Corpus Littéraire Étampois
 
 
Pierre Baron
La Prise d’Étampes
traduction Pinson
1654.
 
   
Etampes au XVIIe siècle (gravure de Tassin)
 Etampes vers 1636 (gravure de Tassin)

 
Turenne par Philippe de Champaigne
     La Prise d’Étampes, élégie latine de Pierre Baron, maire d’Étampes en 1562, est une œuvre majeure de la littérature étampoise, éditée et traduite par Paul Pinson en 1869. Nous reprenons ici cette traduction avec les notes de Pinson.
     
Nous donnons ailleurs le texte latin seul, et dans une autre page encore l’édition bilingue complète de Pinson, avec de nouvelles notes.
 

     La saisie manuelle des documents anciens est une tâche fastidieuse et méritoire. Merci de ne pas décourager ceux qui s’y attellent en les pillant sans les citer.
   
LA
PRISE D’ÉTAMPES


TRADUCTION ET NOTES DE PAUL PINSON, 1869.

     VIENS, Muse, seconder mes pieux gémissements; je veux décrire les malheurs de cette ville, que les plaines de la Beauce environnent, & qui occupe à juste titre le premier rang dans la province. Je veux parler d’Étampes, Stempæ, comme on l’appelle communément, ou mieux de cette Tempé  des Gaules, qui, par la beauté de son site, la fertilité de son sol & la douceur de son climat, surpasse l’antique vallée de Thessalienne de ce nom, aussi joyeuse de sa belle plaine que des riches bourgs qui l’entourent (1).

     Ses places sont larges, ses édifices bien disposés, de manière à en favoriser l’accès à ceux qui se pressent dans son enceinte.

     De doux zéphyrs y soufflent un air toujours pur; une rivière aux ondes argentées la traverse & pourvoit à tous les besoins des habitants.

     Dans toutes les campagnes avoisinantes, les yeux sont récréés par une riche verdure, & l’odorat réjoui par les fruits dont se couvrent de nombreux vergers. Ici s’élève un coteau; là s’incline une riante & délicieuse vallée, émaillée d’un riche tapis de fleurs. Sous vos pas sortent de terre des sources aux eaux glacées; plus loin c’est la Juine qui promène son cours tranquille & serpente au milieu de vertes prairies; à quelques pas, c’est un ruisseau qui précipite avec fracas ses eaux frémissantes sous l’ombre épaisse des arbrisseaux qui en couvrent les bords.

     On respire partout le parfum des fleurs qui émaillent les gazons, & les oiseaux réjouissent l’air de leurs gazouillements. C’est là que la beauté du site & la sérénité de l’air procurent sans frais à tous les plaisirs qu’ils convoitent.

     Mollement assis sur le bord des eaux, l’un se plaît pêcher soit les écrevisses à la main, soit à la ligne d’autres poissons. Celui-ci prend plaisir à parcourir les champs que ses aïeux ont plantés. Un autre s’avance sous l’ombrage des bosquets aux derniers feux du soleil, & à l’approche de la nuit, en faisant vibrer sa lyre champêtre, suivi d’un essaim de jeunes gens & de jeunes filles dansant en chœur & mêlant aux danses des chants joyeux.

NOTE 1.

     LA ville d’Étampes, par sa situation entre plusieurs collines & sa longueur démesurée, mérite une attention toute particulière. Le paysage qu’offre la vallée, vu des hauteurs de Guinette ou de Vauroux qui se font face, peut être considéré comme l’un des plus beaux de France. Plusieurs rivières ou ruisseaux, tel que la Juine, le Juineteau, la Louette, la Chalouette, sur les bords desquels sont bâties un grand nombre d’usines à farine, arrosent en serpentant cette vallée gracieuse couverte d’immenses prairies, entourées d’aunes & de peupliers, où le promeneur, pendant l’été, vient goûter sous leur ombrage solitaire une délicieuse fraîcheur. 
     La description louangeuse faite par Pierre Baron n’est donc pas exagérée; il n’a fait que reproduire, en les amplifiant & en leur donnant une autre tournure, les vers charmants que Clément Marot composa en l’honneur de la maîtresse de François Ier, Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes, qui ont bien pu contribuer à accréditer que l’étymologie de cette ville, dont la riante situation rappelle le souvenir de la belle vallée de Thessalie chantée si souvent par les favoris des Muses, vient du mot grec Tempé. Cette erreur, qui a encore de nos jours des partisans, a été réfutée victorieusement par M. E. Dramard, dans sa savante Notice sur l’origine de la ville d’Étampes, publiée en 1855:  

    «Ce plaisant val que l’on nommoit Tempé, 
    «Dont mainte histoire est encore embellie, 
    «Arrousé d’eaux, si doux, si attrempé, 
    «Sçachez que plus il n’est en Thessalie: 
    «Jupiter roy qui les cœurs gaigne & lie, 
    «L’ha de Thessale en France remué 
    «Et quelque peu son nom propre mué, 
    «Car pour Tempé veut qu’Estampes s’appelle. 
    «Ainsy luy plaist, ainsy l’a situé, 
    «Pour y loger de France la plus belle.»
     La ville ne mérite pas seule ces éloges, mais aussi les campagnes voisines pour lesquelles chaque année l’arbitre souverain prolonge la durée du printemps, tempère les ardeurs de la canicule & adoucit les froids rigoureux, où les moissons n’ont jamais à souffrir ni des étés ni des hivers, où presque jamais les gelées excessives ne nuisent aux raisins. — Aussi Cérès y répand-elle à pleines mains ses dons, & les greniers y cèdent-ils sous le poids  des moissons; aussi les vignes produisent-elles assez abondamment pour qu’à la vendange, le vigneron presse à pleins bords le jus écumeux, & que les celliers vides soient remplis d’un doux nectar, & cette terre fertile se couvre-t-elle d’une riche récolte de toutes sortes de fruits (2).

     Mais, hélas! quel changement!Combien la cité est aujourd’hui déchue! Quelle horreur succède à son ancienne beauté! Malheureuse Étampes, que sont devenus les agréments de ton séjour enchanteur? Parlerai-je ou garderai-je le silence?Pourquoi, ô ma patrie, des destins impies te condamnent-ils, en dépit du Ciel, à une ruine imméritée? Dois-je parler ou me taire? Mais quelles sont les plages, mêmes les plus reculées & les plus sauvages, qui ignorent les malheurs de la Cour royale de France? Les grands se divisent en factions ennemies. L’un plus sage demeure fidèle à son roi, l’autre se révolte &, couvrant sa faute du prétexte du bien public, comme il arrive toujours en ces circonstances, ne reconnaît de loi que le salut du peuple.


      A ce cri, sort des demeures infernales la cruelle Mégère, la tête entourée de ses serpents tout gonflés de poisons; elle parcourt les villes & les bourgades de l’infortuné royaume; elle excite partout les fureurs de la guerre civile & allume dans les esprits l’amour d’une lutte insensée. Bientôt la France entière retentit du bruit des armes, &, tournant contre elle-même le glaive homicide, ne semble occupée que de sa propre ruine. O dieux, à peine les premiers mouvements ont-ils éclaté dans l’Aquitaine, que les Angevins voient tomber sur eux le fléau; mais ce sont nos contrées qui ressentent surtout ses fureurs.

     C’est en l’an seize cent; la cinquante-deuxième année du siècle est commencée; on est dans le mois où le soleil parcourt le signe du taureau, au vingt-troisième du mois, l’étoile du soir avait disparu & la nuit avait achevé la moitié de sa course. Tout est dans le silence & le repos, aucune garde ne veille sur les remparts ni aux portes de la ville sans défiance. Les bourgeois fatigués dorment d’un sommeil profond qui paralyse & les sens & les forces. Tout à coup se précipitent des cavaliers & des fantassins dont les épais bataillons entourent la ville; ils envahissent le faubourg Saint-Pierre sans défense; ramassant tous leurs efforts, ils assiègent la cité dépourvue d’armes & de défenseurs. Une formidable artillerie menace les portes. Les tambours & les clairons réveillent en sursaut les habitants & appellent aux armes. On n’entend qu’un tonnerre de cris & on ne voit partout que tumulte. Chacun se lève à la hâte, erre tout nu, saisi d’effroi, & ne sachant d’où vient ce bruit terrible des armes.


     Les citoyens tiennent conseil; on ne sait lequel vaut mieux ou de résister avec si peu de monde, ou de céder devant la tempête. Après avoir entendu les avis différents, le parti de l’honneur l’emporte, l’amour des lis triomphe dans ces cœurs dévoués; mais on ne sait à qui obéir. Les portes s’ouvrent & livrent passage à une armée nombreuse qui s’empare de la ville effrayée; toutes les maisons sont envahies; nous voyons malgré nous nos demeures profanées par un soldat audacieux qui nous traite en ennemis & foule aux pieds les lois sacrées de l’hospitalité. Tous nous sommes punis sans être coupables (3).

      Ce n’est qu’après cinq jours & autant de nuits, qu’au point du jour Turenne apparaît tout à coup à la tête des troupes royales, qu’il attaque l’ennemi renfermé dans nos murs & le provoque au  combat avec une armée nombreuse. Les rebelles sortent de l’enceinte fortifiée, mais ils sont investis & accablés par le nombre. On s’élance de part & d’autre; la fureur anime partout les combattants. Les cohortes triomphent ou succombent tour à tour. Les troupes royales enfin s’élancent; le soldat étranger recule & est moissonné par la mort. Celui qui peut s’échapper s’empresse de fuir, de chercher un abri sûr  & de défendre la maison où il s’est réfugié. Enfin Turenne lève spontanément son camp victorieux & abandonne le siège. C’est alors que s’accroît dans la ville la jactance & la cruauté de la soldatesque. Tavanne, leur chef, redouble lui-même d’orgueil & de cruauté; il ranime ses forces & son courage; il fait monter la garde, assigne à chacun son poste, élève de nouvelles défenses, & forme le projet d’abattre une partie de la ville trop étendue. Il fortifie par des retranchements escarpés les remparts ébranlés; il entasse les matériaux & élève de nombreuses redoutes. Les maisons qui élèvent leurs faîtes trop près des murs, ou dont la position est une menace pour les portes ou pour les remparts, sont jetées par terre au gré des généraux. Le sol est couvert de débris de maisons démolies, après avoir été saccagées ou bien brûlées & détruites de fond en comble. Ainsi fortifiées de nouveau, ils attendent audacieusement l’armée royale & insultent Turenne de leurs sarcasmes & de leurs railleries (4).

     Ce vaillant capitaine, après dix-sept jours, accourt & se présente de nouveau devant nos murs. Il est entouré d’une armée nombreuse, que la présence de son roi anime au combat. Sans perdre un moment, il intercepte toutes les communications de la ville avec le dehors: au signal des chefs, les bataillons se forment & se précipitent sur les murs. Mais défendus de tous côtés par des fossés profonds & des citadelles élevées, les rebelles résistent & repousse la force par la force. Les armées se mêlent: on en vient aux mains corps à corps; les poitrines se heurtent contre les poitrines, les épées contre les épées. De part & d’autre une artillerie formidable, semblable à la foudre, épouvante l’air et sème la mort dans les rangs; les murs sont ébranlés, & les redoutes frappées à coups redoublés; les murailles sont renversées, tout vole en éclat au milieu d’un nuage épais de poussière & de fumée.

     Hélas! quel affreux désastre afflige cette ville innocente! Quel funeste sort est réservé à ses malheureux habitants! Les vivres amassés sont bientôt dissipés par la prodigalité du soldat & une cruelle disette sévit parmi les assiégés. Celui qui ne meurt pas sous le fer, épuisé par la faim & par la maladie, porte avec peine le fardeau d’une vie qui lui est devenue à charge. Quel horrible carnage! Que de morts sans sépulture! Combien gisent au milieu d’un fleuve de sang! Combien défigurés dans l’ordure & dans la poussière! L’air souillé d’émanations délétères produit bientôt une peste cruelle qui sévit contre le peuple sans qu’il puisse s’en garantir: ils sont suivis bientôt au cruel trépas par leurs enfants désolés: un cadavre est toujours accompagné d’un autre cadavre; la mort ne marche jamais seule, elle moissonne tout sous ses coups: elle n’épargne point les animaux eux-mêmes. Que peuvent demander de plus les destins? Dans leur fureur contre nous, rien qu’ils n’attaquent & qu’ils n’outragent.

     Ce fléau ne s’arrête pas avec le siège, il se prolonge avec fureur pendant une année entière; la ville est déserte, les maisons sont abandonnées; il n’y reste rien que l’image du deuil & de la tristesse. Aucun village voisin qui n’ait souffert de la guerre & de la maladie et qui n’offre l’aspect de la ruine & de la mort. Les champs fertiles récemment retournés par la charrue ont été foulés sous les pieds des chevaux ou durcies par les roues des chars; les moissons coupées encore tendres sont données comme fourrage aux bestiaux; les campagnes si bien cultivées ne reçoivent aucune semence; les vignes arrachées ne donnent point de raison: la terre reste stérile & sans rien produire.


     Telles sont les horreurs que j’ai notées dans le saccagement d’Étampes, horreurs à peine croyables que j’ai vues de mes yeux, & dont le souvenir épouvante mon esprit & me navre de douleur (5).
NOTE 2. 

     Au XVIIe siècle, tous les terrains situés aux alentours des faubourgs Saint-Pierre & Saint-Martin, y compris le hameau du Petit-Saint-Mard & la butte du Rougemont, étaient plantés en vignes, ce qui donnait à cette étendue de pays l’aspect d’un vignoble d’une certaine importance. Aujourd’hui [1869] tout est bien changé: les céréales remplacent les raisins, &, si l’on rencontre encore quelques plantations de vinicoles, elles tendent à disparaître de jour en jour pour faire place à une culture moins dispendieuse & d’un plus grand  produit. 


NOTE 3.

     Nous empruntons au journal inédit du siège, laissé par René Hémard, les naïfs & curieux détails qui suivent sur l’entrée de l’armée des Princes dans la ville d’Étampes: 
     «Sur le soir du 23e du mois d’avril 1652, il vint quelque murmure que les maréchaux des logis des deux armées s’estoient trouvés confusément à Briare-le-Bruslé, & à la Ferté-Aleps, à qui plutôt gagneroit Paris, dont le grand poids faisoit pencher touste la France. Cela nestoit pas tout à fait vray, car les Royaux grossis de nouvelles troupes poursuivoient les Princes, qui taschoient à se couvrir de la coulevrine de la capitale; ce que nous n’avons appris que depuy, & ce qui sembloit bien mériter un mot d’advis par la cour à nos officiers, pour prendre quelques mesures, éviter surprises, & faire avec la teste ce que nous ne pouvions pas exécuter avec les bras, en gagnant temps par assemblées de ville, & par autres addresses accoutumées en ces extrémités. 
     «Environ les dix heures, au retour de la promenade avec les dames, je me couche comme les autres, qui ne voyaoient point de péril imminent en la vérité ou fausseté de cette nouvelle incertaine, & ne sçay pourtant par quel hazard j’amusay à charger mes écritoires. Mais à estions-nous au lit, que voilà l’armée des Princes au faubourg Saint-Pierre, la ville s’assembla assés tumultuairement; le coeur estant sur les lèvres des habitans, l’on résolut hautement de refuser l’entrée, d’autant plus qu’il fut représenté par un officier d’artillerie, selon sa pensée ou autrement, que ce n’estoit qu’un camp volant composé de six ou sept cents hommes. Pour cet effet l’on se transporte en corps vers ce faubourg, où M. de la Boulaye, ne trouvant que des paysans à la première porte, s’estoit déjà  fait aisément ouvrir la barrière, & à sa suite, sous les noms de MM. le Prince & de Beaufort, que ces rustres ont juré depuis avoir creu estre du costé du roy, ainsy que le premier estoit aux mouvemens de 1649. J’estois alors au premier sommeil, & quelques bruits qui vinssent à mes oreilles, je n’en faisois pas compte. Néanmoins je m’éveille, saute du lit & m’habille bien viste. Nous venons à l’hostel de ville, d’où chacun estoit déjà sorti, & parmi les alarmes de ceux de l’un ou de l’autre sexe, nous arrivons au Perray, ou les rumeurs estoient extresmes, & où l’officier cy-dessus, assisté de quelques autres, notamment du bonhomme Septier, capitaine de la paroisse Notre-Dame, qui crioit plus fort que pas un, continuoit ses premiers discours. Aussy-tost la plus grande partie de l’armée paroissant sur les éminences de Saint-Symphorien, à la lueur des eschalas allumés, cette petite troupe à laquelle je me joignis proposa aux commandans qui estoient déjà dans les faubourgs, & feignoient peut-estre ne demander qu’à passer la rivière, de leurfaire un pont à Morigny un quart de lieue plus bas que la ville, ce que j’appuyay fort auprès de M. Garnier l’Intendant, & mesme qu’il y avoit un pont tout fait deux lieues au-dessous, au Mesnil-Cornuel. Mais cela ne leur plaisoit pas, il pressoient le passage comme s’ils eussent eu l’ennemy à dos, dont nous n’avions aucune nouvelle. 
     «Aussy cependant, les deux personnes d’authorité suspecte, soit par prudence, ou par autre motif, après avoir envoyé & receu sourdement divers émissaires, s’accordèrent autrement que nous, sçavoir que quarante officiers principaux de l’armée resteroient seulement dans la ville, & tout le surplus dans les faubourgs jusqu’au lendemain qu’elle promit partir vers Paris. De vérité ou bien pour jour le stratagème, tous les habitans du premier faubourg qui estoient la plupart vignerons, pleins d’effroy, meslés avec les gens de guerre accoururent vers nous, criant que sans Madame de Chastillon, qui s’estoient jettée à genoux, aux pieds de M. le Prince (c’estoit M. de Tavannes), l’on auroit déjà tiré les canons, lesquels estoient sur lepavé de la rue, & qu’on alloit décharger si nous ne nous retirions. A ces mots aydés de la terreur de la nuit, de mille hurlemens d’enfans & de femmes fuyans à demi-nus, & de tous les désordres qui se voyent à la prise des villes, nous fusmes dans la presse entraisnés jusque sur le pont de la porte Saint-Pierre, où le mesme officier d’artillerie, auquel le lieutenant-général, la hallebarde en main, fit quelques discours, me prenant d’amitié par le bras, me dit: Retirons-nous, il faut cedder, nous sommes trahis. En effet il vint prendre son cheval, & gaigna pays, comme j’aurois peut-estre fait si mon nom avoit été aussy connu que le sien dans les troupes. 
     «Je voulus encore rester en cet endroit pour voir la suite, ce ne fut plus qu’embarras d’hommes, de harnois & de bestes entrant en foule; je faillis d’y estre estouffé & fus emporté bien loin de là sans toucher à terre, ainsy que beaucoup d’autres. Sur les sept ou huit heures du matin, toutes les troupes qui devoient loger aux autres faubourgs entrèrent l’espée nue à lamain, comme en une ville de conqueste, à la manière allemande. La plupart s’en estoient promis le sac & le viol, pour rendre, disoient-ils, ce qu’on leur avoit presté chés eux. Ils se renversèrent aux hameaux & villages voisins jusqu’à deux ou trois lieues d’alentour, du costé d’Orléans & de Chartres, où peu de fille & de femmes qu’ils rencontrèrent purent éviter leurs brutalités.» 

NOTE 4.

     Ce fait de destruction est ainsi rapporté par le barnabite Basile Fleureau, témoin oculaire, dans son livre des Antiquitez de la ville d’Estampes, Paris, 1683, in-4. 
     «Tous les édifices tant dedans que dehors la ville proche des murailles furent razez, même les murailles des clôtures des cimetières, quoy qu’elles fussent fort basses. Ceux qui entreprirent d’abattre la chapelle de Saint-Jacques de Bedegond, qui est au bout du cimetiere, du côté de Paris, furent, par un effet visible de la divine justice, écrasez sous les ruines. Le Comte de Tavannes fit mettre le feu dans les faubourgs, au premier avis qu’il reçut que l’armée du roi venoit assiéger Estampes. Et le dimanche 26 may, qu’elle s’approcha jusques à Estrechy, il fit derechef mettre le feu dans ce que la première incendie avoit épargné.»
NOTE 5.

     Cette peinture navrante de la désolation de la ville d’Étampes après le siège est de la plus grande exactitude. Au témoignage de l’auteur, nous joignons celui de son gendre, qui lui aussi a été témoin des faits qu’il rapporte. 
     Dans l’épître dédicatoire à son ami Dubin, qui précède son recueil d’épigrammes intitulé: Les Restes de la guerre d’Estampes, imprimé à Paris en 1653, nous lisons le passage suivant: 
     «Tu as sceu que cette jadis ville est devenue depuis, un moyen village, un cimetière. Jamais la Parque ne fit une si belle moisson, elle a fauché de tous les biais, & les lancettes y ont été aussi mortelles que les espées: quelques privilèges que le roy accorde à ce païs, il pourra bien l’empêcher de mourir, mais non pas de languir un long temps.»
     Nous trouvons également dans son journal cité plus haut ces curieux détails, qui peuvent servir de commentaires aux vers de son beau-père. 
     «Les armées ne furent pas plutôt retirées, que les fumiers, les haillons, les cadavres & les autres puanteurs infectant l’air, reduisirent presque la ville & ses environs en un hospital. Il se forma de vilaines mouches de grosseur prodigieuse, qui estoient inséparables des tables & des lits; le plus charitable amy & le meilleut parent, estant malade luy mesme, n’avoit que le cœur de reste pour soulager les siens. C’estoit une grande pompe funèbre d’estre traîné sur une brouette au cimetiere, sans bière ny prestres, au lieu desquels l’on entendoit que [sic] croassement en l’air d’oyseaux sinistres & carnassiers, inconnus jusqu’alors au pays, qui se rabattoient à tous momens dans nos prés, nos terres & nos jardins, pour y faire curée de charongnes des hommes & des bestes.» 
     Dix-huit années après le siège, & comme l’avait pressenti René Hémard, la ville d’Étampes n’était point encore remise de la terrible secousse qu’elle avait éprouvée en 1652. voici le tableau qui en a été fait en 1670 par le même auteur: 
     «Estampes est la plus malheureuse ville du royaume; sa grande enceinte, dont le milieu n’est plein que de trous à retirer des mendiants ou des chétifs manœuvres, & dont les faubourgs qui en font la moitié, ne sont propres qu’à des cancres de vignerons & à des laboureurs en fable, ne laisse pas de passer por une communauté importante. Le surplus consiste presque ne quelques hostelleries barbouillées & en maisons refaites par des Parisiens, originaires sablonniers, lesquels n’y ont souvent qu’une pauvre femme pour garde. Ou bien ce sont de vastes logis de deux ou trois arpens quasi vuides, & sans autres locataires que de quelques jardiniers, dont les chambres ne sont tapissées que d’oignons, de poireaux, de chicorée, & de pareilles menues verdures. Les traffics de bleds & de laine autrefois si celèbres y demeurent entièrement rompus, tant par le nouvel établissement du canal de Briare & les fréquens logemens des troupes, que par la hauteur des tailles, lesquelles ont chassé la moitié du peuple, que les maladies d’armée y avoient laissé de reste en 1652.» 

 
BIBLIOGRAPHIE

Éditions

     Paul PINSON [éd.], La prise d’Etampes, poëme latin inédit de Pierre Baron, maire de la ville en 1652, traduit en français avec le texte en regard et des notes, et précédé d’une notice biographique sur l’auteur par Paul Pinson [in-18; 45 p.], Paris : L. Willem, 1869. 

     Bernard GINESTE [éd.], «Petrus Baron: Stemparum Halosis (texte latin de 1654)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis.html, janvier 2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Baron: La Prise d’Étampes (traduction Pinson seule)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-baron1654prisedetampes.html, janvier 2003. 

    
Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Baron: La Prise d’Étampes (édition bilingue annotée de Pinson, 1869)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis-bilingue.html
, janvier 2003.   

1652 dans le Corpus Étampois

     Bernard GINESTE, «Marie Angélique Arnauld: Sur des religieuses fuyant le siège d’Étampes (fin mai 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520525arnauld.html, 2008.

     Bernard GINESTE, «Marie Angélique Arnauld: Deux lettres à la reine de Pologne (misère de Paris et d’Étampes, mai-juin 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-16520628arnauld.html, 2008.

     Bernard GINESTE [éd.], «Petrus Baron: Stemparum Halosis (texte latin de 1654)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis.html, janvier 2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Baron: La Prise d’Étampes (édition bilingue annotée de Pinson, 1869)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-baron-halosis-bilingue.html, janvier 2004. 

     Bernard GINESTE [éd.], «Pierre Baron: La Prise d’Étampes (traduction Pinson seule)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-baron1654prisedetampes.html, janvier 2004. 

     François JOUSSET & Bernard GINESTE [éd.], «René Hémard: La Guerre d’Estampes en 1652 (édition 1884 de Pinson)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cle-17-renehemard-guerre.html, janvier 2003.   
 
     Bernard GINESTE [éd.], «Basile Fleureau: Recit veritable de ce qui s’est passé au siege de la Ville d’Estampes en l’année 1652 (édition de 1681)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-fleureau-b44.html, janvier 2003. 2e édition illustrée et annotée: mai 2007.

     André BELLON, «Antoine Pecaudy», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-1652pecaudy-bellon.html, 2003.

     Bernard GINESTE [éd.], «Turenne: Lettres relatives au siège d’Étampes (avril-mai 1652)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/che-17-turenne1652lettres.html, 2007.

 

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