CORPUS HISTORIQUE ETAMPOIS
 
 Maxime de Montrond
Étampes de 1226 à 1319
Essais historiques sur la ville d’Étampes, chapitre XII
1836
 
Sceau de Blanche de Castille
Sceau de saint Louis
Sceau de Marguerite de Provence
Sceau de Blanche de Castille
Sceau de saint Louis Sceau de Marguerite de Provence

   Maxime de Montrond traite ici de l’histoire d’Étampes depuis le commencement du règne de saint Louis en 1226 jusqu’à la mort de premier seigneur apanagiste Louis Ier d’Évreux, soit de 1226 à 1319. Il en profite pour parler du très ancien couvent des fanciscains dit Cordeliers, fondé à Étampes du vivant même de saint François, et du poème qui fut compoé au XVIIIe siècle par Charles Hémard de Danjouan au sujet d’un certain de leurs chiens.

      La saisie des textes anciens est une tâche fastidieuse et méritoire. Merci de ne pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer.
     
Essais historiques sur la ville d’Étampes
Étampes, Fortin, 1836
Chapitre XII et Notes XI et XII, pp. 169-181 & 221-235.
Étampes de 1226 à 1319
 
CHAPITRE PRÉCÉDENT
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE SUIVANT


CHAPITRE DOUZIÈME
ÉTAMPES DE 1226 à 1319


SUIVI DE
NOTE XI, LE CHIEN PÊCHEUR
NOTE XII, CHARTE DE CHARLES IV DIT LE BEL


     CHAPITRE XII.  Étampes sous le règne de saint Louis Blanche de Castille Marguerite de Provence Maison des pères Cordeliers Chien pêcheur Premiers comtes apanagistes d’Étampes NOTE XI: Le Chien Pêcheur. NOTE XII: Charte de Charles IV dit le Bel.

     Le territoire d’Étampes n’avait cessé jusqu’au treizième siècle de faire partie du domaine de la couronne. Englobé d’abord dans le royaume de Bourgogne, au temps du roi Gontran, nous l’avons vu ensuite passer entre les mains de Clotaire II, quand ce dernier prince devint seul maître de toute la monarchie. Depuis cette époque jusqu’au règne de saint Louis, il n’avait jamais été détaché de l’héritage de nos rois. Mais depuis Philippe Ier, les souverains y nommaient un vicomte pour y percevoir leurs droits et exercer leur juridiction. Par eux l’histoire a conservé le [p.170] nom de Gui, fils de Hugues du Puiset. Ce seigneur acquit ce titre par son mariage avec la fille de Marchis qui possédait déjà cette dignité. On voit par là que cette charge, du moins à cette époque, était héréditaire et non une simple commission. Le vicomte Gui n’imita pas l’exemple de la plupart des seigneurs, qui se révoltèrent contre Louis-le-Gros. Il lui demeura au contraire constamment fidèle; et plus d’une fois on le vit combattre vaillamment à côté de son prince, partageant avec lui tous ses dangers (1).


     La période où nous entrons nous montre la ville d’Étampes sortant de la dépendance directe de la couronne, pour devenir durant quelques années le brillant apanage d’illustres souveraines. La première qui se présente est Blanche de Castille, femme du roi Louis VIII, et princesse aussi distinguée par ses vertus que par son habileté et son courage. Son époux l’avait déclaré en mourant régente du royaume, durant la minorité du roi son fils. Mais de puissans seigneurs, tels que Philippe, comte de Clermont, Thibaut, comte de Champagne, Pierre, duc de Bretagne, Robert, comte de Dreux, et plusieurs autres, sous prétexte qu’il était honteux pour la France d’être gouvernée par une femme étrangère, s’étaient ligués contre elle. La régente, à cette nouvelle, avait équipé une armée, et s’était mise en campagne contre ses ennemis. Déjà la plupart d’entre eux, soumis avant de combattre, s’étaient réconciliés avec leur souveraine; mais le duc de Bretagne et le comte de la Marche persistaient dans leur rébellion. Sommés de [p.171] comparaître devant le parlement du roi, à Chinon, ils avaient refusé de s’y rendre. Feignant plus tard un vif désir de rentrer dans les bonnes grâces de leur jeune monarque, ils vinrent à Vendôme, accompagnés seulement des gens de leur maison. Le roi, d’après l’avis de la régente, s’achemina vers eux avec peu de forces. Mais à mesure que le prince approchait, les rebelles faisaient secrètement avancer des troupes de leur parti aux environs d’Étampes et de Corbeil. Le jeune Louis, ne se doutant nullement du piège qu’on lui tendait, poursuivait sa marche en assurance, quand tout à coup, arrivé à Châtre (1) sous Montlhéry, il fut averti par le comte de Champagne, ou, suivant une tradition, par quelques gentilhommes du pays d’Étampes, du danger qui le menaçait (2). Le roi se retira aussitôt dans le château de Montlhéry, d’où il fit connaître incontinent à sa mère le péril dans lequel il se trouvait. La reine Blanche instruisit sur le champ les Parisiens de la trahison des perfides, et de la position critique de leur souverain. Le peuple de la capitale, ému par les prières de cette mère affligée, prend soudain les armes, accourt délivrer son roi, et le ramène triomphant à Paris.












Sceau de Blanche de Castille      (1) Voy. l’Art de vérifier les dates, t. II [bib] . – Chron. de Morigny.



















     (1) Aujourd’hui Arpajon.

     (2) Chron. du sire de Joinville.

     Ce fut peu de temps après cet événement, que la reine Blanche reçut des mains de son fils la terre et seigneurie d’Étampes, avec celles de Pontoise, de Dourdan, de Corbeil et de Melun. Ces divers domaines lui furent concédés en dédommagement de son douaire, dont elle s’était désistée [p.172] en faveur de son fils Robert, lors du mariage de ce prince (1237) avec Mathilde, fille aînée de Henri 1er, duc de Brapant. Ainsi la ville d’Étampes et son territoire. devinrent dès lors la propriété de la reine Blanche de Castille, à la charge toutefois de leur retour après sa mort à la couronne de France.

    Le règne de la mère de saint Louis dans ces contrées, n’est guère connu que par ses bienfaits, ou par ceux qu’elle répandit ailleurs, à l’aide des revenus de ses nouveaux domaines. Elle les fit servir en effet à ces pieuses largesses dont l’histoire de sa vie nous offre tant d’exemples; et le nom d’Étampes se retrouve ainsi dans les nombreuses donations dont elle enrichit mainte église et plusieurs monastères. Dans l’abbaye de Notre-Dame la royale du lys, qu’elle avait fondée près de Melun, et dotée de pareilles aumônes, la reine Blanche avait rassemblé de jeunes orphelines de bonne maison,
«qui ne trouvaient pas à se marier, dit un vieil historien, parce que la plus grande partie de la noblesse française allait, par dévotion, à la guerre en la Terre-Sainte, d’où peu retournaient.» La vallée d’Étampes, où brillent tant d’autres beaux souvenirs de gloire ou de fidélité, ne doit point répudier celui d’avoir vu jadis les produits de son sol consacrés ainsi à l’entretien de ces nobles filles, dont les pères, morts pour la France au champ d’honneur, n’avaient laissé à leurs enfans en héritage que la renommée de leurs exploits.

    Il me reste à parler d’une autre abbaye construite vers cette époque dans l’enceinte même d’Étampes, et dont [p.178] quelques-uns attribuent aussi la fondation à la reine Blanche de Castille.

     C’est le couvent des pères Cordeliers, situé dans la paroisse de Saint-Gilles, et dont la mémoire se conserve  encore dans le quartier de la ville désigné aujourd’hui par ce même nom. A cette période du treizième siècle, Étampes possédait déjà plusieurs asiles ouverts à la souffrance, ou consacrés à la prière et aux austères labeurs: La reine Blanche ne devait point régner sur ces mêmes lieux sans y laisser quelque monument de son passage et de sa pieuse munificence. Si l’on en croit donc un vieil historien, ce fut par ses soins qu’on vit s’élever ce vaste monastère des Cordeliers, dont il ne reste aujourd’hui que quelques parties (1). La tradition du pays, en rapportant que cette abbaye était l’une des plus anciennes de l’ordre Séraphique établies en France, et qu’elle fut fondée du vivant même de saint François d’Assise, s’accorde parfaitement avec le témoignage de l’écrivain. Le seul aspect de cet antique bâtiment ne permettait guère d’ailleurs de douter qu’il n’eût été l’ouvrage de quelque personnage puissant. On chercherait du reste vainement des documens plus précis et plus exacts sur son origine et sa fondation. Les registres et les titres des pères Cordeliers d’Étampes devinrent tous la proie des flammes, lorsqu’en 1567 les calvinistes, s’étant emparés de la ville, incendièrent leur maison et leur belle église, dédiée sous l’invocation [p.174] de saint Jean-Baptiste. Mais quelques années après, grâces [sic] aux secours de Henri III et de plusieurs seigneurs, l’église et le couvent furent rebâtis. Les habitans d’Étampes concoururent aussi par leurs aumônes à cette réédification, et obtinrent du roi la permission de prendre le bois nécessaire dans la forêt de Dourdan (1). La nouvelle église des Cordeliers fut décorée avec magnificence. Les principaux mystères de la Passion étaient, dit-on, représentés en bas relief sur le retable du grand autel avec une délicatesse merveilleuse; et d’admirables vitraux peints ornant les croisées, laissant pénétrer dans le temple un jour mystérieux.


     (1) Voy. le Livre de la naissance et du progrès de l’ordre de Saint-François, par le P. F. de Gonzague, écrit en latin et imprimé à  Rome l’an 1587 [bib].








     (1) Voy. Archives de l’Hôtel-de-Ville. [Montrond suit ici de très près, quoique sans le citer, dom Basile Fleureau, Antiquitez d’Estampes, Paris, Coignard, 1683, pp. 145-146, et notamment par ce renvoi aux archives de l’Hôtel de Ville, ici (B.G.)]
     Le même écrivain qui attribue à la reine Blanche la fondation du couvent des Cordeliers d’Étampes, remarque qu’il fut en divers temps le séjour de plusieurs hommes insignes par leur science et leur piété (2). Il cite entre autres un nommé Louis de la Plaine qui devint la victime de la fureur des calvinistes, lorsque dans le seizième siècle, ils s’emparèrent de la ville.
Ce monastère ainsi relevé de ses ruines par les soins de Henri III et les aumônes des habitans d’Étampes, subsistait encore en l’année 1789. Vers cette époque l’église fut détruite, et les religieux dispersés. Mais sur les débris de leur maison, on a vu dans ces derniers temps se former un autre asile. Les dames religieuses de la Congrégation, appartenant à l’ordre fondé au dix-septième siècle par le B. Fourier, curé de Mattaincourt, ont acheté ces murs [p.175] sis non loin d’un terrain qui fut jadis leur héritage; et c’est là que de vénérables sœurs, dévouant leurs soins à l’instruction des jeunes filles pauvres, poursuivent en paix de nos jours le cours interrompu de leurs premiers bienfaits (1).

     S’il m’était permis de mêler quelques souvenirs moins graves à l’austère sujet qui nous occupe, je pourrais peut-être égayer ici le lecteur, en rappelant l’histoire non d’un chien savant, tel que les Munito de nos jours, dont on applaudit les talens stériles, mais d’un barbet vraiment utile autant qu’ingénieux; et qu’une tradition badine prétend avoir été pendant plusieurs années le pourvoyeur adroit du réfectoire des pères Cordeliers. Sa pêche aux écrevisses était une invention aussi singulière que nouvelle; et elle doit être rangée parmi les notions dont on pourrait conclure que l’instinct chez certains animaux approche quelquefois tellement de la raison qu’il semble se confondre avec elle. Il parait du reste que l’adresse de ce barbet, et l’utilité que les Cordeliers en retiraient, l’avaient rendu célèbre, puisqu’un des habitans d’Étampes ne dédaigna pas de lui consacrer un poème entier. Nous en rapportons les principaux fragmens à la fin du volume, et nous y renvoyons le lecteur pour qu’il puisse juger à la [p.176] fois du mérite de l’ouvrage et de l’adresse du héros (1).
     (2) Fr. de Gonzague. — Voir l’ouvrage cité plus haut [bib].






     (1) Sur l’ancien terrain qu’occupaient autrefois les religieuses de la Congrégation, on a construit, il y a dix ans environ, un grand et beau bâtiment dit aujourd’hui le grenier d’abondance. Il est situé au milieu de vastes jardins, et il fut ainsi établi par les soins de MM. d’Arblay pour servir de magasin de subsistances. Il a pris depuis peu une autre destination.




     (1) Le chien pêcheur, ou le barbet des Cordeliers d’Étampes, poème héroï-comique en latin et en français, fut composé en l’an 1714 par Claude-Charles Hémard de Danjouan, jeune habitant d’Étampes. Les vers latins en sont purs, élégans et corrects. La traduction en vers français, du même auteur, mise en regard du texte, nous semble inférieure. Mais malgré quelques tournures de phrases singulières et des expressions souvent un peu triviales, elle n’est pas dépourvue elle-même de finesse et d’originalité. (Voir à la note XI [ici] à la fin du volume, les fragmens de ce poème.)
    A la mort de Blanche de Castille (1er décembre 1252) la seigneurie d’Étampes rentra dans le domaine de la couronne. Mais quelques années après, elle en fut détachée encore pour composer avec d’autres terres le douaire de la reine Marguerite de Provence, femme de saint Louis. Cette illustre princesse avait suivi le roi dans la croisade, et elle s’était distinguée par des traits de fermeté et de courage dignes de son héroïque époux. Son pouvoir sur la ville d’Étampes se signala aussi par de pieux bienfaits (2).

    Nous ferons ici une remarque importante, et cette remarque, applicable aux pages qu’on vient de lire, peut l’être aussi en quelque sorte à plusieurs points de nos précédens récits. Plus d’un lecteur sera surpris de ne voir les règnes brillans de saint Louis, Blanche de Castille et Marguerite [p.177] de Provence, liés à l’histoire particulière d’Étampes, que par le souvenir des dotations religieuses dont ils gratifièrent cette contrée ou quelques territoires voisins. Mais si, dans cette occasion comme ailleurs, nous avons paru donner trop de place à des détails du même genre, à défaut de faits plus intéressans, qu’on veuille bien se rappeler que durant le moyen âge , la science, bannie de la cour et des villes, s’était réfugiée presque toute entière au fond des cloîtres. Quand les monastères recueillaient seuls alors l’histoire des faits et gestes de nos aïeux; n’était-il pas naturel qu’ils s’attachassent surtout à fixer la mémoire des événemens où leur nom et leurs intérêts se trouvaient mêlés? Ainsi lorsque nos regards, fouillant dans nos annales, découvrent à peine quelques faibles traces d’actions plus importantes, ils rencontrent souvent de minutieux détails sur une foule de fondations qui n’ont plus pour nous aujourd’hui qu’un bien mince intérêt. Si des passages plus précieux de nos fastes nationaux sont aujourd’hui perdus, n’en accusons donc que l’ignorance de nos pères; mais ne blâmons point l’historien des anciens âges, lorsque, parcourant un champ trop souvent stérile, il s’en vient humblement demander aux abbayes antiques les seuls documens que leurs chroniques aient conservés.

    La seigneurie d’Étampes retourna de nouveau entre les mains des rois de France, à la mort de la reine Marguerite (20 décembre 1295): mais elle en sortit bientôt encore. Le roi Philippe-le-Hardi avait ordonné en mourant, que Louis, l’un de ses fils, fût apanagé de 15,000 livres de pension annuelle, assignées sur des terres nobles en [p.178] baronnie. Philippe IV, dit le Bel, fidèle aux dernières volontés de son père, céda à son frère, en paiement de cette somme, la jouissance perpétuelle pour lui et ses descendans, de la prévôté et châtellenie d’Étampes, d’Évreux, Gien et autres lieux.
Sceau de Marguerite de Provence



       (2) Le douaire de Marguerlte de Provence avait été assigné par son contrat de mariage sur la ville et le comté du Mans; mais le roi Louis IX ayant dans la suite donné ses biens à son frère Charles d’Anjou, pour augmenter son apanage, transporta sur d’autres domaines le douaire de cette princesse; et c’est alors que le territoire d’Étampes, avec ceux de Corbeil, Dourdan, la Ferté-Aleps, etc., devint sa propriété.










    Quelques auteurs ont cru reconnaître dans ce même prince Louis, premier comte d’Évreux, le premier comte apanagiste d’Étampes; mais leur opinion n’est appuyée sur aucun solide fondement. Dans des titres des années 1309 et 1313, nous voyons le frère de Philippe-le-Bel, se qualifier fils de roi de France, comte d’Évreux; mais il ne prend nulle part le titre qu’on a voulu si gratuitement lui attribuer.

     Louis d’Évreux figure avec honneur dans plusieurs événemens importans des annales de la France. Sa fidélité envers son souverain ne se démentit jamais; et dans une occasion mémorable, il sut le défendre même au péril de ses jours. C’était à la fameuse bataille de Mons-en-Puelle, gagnée par Philippe-le-Bel, contre les Flamands (1304). Avant que la victoire se décidât pour les Français, un échec inattendu avait menacé nos troupes. Le roi avait été désarçonné; l’oriflamme qu’on portait près de lui venait d’être abattue, et ses gens se voyaient de toutes parts entourés d’ennemis. Soudain, Louis d’Évreux, aidé de nobles chevaliers, accourt au fort de la mêlée, délivre son frère, et en sauvant le roi, concourt puissamment au gain de la bataille (1). [p.179]
     (1) Chron. de Guill. de Nangis.  Chron. de Pierre d’Oudrighert.
    Quant aux actions de Louis d’Évreux qui se rattachent plus particulièrement à l’histoire d’Étampes, il est juste de rappeler le titre qu’il fit publier le 24 mars 1309, en faveur des habitans de son territoire. A cette époque la vallée d’Étampes n’était point, comme il parait qu’elle le fut plus tard, découverte et dégarnie de bois, Une vaste et belle garenne occupait alors, dit-on, toute la plaine des Sablons, et s’étendait sur les collines près de la ville et du château (1). Or, il arriva que les lapins, les lièvres et autres bêtes, dont cette garenne était l’habituel asile, causèrent de si grands dommages sur les terres voisines, que les habitans d’Étampes, de Brière et de Villeneuve, voyant ainsi leurs labeurs sans fruit et inutiles, s’en plaignirent hautement. Ils présentèrent une supplique à leur seigneur, afin qu’il leur permît de détruire un bois si fatal à leurs récoltes, lui offrant un dédommagement pour les revenus qu’il pouvait en tirer. Le prince Louis, touché des justes plaintes de ses vassaux, consentit à leur demande; et moyennant la somme de 2,000 livres tournois, il leur vendit cette belle forêt, qui ne tarda pas sans doute à tomber sous la hache des nouveaux possesseurs.
     (1) C’est ce même lieu qu’on nommait plus communément la Varenne, par le changement du G en V, selon un usage ordinaire chez nos aïeux [Montrond suit ici de très près, quoiq ue sans le citer, dom Basile Fleureau, Antiquitez d’Estampes, Paris, Coignard, 1683, pp. 145-146, ici  (B.G.)].

    C’est en vertu des clauses exprimées dans ce titre de vente, que les habitans d’Étampes, plusieurs siècles après, revendiquaient le droit de chasser librement sur les terres des environs, pour détruire le gibier qui ravageait leurs blés ou leurs vignobles. [p.180]

    A la mort de Louis d’Évreux, ses deux fils exécutèrent le partage que leur père avait fait de ses biens (1319). L’aîné hérita du comté d’Évreux, et Charles, son puîné, reçut à son tour le territoire d’Étampes, Gien-sur-Loire et d’autres seigneuries. Le second de ces princes épousa Marie, comtesse de Biscaye, petite fille d’Alphonse X, roi de Castille, et de Blanche de France, fille de saint Louis. C’est vers cette époque que le roi Charles IV, dit le Bel, érigea en faveur de Charles, son cousin, la baronnie d’Étampes en comté (1). Cet événement ne doit point passer inaperçu dans l’histoire de cette ville. On découvre ici encore une nouvelle preuve de cette constante affection dont nos souverains lui donnèrent tant de marques. Nous avons vu le territoire d’Étampes possédé tour à tour par deux reines célèbres, mère et épouse du plus saint de nos rois. Si cette seigneurie, rentrée un instant dans le domaine de la couronne, en sort de nouveau, c’est pour devenir le brillant apanage de princes du sang royal, frères ou fils de monarques. Quelques années se sont écoulées à peine, et voilà que Charles-le-Bel, jette des regards flatteurs sur ce même territoire, et à cause de l’aménité du lieu, de l’abondance, de la richesse de ses fruits, transforme son titre de baronnie en un nom plus élégant (2). Dans la suite des temps, nos rois feront plus encore, ils érigeront en duché le sol de la vallée d’Étampes. Enfin [p.181] quand ils voudront doter d’un bel et gracieux présent, les nobles dames dont la beauté aura su gagner leur cœur, c’est encore cette riante vallée qu’ils choisiront pour leur offrir les gages de leur amour.
     (1) La charte donnée à cette occasion, est datée du mois de septembre 1327. On conserve encore aux Archives du royaume (Trésor des chartes), l’original même de ce titre. Voir ci-après, à la note XII, à la fin du volume, une copie de cette pièce [ici].





     (2) Voy. les termes mêmes de l’acte d’érection [ici].



    Ici je dois borner la première partie de ma tâche. Cette course paisible à travers les différens âges d’une cité n’est point pour l’historien dénuée de charme et d’un vif intérêt. Mais, comme le voyageur qui visite des contrées diverses, il doit s’arrêter en certains points de sa carrière. De là il fixe des yeux le chemin qui lui reste encore à parcourir, et parfois il s’effraye à l’aspect des aspérités de la route. Si pourtant, durant ce temps, il voit ses premiers récits obtenir un favorable accueil, il sent que ses forces ne défailleront point; car alors il a reçu un précieux encouragement à de nouvelles veilles, à de nouveaux efforts.

     CHAPITRE XII.  Étampes sous le règne de saint Louis Blanche de Castille Marguerite de Provence Maison des pères Cordeliers Chien pêcheur Premiers comtes apanagistes d’Étampes.  NOTE XI: Le Chien Pêcheur. NOTE XII: Charte de Charles IV dit le Bel.

   



NOTE XI.
(Chap. XII, p.176)

LE CHIEN PÊCHEUR,

ou
Le Barbet des Cordeliers d’Étampes

POÈME HÉROÏ-COMIQUE, en latin et en français. [p.222]
Gravure d'Emile Bayard (1868)
     Æmilius Bayard delineavit, Ettling sculptavit, anno 1868.

CANIS PISCATOR.

Qua per odoriferos Stemparum Naïades hortos
Implicuere duos, undis concordis, amnes
Nympha Loë, germana Loës et Junia Nympha,
Est antiqua domus sacris habitata colonis,
(Seraphidas dixere pio cognomine Patres,)

LE CHIEN PÊCHEUR

Dans ce charmant vallon où Loëte et sa soeur
Unissent deux ruisseaux d’inégale grosseur,
S’élève un bâtiment d’architecture antique,
De tout temps habité par l’Ordre Séraphique.


Frondibus umbrosis et amœnæ cespite ripæ
Grata domus, grati jucundior arte Catelli,
Non huic de trivio genitor, nec degener ipse
Fert oculis atavos et totam pectore gentem:

Un verger le couronne et des arbres épais
Y donnent à qui veut le couvert et le frais.
Par mille autres endroits ce séjour est aimable,
Mais un Barbet surtout le rend considérable.
Issu d’illustre race, il porte dans ses yeux
Le beau feu qu’y jetta le sang de ses ayeux.   


Crispula cæsaries, patrium Barbatulus unde est
Cognomen, vultique* refert animoque leones,
Viribus inferior, per quas nec tendere cervis,
Se neque fulmineos valeat committere in apros
(Nam quis Seraphidis non sic venantibus, usus?)
Liminis hinc custos latratibus impiger arcet
Quos auferre videt potiùs quàm afferre paratos;
Des flots de ses longs poils l’élégante frisure
Imite du lion la vaste chevelure.
La nature, il est vrai, par une heureuse erreur,
Le revêtit d’un corps bien moindre que son cœur.
Aussi n’étant pas né pour la chasse ordinaire,
Inutile talent dans un bon Monastère,
Il se borna d’abord à garder la maison,
Aboyant le passant, quelquefois sans raison,
Lorsqu’il le voit surtout vêtu de telle sorte
Qu’il vient en demander plutôt qu’il n’en apporte.
* Vultique, lisez vultuque (B.G.)
Idem blandus heris, notoque affabilis ori,
Quisquis Seraphicis incesserit ornamentis.
Sed cui commissa est beneolentis cura culinæ, [p.223] [p.224]
Gratior is, quotiesque pium vectigal ab urbe,
Hinc collectitium, perâ bipatente, lyæum
Inde refert cererem, sub pondere fessus amico,
Obvius it peram Barbatulus ambit odoram,
Quàque potest gratum reduci testatur amorem.

Aux Pères, comme il doit, toujours il rend honneur [p.224] [p.225]
Aux Frères fait sa cour, et surtout au quêteur.
De plus loin qu’il revoit ce moissonneur habile
Courbé sous le doux faix des présents de la ville,
Par l’odeur attiré comme par un aimant,
Il court, en sa façon lui fait son compliment.


At simul assandas verubus transfigere carnes
Viderat, invisæ tum vertere terga culinæ,
Quærere tum latebras, longi memor ille laboris
Suspensam versare rotam qui sæpe coactus,
Sisyphus infœlix refluumque Ixionis orbem.
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Mais aussi lorsqu’il sent le temps du souper proche,
Il craint plus que le feu le maudit tourne-broche.
Quel supplice en effet! toujours en action,
Pour le plaisir d’autrui tourner comme Ixion!

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..........


Ecce sed ecce dies, nativis currere ripis
Quo permissa Loë dudum captiva. Nec olim
Qui nunc est, mediam cursus fuit ire per urbem.
Qua tulit ingenium, pratis errabat amœnis
Nympha Loë, nostras incassùm viseret arces
Sæpè rogata Loë. Congestis, haud mora, cives
Molibus impedière fugam: tumet illa redundatque
Illatam sibi vim indignata, sed ire necesse est,
Ac licèt in pronas rapiat se plurima valles.
Parte tamen meliore sui invisam alluit urbem,
Urbem invita beat, centum variata per artes,
Dum sibi quisque rapit, gratamque moratur in hortis
Hospitem et irriguâ fœcundat gramina Nymphâ.
Ne tamen hinc Stempana sibi gens speret amicam
Neu sibi concessi gratetur præmia Cancri.
[p.225] [p.226]
Enfin il arriva ce moment souhaité
Qui tira le talent de son obscurité.
C’étoit ce jour heureux où la Nymphe captive,
Pour quelque temps retourne à son aimable rive,
Rive qu’elle forma, qu’elle chérit toujours,
Où malgré tous nos vœux l’entraîneroit son cours,
Si de nos citoyens l’audacieuse ligue
N’opposoit à ses flots une puissante digue.
Après combien d’efforts! que de rudes combats!
Mortels, de ce succès ne vous élevez pas.
Vous sentirez le poids de toute sa vengeance:
Elle entrera chez vous malgré sa répugnance;
Mais si vous profitez du fruit de son séjour,
Vous ne pourrez jamais mériter son amour.


Quod dedit ambiguum est, videas in munere et iram:
Bella minax totusque tibi denunciat hostem.
Scillicet a summo cataphractum vertice corpus
Tergeminæ cinxere manus, Briarea putaras*,
Insuper et bifidis armant hastilia chelis,
Nec, quamvis se retrò
ferat, minùs inde timendus;
Parthica tela gerit certum fugitivus in ictum.
Nec satis: at celeres mutabile corpus in annos
Anguis more dedit spolium ponentis et ævum:
Ignibus ut Phœnix, juvenescit Cancer in undis.
Hinc animi, hinc fortis ridere pericula virtus,
Nec, si fortè** manum sævum truncaverit hostis,
Sit labor: est jactura levis reparabilis artus.
Ah! digitus fixus quoties horrentibus hæsit
Cancer! et excussam vellent amittere prædam
Prædones avidi, jam lucrum exitiale perosi!
Ah! fœdi quoties piscantum sanguine fluctus
Victor et hostilis se ingurgitat amne cruoris!

Irrita sic Nymphæ recidebant dona malignæ:
Vimineæ ei* quos nassæ vel inescat arundo
Subdola, rara tamen, nec erat par præda labori;
Nullusdum veram potiendi noverat artem.

Scilicet egregio laus hæc servata Catello
Ut novus Alcides recidivam frangeret hydram.

Fulserat ille dies, miseris subducere Cancris
Quo fluvium; solitique Loën permittere Cives
Ingenio, certas, purgetur ut alveus, horas.
Commata rumpuntur, rapido simul impete torrens [p.227] [p.228]

Effugit: attonitos linquunt sua flumina pisces.
Qualis hians refugos captat cum Tantalus amnes,
Sic refluas Cancri mirantur cedere lymphas:
Se quoque retro ferunt patriam retinere fugacem
Si valeant; medio quærunt in flumine flumen.

Le don qu’elle vous fait vous déclare la guerre.
L’Écrevice est terrible et sur l’onde et sur terre;
Quoique cet ennemi recule quelquefois,
Ne vous y fiez pas, prenez garde à vos doigts.
[p.226] [p.227]
Il n’est en tout son air rien qui ne vous menace;
Il a le casque en tête, il porte la cuirasse,
Et comme Gérion, par six bras défendu,
Il perce jusqu’au sang le pêcheur éperdu.
On voit l’onde rougir, et la Nymphe outragée
S’applaudit en secret d’être si bien vengée.

Elle boit à longs traits la sanglante liqueur,
Et pour comble de rage en nourrit le vainqueur.
Pour lui, par un bienfait à nul autre semblable,
Comme un nouvel Achille, il est invulnérable.
Ainsi lors quelquefois, dans ses affreux combats,
Que pour sauver le corps il abandonne un bras,
Un autre bras succède et bientôt le remplace.
De là cette valeur, de là vient cette audace
Qui lui fait prodiguer ces membres étonnants,
Mille fois emportés, mille fois renaissants.
Bien plus, son corps entier souvent se renouvelle,
Il quitte son écaille, en prend une plus belle,
Et tel que le Phénix, reproduit tout nouveau,
Dans son sépulchre même il trouve son berceau.

Tel étoit le présent de la Nymphe hautaine,
Si l’on en profitoit, ce n’étoit pas sans peine.
Et la peine toujours surpassoit le profit.
L’Hydre trouva l’Hercule enfin qui le défit.
Trois hyvers écoulés, on lève la barrière,
Qui dans un lit forcé captive la rivière.
Le fleuve impétueux s’échappe en un moment,
Et laisse les poissons hors de leur élément.
Comme un autre Tantale on y voit sur les rives
L’Écrevice cherchant les ondes fugitives.
[p.228] [p.229]
* putaras, lisez putares (B.G.)

** et non fortes comme écrit Pinson (B.G.)

* et non pas si comme écrit Pinson (B.G.)
Plebs ruit interea, pisces rapiuntur inermes:
Rete manus: nec Seraphides cessare, sed altâ
Succintus tunicâ vacuum se mittit in alveum
Horrea Cancrorum, fœtas et piscidus ædes
Herboreâ scrutans ripâ. Canis ipse secutus,
Ut mos, olfaciens, huc errabundus et illuc
Dum fert ora cavis explorans naribus hostes,
Vellera corripiunt contracto forcipe Cancri,
Prædam quippe rati stringuntque tenacibus ulnis.
Excutit ille jubas, vultumque in terga retortus
Tela timet, dextramque ululans implorat herilem.
Hic simul aspexit, monstrum simul admiratus:     
Ergo Canes undis venantur, dixit, in ipsis
Arte novâ! Tyrius (narrat sic fama) Catellus
Muricis inventor, patulis conchylia testis
Littore dum quærit, rutilantia purpurat ora.
Tu melioris ades, Barbatule, muneris autor:
Purpura nil nobis: sed egentibus utilis esca.

Alors chacun s’empresse à prendre part au gain,
Et les poissons, ce jour, se pêchent à la main.
Tous profitent du temps, il n’est pas jusqu’au Frère
Qui, les bras retroussés, en tunique légère,
Ne cherche l’Écrevice en ses antres profonds.
Barbet le suit aussi, Barbet fait mille bonds;
Et sans crainte foulant le bourbeux marécage,
Va flairant dans les trous qui sont sous le rivage,
L’Écrevice aussi-tôt le prend pour un appas,
Et de sa double serre entr’ouvrant le compas
Par ses crins le saisit; un autre vient ensuite.
Le Barbet vers son maître à l’instant prend la fuite.
Que vois-je, juste Ciel, s’écria celui-ci,
Barbets en ce pays pêchent-ils donc aussi?
De la pourpre autrefois ils montrèrent l’usage,
L’Écrevice est pour nous un plus grand avantage.


Dixit, et insoliti captus dulcedine lucri,
Rursùs inire jubet, panemque immittit ituro.
Involat ille celer, prædâque superbus opimâ
Mox redit. O domini quæ gaudia, qui complexus!
Ille referre vicem promptusque capescere jussa,
[p.229] [p.230]
Quidlibet amplecti docilis. Quid multa? Catellum
Informavit herus piscarier, ire sub ipsos.

Il dit, et sans délai, d’un signe de la main
Il lui marque sa route en lui jettant du pain.
La fortune à l’envi, Barbet, te favorise;
Tu retournes chargé d’une nouvelle prise.
Qui pourroit exprimer le plaisir, le transport
Dont le Frère est ravi le revoyant à bord?
Dans ses bras il le prend, le baise, le caresse;
Barbet en sa façon, répond à sa tendresse,
Et par reconnaissance autant que par honneur,
Se porte à son devoir avec plus de vigueur.

Mox ubi consuetis rediêre canalibus, amnes
Neve recursantum jam suffocetur aquarum
Vortice, pelliceo circumligat ora capistro,
Haud aliter quàm cùm teneri illaqueantur aselli,
Ne lac nocte bibant quod heri sitit aspera tussis.

Lorsque dans son canal la Nymphe est revenue,
Toujours avec succès la pêche continue.
On le voit enhardi, méprisant le danger,
Se jetter dans les eaux, sous les flots se plonger.
[p.230] [p.231]
Le Frère plus prudent prend une gibecière,
En fait à son plongeur comme une muselière.
Le nouvel amphibie étant ainsi masqué,
Contre un double ennemi ne sera plus risqué.


Addit et inventam Cancros arcessere fraudem,
Lardo terga linit coriumque effingit inunctum.
Ille dato, qualis victurus Olympia, signo
Præcipitat, fundoque catus se sternit in imo.
Nec mora, de toto concurrere flumine, Cancri,
Quos hærere simul sentit, velut horridos
* hystrix
Emicat. Ergo renidenti Fraterculus ore
Detrahit annumerans, perâque capace recondit.
Nec semel est fecisse satis, sed sæpè sub amnes
Ire, redire Canis, numerumque implere coactus
Quem sibi Seraphicæ poscunt dispendia cœnæ.

Mais pour mieux amorcer l’imprudente Écrevice,
Le Frère ajoute encore un nouvel artifice.
De certain composé de sympathique odeur
Il parfume le poil de l’athlète pêcheur.
L’ennemi le croit mort, saisit son appanage.
Le Barbet ressuscite et revient à la nage.
Tel qu’on voit quelquefois du milieu d’un buisson
Le dos armé de traits sortir un hérisson,
Tel on voit le Barbet reparoître avec gloire
Chargé de toutes parts du fruit de sa victoire.
Le Frère en souriant le décharge aussi-tôt,
Au fond d’un vaste sac met la pêche en dépôt,
Puis vers un autre endroit à l’instant le renvoie
Se charger, s’il se peut, d’une nouvelle proie.
Il ne l’en quitte point qu’après la quantité
Qu’il juge suffisante à la Communauté.
* horridos, lisez horridus (B.G.)
Sin levis, impatiens, tergo rediisset inani,
Tum caperans frontem, nodosæ verbere zonæ
Increpat. At supplex veniam velut ille precatus
Sternitur exululans, functusque labore supremo
Concutit inde pilos faciemque aspergit herilem,
Et multo hinc illinc depexus tergora linctu,
More triumphantis dominum prævertit ovantem
Ire domum properans, ad amicæ regna culinæ,
Hic ubi miratur calido dum Cancer aheno
Æstuat, ut subitam donarit purpura mortem.
[p.231] [p.232]
Même si quelquefois, par trop de promptitude
Il s’en revient à vuide, alors d’une voix rude,
Il lui frappe les flancs des nœuds de son cordon,
Par ses cris le Barbet lui demande pardon.
Mais lorsqu’il a fini sa pénible carrière,
Et secoué trois fois son humide crinière,
Dont un léger brouillard jusqu’au Frère jaillit,
D’une langue légère enfin il se polit.
Alors tel qu’un César montant au Capitole,
Glorieux et content vers le logis il vole.
[p.232] [p.233]
C’est là que le vainqueur pour comble de plaisir,
Sur un ardent brasier voit l’ennemi rougir.
Il en tressaille d’aise, en repaît sa colère,
(Leçon qu’apparemment il ne prit pas du Frère,)
Et contemple étonné le caprice du sort
Qui lui donne la pourpre en lui donnant la mort.


Hinc honor, hinc pretium nostro crevêre Catello,
Utilitas simul unde venit, venit unde voluptas.
Nam quibus insulsum sæpissimè cœna legulem,
Sæpius heu! fuerat, densis hinc fercula stipant
Seraphidæ Cancris et egestas copia facta est.
Scilicet extremas famâ vulgante per oras,
Advena quisque erat, lepidum, mora nulla Catellum
Visere, et hospitio Patrum invitatus aperto
Non expectatos epuli miratur honores,
Anceps hæc mensis infertur ut esca secundis
Morice fulgenti: molles enucleat artus, [et non Murice]
Quæque medullosos celant femoralia succos
Exuit, et surgens stimulandi verrit aceto.
Nempè cibus stomachoque levis, gratusque palato
Dote valet geminâ, dapis et medicaminis instar.
Sic pascebat heros et herûm pascebat amicos
Ære Canis nullo: sed nec sine fœnore messis.
Largiter effuso quamquam renuentibus auro
Lætus abit, lætosque Patres conviva relinquit.
Muneris in partem veniebat muneris autor,
Nec jam quisquiliæ, vilis fastidia mensæ,
Crusta sed omne genus, blandique fuêre susurri.
Nec misero deinceps placuit vexare rotatu
Lucrificas exercentem melioribus artes
Auspiciis, fluvioque velut Pactolus in aureo
Regnat Seraphicæ Barbatulus arbiter undæ.

Ainsi notre Barbet devint considérable,
Joignant par ce moyen l’utile à l’agréable.
Avant lui quelquefois et toujours trop souvent     
Le simple potager nourissoit le couvent.
Par ce nouveau secours, du sein de l’indigence,
On vit avec surprise éclore l’abondance.
L’Étranger qu’attiroit ce fait prodigieux,
Goûtoit avec plaisir ce mets délicieux.
Sur la fin du repas cette viande ambiguë     
De son brillant éclat réjouissoit la vuë.
Le vinaigre aiguisant l’appétit émoussé,
A manger de nouveau chacun se sent pressé.
La chair en est salubre, agréable et légère,
Enfin à peu de frais on faisoit bonne chère.
Le voyageur content de l’hospitalité,
En partant signaloit sa libéralité.
Barbet avoit aussi sa part de ses largesses,
Quantité de reliefs et beaucoup de caresses.
Ainsi n’étoit-ce plus ce rôtisseur chétif,
Il exerçoit un art beaucoup plus lucratif,
(Un autre tourne-broche avoit rempli sa place,)
Il n’étoit occupé qu’à sa paisible chasse.
Comme en un fleuve d’or ce pactole pêcheur
Faisoit de sa maison la richesse et l’honneur.
[p.234] [p.235]

Proh superi! humanis quænam est fiducia rebus.
Quam breve quod dulce est! dictum pudet: area laudis.
[p.233] [p.234]
Quæ fuit, infandæ spectacula præbuit iræ.
Causa necis virtus, nimio dum fervidus estu
Irruit infrænis, nullo moderante magistro,
Indignata Loë tumidis involvit in undis.
Proh  pudor! infestis fecit convivia Cancris.
Ergo diu cuncti luxere, diutiùs ille
Qui præcepta dabat, lepidâ formarat et arte,
Unus in ore Canis: Barbatulus, sæpè ciebat
Eheu non auditurum, neque responsurum!

Que la fortune, hélas! par un seul tour de roue,
Des plus nobles projets insolemment se joue!
Qui jamais l’eût pensé, que dans ces mêmes lieux
Qui furent les témoins de ses faits glorieux,
Le vainqueur succombant sous les traits de l’envie,
Pour toute récompense, y dût perdre la vie?
Son audace, il est vrai, lui procura la mort.
(Le Frère étoit absent,) il veut prendre l’essort,
Sans ce guide fidèle et sans sa muselière,
Téméraire il se lance au fond de la rivière.
La Nymphe cette fois saisit l’occasion,
Et satisfait enfin sa longue aversion.
Elle anime ses flots, excite une tempête.
En vain le Barbet nage, en vain lève la tête,
Il fallut succomber. O ciel! il ne vit plus!
Pour le chercher, hélas! que de soins superflus!
Chacun est attentif si le Barbet abboye.
L’Écrevice à son tour en avoit fait sa proye.


At quoniam revocare nefas, nec verter fatum
Seraphidæ possunt, invisæ margine lymphæ
Effigiem posuêre Canis, sub imagine carmen.
 «Hic piscator hic est cujus solertia nuper
Aurea Seraphicæ renovarat sæcula genti,
Quem sors eripuit postquam invida, regnat egestas
Longum heu! regnatura, nisi tu forte, viator,
Pellis et auriferum supplet tua dextra Catellum.»

Tous et sur-tout le Frère en pleure amèrement;
Et pour l’éterniser par quelque monument,
Sur ce bord on élève un riche cénotaphe
Où l’on grave ces vers en forme d’épitaphe.
 «Tel étoit ce Barbet de qui l’habileté
Suppléa si long-temps à notre pauvreté.
Hélas! il ne vit plus. Nous sommes sans ressource,
La Parque en nous l’ôtant, nous a coupé la bourse.
Qui peut nous consoler dans un si grand malheur?
Qui peut nous secourir? Ta charité, Lecteur.
»

Ludebat
CLAUDIUS CAROLUS HÉMARD DE DANJOUAN,
Stempanus adolescens, anno 1714

Traduit par l’Auteur.

     CHAPITRE XII.  Étampes sous le règne de saint Louis Blanche de Castille Marguerite de Provence Maison des pères Cordeliers Chien pêcheur Premiers comtes apanagistes d’Étampes.  NOTE XI: Le Chien Pêcheur. NOTE XII: Charte de Charles IV dit le Bel.


 


NOTE XII.

Charte de Charles IV, dit le Bel,
portant érection de la baronie d’Etampes en Comté. (1327.)

(Chap. XII, p.180.)



     Carolus Dei gratia Francorum,et Navarrae Rex. Ut ordo dignitatum congruâ dispositione servetur, Regiae Majestatis circumspectio, merita personarum, convenientiamque locorum diligenter attendens, ad decorem Reipubliae personas, et loca quibus convenit, insigniis praerogativae potioris attollit. Hanc sanè considerationem primitùs frequenter, et providè revolventes, ad carissimum, et fidelem Karolum de Ebroicis, consanguineum nostrum, ejusque Baroniam de Stampis convenienter direximus aciem nostrae mentis, dignum, et congruum arbitrantes, ut inclyta praefati consanguinei nostri, qui claris natalibus, ex stirpe nostrâ regiâ non ambigitur descendisse, nobilitas [p.238] praedictae Baroniae de Stampis amoenitate loci, copia feodorum, rerum, et fructuum opulentiâ ab antiquis temporibus praepollenti, perpensioris nobilitatis obtineat, per nostrae regiae liberalitatis munificentiam titulum superaddi: dictaque Baronia per regiam Majestatem in nomen elegans, et elegantiae dignioris transfusa, praefato consanguineo nostro, juxta sui conspicuitatem honoris, ejusque successoribus, ad quos ipsam Baroniam devenire continget, nobilius adaptetur. Ea propter notum facimus, universis, tam praesentibus, quàm futuris, quòd nos Baroniam praedictam, praesenti statuto pragmaticè diffinito, in Comitatum duximus erigendam: et dignitate comitali, de speciali gratia, perpetuo exornandam: dictumque consanguineum nostrum praedicti Comitem Comitatus; cum honore pleniore comitali, de nostrae regiae plenitudine potestatis constituimus, et creamus: dilectis, et fidelibus nostris Paribus Franciae, Ducibus, Comitibus , Baronibus, caeterisque nobilibus, Justiciariis, et subditis regni nostri Franciae, praesertim ipsius subditis Comitatus, praesentium tenore mandantes, ut ipsi praedictum Comitem, consanguineum nostrum, ejusque in Comitatu hujus modi successores, ex nunc, et in perpetuum, ut Comites venerantur: et ad honores, privilegia, libertates, Comitibus solitas exhiberi, quibus eumdem consanguineum nostrum, ejusque in Comitatu praedicto posteros successores praesentibus insignimus, et etiam communimus, recipiant et admittant: ipsosque tractent eum debita reverentia, ut Comites in agendis: Nostro in aliis, et alieno in omnibus jure salvo. Quod ut firmum, et stabile permaneat in futurum, nostrum praesentibus litteris fecimus apponi sigillum. Actum [p.239] Parisius, anno Domini millesimo trecentesimo vigesimo septimo, mense septembris. Per Dominum Regem. Tho. Théor.

(Extrait du Trésor des Chartes, aux Archives du royaume. Au titre Étampes, f° 124, n°4.)

     L’original de cette pièce qu’on peut voir au Trésor des Chartes, est sur parchemin, orné d’un très beau sceau pendant en cire verte, retenu par un lacet de soie verte et rouge. Le roi y est représenté sur son trône, soutenu par deux lions , portant dans la main droite son sceptre , et à la gauche la main de justice. Autour, on lit cette inscription: Carolus Dei gratiâ Francorum, et Navarrae Rex.

FIN .











Sceau de Blanche de Castille      (1) Voy. l’Art de vérifier les dates, t. II. – Chron. de Morigny.



















     (1) Aujourd’hui Arpajon.

     (2) Chron. du sire de Joinville.

     CHAPITRE XII.  Étampes sous le règne de saint Louis Blanche de Castille Marguerite de Provence Maison des pères Cordeliers Chien pêcheur Premiers comtes apanagistes d’Étampes.  NOTE XI: Le Chien Pêcheur. NOTE XII: Charte de Charles IV dit le Bel.

 

 
CHAPITRE PRÉCÉDENT
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE SUIVANT
Source: édition de 1836 saisie par François Besse en mars 2012 (chapitre 12) et Bernard Gineste en juin 2012 (notes 11 et 12).
BIBLIOGRAPHIE

Éditions
 
     Clément-Melchior-Justin-Maxime FOURCHEUX DE MONTROND (dit Maxime de MONTROND ou de MONT-ROND), «Chapitre douzième» & «Note XI. Le Chien Pêcheur», Essais historiques sur la ville d’Étampes (Seine-et-Oise), avec des notes et des pièces justificatives, par Maxime de Mont-Rond [2 tomes reliés en 1 vol. in-8°; planches; tome 2 «avec des notes... et une statistique historique des villes, bourgs et châteaux de l’arrondissement»], Étampes, Fortin, 1836-1837, tome 1 (1836),  pp. 169-181 & 221-235.

     Réédition numérique illustrée en mode texte: François BESSE, Bernard MÉTIVIER & Bernard GINESTE [éd.], «Maxime de Montrond: Essais historiques sur la ville d’Étampes (1836-1837)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/index-montrond.html, 2012.

     
Réédition numérique de ce chapitre: François BESSE & Bernard GINESTE [éd.], «Maxime de Montrond: Étampes de 1226 à 1319 (1836)» [édition numérique illustrée en mode texte], in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-19-montrond1836chapitre12.html, 2012.

Sources alléguées par Montrond

     Franciscus GONZAGA (Francisco GONZAGA, religieux franciscain, évêque de Mantoue, 1531-1611), De origine seraphicae religionis Franciscanae ejusque progressibus, de regularis observanciae institutione, forma administrationis et legibus libri IV, opus in quatuor partem divisum, cum figuris aeneis [in-f°; 4 parties en 1 volume; pièces liminaires, 1364 p.; indices], Romae (Rome), ex typ. Dominici Basae, 1587, p. .  Dont une
     Réédition [in-4°], Venetiis (Venise), ex typographia Dominici Imberti,
1603.

    1) [Claude-Charles HÉMARD DE DANJOUAN], Le Chien pêcheur ou le Barbet des Cordeliers d’Estampes, poëme héroï-comique en latin et en françois [in-8°, 15 p., vers 1720] [sans lieu ni date] [non vidi].
     2) Révérend Père Pierre-Nicolas DESMOLETS [continuateur], A.-H. de SALLENGRE [†], Continuation des Mémoires de littérature et d’histoire [11 vol. in-8°], Paris, 1726-1731 [aliter: (11 vol. in-12), Paris, 1730-1732),R.P. DESMOLETS, Mémoires de littérature, t. X, pp. ?-? [non vidi]. 

     3) Michel de CUBIÈRES-PALMÉZEAUX [pseudonyme de Jean Antoine LEBRUN-TOSSA (1760-1837), alias Père Ignace de CASTEL-VADRA, DORAT-CUBIÈRES, ENÉGISTE-PALMÉZEAUX, Monsieur de MARIBAROU, MÉTROPHILE, C. de PALMÉZEAUX, C.-D. TAVEL, chevalier de MORTON], Épître à Gresset, au sujet de la reprise du ‘Méchant’ par les Comédiens français qui a eu lieu... en 1811. Suivie de deux ouvrages de ce poète célèbre qui ne sont dans aucune édition de ses œuvres, et d’une épître à un jeune provincial intitulée: ‘l’Art de travailler aux journaux’, par l’ex-R. P. Ignace de Castelvadra [Par J.-A. Lebrun-Tossa.] [in-8°; 93 p.; les deux poèmes attribués ici à Jean-Baptiste-Louis GRESSET, le Chien pêcheur et La Musique, poème ne sont en fait pas de cet auteur], Paris, Moronval, 1812. [non vidi].
     4) Maxime de MONTROND,
«Note XI (Chap. XII, p. 176). Le Chien Pêcheur ou Le Barbet des Cordeliers d’Étampes. Poème héroï-comique en latin et en français» [édition en fait partielle], in ID., Essais historiques sur la ville d’Étampes. Tome 1, Étampes, Fortin (& Paris, Debécourt), 1836, pp. 221-235.
     Dont une mise en ligne par le Corpus Étampois, http//www.corpusetampois.com/
che-19-montrond1836chapitre12.html#chienpecheur, 2012.
     5) Ernest MENAULT (1830-1903), L’intelligence des animaux [in-16, XVI+351 p.; dédié à Paul Boudet, ancien ministre de l’intérieur, avec une brève lettre de celui-ci acceptant cette dédicace; nous ne savons pas avec certitude si les gravures étaient déjà insérées dans les deux premières éditions], Paris, Hachette [«Bibliothèque des merveilles»], 1868 [au moins douze éditions française de 1868 et quatre anglo-saxonnes de 1869 à 1885; petite partie du texte français: pp. 217-219 de l’édition de 1913; gravure de Bayard p. 217].

     6) Paul PINSON, Le Chien Pêcheur ou le Barbet des Cordeliers d’Estampes, poëme héroï-comique en latin et en françois, suivi de trois hymnes sur SS. Can, Cantien et Cantianille et d’une hymne grecque inédite sur S. Basile reproduite en fac-simile, par Claude-Charles Hémard de Danjouan, précédés d’une notice biographique et généalogique sur l’auteur, Paris, Léon Willem [72 p.], 1875.

     7a) Bernard GINESTE [éd.], «Claude-Charles Hémard de Danjouan: Le Chien Pêcheur (1714)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-18-hemard-chienpecheur.html, 2003.
 

     7b) Bernard GINESTE [éd.], «Claudius-Carolus Hemarida Danjuanus Stempanus: Canis Piscator (1714)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-18-hemarida-canis.html, 2003.  


     Maurice-François DANTINE (1688-1746), Ursin DURAND (1682-1771) & Charles CLÉMENCET (1703-1778), L’Art de vérifier les dates des faits historiques, des chartes, des chroniques et autres anciens monumens depuis la naissance de Notre-Seigneur, par des religieux bénédictins de la congrégation de S. Maur [in-4°; 7 parties en 1 volume], Paris, G. Desprez, 1750.
     François CLÉMENT (1713-1793), [éd.], L’Art de vérifier les dates des faits historiques, des chartes, des chroniques et autres anciens monumens, depuis la naissance de N.-S. 3e édition, par un religieux bénédictin de la congrégation de S. Maur [in-f°; 3 volumes], Paris, A. Jombert jeune, 1783-1787.
     De SAINT-ALLAIS [éd.], L’Art de vérifier les dates..., depuis la naissance de Notre-Seigneur... par un Religieux de la congrégation de Saint-Maur, réimprimé... et continué... par M. de Saint-Allais [in-80; 19 volumes; table], Paris, 10 rue de la Vrillière, 1818-1830.
     De SAINT-ALLAIS [éd.], L’Art de vérifier les dates... avant l’ère chrétienne... mis en ordre par M. de Saint-Allais [in-f°], Paris, 1820.
     David Baillie WARDEN [éd.], L’Art de vérifier les dates. 4e partie. Chronologie historique de l’Amérique, par M. D. B. Warden [in-8°; 10 volumes & 1 volume de tables; L’Art de vérifier les dates depuis l’année 1770 jusqu’à nos jours formant la continuation ou 3e partie de l’ouvrage publié sous ce nom par les religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. T. IX-XVIII. Le volume de table est relatif aux vol. 9 à 12 de cette 3e partie], Paris, A. Dupont & Roret & A.-J. Dénain, 1826-1844.
     Tome I, p. 217 (de quelle édition?): établit que l’interdit a été proclamé en janvier 1200 à Vienne en Dauphiné pour l’Interdit, et non à Dijon.



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