CORPUS  HISTORIQUE  ÉTAMPOIS
 
 
Auguste Allien
Solennité de Saint-Bernard
Abeille d’Étampes, 1875
 
Avec une Supplique du clergé d’Étampes à saint Pie IX,
et la réponse du Préfet de la Congrégation des rites

   
Saint Bernard au concile d'Etampes de 1130 (image pieuse flamande de la fin du XIXe siècle)

     En août 1875, lAbeille d’Étampes annonce aux Étampois que le clergé de la ville a obtenu de Rome l’autorisation de célébrer solennellement chaque année la fête de saint Bernard, en mémoire du rôle capital qu’il joua en 1130 au très fameux concile d’Étampes. Allien reproduit ici les courriers qu’ont échangés à cette occasion le clergé étampois et la Curie romaine, dans un contexte historique bien particulier où le clergé étampois paraît tout entier du parti ultramontain (voyez notre Annexe 1). 
                      
Auguste Allien
Abeille d’Étampes LXIV/33, p. 1.
(samedi 14 août 1875)

Solennité de Saint-Bernard
Dimanche 22 août.


Solennité de Saint-Bernard
Dimanche 22 août.



     A partir de cette année, le dimanche qui suivra le 20 août, la fête de saint-Bernard sera célébrée solennellement dans nos quatre paroisses (1). — Rome a très-gracieusement accueilli la demande du Clergé d’Étampes, désireux de perpétuer par une fête toute particulière le souvenir d’un des faits les plus célèbres de notre vieille cité. — Voici le texte de la supplique adressée au Saint Père dans les premiers jours de janvier.

          «Très-Saint Père,
     «C’est dans notre cité d’Étampes que saint Bernard accomplit l’un des actes les plus importants de sa vie; c’est dans notre église même de Notre-Dame que se tint ce fameux concile de 1130, où le saint, à la grande joie de l’univers catholique, fit triompher la cause d’Innocent II contre les prétentions de l’antipape Pierre de Léon.
     «En souvenir de ce glorieux événement et voulant rendre à saint Bernard un honneur tout spécial en même temps qu’affirmer son amour pour cet énergique défenseur des droits de la papauté (2),
     «Le Clergé de la ville d’Etampes, humblement prosterné aux pieds de Sa Sainteté, la supplie de lui permettre de chanter, tous les ans, une Messe solennelle (3) votive (4) de ce saint, le dimanche qui suivra le jour de sa fête, fixée au 20 août.
»



     — Un mois après, la Congrégation des Rites (5) envoyait la réponse suivante:

     «La cité d’Étampes, dans le diocèse de Versailles (6), ayant toujours professé une dévotion très-vive pour la mémoire de saint Bernard (7), confesseur et docteur de l’église (8), tout le clergé de cette ville a demandé au Saint Père la faveur de chanter, à l’église paroissiale, la Messe solennelle de ce saint, le dimanche qui suivra le 20 août.
     «La Sacrée Congrégation des Rites, en vertu des pouvoirs qui lui sont concédés par le Souverain Pontife consent volontiers à cette demande. La messe solennelle dont il est question pourra donc être chantée, pourvu toutefois que ce jour-là ne tombe pas une fête double de première classe (9), qu’il soit dit une Messe paroissiale répondant à l’office du jour et que les rubriques (10) soient observées. On devra en plus montrer le présent Indult (11) à la Chancellerie du palais épiscopal de Versailles, avant de le mettre à exécution, — nonobstant tout autre empêchement.

          «Le 27 janvier 1875.
                    «Le cardinal PATRIZI (12),
               «Évêque d’Ostie et de Velletri,
               «Préfet de la Sacrée Congrégation des Rites.»
     (1) Avant 1905, ces quatre paroisses étaient Notre-Dame, Saint-Basile, Saint-Gilles et Saint-Martin.

     (2) Il est difficile de ne pas voir ici une allusion à la situation de Pie IX qui se considère alors comme injustement dépouillé de ses États-Pontificaux par le coup de force de 1870. Voir notre Annexe 1.

     (3) Dans une messe solennelle, avant la réforme liturgique de 1962, le prêtre était assisté par un diacre (et parfois un sous-diacre); mais comme le diaconat avait pratiquement cessé d’exister, ce rôle était tenu par un autre ou deux autres prêtres portant la dalmatique.

     (4) Une messe est dite votive quand elle n’a aucun rapport avec la messe du jour, parce qu’elle répond au vœu personnel du célébrant ou de celui qui en autorise la célébration.

     (5) La Congrégation des rites a été instituée en 1588 par Sixte V pour exercer son contrôle sur la liturgie de l’Église romaine, avec pouvoir d’accorder des privilèges relatifs à cette matière. Elle a acquis ensuite la compétence des causes de béatification et de canonisation, avec juridiction sur le culte des reliques.

     (6) Étampes, qui avait relevé de l’archidiocèse de Sens jusqu’à la Révolution, a ensuite relevé du diocèse de Versailles jusqu’au démembrement en 1964 du département de Seine-et-Oise, puis, jusqu’à aujourd’hui, du nouveau diocèse d’Évry.

     (7) Il semble que le cardinal Patrizi parle ici un peu légèrement, car nous ne voyons pas que cette dévotion soit bien ancienne ni proprement traditionnelle à Étampes: elle correspond plutôt à l’esprit du temps et aux préoccupations idéologiques du clergé de ce temps.

     (8) Saint Bernard (1090-1153) a été canonisé par Alexandre III le 18 janvier 1174. On lui accorde parfois sans raison bien claire le titre de confesseur, qui vient juste après celui de martyr, et qui est théoriquement réservé à ceux des saints qui ont été persécutés pour la foi, mais qu’on applique parfois de manière honorifique à des personnages dont la sainteté a été particulièrement héroïque. Bernard a été élevé au rang de Docteur de l’Église par Pie VIII en 1830.

     (9) Avant la réforme liturgique du concile Vatican II, les fêtes liturgiques se classifiaient selon les degrés suivants: Simple, Semi-double, Double, Double majeur, Double de deuxième classe (parfois avec octave), Double de première classe (parfois avec octave).

     (10) Les rubriques sont les règles (communément écrites en lettres rouges) selon lesquelles on doit célébrer la liturgie et l’office divin sans jamais s’en écarter.

     (11) Privilège papal.

     (12) Voir notre Annexe 2 sur la carrière de ce prélat.

 
ANNEXE 1
Contexte historique de cet échange de courrier

1. Situation géo-politique

     Le Second Empire finissant a perdu le soutien de l’Église catholique en grande partie en raison de sa politique italienne qui conduit au morcellement des États du Pape. Or c’est la chute de l’Empire Français le 4 septembre 1870, ce traditionnel protecteur des États pontificaux, qui va accélérer le mouvement irrésistible de l’histoire vers l’unification politique de l’Italie. Dès le 20 septembre les troupes du roi Victor-Emmanuel II rentrent dans Rome, qu’on déclare capitale du royaume. Le pape Pie IX (1846-1878), réfugié au Vatican, s’y considère dès lors comme prisonnier.

     En 1871, le parlement italien vote une Loi des Garanties sur les prérogatives du Souverain Pontife et du Saint-Siège et sur les relations de l’État avec l’Église.
     Cette loi accorde au pape l’inviolabilité de sa personne, son immunité de juridiction devant les tribunaux italiens, sa protection pénale contre les injures publiques, sa liberté de correspondance et de célébration du culte. Elle lui reconnaît en outre le droit aux honneurs souverains et le droit de légation actif et passif, c’est-à-dire la capacité d’envoyer et de recevoir des ambassadeurs reconnus comme tels, et jouissant à ce titre de l’immunité diplomatique. Plus une rente considérable, et la jouissance des palais du Vatican, du Latran et de Castel Gandolfo.
     Cependant, elle ne reconnaît pas au Vatican le caractère d’un État souverain. De fait il ne s’agit pas d’un traité, mais d’une loi italienne traitant des affaires intérieures de l’Italie, ce qui donne à la papauté un statut inédit et ambigu qu’un juriste à récemment comparé à celui d’un protectorat colonial (1).

     Aussi Pie IX (1848-1876) refuse cet arrangement, qui, entre autres arguments, n’assure pas au gouvernement de l’Église catholique la garantie de pouvoir fonctionner en échappant à la tutelle des pouvoirs politiques locaux. Cette intransigeance sera continuée par ses successeurs Léon XIII (1878-1903) et Pie X (1903-1914), Benoît XV (1914-1922), et c’est seulement sous Pie XI (1922-1939) qu’un accord sera trouvé en 1929 avec l’Italie fasciste de Benito Mussolini, lors des accords du Latran, qui constituent au bénéfice de la papauté l’État souverain du Vatican, dans le quartier de Rome du même nom.




Pie IX
Saint Pie IX (1848-1876)
canonisé en août 2000 par Jean-Paul II







     (1) Joël Benoît d’ONORIO (dir.), «Le Saint-Siège et le droit international», in Le Saint Siège dans les relations internationales. Actes du colloque organisé les 29 et 30 janvier 1988 par le département des sciences juridiques et morales de l’Institut Portalis, Cujas & Cerf, Paris, 1989, p. 15.
2. Position du clergé français et spécialement étampois

     Le clergé français est alors partagé entre deux tendances. Les gallicans sont attachés depuis longtemps aux libertés traditionnelles de l’Église de France, et réticents devant les empiètements continuels du Saint-Siège dans tous les domaines de la vie religieuse nationale et locale. Au contraire les ultramontains, depuis surtout le début du XIXe siècle sont très favorables à l’omniprésence du pouvoir romain. C’est sur eux que tente clairement de s’appuyer Pie IX,
face à l’offensive du rationalisme et du scientisme contre les traditions chrétiennes; mais face également à de nouvelles réalités, que récuse et condamne ce pape sans appel. Il est hostile au principe même de la liberté de pensée et à toute forme d’avancée démocratique, particulièrement bien sûr à l’idée même de suffrage universel, mais même aux simples régimes constitutionnels, ainsi quà d’autres innovations qui font désormais partie du patrimoine commun de l’Europe.

      Après avoir publié de lui-même en 1854 un nouveau dogme de foi sans l’aval d’aucun concile œcuménique, celui de l
Immaculée Conception de la Vierge Marie, Pie IX convoque le concile de Vatican I (1869-1870) qui va proclamer celui de l’infaillibilité pontificale, non sans de grandes résistances au sein même du parti ultramontain, au moment même où se précipite la chute des États Pontificaux, et où est proclamée en France la IIIe République. Dès lors on assiste à un raidissement de l’ensemble de l’Église de France restée fidèle, qui s’identifie toute entière à son pasteur suprême persécuté, et considéré comme prisonnier dans ses propres États. 

     Très clairement, la lettre adressée en janvier 1875 par le clergé d’Étampes à Pie IX est à comprendre dans ce contexte, comme une marque ostensible de fidélité à un pasteur en difficulté. De là l’insistance notamment sur l’amour qu’on aurait à Étampes pour saint Bernard,
cet énergique défenseur des droits de la papauté.


  
ANNEXE 2
Carrière du cardinal Patrizi Naro
     Le 27 janvier 1875, c’est le cardinal Costantino Patrizi Naro, évêque d’Ostie et de Velletri, et surtout préfet de la Congrégation des rites, qui répond au nom du pape Pie IX au clergé d’Étampes. Il peut donc être intéressant de se demander qui était ce personnage, et d’entrevoir par là quels étaient alors les rouages de l’administration romaine, à laquelle eut affaire le clergé d’Étampes en 1875. Nous voyons que Patrizi avait alors 77 ans, qu’il était préfet de la Congrégation des rites déjà depuis une vingtaine d’années. Il avait de plus été promu Secrétaire de la Congrégation pour l’Inquisition universelle en 1860, archiprêtre de Saint-Jean-du-Latran en 1867, et cardinal-évêque d’Ostie en 1870.

DATES
ÂGE


4 septembre 1798

Naissance
à Sienne
16 juin 1819
20 ans
Ordination
prêtre
15 décembre 1828
30 ans
Nomination
archevêque titulaire de Philippes
21 décembre 1828
30 ans
Ordination
archevêque titulaire de Philippes
16 janvier 1829
30 ans
Nomination
nonce apostolique
2 juillet 1832
33 ans
Nomination
préfet de la Curie romaine
23 juin 1834
35 ans
Élévation
cardinal in pectore, c’est-à-dire “à part soi”, “à titre secret”; quand le nom d’un tel cardinal est publié, il obtient la préséance à partir du jour de la réservation in pectore.
11 juillet 1836
37 ans
Nomination
cardinal-prêtre de Saint-Sylvestre-au-Chef
11 juillet 1836
37 ans
Élévation
cardinal-prêtre de Saint-Sylvestre-au-Chef
6 juillet 1839
40 ans
Nomination
préfet de la Congrégation des évêques et des Réguliers
24 avril 1845
46 ans
Nomination
archiprêtre de la basilique de Sainte-Marie-Majeure
20 avril 1849
50 ans
Nomination
cardinal-évêque d’Albano
27 juin 1854
55 ans
Nomination
préfet de la Congrégation des rites
10 octobre 1860
62 ans
Nomination
secrétaire de la Congrégation pour l’Inquisition universelle
17 décembre 1860
62 ans
Nomination
cardinal-évêque de Sabine et de Poggio Mirteto
21 septembre 1867
69 ans
Nomination
archiprêtre de la basilique Saint-Jean-du-Latran
8 octobre 1870
72 ans
Nomination
cardinal-évêque d’Ostie et Velletri.
17 décembre 1876
78 ans
Mort


     Source: David M. CHENEY, «Costantino Cardinal Patrizi Naro †», in ID., The Hierarchy of the Catholic Church. Current and historical information about its bishops and dioceses, http://www.catholic-hierarchy.org/bishop/bpatn.html, en ligne en 2008.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE ET PROVISOIRE
 
Éditions
 
     Auguste ALLIEN [dir.], «Solennité de Saint-Bernard, dimanche 22 août», in ID., Abeille d’Étampes. Journal des insertions judiciaires et légales de l’arrondissement. Littérature, Sciences, Jurisprudence, Agriculture, Commerce, Voyages, Annonces diverses, etc., paraissant tous les samedis LXIV/33 (samedi 9 octobre 1875), p. 1.

     Bernard GINESTE [éd.],
«Auguste Allien: Solennité de Saint-Bernard (Abeille d’Étampes, août 1875)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-18750822solennite-stbernard.html, 2008.

Sur saint Bernard à Étampes
Saint Bernard dans le Corpus Étampois

     Bernard GINESTE, «Geoffroy de Clairvaux: Miracles de saint Bernard sur la route de la Diète d’Étampes (1146)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-12-geoffroy1146bernard.html, 2003-2008. 

     Bernard GINESTE, «Louis Bail: Concilium Stampense (extrait de la Summa Conciliorum Omnium, 1645)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-bail1645concilia.html, 2003. 
  
      Bernard GINESTE [éd.], «Fénelon, Sermon sur saint Bernard (extrait concernant le concile d’Étampes de 1130)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-18-fenelon-stbernard.html, 2003. 

     Bernard GINESTE [éd.], «Image pieuse: Saint Bernard au concile d’Étampes de 1130 (fin XIXe s.)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-imagepieuse-stbernardaetampes.html, 2003. 

     Bernard GINESTE [éd.], «Auguste Allien: Solennité de Saint-Bernard (Abeille d’Étampes, août 1875)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-18750822solennite-stbernard.html, 2008.


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