommairement, mis sur le capot d’une Jeep qui faisait soudain marche arrière; puis enterrés au cimetière militaire étatsunien de Villeneuve-sur-Auvers.
[ANNOTATIONS DES SERVICES PRÉFECTORAUX DE VERSAILLES]

[Tampon:] PREFECTURE DE SEINE-ET-OISE * VERSAILLES* / 19 DÉC 1944 (9)

[Note manuscrite marginale:]

     Copie à M(onsieu)r le G(énér)al Basse (
10) en le priant de vouloir bien saisir les autorités militaires américaines.

     Copie à M(onsieu)r le c(omman)d(an)t Rateau, attaché aux affaires civiles (
11).
     (9) On notera le décalage de quatre jours entre la rédaction de cette lettre et son enregistrement par les services de la Préfecture.


     (
10) Le général Basse tenait alors le commandement pour toute la Seine-et-Oise. Il faisait face lui-même à Versailles à des incidents graves entre la population locale et les sodats coloniaux, qui n’atteignirent pas cependant semble-t-il la gravité des événements d’Étampes.
     (
11) Nous n’avons pas de données sur ce personnage pour l’instant.
     

Défilé à Etampes de soldats étatsuniens, la poilice lmilitaire en tête.
Défilé militaire à Étampes, police militaire en tête de cortège (cliché probablement dû à Robert Rameau,
emprunté à l’ouvrage de Frédéric Gatineau, Étampes, chronique d’un siècle, Étampes, 2000, p. 76).

Source: Photographie aimablement aimablement communiquée par Bruno Renoult et saisie en mode texte par Bernard Gineste, février 2009.
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

Bruno Renoult
Bruno Renoult et Geneviève Havelange

     Barthélemy DURAND (maire d’Étampes), Lettre au préfet de Seine-et-Oise [1 feuillet dactylographié, annoté brièvement], conservé aux Archives départementales des Yvelines, sous une cote qui ne nous a pas été communquée, sans doute sous la cote AD 78 300W36 ou une cote voisine (je ne l’ai pas retrouvé en février 2009).

     Bruno RENOULT & Bernard GINESTE [éd.], «Barthélémy Durant: Lettre au préfet de Seine-et-Oise (15 décembre 1944)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-19441215barthelemydurand.html, 2009.

Sur Barthélémy Durand

     Barthélémy DURAND (lieutenant de vaisseau, maire d’Étampes, président du Conseil général de Seine-et-Oise et président de diverses sociétés, 1866-1956), «Préface», in Seine-et-Oise. Aspect géographique, historique, touristique, économique et administratif du département [in-4°; 309 p.; figures, fac-similé; avant-propos de Roger Génébrier;  “Visages de Seine-et-Oise”, introduction par André Boutonnat], Paris, Alépée [«Les Documents de France»], 1955.

     Henri TEMERSON (né en 1928), «Barthélémy Durand», in ID., Biographies des principales personnalités françaises décédées au cours de l’année 1956 [21 cm], Paris, Henri Temerson, 1957, p. ?.

Autres documents relatifs à la période 1939-1945

     Voyez spécialement: Clément WINGLER (directeur des archives municipales d’Étampes), «Marché noir, crimes et délits» et «Une cohabitation parfois difficile», in ID., «Étampes de 1944 à 1946 (étude datant de 2004)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-wingler1944-1946.html#45 et http://www.corpusetampois.com/che-20-wingler1944-1946.html#46, 2009.

     COLLECTIF, «Documents en ligne sur le pays étampois pendant la seconde guerre mondiale», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-39-45b.html, depuis 2004.

Publications de Bruno Renoult

1) Sur Étampes

     Jean-Luc NÉGELLEN [annotateur], Gérard LAVAL [traducteur], Bruno RENOULT [inventeur du document] & Bernard GINESTE [éd.], «M.I.19: Organisation de la Luftwaffe à Étampes en 1943 (interrogatoire d’un prisonnier de guerre)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-1943mi19luftgaukommando.html, 2005.

     Bruno RENOULT & Bernard GINESTE [éd.], «Barthélémy Durant: Lettre au préfet de Seine-et-Oise (15 décembre 1944)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-20-19441215barthelemydurand.html, 2005.

2) Sur l’ensemble de l’Île-de-France

Mémorial, tome 1, 2e édition
Mémorial, tome 2
Guerre en Île-de-France, tome 1
Guerre en Île-de-France, tome 2
Guerre en Île-de-France, tome 2
2000, puis 2003
"Tête de pont de Mantes"
220 pages, 600 photos
2004
"Suite: la bataille du Vexin"
336 pages, 1000 photos
2007
"Guerre en Île de France, vol. I"
240 pages, 800 photos
2007
"II. La Bataille aérienne"
200 pages, 600 photos
2007
"III. La défense du grand Paris"
220 pages, 600 photos

Pour plus de détails sur ces ouvrages, et pour les commander, cliquez ici.
2) Site web

     Bruno RENOULT [dir.], Vexin Histoire Vivante [site officiel de l’Association du même nom], http://www.vexinhistoirevivante.com, en ligne en 2009.


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